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Le Naturalisme au théâtre, les théories et les exemples

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LA PANTOMIME

Il vient de se faire, au théâtre des Variétés, une tentative très intéressante, et dont le succès a d'ailleurs été complet. Je veux parler de l'introduction de la pantomime dans la farce. Frappé du triomphe que les Hanlon-Lees, ces mimes merveilleux, obtenaient aux Folies-Bergère, le directeur des Variétés a eu l'idée heureuse de commander une pièce, une farce, dans laquelle les auteurs leur ménageraient une large part d'action. Il s'agissait donc de leur fournir un thème, de les placer dans un cadre dialogué, où ils pussent se mouvoir avec aisance. Le projet était des plus ingénieux et des plus tentants. C'était produire les Hanlon devant le grand public et élargir leur drame muet d'un drame parlé, qui ménagerait l'attention des spectateurs.

Nous ne sommes pas en Angleterre, où l'on supporte parfaitement une pantomime en cinq actes durant toute une soirée. Notre génie national n'est point dans cette imagination atroce d'une grêle de gifles et de coups de pied tombant pendant quatre heures, au milieu d'un silence de mort. L'observation cruelle, l'analyse féroce de ces grimaciers qui mettent à nu d'un geste ou d'un clin d'oeil toute la bête humaine, nous échappent, lorsqu'elles ne nous fâchent pas. Aussi faut-il, chez nous, que la pantomime ne soit que l'accessoire, et qu'il y ait des points de repos, pour permettre aux spectateurs de respirer. De là l'utilité du cadre imposé à MM. Blum et Toché, les auteurs du Voyage en Suisse. Ils ont été chargés de présenter les Hanlon au grand public parisien, en motivant leurs entrées en scène et en embourgeoisant le plus possible la fantaisie sombre de leurs exercices.

Le gros reproche que j'adresserai aux auteurs, c'est d'avoir trop embourgeoisé cette fantaisie. Leur scénario n'est guère qu'un vaudeville, et un vaudeville d'une originalité douteuse. Cet ex-pharmacien qui se marie et que des farceurs poursuivent pendant son voyage de noces, pour l'empêcher de consommer le mariage, n'apporte qu'une donnée bien connue. Encore ne chicanerait-on pas sur l'idée première, qui était un point de départ de farce amusante; mais il aurait fallu, dans les développements, dans les épisodes, une invention cocasse, une drôlerie poussée à l'extrême, qui aurait élargi le sujet, en le haussant à la satire enragée. Mon sentiment tout net est que le train de la pièce est trop banal, trop froid, et que, dès que les Hanlon paraissent, avec leur envolement de farceurs lyriques, ils y détonnent.

Souvent, lorsqu'on sort d'une féerie, on regrette que toutes ces splendeurs soient dépensées sur des scénarios si médiocres, on se dit qu'il faudrait un grand poète pour parler la langue de ce peuple de fées, de princesses et de rois. Eh bien! ma sensation a été la même devant le Voyage en Suisse. J'ai regretté qu'un observateur de génie, qu'un grand moraliste n'ait pas écrit pour les Hanlon la pièce profondément humaine, la satire violente et au rire terrible que ces artistes si profonds mériteraient d'interpréter. Leur puissance de rendu, leurs trouvailles d'analystes impitoyables, font éclater les plaisanteries faciles du vaudeville. Il leur faudrait, pour être chez eux, du Molière ou du Shakespeare. Alors seulement ils donneraient tout ce qu'ils sentent.

J'insiste, parce que, malgré leur très vif succès, on ne m'a pas paru les goûter à leur haut mérite. Ils sont de beaucoup supérieurs au canevas qu'on leur a fourni. Lorsqu'ils étaient livrés à eux-mêmes, aux Folies Bergère, ils trouvaient des scènes d'une autre profondeur et qui vous faisaient passer à fleur de peau le petit frisson froid de la vérité. En un mot, leur pantomime a un au delà troublant, cet au delà, de Molière qui met de la peur dans le rire du public. Rien n'est plus formidable, à mon avis, que la gaieté des Hanlon, s'ébattant au milieu des membres cassés, et des poitrines trouées, triomphant dans l'apothéose du vice et du crime, devant la morale ahurie. Au fond, c'est la négation de tout, c'est le néant humain.

