Kostenlos

L'Anticléricalisme

Text
0
Kritiken
iOSAndroidWindows Phone
Wohin soll der Link zur App geschickt werden?
Schließen Sie dieses Fenster erst, wenn Sie den Code auf Ihrem Mobilgerät eingegeben haben
Erneut versuchenLink gesendet

Auf Wunsch des Urheberrechtsinhabers steht dieses Buch nicht als Datei zum Download zur Verfügung.

Sie können es jedoch in unseren mobilen Anwendungen (auch ohne Verbindung zum Internet) und online auf der LitRes-Website lesen.

Als gelesen kennzeichnen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

L'anticléricalisme, mais voyez donc que c'est les dernières cartouches de la bourgeoisie. Elle en usera tant que la cartouchière ne sera pas vide, et ensuite elle fabriquera des cartouches tant qu'il y aura quelque chose à sa portée qui ressemblera à de la poudre.

Comprenez donc la suite des choses: La bourgeoisie lance le peuple contre un ennemi autre qu'elle tant que cet autre ennemi existe ou qu'elle peut faire croire qu'il est. Très longtemps, pendant trois quarts de siècle, elle a excité, soulevé et lancé le peuple contre l'aristocratie, contre «les nobles». L'aristocratie n'existait plus; les nobles existaient, mais n'avaient absolument aucun privilège et ne constituaient aucun danger. N'importe: en vertu de cette loi qui fait qu'une génération poursuit de sa haine les descendants de ceux dont a souffert la génération d'il y a cent ans, la bourgeoisie obtenait du peuple qu'il détestât les descendants ou les pseudo-descendants des Lauzun ou des Montmorency. C'étaient «les morts qui parlaient» par la bouche de leurs arrière-neveux. Tel un protestant de 1905 ne peut pas voir un catholique sans avoir la fièvre de la Saint-Barthélemy et sans croire obscurément que ce catholique qu'il rencontre a pris part à ce massacre.

Cependant l'aristocratie et les nobles et les ci-devant, cela a fini par s'user. Par habitude, les bourgeois daubent encore sur le théâtre la noblesse française; mais cela a peu de retentissement. Il fallait chercher ou retenir autre chose.

Le clergé catholique et le catholicisme en général étaient la dernière ressource; ils sont encore la dernière ressource. Exploiter contre eux le ressentiment séculaire du peuple contre les abbés trop gras et les évêques trop riches du XVIIIe siècle, c'est le dernier jeu que peut jouer la bourgeoisie pour détourner les regards du peuple loin des gras d'aujourd'hui et loin des riches de maintenant. Littéralement, pour la bourgeoisie française actuelle, hors de la haine de l'Église point de salut.

On peut donc croire qu'elle ne cessera de suivre cette tactique qu'à la dernière extrémité.

Quand? Comme pour l'aristocratie et la noblesse: lorsqu'il n'y aura plus d'Église et plus de catholiques, comme il n'y a plus maintenant, bien visiblement, à n'en pas douter, d'aristocratie ni de nobles. La limite aura été la même dans les deux cas.

Or il y aura une Église, et peut-être plus forte, plus inquiétante comme probabilité de survie, tant qu'on n'aura pas tout simplement interdit le culte catholique en France; et il y aura des catholiques toujours «menaçants», c'est-à-dire toujours désireux de s'entendre entre eux, c'est-à-dire de créer une Église et toujours sur le point de la fonder, tant qu'il y aura des catholiques et tant qu'on ne les aura pas chassés du territoire français, comme le voulait Rousseau; tout au moins tant qu'on ne leur aura pas ôté toute liberté, non seulement d'enseignement, mais d'association, de parole, de presse et d'écriture.

On voit comme se prolonge devant nous, sans qu'on exagère rien et tout simplement en calculant ce que devra forcément vouloir la bourgeoisie et ce qu'elle fera si le peuple la suit, la période de lutte, de bataille et de persécution sans merci contre le catholicisme de France.

