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L'Anticléricalisme

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Tout de même, de nos jours, où l'instinct despotique reparaît sous une nouvelle forme et sévit de toutes ses forces, ce qui paraît le défaut de chaque mesure, générale ou particulière, dont on se plaint, en est le principe inspirateur, que ceux, du reste, qui prennent cette mesure s'en aperçoivent ou qu'ils ne s'en aperçoivent point.

A quoi songerons-nous pour prendre des exemples? Au système parlementaire? Soit. Qu'est-ce qu'on lui reproche? D'être, de la manière dont il est organisé, le contraire même du système représentatif; d'arriver, par toute suppression de la représentation des minorités, à ce résultat que le pays est gouverné par une majorité toute factice et, au vrai, par une minorité. C'est ce qu'on a appelé, très justement, le mensonge du gouvernement parlementaire.

Car enfin s'il est prouvé, et il l'a été, qu'en tenant compte de toutes les voix exprimées par le pays, les groupes de gauche qui gouvernent depuis huit ans représentent la minorité du pays, il est démontré que la façon de compter est mauvaise et que la France est gouvernée depuis huit ans par ceux qui devraient obéir, ou tout au moins ne pas commander. C'est le mot d'un étranger aristocrate: «En choses de science, et la politique est une science, il faut peser les suffrages et non les compter. Vous, vous comptez au lieu de peser; – mais encore vous comptez mal.»

Sans doute; mais remarquez que cette façon de compter est éminemment démocratique et radicale. Si vous tenez compte des voix des minorités, qu'est-ce que vous faites? Vous tenez compte, dans chaque circonscription, des voix de ceux qui n'obéissent pas «aux grands courants», qui ne suivent pas la foule, qui ne sont pas, comme dit Nietzsche, «bêtes de troupeau». Eh! mais! justement, ces voix, il faut les supprimer! Ce sont des suffrages fortement suspects d'être aristocrates. Ils se désignent eux-mêmes, en quelque sorte, comme étant tels. Supprimons-les; tenons-les comme n'existant pas.

Autre aspect de la même question: Si (par exemple) décidant que sera déclaré député tout homme qui, dans tout le pays, aura réuni tel nombre de suffrages suffisant pour être élu dans une circonscription moyenne, vous amenez ainsi à la Chambre des hommes qui n'auraient été élus dans aucune circonscription, mais qui sont connus, aimés et admirés un peu partout dans le pays tout entier, que faites-vous? Vous tenez compte du suffrage des minorités, évidemment; mais vous amenez à la Chambre des hommes beaucoup trop connus, beaucoup trop admirés et beaucoup trop aimés, des espèces d'hommes supérieurs, des illustrations politiques, scientifiques, littéraires. Or, l'homme supérieur n'est pas chose démocratique. Il représente cette sélection intellectuelle dont la démocratie a horreur et terreur, non sans raison; il est l'homme, qu'au contraire de l'élire ou de le considérer comme élu, la démocratie devrait éliminer par ostracisme.

Il ne faut donc point de représentation des minorités. De quelque façon qu'on la mette en pratique, elle servira, au moins un peu, les intérêts aristocratiques. Il ne s'agit pas de dire, sottement, que toutes les voix des minorités se portent sur des gens qui appartiennent à une élite; non; mais les gens qui appartiennent à une élite trouvent le plus grand nombre des suffrages qui vont à eux dans les bulletins des minorités. En rayant de compte tous les bulletins des minorités, on éliminera donc toujours un certain nombre de gens d'élite. Le suffrage universel n'est vraiment démocratique qu'à la condition d'être brutal. Conservons-lui, sous des apparences très légales et très légitimes, son caractère de brutalité.

Ainsi raisonnent les démocrates4, avec un très grand sens, si l'on se place à leur point de vue. Ils sentent vaguement, peut-être avec précision, que le prétendu défaut du système en est le principe ou du moins est très conforme à l'esprit même du système.

Qu'est-ce qu'on reproche encore au système parlementaire français? De réduire à rien la fameuse «division des pouvoirs» et de concentrer, au contraire, tous les pouvoirs dans le Parlement, de légiférer, de gouverner et d'administrer, le tout ensemble. Eh bien mais, ce n'est pas pour autre chose que les politiciens se font nommer députés. Ils ne se font pas nommer députés pour faire des lois – si ce n'est des lois de circonstance, qui sont précisément des actes de gouvernement et de gouvernement despotique – ils se font nommer pour gouverner, par l'intermédiaire de leurs ministres, d'une manière conforme à leurs intérêts; et, d'autre part, pour peser, chacun chez eux, sur l'administration de leur département et pour y être de petits rois. Sans cela, ils ne tiendraient pas le moins du monde à être élus députés. Le défaut ou l'abus du système parlementaire que vous leur signalez est pour eux l'essence même du système parlementaire et sa principale, sinon sa seule raison d'être.

