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Corneille expliqué aux enfants

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CHAPITRE XII.
LE MENTEUR

Vous voyez ce que c'est qu'une tragédie, et comme Corneille sait en faire une belle leçon à nous enseigner la patience, la sincérité, la clémence, l'honneur, le patriotisme. Il était si plein de ces grandes idées et de ces beaux sentiments que, même dans ses comédies, il a quelquefois touché, avec autant de puissance que dans ses autres ouvrages, ces nobles pensées. Je vous ai dit que les comédies étaient des pièces de théâtre pour faire rire innocemment les honnêtes gens. Corneille sait faire rire en effet; mais il déteste tant tout ce qui est bas, que, quand il rencontre, en écrivant sa comédie, un défaut honteux, il ne peut s'empêcher de prendre sa grande voix pour le flétrir. Ainsi il a fait une comédie qui s'appelle le Menteur.

Il y a dans cette comédie un jeune homme, nommé Dorante, un étudiant, qui n'est pas du tout un mauvais cœur, mais qui est léger et étourdi, et qui aime à inventer des histoires, un peu pour s'amuser, parce qu'il a l'imagination vive, un peu par vanité, et pour faire admirer les étonnantes aventures par où il veut faire croire qu'il a passé. Il arrive à Paris, et quelqu'un lui fait comprendre ce qu'est cette grande ville où il entre:

 
Connaissez mieux Paris, puisque vous en parlez.
Paris est un grand lieu plein de marchands mêlés:
L'effet n'y répond pas toujours à l'apparence;
On s'y laisse duper autant qu'en lieu de France;
Et parmi tant d'esprits plus polis et meilleurs,
Il y croît des badauds autant et plus qu'ailleurs.
Dans la confusion que ce grand monde apporte,
Il y vient de tous lieux des gens de toute sorte;
Et dans toute la France il est fort peu d'endroits
Dont il n'ait le rebut aussi bien que le choix.
Comme on s'y connaît mal, chacun s'y fait de mise54,
Et vaut communément autant comme il se prise55:
De bien pires que vous s'y font assez valoir.
 

Notre jeune homme profite trop vite de ses conseils, et ne songe qu'à «paraître» et «se faire valoir». Il raconte à ses nouvelles connaissances une foule de brillantes affaires qui ne lui sont pas arrivées. Il a été à la guerre et s'y est très bien conduit.

 
Et durant ces quatre ans
Il ne s'est fait combats, ni sièges importants,
Nos armes n'ont jamais remporté de victoire,
Où cette main n'ait eu bonne part à la gloire…
 

A peine de retour à Paris, il a donné une fête superbe sur la Seine:

 
Comme à mes chers amis je vous veux tout conter.
J'avais pris cinq bateaux pour mieux tout ajuster;
Les quatre contenaient quatre chœurs de musique,
Capables de charmer le plus mélancolique.
Au premier, violons; en l'autre, luths et voix;
Des flûtes, au troisième; au dernier, des hautbois,
Qui tour à tour dans l'air poussaient des harmonies
Dont on pouvait nommer les douceurs infinies.
Le cinquième était grand, tapissé tout exprès
De rameaux enlacés pour conserver le frais,
Dont chaque extrémité portait un doux mélange
De bouquets de jasmin, de grenade, et d'orange.
Je fis de ce bateau la salle du festin:
Là je menai l'objet qui fait seul mon destin56;
De cinq autres beautés la sienne fut suivie,
Et la collation fut aussitôt servie.
Je ne vous dirai point les différents apprêts,
Le nom de chaque plat, le rang de chaque mets:
Vous saurez seulement qu'en ce lieu de délices
On servit douze plats, et qu'on fit six services,
Cependant que les eaux, les rochers et les airs,
Répondaient aux accents de nos quatre concerts.
Après qu'on eut mangé, mille et mille fusées,
S'élançant vers les cieux, ou droites ou croisées,
Firent un nouveau jour, d'où tant de serpenteaux57
D'un déluge de flamme attaquèrent les eaux,
Qu'on crut que, pour leur faire une plus rude guerre,
Tout l'élément du feu tombait du ciel en terre.
Après ce passe-temps on dansa jusqu'au jour,
Dont le soleil jaloux avança le retour:
S'il eût pris notre avis, sa lumière importune
N'eût pas troublé sitôt ma petite fortune;
Mais, n'étant pas d'humeur à suivre nos désirs,
Il sépara la troupe, et finit nos plaisirs.
 