A mon sens, les choses se passeront à peu près de la manière suivante: abolition de l'Église catholique considérée comme un «État dans l'État», précisément parce qu'elle ne sera plus liée à l'État, comme une association trop cohérente et trop forte, c'est-à-dire comme une «aristocratie», analogue à la franc-maçonnerie, mais moins agréable.

Puis longue persécution contre les églises locales, fragmentaires, isolées, les églises «au désert», qui auront réussi tant bien que mal à se former et qui seront considérées comme des sociétés secrètes, ce que, du reste, elles seront parfaitement, par impossibilité d'être autre chose.

Puis longue persécution contre les catholiques isolés qui auront survécu à toutes les vexations et rigueurs et qui seront la dernière proie ou le dernier ennemi signalé au peuple par la bourgeoisie cramponnée à sa dernière ressource.

Et ce sera, réalisé, le rêve du doux Edgar Quinet, qui n'a jamais rien vu autre chose en politique et dans toute l'histoire moderne que le catholicisme à exterminer par tous les mêmes moyens que le christianisme vainqueur avait employés pour exterminer la religion païenne; et cette politique est d'une grande simplicité, encore qu'elle ne soit pas évangélique.

Peut-être avant cette troisième période, peut-être avant la seconde, la bourgeoisie aura été balayée par le peuple. Mais, pour se placer dans cette hypothèse, il faut supposer le peuple français devenu collectiviste, ce qu'il devient, sans doute; mais avec une extrême lenteur, pour toutes sortes de raisons, et ce qu'il ne sera peut-être jamais.

Il est à croire que le stade anticlérical qui reste devant nous et qu'on peut présumer qui sera parcouru tout entier, est extrêmement long encore.

*
* *

A le parcourir, la France continuera à s'affaiblir de plus en plus. L'anticléricalisme lui a fait un mal énorme; il continuera à lui en faire un qui est difficilement calculable.

A parler en général, d'abord, l'anticléricalisme a sur une nation, et sur une nation particulièrement nerveuse, tous les effets d'une passion exclusive sur un homme nerveux. Elle le détourne tout simplement de tout. L'homme passionné pour les femmes ou pour le jeu ou pour l'alcool, ne songe à rien qu'à l'alcool, au jeu ou aux femmes. Il ne néglige pas ses affaires: il ne les connaît plus; elles n'existent plus pour lui. Il est hypnotisé.

Chose très remarquable et très vraie, que j'ai parfaitement observée, l'homme passionné, non seulement est en proie matériellement à sa passion et n'y peut point résister; mais il s'en fait une espèce de religion: il la spiritualise et il la mystifie, si l'on me permet d'employer le mot dans son acception étymologique, ou, si vous voulez, il la mysticise. Propos de Don Juan au premier acte de la pièce de Molière, propos du Joueur dans Regnard, propos de Thausettes dans la Denise de Dumas fils: «Oh! la sensation!..» – J'ai connu des alcooliques qui parlaient des ivrognes avec vénération, de leurs souvenirs d'orgies avec tendresse, des libations avec une sorte d'extase, et qui disaient: «Cet homme n'aime rien: il n'aime même pas boire!»

L'anticléricalisme n'est pas une passion d'une autre nature; il est une passion; il est d'ordre pathologique. J'ai entendu un homme du peuple, qui n'était pas méchant, peut-être, mais qui avait sa conception de la liberté, dire: «La liberté! Elle est jolie, la liberté! On n'a pas seulement le droit de tuer un curé.» La passion parle là toute pure.

Eh bien, la passion anticléricale rend la France insensible à tout, excepté à l'anticléricalisme. Elle lui ferme les yeux sur ses intérêts, sur ses affaires, sur ses droits (je n'ai pas besoin de dire sur ses devoirs) et sur ses moindres commodités. Elle l'aveugle et la paralyse. A l'étranger on dit: «Qu'est-ce que c'est que la France? – C'est un pays où l'on ne s'occupe que du Vatican.»