Le système parlementaire, direz-vous encore, tel qu'il est pratiqué en France, a de singuliers résultats de temps en temps et même toujours: il met un avocat à la marine, un homme de lettres à la guerre, un financier à la justice, un commerçant à l'instruction publique et ainsi de suite. Quoi de plus naturel, puisqu'il s'agit, pour un ministère, non pas de bien administrer, mais de ne pas être renversé, et que dès lors ce qu'il doit chercher c'est à distribuer les portefeuilles, non de manière qu'ils soient bien tenus, mais de manière que les différents groupes de la chambre aient, chacun, à peu près satisfaction? Montesquieu disait: «En tel cas… la République est une dépouille.» En style moins noble on peut dire: «En France le ministère est un gâteau.» Quand il s'agit de partager, il ne s'agit pas d'attribuer. On partage comme on peut. De là ces attributions singulières, amusantes et parfaitement désastreuses pour les intérêts du pays.

Mais quoi? le principe pour les politiciens, c'est de partager le pouvoir et l'influence. Les politiciens français sont toujours les fils de ces conventionnels qui n'admettaient pas que la France cessât jamais d'être leur propriété et qui se prorogeaient eux-mêmes dans les assemblées qui devaient succéder à la leur et qui écartaient par la proscription ceux qui y pénétraient à leur tour; pour qui enfin la République n'était qu'un syndicat de propriétaires de la République. De là un système parlementaire qui, dans la pratique, est le contraire même de la définition du système parlementaire.

Voyez encore quelques mesures récentes ou quelques projets en voie de réalisation. La caisse de retraite pour l'invalidité et la vieillesse est un projet, certes, excellent en soi. Quelques-uns lui adressent pourtant cette critique: «Qui profitera de ces secours ou de ces retraites?

– Les invalides et les vieillards.

– Sans doute; mais lesquels?

– Ceux que nous estimerons en avoir le plus besoin. A ceux-là nous épargnerons tout délai dans la liquidation de leur retraite. Pour les autres on saura voir…

– C'est-à-dire que vous faites la loi pour vos protégés et vos clients ou ceux dont vous voudrez faire vos clients et vos protégés. C'est donc un simple instrumentum regni, une sportule à distribuer à titre, soit de récompense, soit d'encouragement, un moyen de vous conquérir des électeurs. N'est-ce pas cela?» – A certaines dispositions des projets en discussion, cela en a l'air. Pour que tout soupçon de ce genre fût écarté, il faudrait que les caisses de retraite pour l'invalidité ou la vieillesse ne fussent pas «d'État», fussent aux mains de mutualités parfaitement indépendantes de l'État, auxquelles l'État, cette fois incontestablement par humanité pure et sans pouvoir être soupçonné d'intérêt politique, accorderait toutes les subventions qu'il voudrait. Mais faites adopter ce système à nos hommes politiques. Je doute que vous y réussissiez. C'est très vraisemblablement pour se créer un instrument de règne de plus qu'ils organisent cette administration de secours. Ce qui est pour vous, ce qui est en soi le défaut de la mesure en est pour eux la raison d'être.

L'impôt sur le revenu n'a rien, assurément, que de très acceptable; mais on fait remarquer qu'à moins de se contenter d'une déclaration, qui, hélas, étant donnée la nature humaine, serait toujours fausse, l'impôt sur le revenu ne pourrait s'exercer qu'avec une inquisition continuelle sur les sources de revenus de chacun, ou par une fixation tout arbitraire et faite pour ainsi dire au hasard.

Ou se contenter de cette affirmation du contribuable: «Mon revenu? Il est de tant.»

Ou fouiller, et sans cesse, dans tous les papiers d'affaires et même dans la correspondance du contribuable.

Ou s'en rapporter aux signes visibles et extérieurs de la fortune.

Ou taxer au hasard le contribuable.

Je ne crois pas qu'on puisse sortir de ces quatre partis.

