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Le Docteur Pascal

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– Me soigner! à quoi bon?.. Est-ce que ce n'en est pas fini, de ma vieille carcasse?

Ramond insista, avec son sourire d'homme calme.

– Vous êtes plus solide que nous tous. C'est un accident, et vous savez bien que vous avez le remède… Piquez-vous…

Il ne put continuer, et ce fut le comble. Pascal s'exaspérait, demandait si l'on voulait qu'il se tuât, comme il avait tué Lafouasse. Ses piqûres! une jolie invention dont il avait lieu d'être fier! Il niait la médecine, il jurait de ne plus toucher à un malade. Quand on n'était plus bon à rien, on crevait, et ça valait mieux pour tout le monde. C'était, d'ailleurs, ce qu'il allait s'empresser de faire, le plus vite possible…

– Bah! bah! conclut Ramond, en se décidant à prendre congé, par crainte de l'exciter davantage, je vous laisse Clotilde, et je suis bien tranquille… Clotilde arrangera ça.

Mais Pascal, ce matin-là, avait reçu le coup suprême. Il s'alita dès le soir, resta jusqu'au lendemain soir sans vouloir ouvrir la porte de sa chambre. Vainement, Clotilde finit par s'inquiéter, tapa violemment du poing: pas un souffle, rien ne répondit. Martine vint elle-même, supplia monsieur, à travers la serrure, de lui répondre au moins qu'il n'avait besoin de rien. Un silence de mort régnait, il semblait que la chambre fût vide. Puis, le matin du second jour, comme la jeune fille, par hasard, tournait le bouton, la porte céda; peut-être, depuis des heures, n'était-elle plus fermée. Et elle put entrer librement dans cette pièce où elle n'avait jamais mis les pieds, une grande pièce que son exposition au nord rendait froide, où elle n'aperçut qu'un petit lit de fer sans rideaux, un appareil à douches dans un coin, une longue table de bois noir, des chaises, et sur la table, sur des planches, le long des murs, toute une alchimie, des mortiers, des fourneaux, des machines, des trousses. Pascal, levé, habillé, était assis au bord de son lit, qu'il s'était épuisé à refaire lui-même.

– Tu ne veux donc pas que je te soigne? demanda-t-elle, émue et craintive, en n'osant trop s'avancer.

Il eut un geste d'abattement.

– Oh! tu peux entrer, je ne te battrai pas, je n'en ai plus la force.

Et, dès ce jour, il la toléra autour de lui, il lui permit de le servir. Mais il avait pourtant des caprices, il ne voulait pas qu'elle entrât, lorsqu'il était couché, pris d'une sorte de pudeur maladive; et il la forçait à lui envoyer Martine. D'ailleurs, il restait au lit rarement, se traînait de chaise en chaise, dans son impuissance à faire un travail quelconque. Le mal s'était encore aggravé, il en arrivait au désespoir de tout, ravagé de migraines et de vertiges d'estomac, sans force, comme il le disait, pour mettre un pied devant l'autre, convaincu chaque matin qu'il coucherait le soir aux Tulettes, fou à lier. Il maigrissait, il avait une face douloureuse, d'une beauté tragique, sous le flot de ses cheveux blancs, qu'il continuait à peigner par une dernière coquetterie. Et, s'il acceptait qu'on le soignât, il refusait rudement tout remède, dans le doute où il était tombé de la médecine.

Clotilde, alors, n'eut plus d'autre préoccupation que lui. Elle se détachait du reste, elle était allée d'abord aux messes basses, puis elle avait cessé complètement de se rendre à l'église. Dans son impatience d'une certitude et du bonheur, il semblait qu'elle commençât à se contenter par cet emploi de toutes ses minutes, autour d'un être cher, qu'elle aurait voulu revoir bon et joyeux. C'était un don de sa personne, un oubli d'elle-même, un besoin de faire son bonheur du bonheur d'un autre: et cela inconsciemment, sous la seule impulsion de son coeur de femme, au milieu de cette crise qu'elle traversait, qui la modifiait profondément, sans qu'elle en raisonnât. Elle se taisait toujours sur le désaccord qui les avait séparés, elle n'avait pas l'idée encore de se jeter à son cou, en lui criant qu'elle était à lui, qu'il pouvait revivre, puisqu'elle se donnait. Dans sa pensée, elle n'était qu'une fille tendre, le veillant, comme une autre parente l'aurait veillé. Et cela était très pur, très chaste, des soins délicats, de continuelles prévenances, un tel envahissement de sa vie, que les journées, maintenant, passaient rapides, exemptes du tourment de l'au delà, pleines de l'unique souhait de le guérir.