Un mot de M. Ribot est admirable, ou du moins excellent. Il parlait sur une question très importante. On lui cria: «Et l'affaire Dreyfus?» L'affaire Dreyfus était précisément une affaire très mêlée d'anticléricalisme. M. Ribot, personnellement, était plutôt du côté des «Dreyfusistes». Il répondit: «J'ai mon opinion sur l'affaire dont vous me parlez; mais je n'admets pas que toute la politique de la France pivote sur l'affaire Dreyfus.» C'est précisément la sottise de la France que pour elle toute la politique roule sur le cléricalisme et qu'elle n'admette pas qu'il y ait autre chose dont on ait à s'occuper.

J'ai entendu souhaiter que le catholicisme disparût, pour que la France, n'ayant plus à se passionner pour ou contre lui, s'avisât de s'occuper de ses affaires.

Le malheur, c'est que pendant que nous cédons à ce travers très français et à cette habitude très française de mener notre barque comme si nous étions seuls au monde, les étrangers profitent de nos fautes et de notre aveuglement et de notre hypnotisation pour faire leurs affaires à notre détriment. Il est excellent pour eux qu'il y ait un peuple en Europe qui se conduise comme celui qui a les yeux bandés au jeu de colin-maillard, pendant que tous les autres ont les yeux ouverts. En 1905 nous fûmes tout près d'avoir la guerre avec l'Allemagne. Qu'il fût expédient de la faire ou très inopportun de l'entreprendre ou de l'accepter, c'est ce qui peut être matière à discussion.

Un parti, en France, la désirait, considérant que l'Allemagne était très isolée et qu'elle pouvait ne l'être pas toujours, et c'était la politique personnelle du ministre des affaires étrangères, peut-être du président de la République.

Un parti la repoussait de toutes ses forces, considérant, non sans raison, que peut-être, malgré nos bons rapports avec l'Italie et l'Autriche, l'Allemagne était moins isolée qu'on ne croyait et qu'à coup sûr notre principal allié, la Russie, nous manquait absolument, et qu'enfin l'Angleterre ne nous servirait pas à grand'chose et qu'en résumé c'était plutôt le bon moment pour l'Allemagne que pour la France.

Mais là n'était pas vraiment la question. La question essentielle était de savoir si nous étions prêts. Or, on peut le dire maintenant, de tous les propos qui s'échangèrent au conseil supérieur de la guerre, de tous les rapports qui parvinrent des commandements au gouvernement, de toutes les confidences qui furent faites, et j'en ai reçu, il résulta que nous n'étions pas prêts le moins du monde.

A la vérité, nous ne le sommes jamais, c'est une chose à dire pour essayer de secouer l'incroyable force d'apathie et l'incroyable incurie dont nous sommes affligés depuis un demi-siècle. Mais, si nous ne sommes jamais prêts, en 1905 nous l'étions moins que jamais; nous étions le contraire comme jamais nous ne l'avions été; nous l'étions à souhait.

 

Pourquoi? Parce que nous avions eu pendant trois ou quatre ans un ministre de la guerre et un ministre de la marine qui en fait de marine et de guerre n'avaient songé qu'à «combattre la réaction et le cléricalisme» dans les armées de terre et de mer et qui n'avaient été choisis que pour cela.

Que l'anticléricalisme désorganise une armée, désorganise une marine, tarisse les approvisionnements, démunisse les magasins de munitions, laisse en déplorable état les forts de l'Est, découvre et ouvre la frontière, au premier abord cela paraît singulier. C'est un fait pourtant, parfaitement indiscutable, et c'est tout naturel.

Si Louis XIV, à l'époque de la révocation de l'édit de Nantes, avait disgracié Louvois comme insuffisamment partisan des Dragonnades et l'avait remplacé par un homme n'ayant pour tout mérite que d'être un jésuite, peut-être l'administration de l'armée aurait-elle souffert de cette mesure.