Je ne parlerai donc pas de le pièce, qui est l'oeuvre de deux auteurs spirituels. Eux-mêmes se sont effacés. Mon seul but, en analysant les principales scènes des Hanlon, est de montrer de quelle observation cruelle, de quelle rage d'analyse, ces mimes de génie tirent le rire. Il leur fallait d'autant plus de souplesse que la situation, pour eux, reste la même depuis le commencement jusqu'à la fin de la pièce. Ils n'ont pas trouvé là un drame avec ses péripéties: leur action se borne à être des farceurs, qui interviennent toujours dans les mêmes conditions. Défaut grave du scénario, monotonie qu'ils ne sont parvenus à dissimuler que par des prodiges de nuances. Ils ont mis partout des dessous, lorsqu'il n'y en avait pas. Leurs merveilles d'exécution ont sauvé la pauvreté du thème.

Voyez leur première entrée en scène. Ils arrivent sur l'impériale d'une vieille diligence qui, tout d'un coup, verse au fond du théâtre. La dégringolade est effroyable, au milieu des vitres cassées, des cris et des jurons. Pour sûr, il y a des poitrines ouvertes, des têtes aplaties; et le public éclate d'un fou rire. Aimable public! et comme les Hanlon savent bien ce qu'il faut à notre gaieté! D'ailleurs, par un prodige d'adresse, ils se retrouvent tous devant la rampe, rangés en une ligne correcte, sur leur derrière. L'adresse, l'escamotage des conséquences de l'accident, redouble ici la gaieté des spectateurs. Dans les accidents réels, on rit d'abord, puis on s'apitoie; les Hanlon ont parfaitement compris qu'il ne fallait pas laisser à l'apitoiement le temps de se produire. De là le gros effet comique.

J'avoue, au second acte, n'aimer que médiocrement le truc du spleeping-car. Règle générale, toutes les fois qu'on fait du bruit à l'avance autour d'un truc qui doit passionner Paris, il est presque certain que le truc ratera. Le public arrive monté, croyant à une illusion absolue, et lorsqu'il voit les ficelles, comme dans le cas de ce spleeping-car, l'illusion ne se produit plus du tout, parce qu'on l'a rendu exigeant. La vérité est que la manoeuvre du truc, dont on a tant parlé, est beaucoup trop lente. L'explosion a lieu, le wagon s'entr'ouvre, les deux moitiés se relèvent à droite et à gauche, tandis que les personnages, qui devraient être lancés en l'air, gagnent tranquillement des arbres, sur lesquels ils se perchent; le tout à grand renfort de cordages, comme dans les joujoux d'enfant. Je sais bien qu'on ne peut nous offrir un véritable accident. Mais, en cette matière, toutes les fois que l'illusion est impossible, le truc doit être abandonné. Les Hanlon ne trouvent donc dans cet acte qu'à exercer leur adresse et leur audace de gymnastes. C'est très gros comme gaieté. Rien par dessous.

Je préfère de beaucoup le troisième acte. L'entrée en scène est encore des plus étonnantes. Les Hanlon tombent du plafond, au beau milieu d'une table d'hôte, à l'heure du déjeuner. Vous voyez l'effarement des voyageurs. Ici, il y a un de ces coups de folie qui traversent les pantomimes, ces coups de folie épidémiques dont on rit si fort, avec de sourdes inquiétudes pour sa propre raison. Les Hanlon prennent les plats, les bouteilles, et se mettent à jongler avec une furie croissante, si endiablée, que peu à peu les convives, entraînés, enragés, les imitent, de façon que la scène se termine dans une démence générale. N'est-ce pas le souffle qui passe parfois sur les foules et les détraque? L'humanité finit souvent par jongler ainsi avec les soupières et les saladiers. On est pris par le fou rire, on ne sait si l'on ne se réveillera pas dans un cabanon de Bicêtre. Ce sont là les gaietés des Hanlon.