Pourquoi tous ces mensonges? lui demande son valet qui s'en effraie. – Pourquoi? pour donner de soi une idée avantageuse. On serait bien en air de cour si l'on disait tout naïvement qu'on est un étudiant en droit qui revient de Poitiers!

 
O le beau compliment à charmer une dame,
De lui dire d'abord: «J'apporte à vos beautés
Un cœur nouveau venu des universités;
Si vous avez besoin de lois et de rubriques,
Je sais le Code entier avec les Authentiques,
Le Digeste nouveau, le vieux, l'Infortiat,
Ce qu'en a dit Jason, Balde, Accurse, Alciat58
Qu'un si riche discours nous rend considérables!
Qu'on amollit par là de cœurs inexorables!
Qu'un homme à paragraphe59 est un joli galant!
On s'introduit bien mieux à titre de vaillant:
Tout le secret ne gît qu'en un peu de grimace,
A mentir à propos, jurer de bonne grâce,
Étaler force mots qu'elles n'entendent pas;
Faire sonner Lamboy, Jean de Vert, et Galas60;
Nommer quelques châteaux de qui les noms barbares
Plus ils blessent l'oreille, et plus leur semblent rares;
Avoir toujours en bouche angles, lignes, fossés,
Vedette, contrescarpe, et travaux avancés:
Sans ordre et sans raison, n'importe, on les étonne;
On leur fait admirer les baies qu'on leur donne:
Et tel, à la faveur d'un semblable débit,
Passe pour homme illustre, et se met en crédit.
 

Voilà notre homme, et comme il dirige sa vie dans la ville nouvelle qu'il veut éblouir. Il n'y a pas grand mal, on peut le dire, tant qu'il débite ces sornettes à des jeunes gens aussi fous que lui. Mais prenez garde: ce qu'il y a de mauvais dans les mensonges, même désintéressés, et dans les paroles en l'air, c'est qu'on prend l'habitude de dire des faussetés, et qu'on en dit ensuite même dans les circonstances graves, même aux personnes à qui l'on doit respect, même à son père.

Le Menteur de la comédie de Corneille a fait un mensonge à son père. Il lui a dit qu'il était marié. Cette fois, l'auteur change de ton, et il met dans la bouche du vieillard offensé un des plus beaux discours contre le mensonge qui ait été écrit: «Etes-vous gentilhomme?» demande brusquement le père à ce fils irrespectueux.

GÉRONTE
 
Êtes-vous gentilhomme?
 
DORANTE, à part
 
Ah! rencontre fâcheuse!
 
(Haut.)
 
Etant sorti de vous, la chose est peu douteuse.
 
GÉRONTE
 
Croyez-vous qu'il suffit d'être sorti de moi?
 
DORANTE
 
Avec toute la France aisément je le croi.
 
GÉRONTE
 
Et ne savez-vous point avec toute la France
D'où ce titre d'honneur a tiré sa naissance,
Et que la vertu seule a mis en ce haut rang
Ceux qui l'ont jusqu'à moi fait passer dans leur sang?
 
DORANTE
 
J'ignorerais un point que n'ignore personne,
Que la vertu l'acquiert, comme le sang le donne?
 
