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Le Ventre de Paris

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– Pauline, n'est-ce pas que ton père doit être raisonnable?

Demande-lui gentiment de ne plus nous faire de la peine.

L'enfant le demanda gentiment. Ils se regardèrent, serrés dans la même embrassade, énormes, débordants, déjà convalescents de ce malaise d'une année dont ils sortaient à peine; et ils se sourirent, de leurs larges figures rondes, tandis que la charcutière répétait:

– Après tout, il n'y a que nous trois, mon gros, il n'y a a que nous trois.

Deux mois plus tard, Florent était de nouveau condamné à la déportation. L'affaire fit un bruit énorme. Les journaux s'emparèrent des moindres détails, donnèrent les portraits des accusés, les dessins des guidons et des écharpes, les plans des lieux où la bande se réunissait. Pendant quinze jours, il ne fut question dans Paris que du complot des Halles. La police lançait des notes de plus en plus inquiétantes; on finissait par dire que tout le quartier Montmartre était miné. Au Corps législatif, l'émotion fut si grande, que le centre et la droite oublièrent cette malencontreuse loi de dotation qui les avait un instant divisés, et se réconcilièrent, en votant à une majorité écrasante le projet d'impôt impopulaire, dont les faubourgs eux-mêmes n'osaient plus se plaindre, dans la panique qui soufflait sur la ville. Le procès dura toute une semaine. Florent se trouva profondément surpris du nombre considérable de complices qu'on lui donna. Il en connaissait au plus six ou sept sur les vingt et quelques, assis au banc des prévenus. Après la lecture de l'arrêt, il crut apercevoir le chapeau et le dos innocent de Robine s'en allant doucement au milieu de la foule. Logre était acquitté, ainsi que Lacaille. Alexandre avait deux ans de prison pour s'être compromis en grand enfant. Quant à Gavard, il était, comme Florent, condamné à la déportation. Ce fut un coup de massue qui l'écrasa dans ses dernières jouissances, au bout de ces longs débats qu'il avait réussi à emplir de sa personne. Il payait cher sa verve opposante de boutiquier parisien. Deux grosses larmes coulèrent sur sa face effarée de gamin en cheveux blancs.

Et, un matin d'août, au milieu du réveil des Halles, Claude Lantier, qui promenait sa flânerie dans l'arrivage des légumes, le ventre serré par sa ceinture rouge, vint toucher la main de madame François, à la pointe Saint-Eustache. Elle était là, avec sa grande figure triste, assise sur ses navets et ses carottes. Le peintre restait sombre, malgré le clair soleil qui attendrissait déjà le velours gros vert des montagnes de choux.

– Eh bien! c'est fini, dit-il. Ils le renvoient là bas… Je crois qu'ils l'ont déjà expédié à Brest.

La maraîchère eut un geste de douleur muette. Elle promena la main lentement autour d'elle, elle murmura d'une voix sourde:

– C'est Paris, c'est ce gueux de Paris.

– Non, je sais qui c'est, ce sont des misérables, reprit Claude dont les poings se serraient. Imaginez-vous, madame François, qu'il n'y a pas de bêtises qu'ils n'aient dites, au tribunal… Est-ce qu'ils ne sont pas allés jusqu'à fouiller les cahiers de devoirs d'un enfant! Ce grand imbécile de procureur a fait là-dessus une tartine, le respect de l'enfance par-ci, l'éducation démagogique par-là… J'en suis malade.

Il fut pris d'un frisson nerveux; il continua, en renfonçant les épaules dans son paletot verdâtre:

– Un garçon doux comme une fille, que j'ai vu se trouver mal en regardant saigner des pigeons… Ça m'a fait rire de pitié, quand je l'ai aperçu entre deux gendarmes. Allez, nous ne le verrons plus, il restera là-bas, cette fois.

– Il aurait dû m'écouter, dit la maraîchère au bout d'un silence, venir à Nanterre, vivre là, avec mes poules et mes lapins… Je l'aimais bien, voyez-vous, parce que j'avais compris qu'il était bon. Ou aurait pu être heureux… C'est un grand chagrin… Consolez-vous, n'est-ce pas? monsieur Claude. Je vous attends, pour manger une omelette, un de ces matins.

Elle avait des larmes dans les yeux. Elle se leva, en femme vaillante qui porte rudement la peine.