Et que dire de la scène du gendarme, qui vient ensuite? Un gendarme se présente pour arrêter les coupables. Dès lors, c'est le gendarme qui va être bafoué. Il est l'autorité, on le bernera, on passera entre ses jambes pour le faire tomber, on lui causera des peurs atroces en s'élançant brusquement d'une malle, on l'enfermera dans cette malle, on le rendra si piteux, si ridicule, si bêtement comique, que la foule enthousiaste applaudira à chacune de ses mésaventures. C'est la scène qui a même produit le plus d'effet. Personne n'a songé qu'on insultait notre armée. Pourtant, rien de plus révolutionnaire. Cela flatte le criminel qu'il y a au fond des plus honnêtes d'entre nous. Cela nous gratte dans notre besoin de revanche contre l'autorité, dans notre admiration pour l'adresse, pour le coquin adroit qui triomphe de l'honnête homme trop lourd, que ses boites embarrassent.

Je signalerai, dans le genre fin, la scène de l'ivresse, que le public a trouvée trop longue, parce que les délicatesses de cette analyse savante lui ont échappé. Elle est pourtant tout à fait supérieure, comme observation et comme exécution. Les grands comédiens ne rendent pas d'une façon plus détaillée, et nous pouvons prendre là une leçon d'analyse, nous autres romanciers. Rien n'est plus juste ni plus complet que ces tâtonnements de deux ivrognes engourdis par le vin, qui, voulant avoir de la lumière, perdent successivement les allumettes, la bougie, le chandelier, sans jamais retrouver qu'un des objets à la fois. C'est toute une psychologie de l'ivresse.

En somme, je le répète, le succès a été très vif. On a beaucoup applaudi les Hanlon. Je ne fais pas ici une étude complète de ces grands artistes, car il faudrait dégager leur originalité, bien montrer ce qu'ils ont apporté de personnel, en dehors de leurs sauts de gymnastes et de leurs jeux de mimes. Ce qu'ils mettent dans tout, c'est une perfection d'exécution incroyable. Leurs scènes sont réglées à la seconde. Ils passent comme des tourbillons, avec des claquements de soufflets qui semblent les tic-tac mêmes du mécanisme de leurs exercices. Ils ont la finesse et la force. C'est là ce qui les caractérise. Sous le masque enfariné de Pierrot, ils détaillent l'idée avec des jeux de physionomie d'un esprit délicieux; puis, brusquement, un coup du vent semble passer, et les voilà lancés dans une férocité saxonne qui nous surprend un peu. Ils bondissent, ils s'assomment, ils sont à la fois aux quatre coins de la scène; et ce sont des bouteilles volées avec une habileté qui est la poésie du larcin, des gifles qui s'égarent, des innocents qu'on bâtonne et des coupables qui vident les verres des braves gens, une négation absolue de toute justice, une absolution du crime par l'adresse. Telle est leur originalité, un mélange de cruauté et de gaieté, avec une fleur de fantaisie poétique.

 

Je le dis encore, je ne sais rien de plus triste sous le rire. Cela rappelle les grandes caricatures anglaises. L'homme se débat et sanglote, dans les gambades et les grimaces de ces mimes. Je songeais avec quel cri de colère on accueillerait une oeuvre de nous, romanciers naturalistes, si nous poussions si loin l'analyse de la grimace humaine, la satire de l'homme aux prises avec ses passions. Imaginez un moment la scène du gendarme dans un de nos livres, admettez que nous traînions ce pauvre gendarme dans le ridicule, en mettant sous la charge une pareille négation de l'autorité: on nous traiterait de communard, on nous demanderait compte des otages. Certes, dans nos férocités d'analyse, nous n'allons pas si loin que les Hanlon, et nous sommes déjà fortement injuriés. Cela vient de ce que la vérité peut se montrer et qu'elle ne peut se dire. Puis, la caricature couvre tout. On lui permet le par-dessous et l'au delà. Et c'est tant mieux, puisqu'elle nous régale. Faisons tous des pantomimes.