GÉRONTE
 
Où le sang a manqué, si la vertu l'acquiert,
Où le sang l'a donné, le vice aussi le perd.
Ce qui naît d'un moyen périt par son contraire;
Tout ce que l'un a fait, l'autre peut le défaire;
Et, dans la lâcheté du vice où je te voi,
Tu n'es plus gentilhomme, étant sorti de moi.
 
DORANTE
 
Moi?
 
GÉRONTE
 
Laisse-moi parler, toi de qui l'imposture
Souille honteusement ce don de la nature:
Qui se dit gentilhomme, et ment comme tu fais,
Il ment quand il le dit, et ne le fut jamais.
Est-il vice plus bas? est-il tache plus noire,
Plus indigne d'un homme élevé pour la gloire?
Est-il quelque faiblesse, est-il quelque action
Dont un cœur vraiment noble ait plus d'aversion,
Puisqu'un seul démenti lui porte une infamie
Qu'il ne peut effacer s'il n'expose sa vie,
Et si dedans le sang il ne lave l'affront
Qu'un si honteux outrage imprime sur son front?
 
DORANTE
 
Qui vous dit que je mens?
 
GÉRONTE
 
Qui me le dit, infâme?
Dis-moi, si tu le peux, dis le nom de ta femme.
Le conte qu'hier au soir tu m'en fis publier…
 
CLITON, bas, à Dorante61
 
Dites que le sommeil vous l'a fait oublier.
 
GÉRONTE
 
Ajoute, ajoute encore avec effronterie
Le nom de ton beau-père et de sa seigneurie;
Invente à m'éblouir quelques nouveaux détours.
 
CLITON, bas, à Dorante
 
Appelez la mémoire ou l'esprit au secours.
 
GÉRONTE
 
De quel front cependant faut-il que je confesse
Que ton effronterie a surpris ma vieillesse,
Qu'un homme de mon âge a cru légèrement
Ce qu'un homme du tien débite impudemment?
Tu me fais donc servir de fable et de risée,
Passer pour esprit faible et pour cervelle usée!
Mais, dis-moi, te portais-je à la gorge un poignard?
Voyais-tu violence ou courroux de ma part?
Si quelque aversion t'éloignait de Clarice62,
Quel besoin avais-tu d'un si lâche artifice?
Et pouvais-tu douter que mon consentement
Ne dût tout accorder à ton contentement,
Puisque mon indulgence, au dernier point venue,
Consentait à tes yeux l'hymen d'une inconnue?
Ce grand excès d'amour que je t'ai témoigné
N'a point touché ton cœur, ou ne l'a point gagné:
Ingrat, tu m'as payé d'une impudente feinte,
Et tu n'as eu pour moi respect, amour ni crainte.
Va, je te désavoue.
 
DORANTE
 
Eh! mon père, écoutez.
 
GÉRONTE
 
Quoi? des contes en l'air et sur l'heure inventés?
 
DORANTE
 
Non! la vérité pure!
 
GÉRONTE
 
En est-il dans ta bouche?
 
CLITON, bas, à Dorante
 
Voici pour votre adresse une assez rude touche.
 
GÉRONTE
 
Tu me fourbes encor.
 
DORANTE
 
Si vous ne m'en croyez,
Croyez-en pour le moins Cliton que vous voyez;
Il sait tout mon secret.
 
GÉRONTE
 
Tu ne meurs pas de honte
Qu'il faille que de lui je fasse plus de compte,
Et que ton père même, en doute de ta foi,
Donne plus de croyance à ton valet qu'à toi!
 