Comme toute passion, l'anticléricalisme est terriblement exclusif, et toute passion, quelle qu'elle soit, fait d'un homme ou d'un peuple un être qui perd jusqu'à l'instinct de sa conservation, de sa défense et de sa persévérance dans l'être. Le fanatisme antireligieux produit les mêmes effets que le fanatisme religieux pourrait produire et certainement produirait. Tant que nous serons dévorés d'anticléricalisme, nous ne pourrons pas faire la guerre, même attaqués.

En attendant, même en paix, nous nous diminuons de jour en jour. Nous perdons notre influence et notre prépondérance, au moins morale, en Orient, comme protecteurs reconnus des chrétiens d'Orient, et c'est merveille et il est très significatif comme M. Combes est indifférent à la perte de notre influence en Orient: «D'abord les deux questions [séparation de l'Église et de l'État et Protectorat des chrétiens d'Orient] ne sont pas nécessairement liées ensemble, l'une concernant nos rapports avec la Papauté, l'autre nos relations diplomatiques avec d'autres puissances. Mais je veux, sans m'arrêter à cette considération, envisager directement l'éventualité dont on cherche à nous effrayer. Si la croyance des siècles passés a attaché au protectorat une idée de pieux dévouement à la grandeur chrétienne; si elle a servi notre influence à une époque de foi; il s'est trouvé alors aussi, qu'on ne l'oublie pas, d'autres motifs, très positifs et très humains, qui ont contribué largement à faire attribuer à l'ancienne France un privilège, glorieux, j'en conviens, dans l'esprit de ce temps, mais toutefois encore plus embarrassant que glorieux. Il fallait, pour l'exercer, une puissance militaire et navale de premier ordre. La France réunissait cette double condition. Notre pays a rempli honorablement les obligations découlant des capitulations et des traités, et il peut s'étonner à bon droit de la menace dont il est l'objet. Mais la Papauté s'abuse si elle s'imagine nous amener, par ce procédé comminatoire, à quelque acte de résipiscence. Nous n'avons plus la même prétention au titre de fille aînée de l'église, dont la monarchie se faisait un sujet d'orgueil pour la France, et nous avons la conviction absolue que notre considération et notre ascendant dépendent exclusivement aujourd'hui de notre puissance matérielle, ainsi que des principes d'honneur, de justice et de solidarité humaine qui ont valu à la France moderne, héritière des grandes maximes sociales de la Révolution, une place à part dans le monde.»

Impossible de mieux dire, ou peut-être de plus mal dire, mais de dire plus formellement: «Le protectorat de la France sur les chrétiens d'Orient, au fond je suis ravi d'en être débarrassé. Cela était bon, et encore c'était «embarrassant» d'une part quand nous étions chrétiens, d'autre part quand nous étions forts. Mais vous ne tenez ni à être chrétiens ni à être forts. Donc advienne que pourra du protectorat! Qu'il passe à une nation qui ait cette force militaire et cette force navale à laquelle nous ne tenons pas. Nous restons, nous, en contemplation devant les immortels Principes de 89.»

Il est difficile de perdre plus gaiement un protectorat.

Pendant ce temps-là, l'Allemagne, que nous nous obstinons sottement à considérer comme une puissance protestante, et qui est une puissance moitié catholique, moitié protestante, se tient en bons termes avec Rome, comme c'est son devoir et son intérêt, et s'achemine, et le chemin est à moitié fait, vers la conquête du protectorat des chrétiens d'Orient, qui est une affaire d'extension commerciale, autant qu'une affaire d'extension d'influence morale. Mais que ne sacrifierait-on pas à l'impérieux devoir de faire la guerre au Vatican?

L'Orient, pour des Français, est bien loin; mais à nos portes, il y a l'Alsace. Or, le résultat le plus clair de notre généreux anticléricalisme a été de nous faire perdre l'Alsace une seconde fois. Nous ne l'avions perdue que matériellement en 1870. Cela ne nous suffisait pas. Nous nous sommes attachés de tout notre cœur à la perdre moralement, à nous l'aliéner. L'Alsace est profondément catholique, et de plus, ce qui n'est pas tout à fait la même chose et ce qui, dans l'espèce, est plus important, le clergé catholique a sur elle un très grand empire. Le curé alsacien est un petit roi dans son village. Et enfin le clergé catholique alsacien était profondément patriote et antiallemand.