Mais où elle eut à soutenir une véritable lutte, ce fut pour le décider à se piquer. Il s'emportait, niait sa découverte, se traitait d'imbécile. Et elle aussi criait. C'était elle, à présent, qui avait foi en la science, qui s'indignait de le voir douter de son génie. Longtemps, il résista; puis, affaibli, cédant à l'empire qu'elle prenait, il voulut simplement s'éviter la tendre querelle qu'elle lui cherchait chaque matin. Dès les premières piqûres, il éprouva un grand soulagement, bien qu'il refusât d'en convenir. La tête se dégageait, les forces revenaient peu à peu. Aussi triompha-t-elle, prise pour lui d'un élan d'orgueil, exaltant sa méthode, se révoltant de ce qu'il ne s'admirât pas lui-même, comme un exemple des miracles qu'il pouvait faire. Il souriait, il commençait à voir clair dans son cas. Ramond avait dit vrai, il ne devait y avoir eu là que de l'épuisement nerveux. Peut-être, tout de même, finirait-il par s'en tirer.

– Eh! c'est toi qui me guéris, petite fille, disait-il, sans vouloir avouer son espoir. Les remèdes, vois-tu, ça dépend de la main qui les donne.

La convalescence traîna, dura tout le mois de février. Le temps restait clair et froid, pas un jour le soleil ne cessa de chauffer la salle, de son bain de pâles rayons. Et il y eut pourtant des rechutes de noires tristesses, des heures où le malade retombait à ses épouvantes; tandis que sa gardienne, désolée, devait aller s'asseoir à l'autre bout de la pièce, pour ne pas l'irriter davantage. De nouveau, il désespérait de la guérison. Il devenait amer, d'une ironie agressive.

Ce fut par un de ces mauvais jours que Pascal, s'étant approché d'une fenêtre, aperçut son voisin, M. Bellombre, le professeur retraité, en train de faire le tour de ses arbres, pour voir s'ils avaient beaucoup de boutons à fruit. La vue du vieillard si correct et si droit, d'un beau calme d'égoïsme, sur lequel la maladie ne semblait avoir jamais eu de prise, le jeta brusquement hors de lui.

– Ah! gronda-t-il, en voilà un qui ne se surmènera jamais, qui ne risquera jamais sa peau à se faire du chagrin!

Et il partit de là, entama un éloge ironique de l'égoïsme. Être tout seul au monde, n'avoir pas un ami, pas une femme, pas un enfant à soi, quelle félicité! Ce dur avare qui, pendant quarante ans, n'avait eu qu'à gifler les enfants des autres, qui s'était retiré à l'écart, sans un chien, avec un jardinier muet et sourd, plus âgé que lui, ne représentait-il pas la plus grande somme de bonheur possible sur la terre? Pas une charge, pas un devoir, pas une préoccupation autre que celle de sa chère santé! C'était un sage, il vivrait cent ans.

– Ah! la peur de la vie! décidément, il n'y a point de lâcheté meilleure… Dire que j'ai parfois le regret de n'avoir pas ici un enfant à moi! Est-ce qu'on a le droit de mettre au monde des misérables? Il faut tuer l'hérédité mauvaise, tuer la vie… Le seul honnête homme, tiens! c'est ce vieux lâche!

M. Bellombre, paisiblement, au soleil de mars, continuait à faire le tour de ses poiriers. Il ne risquait pas un mouvement trop vif, il économisait sa verte vieillesse. Comme il venait de rencontrer un caillou dans l'allée, il l'écarta du bout de sa canne, puis passa sans hâte.

– Regarde-le donc!.. Est-il bien conservé, est-il beau, a-t-il toutes les bénédictions du ciel dans sa personne! Je ne connais personne de plus heureux.

Clotilde, qui se taisait, souffrait de cette ironie de Pascal, qu'elle devinait si douloureuse. Elle qui, d'habitude, défendait M. Bellombre, sentait en elle monter une protestation. Des larmes lui vinrent aux paupières, et elle répondit simplement, à voix basse:

– Oui, mais il n'est pas aimé.