LE VAUDEVILLE

I

Je ne me charge pas de raconter les Dominos Roses, la nouvelle pièce en trois actes que MM. Delacour et Hennequin ont fait jouer au Vaudeville. C'est une de ces pièces compliquées, d'une ingéniosité d'ébénisterie sans pareille, un de ces petits meubles chinois, aux cents tiroirs se casant les uns dans les autres, qu'il faut replacer avec une exactitude scrupuleuse, si l'on veut ne rien casser.

Les auteurs ont appelé leur oeuvre comédie. Voilà un bien grand mot pour une pièce de cette facture. J'aurais préféré vaudeville. Une comédie ne va pas, selon moi, sans une étude plus ou moins poussée des caractères, sans une peinture quelconque d'un milieu réel. Or, les auteurs ne sont en somme que d'aimables gens, bien décidés à récréer le public, en faisant tourner devant lui le quadrille de leurs marionnettes. Leur art consiste à machiner leur joujou, de façon que les personnages obéissent à chaque tour de la manivelle et viennent occuper sur les planches l'endroit précis qui leur est assigné. C'est du théâtre mécanique, des bonshommes, joliment campés, dont les pas sont réglés comme par un maître de ballets. Ils vont à gauche, ils vont à droite, ils s'entrecroisent, se mêlent et se dégagent, pour le plus grand plaisir des yeux du public. Et, je le répète, cela demande des mains exercées. On parle souvent du métier au théâtre. Eh bien! les Dominos Roses sont un produit immédiat du métier, sans aucune faute. De la mémoire, de l'adresse, et rien de plus. Mais on voit que le métier n'est décidément pas à dédaigner, puisqu'il peut suffire au succès.

On parlait du Procès Veauradieux, des mêmes auteurs, pendant la représentation. Les deux pièces, en effet, ont beaucoup de ressemblance, sortent tout au moins du même moule. Rien de plus naturel, d'ailleurs. MM. Delacour et Hennequin ont pensé, avec raison, que les spectateurs applaudiraient plus volontiers ce qu'ils avaient déjà applaudi. Les nouveautés troublent le public dans sa quiétude, lui causent une secousse cérébrale désagréable. L'éternel quiproquo des maris qui embrassent les bonnes, en croyant embrasser leurs femmes, ne suffit-il pas à la gaieté d'une soirée? Rien de plus digestif que ce jeu du quiproquo. Il est à la portée de tout le monde, il soulève toujours le même éclat de rire, comme ces calembours de province qui sont, pendant un quart de siècle, la joie d'un salon. Et l'on s'en va, la tête libre, sans fatigue intellectuelle, en se souvenant des petits jeux de société de sa jeunesse.

J'ai bien suivi les impressions du public, au courant des trois actes. D'abord, j'ai constaté un peu de froideur. On voyait les auteurs venir avec leurs gros sabots, et l'on échangeait des regards comme pour se dire qu'on savait bien la suite. Même, derrière moi, un monsieur très ferré sans doute sur le répertoire de nos vaudevilles, citait les pièces où la même idée se trouvait déjà; et il y en avait une longue liste, je vous assure. Mais l'intrigue se nouait, le charme opérait peu à peu. Je m'imaginais apercevoir les auteurs derrière une coulisse, tendant leur piège avec la tranquillité d'hommes qui connaissent la bonne glu. Tous les vieux mots portaient. A mesure que les spectateurs se retrouvaient davantage en pays de connaissance, ils devenaient bons enfants, s'amusaient aux endroits où ils s'amusent depuis leur âge le plus tendre. Certes, ils étaient de plus en plus certains du dénouement, tous vous auraient dit comment tourneraient les choses, il n'y avait pas dans leur émotion le moindre doute sur la félicité finale des personnages; mais cela les ravissait d'assister une fois de plus au dévidage adroit de cet écheveau dramatique si bien embrouillé.