Voilà comment Corneille savait, même dans une comédie, donner, en passant, une leçon de respect envers les êtres vénérables, et de respect aussi envers soi-même. Quand vous lirez les comédies, vous verrez qu'on s'y permet d'ordinaire un peu de libertés à cet égard. Comme c'est un ouvrage naturellement plaisant, il est admis qu'on y peut parler en badinant des choses sérieuses. Corneille le fait lui-même. Mais l'autorité du père, non, c'est une affaire trop grave; Corneille ne permet pas qu'on s'en amuse, et si un jeune homme de comédie, un étourdi, aimable d'ailleurs, pousse jusque-là la raillerie, vite il donne au père, à ce bon bourgeois de père, très simple jusqu'à ce moment, et très bonhomme, toute la dignité que vous avez vue chez Don Diègue et chez le vieil Horace, parce que pour un fils, tout père, quel qu'il soit, doit être ni plus ni moins qu'un Horace ou un Don Diègue.

 

CHAPITRE XIII.
CORNEILLE CHEZ LUI. – VIEILLESSE ET MORT DU POÈTE

Tel était ce Corneille, le poète en France qui a eu la plus haute idée de l'homme, et qui en a laissé, à vingt reprises, dans ses œuvres, la plus grande image. On l'appelait le Grand Corneille en son temps, et Voltaire a exprimé le sentiment de la postérité en disant: «Le Grand Corneille, ainsi nommé pour le distinguer, non de son frère, mais du reste des hommes.»

Et cet homme, si grand en effet, ne vous imaginez pas qu'il fût vain de ses succès et de sa gloire. Vous l'auriez vu, que vous ne l'auriez pas distingué du plus humble et obscur bourgeois de Paris. Il était trop humble même, timide et embarrassé dans les compagnies. Il parlait lentement et ne savait pas faire valoir, en les lisant, ses vers admirables.

Sa vie était celle de l'homme le plus simple et le plus ignoré, ajoutez le plus vertueux. Il la passait au milieu de sa femme, de ses enfants, de son frère et des enfants de celui-ci. Ce frère, Thomas Corneille, était poète aussi, beaucoup moins distingué, et il avait quelquefois plus de succès que lui. Jamais il n'y eut entre eux deux la moindre lueur de jalousie, ni le moindre commencement d'inimitié. On vivait en commun, partageant les joies et les chagrins. Quand Pierre avait besoin d'une rime qui lui échappait, il la demandait à son frère. Il aurait pu lui donner son génie, qu'il le lui aurait donné de bon cœur.

La vieillesse de Corneille ne fut pas heureuse. Sans être jamais tombé dans la misère, il était pauvre; car, dans ce temps-là, les pièces de théâtre étaient peu payées, et les plus grands triomphes des auteurs dramatiques rapportaient plus d'honneur que d'argent. Il vécut trop longtemps aussi pour son bonheur. A trente ans, il avait fait dire à son Don Diègue:

 
Qu'on est digne d'envie
Lorsqu'en perdant la force on perd aussi la vie;
Et qu'un long âge apporte aux hommes généreux,
Au bout de leur carrière un destin malheureux!
 

Il put se rappeler souvent ces beaux vers, et les appliquer amèrement à sa propre fortune. Vieilli, et fatigué par la production incessante d'une foule de chefs-d'œuvre, il n'avait plus, dans ses derniers ouvrages, la même verve et la même puissance qu'autrefois.

Les idées étaient aussi grandes, mais il y avait souvent dans la conduite et la suite de la pièce de l'obscurité et de l'embarras; et malgré de beaux vers encore, qui semblaient éclater de temps à autre comme des traits de feu, l'ensemble déplaisait, ou laissait froids les spectateurs.

Entre deux tragédies, l'une médiocre, l'autre mêlée d'obscurités pénibles et d'éclairs de génie, Corneille se reposait, se consolait peut-être, à des œuvres où les deux passions de sa vie, la piété et l'amour des vers, trouvaient une égale satisfaction. Il mettait en vers l'Imitation de Jésus-Christ.

Il y a dans ce livre, traduit par Corneille, des vers admirables encore, comme il faudrait en apprendre beaucoup, pour les réciter dans les moments de découragement ou de peine. Voyez ceux-ci, comme ils sont tendres et forts, et semblent prendre le cœur pour l'enlever bien haut, loin des ennuis et des bassesses:

 
Pour t'élever de terre, homme, il te faut deux ailes:
La pureté de cœur et la simplicité.
Elles te conduiront avec facilité
Jusqu'à l'abîme heureux des clartés éternelles!
 