Cela, du coup, fit cesser la pénible scène. Pascal, comme s'il avait reçu un choc, se retourna, la regarda. Un subit attendrissement lui mouillait aussi les yeux; et il s'éloigna pour ne pas pleurer.

Des jours encore se passèrent, au milieu de ces alternatives de bonnes et de mauvaises heures. Les forces ne revenaient que très lentement, et ce qui le désespérait, c'était de ne pouvoir se remettre au travail, sans être pris de sueurs abondantes. S'il s'était obstiné, il se serait sûrement évanoui. Tant qu'il ne travaillerait pas, il sentait bien que la convalescence traînerait. Cependant, il s'intéressait de nouveau à ses recherches accoutumées, il relisait les dernières pages qu'il avait écrites; et, avec ce réveil du savant en lui, reparaissaient ses inquiétudes d'autrefois. Un moment, il était tombé à une telle dépression, que la maison entière avait comme disparu: on aurait pu le piller, tout prendre, tout détruire, qu'il n'aurait pas même eu la conscience du désastre. Maintenant, il se remettait aux aguets, il tâtait sa poche, pour bien s'assurer que la clef de l'armoire s'y trouvait.

Mais, un matin, comme il s'était oublié au lit et qu'il sortait seulement de sa chambre vers onze heures, il aperçut Clotilde dans la salle, tranquillement occupée à faire un pastel très exact d'une branche d'amandier fleurie. Elle leva la tête, souriante; et, prenant une clef, posée près d'elle, sur son pupitre, elle voulut la lui donner.

– Tiens! maître.

Étonné, sans comprendre encore, il examinait l'objet qu'elle lui tendait.

– Quoi donc?

– C'est la clef de l'armoire que tu as dû laisser tomber de ta poche hier, et que j'ai ramassée ici, ce matin.

Alors, Pascal la prit, avec une émotion extraordinaire. Il la regardait, il regardait Clotilde. C'était donc fini? Elle ne le persécuterait plus, elle ne s'enragerait plus à tout voler, à tout brûler? Et, la voyant très émue, elle aussi, il en eut une joie immense au coeur.

 

Il la saisit, il l'embrassa.

– Ah! fillette, si nous pouvions n'être pas trop malheureux!

Puis, il alla ouvrir un tiroir de sa table, et il y jeta la clef, comme autrefois.

Dès lors, il retrouva des forces, la convalescence marcha plus rapide. Des rechutes étaient possibles encore, car il restait bien ébranlé. Mais il put écrire, les journées furent moins lourdes. Le soleil s'était également ragaillardi, la chaleur devenait déjà telle, dans la salle, qu'il fallait parfois clore à demi les volets. Il refusait de recevoir, tolérait à peine Martine, faisait répondre à sa mère qu'il dormait, quand elle venait prendre de ses nouvelles, de loin en loin. Et il n'était content que dans cette délicieuse solitude, soigné par la révoltée, l'ennemie d'hier, l'élève soumise d'aujourd'hui. De longs silences régnaient entre eux, sans qu'ils en fussent gênés. Ils réfléchissaient, ils rêvaient avec une infinie douceur.

Pourtant, un jour, Pascal parut très grave. Il avait la conviction à présent que son mal était purement accidentel et que la question d'hérédité n'y avait joué aucun rôle. Mais cela ne l'emplissait pas moins d'humilité.

– Mon Dieu! murmura-t-il, que nous sommes peu de chose! Moi qui me croyais si solide, qui étais si fier de ma saine raison! Voilà qu'un peu de chagrin et un peu de fatigue ont failli me rendre fou!

Il se tut, réfléchit encore. Ses yeux s'éclairaient, il achevait de se vaincre. Puis, dans un moment de sagesse et de courage, il se décida.

– Si je vais mieux, c'est pour toi surtout que ça me fait plaisir.

Clotilde, ne comprenant pas, leva la tête.

– Comment ça?

– Mais sans doute, à cause de ton mariage… Maintenant, on va pouvoir fixer une date.

Elle restait surprise.

– Ah! c'est vrai, mon mariage!

– Veux-tu que nous choisissions, dès aujourd'hui, la seconde semaine de juin?

– Oui, la seconde semaine de juin, ce sera très bien.