Or le premier est purement vain; il ne rendrait rien du tout ou quasi rien. – Le second, sans compter qu'il est épouvantablement vexatoire, est impraticable. Il exigerait une armée de commis, douaniers à l'intérieur et douaniers domestiques, plus nombreux que celle des contributions indirectes. – Le troisième est trompeur: les signes extérieurs de la fortune ne signifient rien, l'avare ne manifestant sa fortune par aucun signe extérieur et l'homme placé dans une certaine situation qui exige de la représentation, du prestige et de la poudre aux yeux, montrant des signes extérieurs de fortune, alors qu'il n'a pas de fortune du tout.

 

Reste donc la fixation arbitraire: «Nous supposons que Monsieur un tel est millionnaire. Nous le croyons. – Sur quoi le croyez-vous? – Nous le croyons sur ce que nous le croyons.»

Or, ceci est du pur despotisme. Eh bien, il est à croire que c'est précisément parce qu'il n'y a, en impôt sur le revenu, que la taxation arbitraire qui soit pratique, que certain parti tient tellement à l'impôt sur le revenu. L'impôt sur le revenu sera un moyen de frapper qui déplaît et d'épargner qui plaît. C'est justement ce qui en fait le mérite aux yeux d'un certain parti. Cela pourra avoir d'admirables conséquences électorales. Ici encore, ce qui est le défaut de la mesure en est le principe pour ceux qui la proposent.

Les idées du parti radical sur l'armée et l'organisation de l'armée sont exactement les mêmes en leur fond et dérivent exactement de la même pensée secrète. Réduire successivement le service militaire de sept ans à cinq ans, de cinq ans à trois ans, de trois ans à deux ans, tout le monde le sait, aussi bien ceux qui sont favorables à ce mouvement que ceux qui lui sont opposés, c'est abolir l'esprit militaire, c'est-à-dire la cohésion, l'entente cordiale, la communion d'esprit entre l'officier, élément permanent de l'armée, et le soldat, qui ne fait plus qu'y passer. Il est évident que le soldat qui ne passe que deux ans dans l'armée n'a que deux sentiments successifs: la première année, le regret d'avoir quitté sa famille et son village; la seconde année, l'impatience d'y rentrer. En deux années, qui, dans la pratique, seront réduites à vingt mois, un troisième sentiment n'a pas le temps de se former. Dans un pays ardemment patriote, comme l'Allemagne ou l'Angleterre, l'inconvénient est ou serait moindre. Il est clair que si le sentiment patriotique et l'esprit militaire sont développés dès l'école primaire et dès le gymnase, il n'est pas besoin d'un long temps passé sous les armes pour le former. Il existe à l'avance, il persiste pendant le temps du service militaire, il reste ensuite. Mais dans un pays où l'école primaire et le lycée sont hostiles au sentiment patriotique ou tout au moins ne s'appliquent aucunement à l'entretenir, où l'école primaire et le lycée sont hostiles à l'esprit militaire ou tout au moins songent à tout autre chose qu'à le faire naître, il n'est que très vraisemblable que le service militaire court, non seulement ne créera pas l'esprit militaire, mais l'empêchera d'éclore là où il aurait pu se produire, ne retenant le jeune homme sous les drapeaux que juste le temps de lui faire d'abord regretter, puis désirer la vie civile. Une armée sans esprit militaire, c'est ce que va créer notre nouvelle loi sur l'armée.

Mais c'est que précisément l'esprit militaire est ce que déteste et redoute le plus le parti démocratique.

Il est très embarrassé: il n'est pas précisément antipatriote; car, après tout, la disparition de la France comme nation ne lui profiterait guère, puisque ce serait la France exploitée par d'autres et non plus par lui; et l'on n'envisage jamais une pareille perspective de gaîté de cœur; mais, d'autre part, il est antimilitariste fatalement et comme forcément; car il redoute toujours le despotisme militaire, le tyran militaire, celui qui détruit ou annihile le régime parlementaire et exploite le pays pour lui-même, pour ses favoris, pour ses généraux, pour ses officiers et non plus au profit des orateurs de village et des politiciens de sous-préfecture.

Ainsi partagé, le parti démocratique est donc dans un certain embarras; mais envisageant la disparition de la France comme une chose lointaine, par suite de cette tendance qu'on a toujours à considérer un grand changement européen comme une chose lointaine, tendance instinctive et du reste absurde; et envisageant le despotisme militaire comme une chose qui peut se produire demain, même en pleine paix (et l'aventure du général Boulanger l'a confirmé dans cette idée), il a pour l'esprit militaire une aversion sans aucun mélange et ne tient à rien tant qu'à le détruire partout où il est et à l'empêcher de naître partout où il pourrait germer.