Les auteurs allaient-ils prendre le fil à gauche ou à droite? Et cette seule alternative suffisait à leur bonheur. Puis, il y avait encore le hasard des noeuds; innocentes catastrophes, aussi vite réparées que survenues, qui accidentaient la route parcourue tant de fois. Dès le second acte, la salle ravie se croyait encore au Procès Veauradieux, et applaudissait à tout rompre. Grand succès.

II

Il s'agit dans Bébé, la pièce de MM. de Najac et Hennequin, d'un de ces grands enfants que les mères gardent jusqu'au mariage, autour de leurs jupes, et auxquels elles ne peuvent jamais se décider à donner la clef des champs. Tel est le bébé, un bébé de vingt-deux ans, et qui a déjà de la barbe au menton. Gaston est adoré par sa mère, la baronne d'Aigreville, qui le cajole, le dodeline et lui parle encore en zézayant, comme s'il portait toujours des robes et un bourrelet.

Quant au sujet philosophique, – il y a un sujet philosophique, – il repose sur cette idée qu'un jeune homme, avant de se marier et de faire un bon mari, doit parcourir trois périodes, la période des femmes de chambre, celle des cocottes et celle des femmes mariées. C'est le cousin Kernanigous qui dit cela, et le cousin s'y connaît, lui qui, chaque année, quitte sa ferme modèle de Bretagne pour venir faire ses farces à Paris.

Naturellement, Gaston, que sa mère croit encore un ange de pureté, a déjà fait de nombreux accrocs à sa robe d'innocence. La baronne lui a meublé un entresol, dans la même maison qu'elle, pour qu'il puisse étudier son droit tranquillement; mais Gaston, en compagnie de son ami Arthur, n'utilise guère son entresol que pour recevoir des dames. Ajoutez que le baron est une absolue ganache; ce digne homme passe sa vie à lire les journaux, chez lui et à son cercle, ce qui fatalement a influé d'une façon déplorable sur son intelligence. Il ne s'occupe de son fils que pour lui adresser la morale la plus drôle du monde. Ainsi, lorsque les farces de Bébé se découvrent, et que celui-ci s'excuse en rappelant à son père les folies que lui-même a dû faire dans sa jeunesse, le baron répond gravement: «Monsieur, en ce temps-là, je n'étais pas encore votre père.» Le mot a fait beaucoup rire.

Donc, Gaston parcourt les trois phases. La première est représentée par la femme de chambre de sa mère, Toinette; la seconde, par une dame galante, Aurélie; et la troisième par sa cousine, madame de Kernanigous elle-même. Des trois, c'est Toinette que je préfère. Elle est adorable, cette enfant, qui s'écrie, lorsque Gaston veut l'abandonner: «Ah! monsieur, vous n'aurez pas le coeur de quitter la femme de chambre de votre mère!» Elle adore son maître, lui recoud ses boutons, pleure au dénouement, quand on le marie. Les auteurs, en rendant la femme de chambre si aimable, auraient-ils eu des intentions démocratiques?

Tout le sujet est là, mais les auteurs connaissent trop leur métier pour ne pas avoir compliqué ce sujet à l'aide des quiproquos les plus inextricables. M. Hennequin persévère naturellement dans un genre qui lui a valu trois grands succès: les Trois Chapeaux, le Procès Veauradieux et les Dominos Roses. Sa part de collaboration est certainement dans les singulières complications de l'intrigue. Je renonce à raconter ces complications, mais je puis les indiquer. Aurélie la cocotte, est en même temps la maîtresse de Gaston et celle du cousin Kernanigous; elle est encore la femme légitime d'un répétiteur de droit, Pétillon, dont je parlerai tout à l'heure. Alors, se produit la débandade obligée. C'est d'abord madame de Kernanigous qu'on prend pour Aurélie; puis, c'est Aurélie qu'on prend pour madame de Kernanigous; la brune et la blonde se mêlent, le public lui-même finit par ne plus savoir au juste ce qu'il doit croire. A un moment, il y a jusqu'à quatre personnes cachées derrière des portes. Et l'on rit.