– Tiens! reprit-elle, voilà la mère Chantemesse qui vient m'acheter des navets. Toujours gaillarde, cette grosse mère Chantemesse…

Claude s'en alla, rôdant sur le carreau. Le jour, en gerbe blanche, avait monté du fond de la rue Rambuteau. Le soleil, au ras des toits, mettait des rayons roses, des nappes tombantes qui touchaient déjà les pavés. Et Claude sentait un réveil de gaieté dans les grandes Halles sonores, dans le quartier empli de nourritures entassées. C'était comme une joie de guérison, un tapage plus haut de gens soulagés enfin d'un poids qui leur gênait l'estomac. Il vit la Sarriette, avec une montre d'or, chantant au milieu de ses prunes et de ses fraises, tirant les petites moustaches de monsieur Jules, vêtu d'un veston de velours. Il aperçut madame Lecoeur et mademoiselle Saget qui passaient sous une rue couverte, moins jaunes, les joues presques roses, en bonnes amies amusées par quelque histoire. Dans la poissonnerie, la mère Méhudin, qui avait repris son banc, tapait ses poissons, engueulait le monde, clouait le bec du nouvel inspecteur, un jeune homme auquel elle avait juré de donner le fouet; tandis que Claire, plus molle, plus paresseuse, ramenait, de ses mains bleuies par l'eau des viviers, un tas énorme d'escargots que la have moirait de fils d'argent. À la triperie, Auguste et Augustine venaient acheter des pieds de cochon, avec leur mine tendre de nouveaux mariés, et repartaient en carriole pour leur charcuterie de Montrouge. Puis, comme il était huit heures, qu'il faisait déjà chaud, il trouva, en revenant rue Rambuteau, Muche et Pauline jouant au cheval: Muche marchait à quatre pattes, pendant que Pauline, assise sur son dos, se tenait à ses cheveux pour ne pas tomber. Et, sur les toits des Halles, au bord des gouttières, une ombre qui passa lui fit lever la tête: c'étaient Cadine et Marjolin riant et s'embrassant, brûlant dans le soleil, dominant le quartier de leurs amours de bêtes heureuses.

Alors, Claude leur montra le poing. Il était exaspéré par cette fête du pavé et du ciel. Il injuriait les Gras, il disait que les Gras avaient vaincu. Autour de lui, il ne voyait plus que des Gras, s'arrondissant, crevant de santé, saluant un nouveau jour de belle digestion. Comme il s'arrêtait en face de la rue Pirouette, le spectacle qu'il eut à sa droite et à sa gauche, lui porta le dernier coup.

À sa droits, la belle Normande, la belle madame Lebigre, comme on la nommait maintenant, était debout sur le seuil de sa boutique. Son mari avait enfin obtenu de joindre à son commerce de vin un bureau de tabac, rêve depuis longtemps caressé, et qui s'était enfin réalisé, grâce à de grands services rendus. La belle madame Lebigre lui parut superbe, en robe de soie, les cheveux frisés, prête à s'asseoir dans son comptoir, où tous les messieurs du quartier venaient lui acheter leurs cigares et leurs paquets de tabac. Elle était devenue distinguée, tout à fait dame. Derrière elle, la salle, repeinte, avait des pampres fraîches, sur un fond tendre; le zinc du comptoir luisait; tandis que les fioles de liqueur allumaient dans la glace des feux plus vifs. Elle riait à la claire matinée.

À sa gauche, la belle Lisa, au seuil de la charcuterie, tenait toute la largeur de la porte. Jamais son linge n'avait eu une telle blancheur; jamais sa chair reposée, sa face rose, ne s'était encadrée dans des bandeaux mieux lissés. Elle montrait un grand calme repu, une tranquillité énorme, que rien ne troublait, pas même un sourire. C'était l'apaisement absolu, une félicité complète, sans secousse, sans vie, baignant dans l'air chaud. Son corsage tendu digérait encore le bonheur de la veille; ses mains potelées, perdues dans le tablier, ne se tendaient même pas pour prendre le bonheur de la journée, certaines qu'il viendrait à elles. Et, à côté, l'étalage avait une félicité pareille; il était guéri, les langues fourrées s'allongeaient plus rouges et plus saines, les jambonneaux reprenaient leurs bonnes figures jaunes, les guirlandes de saucisses n'avaient plus cet air désespéré qui navrait Quenu. Un gros rire sonnait au fond, dans la cuisine, accompagné d'un tintamarre réjouissant de casseroles. La charcuterie suait de nouveau la santé, une santé grasse. Les bandes de lard entrevues, les moitiés de cochon pendues contre les marbres, mettaient là des rondeurs de ventre, tout un triomphe du ventre, tandis que Lisa, immobile, avec sa carrure digne, donnait aux Halles le bonjour matinal, de ses grands yeux de forte mangeuse.

Puis, toutes deux se penchèrent. La belle madame Lebigre et la belle madame Quenu échangèrent un salut d'amitié.

Et Claude, qui avait certainement oublié de dîner la veille, pris de colère à les voir si bien portantes, si comme il faut, avec leurs grosses gorges, serra sa ceinture, en grondant d'une voix fâchée:

– Quels gredins que les honnêtes gens!