C'est le plus pressé; et pour le reste, selon la formule de tous les esprits bornés, pour le reste, on verra plus tard.

N'exprimez donc pas cette crainte qu'avec les nouvelles lois militaires l'esprit militaire ne s'affaiblisse et ne tende à disparaître: c'est précisément pour diminuer l'esprit militaire que les nouvelles lois militaires ont été faites, que les nouvelles lois militaires se font et que se feront de nouvelles lois militaires, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus en France que des milices ou une garde nationale. Il est vrai que, selon toute apparence, la France aura disparu auparavant; mais je ne voulais démontrer que ceci qu'en cette question encore, ce qui paraît le défaut de la mesure prise en est justement l'esprit directeur et la cause efficiente et aussi la cause finale.

Or, pour y revenir, dans cette grande affaire du cléricalisme et de l'anticléricalisme il en va tout de même. Ce qui rend l'anticléricalisme incurable, c'est que toutes les sottises dont il est composé sont les raisons mêmes pour quoi il est chéri et caressé par ses partisans; c'est que tous les périls qu'il renferme sont considérés par ses partisans comme des chances qu'il ne serait pas mauvais de courir; c'est que toutes ses désastreuses conséquences sont, plus ou moins consciemment, considérées par ses partisans comme des progrès, ou tout au moins comme des choses qui ne seraient pas si mauvaises qu'on affecte de le croire.

Qu'ai-je dit, que disons-nous pour persuader à la France de ne pas s'hypnotiser dans la passion antireligieuse? Nous lui disons que d'opprimer, de molester, de persécuter une partie, et importante, de la population française pour ses opinions religieuses et pour sa manière de faire élever ses enfants, cela supprime des Français, cela diminue le nombre des Français, cela aliène des Français qui ne demanderaient qu'à aimer la France, cela fait des étrangers à l'intérieur.

– C'est précisément ce qu'il faut, nous répondent nos adversaires, ou nous répondraient-ils s'ils allaient net jusqu'au bout de leur pensée ou s'ils se rendaient nettement compte du principe même de leur pensée. C'est précisément ce qu'il faut. L'unité morale le veut. Nous ne considérons comme Français que ceux qui pensent comme nous, que ceux qui datent de 1793, que ceux qui ne croient qu'à la démocratie et à la libre pensée, que ceux qui ont rejeté toute superstition et qui sont délivrés de cette maladie mentale qu'on appelle le sentiment religieux. Voilà ceux qui constituent l'unité morale, c'est-à-dire la France. Les autres sont des antiunitaires, c'est-à-dire des antifrançais.

Il ne faut donc pas nous dire que nous supprimons des Français; nous frappons des gens qui ne sont pas des Français, qui déjà ne sont pas des Français. Nous n'aliénons pas des compatriotes, nous défendons la France contre des gens qui ne sont pas des compatriotes. Nous ne créons pas des étrangers à l'intérieur; nous trouvons des étrangers à l'intérieur, et nous leur défendons de l'être, et nous les prions ou de cesser de l'être ou de déguerpir. On ne peut pas être plus patriotes que nous le sommes. Le véritable patriotisme consiste à ne compter pour Français que ceux qui le sont. Ceux qui prétendent à la fois être français et romains, leur prétention à l'égard du titre de citoyen français est monstrueuse. Qu'ils choisissent. Ils n'aimeront pas la France si nous leur défendons de faire élever leurs enfants par des prêtres? Oh! Tant mieux! Qu'ils ne l'aiment point et qu'ils la quittent. Il n'y a que profit pour elle, ou à ce qu'ils y restent en ne l'aimant point, car ils ne demanderont point ses faveurs, ses places, ses postes et ne les obtiendront pas et laisseront les vrais Français se partager tout cela; ou à ce qu'ils la quittent, car ils supprimeront ainsi le scandale de l'étranger campé et organisé en France contre la France, contre son esprit, contre ses principes et contre son unité. Nous préférons une France une et serrée en faisceau à une France de population plus nombreuse, mais divisée, déchirée et incohérente.

Voilà en son fond le véritable esprit du Français «unitaire». Ce que nous signalons comme le point faible de sa mentalité en est le fond même.