Corneille faisait des vers de circonstance, pour ses amis, pour les gens qu'il estimait ou honorait. En voici qu'il fit pour le tombeau d'une personne charitable et sainte, assez obscure. Mais tout ce qu'il touche en devient grand.

EPITAPHE D'ELISABETH RANQUET
 
Ne verse point de pleurs sur cette sépulture,
Passant; ce lit funèbre est un lit précieux,
Où gît d'un cœur tout pur la cendre toute pure;
Mais le zèle du cœur est encore en ces lieux.
 
 
Avant que de payer ses droits à la nature,
Son âme, s'élevant au-dessus de ses yeux,
Avait au créateur uni la créature,
Et, marchant sur la terre, elle était dans les cieux.
 
 
L'humilité, la peine, étaient son allégresse.
Les pauvres bien mieux qu'elle, ont connu sa richesse,
Et son dernier soupir fut un soupir d'amour.
 
 
Passant, qu'à son exemple un beau feu te transporte,
Et, loin de la pleurer d'avoir perdu le jour,
Crois qu'on ne meurt jamais quand on meurt de la sorte.
 

Mais le goût du public n'était plus autant à Corneille. Les hommes de son temps, dont je vous ai indiqué le caractère hardi, noble, et porté aux grandes aventures, n'existaient plus. Leurs fils n'étaient point des efféminés, tant s'en faut; mais cependant ils préféraient, au théâtre, des pièces plus tendres, plus de douceur et d'amabilité que de grandeur et d'héroïsme. Ajoutez que, juste au moment où Corneille faiblissait, un autre grand poète, Jean Racine, était dans toute la vigueur de son génie et tout l'éclat de son succès.

Tout cela fit à Corneille une fin de carrière pénible. Il avait bon besoin pour vivre de sa pension du roi, qu'il avait bien gagnée, et qui lui était servie depuis de longues années. Dans les derniers temps de sa vie, cette ressource vint à lui manquer. Les malheurs de la France à cette époque forçaient le trésor à faire des économies, et l'on avait supprimé la pension, ou l'on en avait retardé le paiement. Un bon poète du temps, Boileau, qui était très honnête homme, mais qui n'aimait point passionnément Corneille, étant ami particulier de Racine, apprit que Corneille ne recevait plus sa pension. Il en fut indigné et navré, et, quoique n'étant pas des amis de Corneille, il court à Versailles, où étaient le roi et les ministres, parle aux ministres, se jette aux pieds du roi: «On n'a pas d'argent! s'écrie-t-il. Si, on en a! On a ma pension, à moi; qu'on la donne à Corneille, au grand Corneille; moi, je m'en passerai». On rendit enfin sa pension au pauvre vieux poète.

C'est là un trait touchant et charmant. Il prouve combien est grande la bonne influence des génies comme celui de Corneille sur les cœurs. Corneille ne se borne pas à peindre dans ses ouvrages des actes de générosité; il ne réussit pas seulement à les faire admirer; il en inspire. C'est l'honneur des hommes de génie qui sont des hommes de grand cœur; c'est aussi leur récompense.