En conséquence, considérant que l'Alsace est catholique, que son clergé catholique a de l'empire sur elle et que son clergé était antiallemand, nous avons mis tous nos soins à montrer à l'Alsace que nous étions les ennemis forcenés de la religion catholique et les ennemis enragés du clergé catholique. Nous avons mis tous nos soins à montrer à l'Alsace que nous étions, sinon ses ennemis, du moins, ce qui n'est pas si loin d'être la même chose, les ennemis de tout ce qu'elle aime.

Ce n'est peut-être pas très adroit. Cela rentre dans notre habitude, qui est de ne jamais nous occuper de ce qui se passe de l'autre côté de notre frontière. Cette habitude est française; elle est particulièrement parlementaire et politicienne, les politiciens ne songeant qu'à être élus et réélus et les étrangers n'étant pas électeurs en France: «Que nous font les gens d'Allemagne ou d'Angleterre? Ils ne votent pas.»

Un député ou un aspirant député ne regarde jamais que dans sa circonscription. Aussitôt que l'Alsace a été matériellement allemande, il a été absolument impossible à un politicien français de s'en occuper.

Toujours est-il que de l'indisposer ou de la ménager nous n'avons pas eu la moindre cure, si ce n'est qu'on pourrait dire que plutôt nous avons apporté grande diligence à l'indisposer. Nous aurions voulu – et cela est peut-être la vérité et ce n'est pas ici le lieu de démontrer pourquoi, mais c'est peut-être la vérité et je pourrai le démontrer une autre fois – nous aurions voulu, de ferme propos, de dessein prémédité et de forte persévérance, nous aliéner l'Alsace et la pousser doucement du côté de l'Allemagne que nous n'aurions pas parlé, agi et légiféré autrement.

Et, bien entendu, pendant ce temps-là, car nous sommes peut-être les seuls en Europe qui depuis un demi-siècle agissions continuellement droit à contre-fil de nos intérêts, l'Allemagne qui, je le répète, n'est pas une puissance protestante, mais une puissance mi-partie protestante, mi-partie catholique, et qui n'est pas une puissance qui ait pris l'habitude d'agir contre ses intérêts, et qui n'est pas une puissance dénuée d'intelligence élémentaire, l'Allemagne comprenait très bien qu'il fallait montrer la plus grande bienveillance à l'égard des catholiques alsaciens. L'empereur allemand multipliait – ces dernières années surtout, c'est-à-dire à mesure que l'anticléricalisme sévissait plus furieusement en France – les avances, les amabilités et les grâces à l'endroit des catholiques alsaciens.

L'Allemagne, il est vrai, parce qu'elle considérait cela comme une mesure nécessaire de rattachement et de centralisation, supprimait le séminaire de Strasbourg, pour que les jeunes clercs catholiques reçussent l'instruction de professeurs allemands de l'Université, ce qui, après tout, peut se défendre; mais dès 1872 elle élevait très fortement les traitements des ecclésiastiques catholiques; elle les élevait une seconde fois en 1884. Les chanoines, qui en 1871 recevaient 1280 marks, en reçurent 1920 en 1872 et 2000 en 1884. Les curés reçurent une augmentation, suivant leur âge et leur ancienneté, de 500 marks ou de 700 marks. L'Allemagne a voulu qu'on dit: «Il n'y a qu'un pays français où le clergé catholique soit bien traité; ce pays est en Allemagne.»

Les catholiques alsaciens ont été ménagés et caressés par l'Allemagne en proportion juste des mauvais traitements que la France faisait subir aux catholiques français, et c'est de la politique élémentaire.