Comprendre que l'unité morale, aux temps modernes, ne peut être que dans la liberté, dans le sentiment, répandu chez tous les citoyens, que, quoi qu'ils pensent, quoi qu'ils disent et quoi qu'ils fassent, excepté contre la patrie, ils trouveront dans la patrie une égale bienveillance à leur endroit; comprendre que c'est là, désormais, le vrai lien, le vrai faisceau et la vraie unité; comprendre que si l'unité américaine existe, c'est que les citoyens américains sentent et éprouvent que, quelles que soient leurs idées et leurs tendances particulières, la République s'en désintéresse absolument et ne leur demande que d'être des Américains; comprendre que si l'unité anglaise existe, c'est que le citoyen anglais sent dans sa patrie une protectrice de tous ses droits et de toutes ses façons de penser, si différentes qu'elles soient de celles du voisin; comprendre que si l'unité allemande existe, c'est que catholiques allemands sont aussi libres d'être catholiques que les protestants sont libres d'être protestants et protestants allemands aussi libres d'être protestants que les catholiques sont libres d'être catholiques et que, par conséquent, les uns et les autres sont avant tout allemands: «l'Allemagne au-dessus de tout!»; – comprendre tout cela, voilà ce qui est absolument impossible à «l'unitaire» français, avec son âme du XVIe siècle.

Il est remarquable comme le goût de l'unité ne donne que la passion de la guerre civile. Pourtant il en est ainsi.

On voit que ce qui est le défaut essentiel du raisonnement de nos unitaires en est la majeure.

Que disons-nous encore? Que l'anticléricalisme mène peu à peu à une conception et à une organisation de l'enseignement qui rendraient les Français idiots. Oui, nous disons cela, à peu près, et je crois bien que nous le pensons tout à fait. L'unité effrénée d'enseignement, si l'on me permet de parler ainsi, ne peut avoir en effet pour résultat qu'une profonde débilitation de l'intelligence nationale. Un peuple à qui l'on n'enseigne qu'une manière de voir finit bientôt par n'avoir aucune manière de voir. Assez plaisamment, quoique avec un esprit un peu gros, Victor Hugo disait en 1850 aux «Jésuites»: «Vous demandez la liberté d'enseignement? Ce que vous voulez, c'est la liberté de ne pas instruire.» Tous les arguments à l'adresse de la «France noire» se retournant mathématiquement contre la «France rouge», je dirai, un peu lourdement aussi, aux partisans du monopole de l'enseignement: «Vous prétendez instruire seuls; c'est vouloir ne pas enseigner; c'est vouloir, à force de n'enseigner qu'une chose et fermer les esprits à toutes les autres, les fermer à toutes. Car on n'a une idée, on ne la possède vraiment, on ne la voit avec clarté, que quand on a fait le tour de toutes les idées et quand on en a choisi une. Intelligence, c'est comparaison, puis préférence.»

Les partisans intelligents du monopole sentent si bien la force de cette objection et ce qu'elle contient de vérité, qu'ils ne manquent pas d'assurer de tout leur courage que c'est dans l'enseignement monopolisé que l'on trouvera l'exposition de toutes les idées, les plus différentes, et pour l'élève la liberté la plus large de comparaison, de choix et de préférence. J'ai discuté plus haut, avec le plus grand sérieux, cette plaisanterie, et je n'y reviens que pour rappeler que personne n'en peut être dupe, non pas même ceux qui en sont les auteurs, s'il n'y a pas à dire plutôt que surtout ceux qui en sont les auteurs n'en peuvent croire un mot.

Donc, cette objection écartée, nous prétendons que les partisans du monopole de l'enseignement veulent surtout ne pas instruire, j'entends ne pas mettre les jeunes esprits à même de choisir entre les idées. Notez que cela se démontre déjà par une foule de signes. Dans les programmes universitaires il y a tendance très visible à n'enseigner l'histoire que depuis 1789 et à laisser le jeune homme dans l'ignorance la plus profonde sur tout ce qui s'est passé auparavant. Voilà ce que j'appelle ne pas enseigner. L'homme qui ne connaît l'histoire que depuis 1789 est un homme si limité qu'il en est bouché. Il ne comprend rien du tout et non pas même 1789. Il est absolument inintelligent en humanité. Il a une complète inintelligence de l'histoire et une ignorance encyclopédique du genre humain, y compris celui où il vit. Cet homme-là, c'est l'homme que veulent les partisans du monopole de l'enseignement; c'est pour eux l'homme de l'avenir.