CORNEILLE MEURT. HONNEURS QU'ON LUI REND

Corneille ne jouit pas longtemps de ce retour de faveur, ou plutôt de cet acte de réparation. Il mourut le 1er octobre 1684, à l'âge de 78 ans. L'Académie française, dont il faisait partie depuis 1647, se conduisit en cette circonstance avec beaucoup de délicatesse. Elle nomma, pour lui succéder, Thomas Corneille, son frère, celui que Boileau appelait un cadet de Normandie, et elle chargea Racine de prononcer l'éloge de son ancien rival. Racine le fit en des termes d'une rare élévation, et l'éloge de Corneille par Racine est une des plus belles pages qui soient dans la prose française. Vous le lirez tout entier plus tard. En voici du moins quelques lignes:

 

«… Où trouvera-t-on un poète qui ait possédé à la fois tant de grands talents, tant d'excellentes parties, l'art, la force, le jugement, l'esprit? Quelle noblesse, quelle économie dans les sujets! Quelle gravité dans les sentiments! Quelle dignité et en même temps quelle prodigieuse variété dans les caractères! Parmi tout cela une magnificence d'expressions proportionnée aux maîtres du monde qu'il fait souvent parler; capable néanmoins de l'abaisser quand il veut, et de descendre jusqu'aux plus simples naïvetés du comique, où il est encore inimitable… Personnage véritablement né pour la gloire de son pays… Aussi, lorsque, dans les âges suivants, on parlera avec étonnement des victoires prodigieuses et de toutes les grandes choses qui rendront notre siècle l'admiration des siècles à venir, Corneille, n'en doutons point, Corneille tiendra sa place parmi toutes ces merveilles… Il aimait, il cultivait les exercices de l'Académie: il y apportait surtout cet esprit de douceur, d'égalité, de déférence même, si nécessaire pour entretenir l'union dans les compagnies. L'a-t-on jamais vu se préférer à aucun de ses confrères? L'a-t-on jamais vu vouloir tirer aucun avantage des applaudissements qu'il recevait dans le public? Au contraire, après avoir paru en maître, et, pour ainsi dire, régné sur la scène, il venait, disciple docile, chercher à s'instruire dans nos assemblées, et laissait ses lauriers à la porte de l'Académie…»

CONCLUSION.
CORNEILLE DEVANT LA POSTÉRITÉ

La postérité, comme le disait Racine, a ratifié le jugement de ses contemporains sur Corneille. Elle a même été plus loin qu'eux. Nous avons pour notre vieux poète une de ces admirations qui tiennent du respect et notre culte envers lui ne s'est jamais refroidi. Les hommes de son temps l'ont appelé le Grand Corneille. Nous lui avons conservé ce titre, et nous y avons ajouté quelque chose qui est peut-être plus flatteur encore.

Quand nous nous trouvons en présence d'un grand homme de bien, au cœur vaillant et ferme, dédaigneux des périls, et ne se souciant que de sa conscience, nous disons de lui que c'est un héros de Corneille. Quand nous lisons ou entendons une grande parole, pleine de fierté, vigoureuse et franche, nous disons que c'est un mot cornélien, une phrase cornélienne, un vers cornélien.

Voilà le plus grand honneur peut-être qu'un homme puisse acquérir: laisser son nom dans la langue de son pays avec une signification telle que ce qu'il y a de plus élevé et de meilleur dans l'âme humaine ne se puisse exprimer que par ce mot. C'est un honneur pour l'homme, c'est un honneur aussi pour le pays. Il ne faut pas désespérer d'un peuple qui a produit des Corneilles, et qui n'a jamais cessé de les admirer. Il a conservé quelque chose de leur mâle génie, de leur cœur héroïque et simple. Corneille est Français; la France aussi est cornélienne.

FIN
54Se fait recevoir, se fait accueillir.
55S'estime.
56Objet est pris ici dans le sens de personne qu'on aime.
57Fusée volante qui tournoie.
58Noms de jurisconsultes; les ouvrages cités aux vers précédents sont des ouvrages de droit.
59Homme à paragraphe.– Homme qui cite l'article et le paragraphe où se trouve un texte de loi sur lequel il s'appuie.
60Généraux de l'empereur d'Allemagne Ferdinand III, pendant la guerre de Trente ans, qui n'était pas encore terminée quand Corneille écrivit ces vers.
61Cliton est le valet de Dorante.
62Clarice est la femme que Géronte veut faire épouser à son fils.

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