Les résultats favorables à l'Allemagne, je ne dirai point «ne se sont pas fait attendre», selon la formule, car, Dieu merci, l'Alsacien est entêté; mais ils arrivent, et c'est maintenant l'affaire d'une génération et peut-être de beaucoup moins.

Le temps n'est plus où, confondant «Rome et la France», selon l'esprit bismarckien, un inspecteur prussien disait aux instituteurs: «On fêtera l'anniversaire de Sedan en souvenir de ceux qui sont tombés pour l'unité allemande; on le fêtera pour rappeler que l'empire a devant lui dans la Papauté un second ennemi héréditaire» (1882). Non, beaucoup plus intelligemment, les catholiques allemands, en 1905, choisissent Strasbourg pour siège de leur Congrès annuel et entretiennent leurs coreligionnaires alsaciens, de quoi? De la France considérée, avec quelque raison, comme l'ennemi du catholicisme, de tout clergé catholique et de toute croyance religieuse et de tout sentiment religieux.

Et les Alsaciens, que répondent ils? Quelque chose qui déjà est très grave. Jusqu'à présent, au Reichstag, les catholiques alsaciens formaient groupe intransigeant et intangible. Ils représentaient la protestation. Ils se rencontraient quelquefois dans leurs votes avec le centre catholique allemand; mais ils restaient absolument indépendants de lui. Maintenant ils manifestent l'intention de s'unir au centre catholique allemand, de faire cause commune avec lui et presque de se confondre avec lui.

C'est plus qu'une nuance. C'est une démarche d'une portée considérable, d'une suite immense. L'Alsace devient allemande. Elle devient allemande catholique, mais elle devient allemande. Elle y voit surtout un intérêt local; c'est évident; elle veut avoir sa part efficace et réelle dans les délibérations de la grande assemblée allemande; mais elle n'est plus aussi arrêtée qu'elle l'était par les scrupules de sa conscience traditionnelle et, pour ainsi parler, de sa conscience historique. Elle se fond peu à peu dans la partie catholique de l'empire allemand, mais enfin et tout compte fait dans l'empire allemand lui-même.

Voilà le fruit de la politique relativement habile et intelligente de l'Allemagne en Alsace, ou du moins voilà à quoi a contribué cette politique; voilà le fruit de la politique intérieure – et extérieure malgré elle et sans qu'elle y songeât – de la France; ou du moins voilà à quoi n'a pas mal contribué cette politique, la plus étroite et la plus aveugle que j'aie jamais rencontrée.

*
* *

C'est cette politique qu'il ne faut pas continuer. C'est de cette politique qu'il faut prendre exactement le contrepied. Il en faut prendre le contrepied pour toutes les raisons que j'ai dites et pour celle-ci, par laquelle je terminerai.

En régime despotique ou en état d'esprit despotique, ce qui revient à très peu près au même, tout ce qui semble le défaut d'une mesure quelconque en est le principe. Tout ce qui paraît vicieux, mauvais, dangereux, absurde dans une démarche du gouvernement despotique ou du parti despotique, en est le principe intime, la raison secrète, l'inspiration même, profonde, quelque fois inconsciente, consciente souvent, mais enfin en est la source.