On rit, parce que tous les personnages courent sur la scène. Cette débandade qui entre, sort, se cache, reparaît, fait claquer les portes, étourdit les spectateurs et les charme. Cela, d'ailleurs, pourrait continuer éternellement. S'il n'y a pas de raison pour que cela commence, il y en a encore moins pour que cela finisse. Enfin, les auteurs veulent bien aboutir à un mariage entre Gaston et une nièce de Kernanigous. L'honneur de la cousine est sauf. La baronne et le baron sont convaincus que leur fils n'est plus un bébé, et ils consentent à le traiter en homme.

Ce genre de pièces à quiproquos est toujours d'un effet sûr. Seulement, je trouve qu'il fatigue vite. Un acte suffirait. Au troisième acte de Bébé, je commençais à être ahuri. Rien d'énervant à la longue comme de voir tous les personnages se précipiter les uns derrière les autres; on voudrait qu'ils se tinssent enfin tranquilles, pour les entendre causer comme tout le monde. S'ils n'ont rien à dire, pourquoi ne se contentent ils pas de jouer une pantomime? cela serait aussi réjouissant. En somme, je le répète, le genre est gros et absolument inférieur. Le succès vient de ce que le public croit entrer de moitié dans la pièce.

Mais ce qui donne à Bébé une certaine valeur, c'est une pointe littéraire, où l'on sent la collaboration de M. de Najac. Il y a, dans les deux premiers actes, quelques scènes fort jolies, d'un comique très fin. Ces scènes sont fournies par la baronne et par Pétillon, le répétiteur de droit.

La baronne a voulu donner un répétiteur à son fils, pour le hâter dans ses examens. Il faut dire que Gaston est un véritable cancre. Or, Pétillon a une façon de professer qui est un poème de tolérance; il laisse ses élèves, Gaston et Arthur, causer de leurs maîtresses et de leurs parties fines, entre deux commentaires du Code; il se mêle lui-même à la conversation, avec le rire sournois et gourmand d'un cuistre voluptueux qui n'est pas assez riche pour contenter ses passions. Une des scènes les plus drôles est celle-ci: le baron surprend ces messieurs tapant sur le piano, dansant avec des dames; et Pétillon sauve les garnements, en expliquant que sa méthode consiste à apprendre le Code en musique. Il va jusqu'à chanter plusieurs articles. C'est là une bonne extravagance. La salle entière a été prise d'un fou rire.

III

MM. de Najac et Hennequin ont voulu donner au Gymnase un pendant à Bébé, et ils ont écrit la Petite Correspondance.

Je ne crois pas nécessaire d'entrer dans une analyse de cette pièce. Quel singulier genre! Prendre des bouts de fil, les emmêler, mais d'une façon adroite, de manière qu'ils paraissent noués ensemble, en un paquet inextricable; puis, tirer un seul bout, celui qu'on a ménagé, et rembobiner le tout d'un trait, sans la moindre difficulté. La littérature est absente, on s'intéresse à cela comme à un jeu de patience; et quand on s'en va, on éprouve un vide, une déception, avec cette pensée vague que ce n'était pas la peine de se passionner, puisqu'on était certain à l'avance que cela finirait comme cela avait commencé. Au théâtre, lorsqu'on n'emporte aucun fait nouveau, aucune observation à creuser, on garde contre la pièce une sourde rancune, de même qu'on s'en veut lorsqu'on a lu un livre vide ou qu'on s'est arrêté à causer dix minutes avec un bavard imbécile, qui vous a noyé d'un déluge de mots.