De même au congrès de Liége, en septembre 1905, M. Salomon Reinach insistait pour que l'on éliminât décidément de l'enseignement littéraire les auteurs du XVIIe siècle, si profondément arriérés et qui ne peuvent rien apprendre, du moins de bon, aux générations du XXe siècle. Voilà qui va fort bien, et je crois vous entendre. Mais si l'on croit que le jeune «studieux» comprendra un mot à l'Essai sur les mœurs s'il n'a pas lu le Discours sur l'histoire universelle, et à Montesquieu s'il n'a pas lu la Politique tirée de l'Ecriture sainte, et, pour sortir un instant de la politique, à Marivaux s'il n'a pas lu Racine, et à Jean-Jacques Rousseau s'il n'a pas lu Fénelon, etc., etc., il faut être un peu inexpérimenté soi-même en matière d'enseignement et en matière intellectuelle.

 

Ce n'est donc pas conjecture de notre part, ni induction, du reste légitime, ni procès de tendances, du reste fondé, quand nous disons aux partisans du monopole de l'enseignement: «Vous ne voulez pas plus de liberté dans l'enseignement que de la liberté de l'enseignement. Vous ne voulez de liberté de choix, et c'est-à-dire de liberté d'intelligence, nulle part. Un peu partout, et particulièrement dans un pays comme le nôtre, la liberté dans l'enseignement ne peut être obtenue que par la liberté de l'enseignement. Si les clercs seuls enseignaient, ils enseigneraient l'histoire jusqu'en 1789 et jetteraient un voile sur tout ce qui s'est passé depuis; ils enseigneraient la littérature avec Bossuet, Nicole, Bourdaloue et peut-être Corneille; ne feraient lire aucun auteur du XVIIIe siècle, et du XIXe siècle ne mettraient sous les yeux de leurs élèves que de Maistre et Veuillot (je n'invente rien: lisez le livre de M. l'abbé Delfour, Catholicisme et Romantisme), et ils feraient des élèves stupides.

Inversement, si vous, antireligieux, vous enseigniez seuls, vous n'enseigneriez que 1789, 1793, 1848 et 1870, vous laisseriez ignorer le XVIIe siècle, et vous enseigneriez la littérature avec Voltaire, Diderot, Helvétius, d'Holbach, Stendhal et Victor Hugo dernière manière; et vous feriez des élèves stupides. Et, donc, nous avons le droit de dire: «En réclamant le monopole de l'enseignement, vous réclamez, non le privilège d'instruire seuls, mais le droit de ne pas instruire du tout.»

Voilà ce que nous disons, et ce qui ne sera jamais tout à fait vrai, mais ce qui se rapprochera de plus en plus de la vérité: c'est asymptotique. Oui, que le monopole de l'enseignement ait pour effet de mener un peuple à un état très voisin de l'ignorance et très proche de l'incompréhension universelle, cela me paraît incontestable; mais c'est précisément pour cela, sans peut-être s'en rendre bien compte, que les républicains despotistes n'ont aucune répugnance pour le monopole de l'enseignement. Aucun despotisme n'aime le savoir, aucun despotisme n'aime l'intelligence. Montesquieu l'a répété à satiété pour le despotisme ancien style, c'est-à-dire pour le despotisme d'un seul. Il n'y a aucune raison pour que ce ne soit pas tout aussi vrai du despotisme collectif. «La République n'a pas besoin de savants» est peut-être un mot légendaire et, pour mon compte, j'incline à croire qu'il a été inventé par un réactionnaire spirituel, par quelque Rivarol; mais il exprime bien la pensée de la démocratie, de la plus basse, à la vérité; mais le malheur est que la basse démocratie force la haute à tomber sans cesse un peu au-dessous du niveau de la basse.

Tant y a que le démocrate moyen, si vous voulez, ne pense point précisément du mal du savoir et de l'intelligence, mais se dit: «Après tout, ce n'est pas de grand savoir et de fine intelligence que nous avons le plus besoin; avant tout, ce qu'il nous faut, ce sont des hommes dévoués à la démocratie et le plus antireligieux possible, parce que, quand on n'est antireligieux qu'à demi, si l'on n'est pas précisément avec les prêtres, du moins on les ménage. Or il est constaté que le vaste savoir et l'intelligence très exercée mènent souvent à cet état d'esprit sinon favorable, du moins indulgent, aux hommes de religion. C'est très fréquent. Il y a donc lieu de ne pas tenir essentiellement à ce qu'il y ait dans ce pays beaucoup d'hommes de haute culture.»