Lorsque Louis XIV persécutait les protestants, si l'on avait dit, non pas peut-être à lui, mais à ses ministres, que cette persécution pouvait avoir pour effet de jeter un million de protestants à l'étranger, ils auraient sans doute répondu: «C'est précisément pour cela que nous les persécutons. Que la plèbe protestante émigre à l'étranger, nous n'y tenons pas du tout et nous nous efforcerons, même par la force, de la retenir (c'est ce qu'ils ont fait). Mais l'émigration des chefs protestants et des sommités intellectuelles du parti, c'est la décapitation de la faction protestante, et c'est ce que nous souhaitons; car ce que nous voulons, c'est qu'il n'y ait pas de partis en France. Nous savons, par l'exemple de l'Angleterre, qu'un parti religieux est toujours un parti politique et que les partis politiques décapitent les rois quand ils le peuvent, et nous aimons mieux décapiter les partis quand nous le pouvons. Nous disons comme Bossuet, qui est conseiller d'État: «… la loi ne permettait pas aux hérétiques de s'assembler en public, et le clergé, qui veillait sur eux, les empêchait de le faire en particulier, de sorte que la plus grande partie se réunissait [à l'église orthodoxe] et que les opiniâtres mouraient sans laisser de postérité, parce qu'ils ne pouvaient ni communiquer entre eux ni enseigner librement leurs dogmes.» Nous disons comme Bossuet: «Nous avons vu… leurs faux pasteurs les abandonner sans même en attendre l'ordre et heureux d'avoir à leur alléguer leur bannissement pour excuse.» Nous disons comme Bossuet: «Quelque chose de plus violent se remue dans le fond des cœurs [des hérétiques], c'est un dégoût secret de tout ce qui a de l'autorité et une démangeaison d'innover sans fin, après qu'on en a vu le premier exemple.» Nous disons comme Bossuet: «Il ne faut pas s'étonner s'ils perdirent le respect de la majesté et des lois ni s'ils devinrent factieux, rebelles et opiniâtres… On ne laisse plus rien à ménager aux peuples quand on leur permet de se rendre maîtres de leur religion, et c'est de là que nous est né ce prétendu règne du Christ qui devait anéantir toute royauté et égaler tous les hommes.» Nous nous disons tout cela et qu'il n'y a donc aucune différence sensible entre un protestant et un factieux, entre un protestant et un républicain, entre un protestant et un anarchiste, et si l'on nous reproche de rejeter au delà des frontières les maîtres d'anarchie, nous répondons que c'est précisément là ce que nous voulons.»

 

Lorsque Louis XV, après Louis XIV, persécutait les jansénistes, si on lui avait dit que, tout compte fait, les jansénistes étaient ce qu'il y avait de plus pur, de plus élevé, de plus noble et de plus croyant dans la religion catholique et que le jansénisme, plus ou moins bien compris, était la façon de croire de la haute bourgeoisie française et du monde parlementaire, partie singulièrement recommandable de la nation, il aurait répondu, s'il avait pu prendre sur sa nonchalance de répondre: «C'est précisément pour cela que je réprime et combats les jansénistes et que je n'en veux plus. Ils sont comme l'âme d'une partie de la nation qui est trop indépendante pour moi et trop puissante et trop vivante, qui n'est pas une simple poussière d'hommes, qui s'entend, qui se comprend, qui se sent vivre en commun, dont les différents éléments et les différents groupes ont des intelligences entre eux, qui par conséquent forme presque une association, et l'on sait bien qu'une association est un État dans l'État, ce qui est insupportable. Et c'est précisément parce que le jansénisme est la religion de la haute bourgeoisie indépendante et du monde parlementaire, toujours sur le point d'être rebelle, que je ne veux point de jansénisme et que je ne veux qu'un peuple docile, ayant simplement la religion du confesseur du roi et ne s'avisant pas de vouloir «être maître de sa religion». Que les jansénistes aient pour eux la haute bourgeoisie et le monde parlementaire, c'est ce qui les condamne.»