Je songeais au succès de Bébé, en voyant la Petite Correspondance, et je me disais qu'en somme ce succès était mérité. A coup sûr, ce qui a charmé si longtemps le public, ce n'est pas l'imbroglio de la pièce, ce sont deux ou trois scènes d'observation amusante qu'elle contenait. Et ce qui prouve qu'une série de quiproquos ne suffit pas au succès, même lorsqu'ils sont travaillés par des mains expérimentées, c'est que la Petite Correspondance a été accueillie froidement. Question de sujet, et surtout question de types et de situations, je le répète. Dans Bébé, on a trouvé drôle cette histoire de grand garçon dégourdi, que sa mère traite toujours en enfant, lorsqu'il se lance dans toutes les fredaines, et qu'il a la femme de chambre pour maîtresse. Bien que cela rappelât Edgard et sa bonne, l'aventure a paru piquante, prise sur le vrai, dans le courant de la vie quotidienne. Peut-être le public ne fait-il pas ces réflexions-là; mais, à son insu, il subit les courants qui s'établissent, il ne supporte plus que difficilement les inventions de pure fantaisie, et se plaît davantage aux choses prises sur la réalité.

 

Je parlais des types. La fortune de Bébé a été faite par le répétiteur Pétillon. Ce maître, si tolérant pour ses élèves, le nez tourné à la friandise, et se régalant le premier des fredaines de la jeunesse, était certes une caricature, mais une caricature sous laquelle on sentait la vie. Il vivait, ce cuistre sournoisement voluptueux, brûlé de tous les appétits, sous son cuir de pédant qui court le cachet. Et quelle bonne folie que la scène où il sauve les deux chenapans auxquels il donne des répétitions de droit, en racontant à une vieille ganache de père qu'il a mis le Code en couplets! Cela est extravagant; seulement, derrière l'extravagance, on sent l'observation, on se rappelle des pauvres diables de cet acabit qui gagnent leurs cachets, en baisant les bottes des petits gredins qu'ils sont chargés d'instruire.

Faut-il voir une leçon donnée aux auteurs dans l'accueil relativement froid fait par le public à la Petite Correspondance? Je n'ose l'affirmer. Et pourtant MM. de Najac et Hennequin, qui sont très expérimentés, ne peuvent manquer de faire le raisonnement suivant: «Pourquoi le grand succès de Bébé, et pourquoi la demi-chute de la Petite Correspondance? Évidemment, c'est que les imbroglios ne satisfont plus entièrement le public, car jamais nous n'en avons noué un de plus entortillé ni de plus heureusement dénoué. Il est donc temps d'abandonner cette formule commode et de chercher des situations vraies et des types réels, comme dans Bébé. Notre intérêt l'exige: soyons vivants, si nous voulons toucher de beaux droits d'auteur.»

Ce raisonnement serait excellent, et je voudrais l'entendre faire par tous les auteurs; d'autant plus qu'il est logique et exact. Questionnez les plus habiles, ils vous diront que le goût du public tourne au naturalisme, d'une façon continue et de plus en plus accentuée. C'est le mouvement de l'époque. Il s'accomplit de lui-même, par la force même des choses. Avant dix ans, l'évolution sera complète. Et vous verrez les dramaturges et les vaudevillistes, réputés pour leur habileté, se ruer alors vers la peinture des scènes réelles, car ils n'ont au fond qu'une doctrine: satisfaire le public en toutes sortes, lui donner ce qu'il demande, de manière à battre monnaie le plus largement possible.

IV

Une circonstance m'a empêché d'assister à la première représentation de Niniche, le vaudeville en trois actes que MM. Hennequin et Millaud ont fait jouer aux Variétés. Je n'ai pu voir que la quatrième, et j'ai été vraiment surpris de la gaieté débordante du public. Quel excellent public que ce public parisien! Comme il est bon enfant, comme il rit volontiers! La moindre plaisanterie, eût-elle trente années d'âge, le chatouille ainsi qu'au premier jour, lorsqu'elle est dite par la comédienne ou le comédien favori. On prétend que les artistes tremblent, lorsqu'ils paraissent à Paris pour la première fois. Ils ont bien tort. J'ai connu, en province, un théâtre où le public était autrement exigeant et maussade. On y sifflait avec une brutalité révoltante. J'estime qu'il faut trois fois plus d'efforts pour dérider un spectateur de province que pour faire rire aux éclats un spectateur de Paris.