En somme, vous ne voulez que des ignorants, parce que vous ne voulez que des fanatiques. C'est l'arrière-pensée de tous les sectaires.

– Vous exagérez!

– Eh! non! Je précise.

Il y a bien, sans qu'on en convienne et, je le reconnais, sans qu'on s'en rende compte, quelque chose comme cela. Ici encore, la plus grande erreur que l'on puisse trouver dans le système n'est pas autre chose que le principe secret du système.

Et enfin, pour abréger, car on pourrait poursuivre cette analyse en beaucoup de sens, nous assurons que l'anticléricalisme poussé à fond, comme les radicaux veulent l'y pousser en effet, mène tout droit au despotisme. Il y mène de toutes les façons. Il habitue les esprits à considérer qu'un homme n'a pas les droits de l'homme quand il pense d'autre manière que le gouvernement. Il habitue les esprits à considérer qu'un homme peut être proscrit parce qu'il vit d'une manière honorable, mais différente de la façon commune. Il habitue les esprits à mépriser la liberté et aussi l'égalité.

La liberté, puisque je n'ai pas celle de faire des vœux de morale sévère et de m'associer à ceux qui font les mêmes vœux; la liberté, puisque je n'ai pas le droit d'enseigner ce que je crois vrai et qui, du reste, n'est pas contraire à la constitution de ce pays; la liberté, puisque je n'ai pas le droit de faire instruire mon fils par qui me plaît, du reste honnête homme.

Mais l'anticléricalisme habitue aussi les esprits à mépriser l'égalité; parce qu'il crée des classes. Il en crée au moins deux: première classe, qui a toutes sortes de droits, à l'exclusion de l'autre, c'est-à-dire qui a toutes sortes de privilèges, droit d'enseigner, droit de prêcher, droit de faire des processions et de haranguer les foules dans la rue autour de la statue d'un martyr et d'entraver la circulation; – seconde classe, qui est privée du droit d'enseigner, du droit de s'associer, du droit de vivre en commun, du droit de faire des processions dans la rue et des meetings sur la place publique, dernier droit du reste que je n'accorderais à personne, mais qu'enfin il est constant que vous attribuez aux uns et que vous refusez aux autres. – L'anticléricalisme crée donc des classes: les unes privilégiées, les autres dénuées; les unes avantagées, les autres frustrées; les unes accaparantes, les autres spoliées; les unes oppressives, les autres opprimées. Il fait des parias. C'est le signe même du despotisme ou plutôt c'en est bien le fait; c'en est la réalisation nette, pure et simple.

– Mais le genre de despotisme que l'anticléricalisme institue s'arrête là!

– Ce serait déjà suffisant, à mon avis, et «il y a oppression du corps social, dit la très réactionnaire Déclaration des droits de l'homme, dès qu'un seul de ses membres est opprimé»; mais le genre de despotisme que l'anticléricalisme institue va plus loin encore dans ses conséquences et dans ses conséquences prochaines. Le mot de M. Jaurès est très profond: «Le collectivisme intellectuel mène tout droit au collectivisme économique.» Ce qui veut dire: «L'État omniscient, cela mène à l'État omnipossesseur; le monopole de l'enseignement, c'est le collectivisme intellectuel, c'est la collectivité se substituant, pour instruire, aux individus ou aux associations; – du même principe sortira ceci: la collectivité se substituant, pour posséder, aux individus ou aux associations; il n'y a pas plus de raison pour que vous possédiez individuellement ou par sociétés particulières que pour que vous enseigniez individuellement ou par sociétés particulières; l'État aujourd'hui enseigne seul; l'État demain, du même droit, possédera seul; il n'y a aujourd'hui d'autre professeur que l'État; il n'y aura pas demain d'autre propriétaire que l'État; collectivité partout; le collectivisme intellectuel n'est qu'un essai, heureux du reste, du collectivisme des biens; tout compte fait, collectivisme de l'enseignement et collectivisme des biens, c'est la même chose, c'est le collectivisme des droits.»

4Il y a des exceptions: M. Jaurès entre autres (peut-être parce qu'il est une supériorité intellectuelle) est partisan de la représentation des minorités.

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