Si l'on avait dit à Napoléon Ier: «Point de liberté religieuse; les prêtres asservis aux évêques et les évêques asservis à vous; voilà quelle est votre idée et voilà quel est votre système. C'est fort bien peut-être, à un certain point de vue; seulement ce n'est pas une religion; ce n'est pas du tout une religion. C'est une administration générale de la morale publique et ce n'est rien que cela…» Il aurait répondu: «Eh bien! si vous croyez que je veux une religion! C'est précisément ce dont je ne veux pas du tout. Un pouvoir spirituel, n'est-ce pas? L'empire partagé, le gouvernement partagé! Quelqu'un commandant aux âmes et quelqu'un commandant aux corps, c'est-à-dire chacun de mes sujets coupé en deux! Non pas, s'il vous plaît! Moi seul gouvernant, je ne sors pas de là et je n'entends pas à autre chose. Alors détruire la religion chrétienne? Point du tout, s'il vous plaît encore. Ceux qui ont rêvé cela étaient des sots. Ils ne savaient pas qu'on ne détruit pas les religions tout d'un coup, ni même vite. Elles ne meurent que de vieillesse, d'épuisement de leur principe vital. Tant qu'elles n'ont pas complètement perdu ce principe, en essayant de les détruire on le leur rend. Tant qu'elles ne sont pas mortes, en les tuant on les ressuscite. Il faut savoir cela. C'est du reste élémentaire. Il faut être un avocat pour l'ignorer ou le méconnaître. Non! non! Je ne veux pas détruire la religion. Seulement je veux qu'elle n'existe pas. Elle n'existera pas, sans que rien soit fait pour la détruire, si l'Église est organisée de telle sorte qu'elle ne puisse pas et qu'elle ne veuille pas enseigner la religion. J'y mettrai ordre. L'Église sera tellement attachée à moi, rivée à moi, qu'elle enseignera la religion dans les limites où la religion ne me gênera pas et ne me contredira pas. Dès lors, ce qui sera enseigné sous couleur de religion, ce sera bons propos de morale courante et bonnes vieilles histoires attendrissantes relativement à Jésus et aux martyrs. Vous me dites que ce n'est guère une religion et que même ce n'en est pas une. Je l'espère bien, et c'est justement ainsi que je l'entends. Ce que vous me signalez comme le défaut de mon système en est le principe.»

Si l'on avait dit à Napoléon: «Ni liberté de parole, ni liberté de presse ni liberté d'enseignement, ni liberté d'association: c'est bien votre pensée. Elle peut être soutenue. Il y a pourtant à tout cela cet inconvénient qu'une nation vit de liberté, qu'elle ne tient à elle-même qu'en raison des libertés dont elle jouit et dans l'exercice desquelles elle se sent vivre, qu'elle prend conscience d'elle-même dans cet exercice et qu'à n'en plus avoir l'usage elle s'abandonne, s'endort, languit, n'est plus une nation, à moins que, tout entière à l'action extérieure, elle ne bataille et conquière sans cesse, ce qui ne peut point, sans doute, être régime éternel»; il aurait répondu probablement: «Précisément ce que je ne veux pas, c'est que la France soit une «nation», une nation comme vous l'entendez, vous, avec vos propos d'idéologue. «Une nation!» J'entends bien: une nation comme l'Angleterre ou la Hollande, une nation distincte de son gouvernement et ayant réellement une vie propre en dehors de ceux qui la régissent. C'est cela que vous appelez une nation. C'est ce que je ne veux pas que soit la France. Je veux qu'elle vive en moi, de ma pensée qu'elle épousera et de ma volonté à laquelle elle s'associera. D'elle-même, de ses pensées à elle, multiples et diverses, jamais! De ses volontés multiples et divergentes, jamais! Vous me dites: «Dans ces conditions, elle s'affaissera sur elle-même, à moins qu'elle ne combatte et conquière toujours.» Tout juste! Comme Rome. Un peuple de commerce, de science, de lettres et de beaux-arts peut avoir besoin de libertés; un peuple se destinant à la conquête du monde et à l'administration du monde, non seulement n'en a pas besoin, mais en serait gêné dans son œuvre. Si jamais j'accepte les libertés, c'est que j'aurai renoncé à mon rôle de conquérant et de César travaillant par la guerre à la pacification future du monde, à la pax romana per orbem. Il est possible que ce moment de renoncement arrive. Alors ce ne seront point mes idées qui auront changé, ce sera mon dessein. Mais tant que mon dessein sera celui que vous me voyez, ne me parlez pas d'une «nation». Parbleu! ce que je veux autour de moi, ce n'est pas une nation; c'est une armée. Ce que vous me signalez comme le défaut de mon système en est le principe.»

Weitere Bücher von diesem Autor