J'ai été d'autant plus étonné de là gaieté de la salle, que l'on avait jugé Niniche très sévèrement devant moi, le lendemain de la première représentation, C'était un four, disait-on. Voilà un four qui prenait tous les airs d'un grand succès. J'avais particulièrement à côté de moi des dames, d'honnêtes bourgeoises à coup sûr, qui faisaient scandale, tant elles s'amusaient. Les moindres mots, d'ailleurs, soulevaient une tempête de joie, du parterre au cintre. Et cela ne cessait point, les trois actes ne se sont pas refroidis un instant. Je me doute bien que les interprètes sont pour beaucoup dans cette gaieté. D'autre part, peut-être suis-je tombé sur une représentation exceptionnelle, sur un soir où toute la salle avait bien dîné; il y a de ces rencontres, de ces jours d'électricité commune, que connaissent les artistes, et qu'ils constatent en disant: «La salle est très chaude aujourd'hui.» Mais le fait ne m'en a pas moins préoccupé vivement.

Ai-je ri moi-même? Mon Dieu, je crois que oui. J'avais beau me dire que tout cela était très bête, que la pièce avait été faite cent fois; j'avais beau trouver les actes vides, l'esprit grossier, le dénouement prévu à l'avance: ce grand et bon rire de la salle me gagnait. En vérité, les spectateurs sans malice s'amusaient trop pour qu'on ne s'égayât pas de leur propre gaieté. Au fond, j'étais très triste. Si vraiment il suffit d'une si pauvre farce pour procurer une heureuse soirée aux braves bourgeois parisiens, nous avons tous très grand tort de nous empêtrer dans des questions littéraires. A quoi bon le talent, à quoi bon l'effort, si cela satisfait pleinement le public? Je déclare que jamais je n'ai vu des gens mis dans un pareil état de joie par les chefs-d'oeuvre de notre théâtre. Devant un chef-d'oeuvre, le public se méfie toujours un peu; il a peur que le chef-d'oeuvre ne se moque de lui. Mais, devant une Niniche, il se roule, il est comme ces enfants qui rencontrent un trou d'eau sale et qui s'y vautrent avec délices, en se sentant chez eux.

Oh! le rire, quelle bonne chose et quelle chose bête! Toute la sottise est là et tout l'esprit. Contestez les mérites de Niniche, on vous répondra que le public s'amuse, et vous n'aurez rien à répondre, car les théâtres ne sont faits en somme que pour amuser le public. En voyant cette salle rire à ventre déboutonné d'inepties dont on serait révolté, si on les lisait chez soi, on se sent ébranlé dans ses convictions les plus chères, on se demande si le talent n'est pas inutile, s'il y a à espérer qu'une oeuvre forte touche jamais autant les spectateurs dans leurs instincts secrets qu'une parade de foire. Le théâtre serait donc cela? Les effluves d'une foule mise en tas, l'aveuglement du gaz, l'air surchauffé d'une salle trop étroite, l'odeur de poussière, toutes les sollicitations et toutes les demi-hallucinations d'une journée d'activité terminée dans un fauteuil dont les bras vous étouffent et vous brûlent, ce serait donc là cette atmosphère du théâtre qui déforme tout et empêche le triomphe du vrai sur les planches?

J'ai eu ainsi la sensation très nette de l'infériorité de la littérature dramatique. En vérité, l'oeuvre écrite est plus large, plus haute, plus dégagée de la sottise des foules que l'oeuvre jouée. Au théâtre, le succès est trop souvent indépendant de l'oeuvre. Une rencontre suffit, une interprétation heureuse, une plaisanterie qui est dans l'air, une bêtise tournée d'une certaine façon qui répond à la bêtise du moment. Si le rire ou les larmes prennent, – je ne fais pas de différence, car les larmes sont une autre forme de la bonhomie du public, – voilà la pièce lancée, il n'y a plus de raison pour qu'elle s'arrête. Depuis deux ans bientôt, je querelle mes confrères pour leur prouver qu'ils font du théâtre une chose trop sotte. Mon Dieu! est-ce qu'ils auraient raison, est-ce que ce serait réellement si sot que cela?