Ils ne parlèrent plus, elle avait ramené les yeux sur le travail de couture qu'elle faisait, tandis que lui, les regards au loin, restait immobile, le visage grave.

VII

Ce jour-là, en arrivant à la Souleiade, la vieille madame Rougon aperçut Martine dans le potager, en train de planter des poireaux; et, profitant de la circonstance, elle se dirigea vers la servante, pour causer et tirer d'elle des renseignements, avant d'entrer dans la maison.

Le temps passait, elle était désolée de ce qu'elle appelait la désertion de Clotilde. Elle sentait bien que jamais plus elle n'aurait les dossiers par elle. Cette petite se perdait, se rapprochait de Pascal, depuis qu'elle l'avait soigné; et elle se pervertissait, à ce point, qu'elle ne l'avait pas revue à l'église. Aussi en revenait-elle à son idée première, l'éloigner, puis conquérir son fils, quand il serait seul, affaibli par la solitude. Puisqu'elle n'avait pu la décider à suivre son frère, elle se passionnait pour le mariage, elle aurait voulu la jeter dès le lendemain au cou du docteur Ramond, mécontente des continuelles lenteurs. Et elle accourait, cette après-midi-là, avec le besoin fiévreux de hâter les choses.

– Bonjour, Martine… Comment va-t-on ici?

La servante, agenouillée, les mains pleines de terre, leva sa face pâle, qu'elle protégeait contre le soleil, à l'aide d'un mouchoir noué sur sa coiffe.

– Mais comme toujours, madame, doucement.

Et elles causèrent. Félicité la traitait en confidente, en fille dévouée, aujourd'hui de la famille, à laquelle on pouvait tout dire. Elle commença par la questionner, voulut savoir si le docteur Ramond n'était pas venu le matin. Il était venu, mais on n'avait pour sûr parlé que de choses indifférentes. Alors, elle se désespéra, car elle-même avait vu le docteur, la veille, et il s'était confié à elle, chagrin de n'avoir pas de réponse définitive, pressé maintenant d'obtenir au moins la parole de Clotilde. Ça ne pouvait durer ainsi, il fallait forcer la jeune fille à s'engager.

– Il est trop délicat, s'écria-t-elle. Je le lui avais dit, je savais bien que, ce matin encore, il n'oserait pas la mettre au pied du mur… Mais je vais m'en mêler. Nous verrons si je n'oblige pas cette petite à prendre un parti.

Puis, se calmant:

– Voilà mon fils debout, il n'a pas besoin d'elle.

Martine qui s'était remise à planter ses poireaux, la taille cassée en deux, se redressa vivement.

– Ah! ça, pour sûr!

Et, sur son visage usé par trente ans de domesticité, une flamme se rallumait. C'était qu'une plaie saignait en elle, depuis que son maître ne la tolérait presque plus à son côté. Pendant toute sa maladie, il l'avait écartée, acceptant de moins en moins ses services, finissant par lui fermer la porte de sa chambre. Elle avait la sourde conscience de ce qui se passait, une instinctive jalousie la torturait, dans son adoration pour ce maître dont elle était restée la chose durant de si longues années.

– Pour sûr que nous n'avons pas besoin de mademoiselle!.. Je suffis bien à monsieur.

Alors, elle si discrète, parla de ses travaux de jardinage, dit qu'elle trouvait le temps de faire les légumes, afin d'éviter quelques journées d'homme. Sans doute, la maison était grande; mais, quand la besogne ne vous faisait pas peur, on arrivait à en voir le bout. Puis, dès que mademoiselle les aurait quittés, ce serait tout de même une personne de moins à servir. Et ses yeux luisaient inconsciemment, à l'idée de la grande solitude, de la paix heureuse où l'on vivrait, après ce départ.

Elle baissa la voix.

– Ça me fera de la peine, parce que monsieur en aura certainement beaucoup. Jamais je n'aurais cru que je souhaiterais une pareille séparation… Seulement, madame, je pense comme vous qu'il le faut, car j'ai grand'peur que mademoiselle ne finisse par se gâter ici et que ce ne soit encore une âme perdue pour le bon Dieu… Ah! c'est triste, j'en ai le coeur si gros souvent, qu'il éclate!

– Ils sont là-haut tous les deux, n'est-ce pas? dit Félicité. Je monte les voir, et je me charge de les obliger à en finir.

Une heure plus tard, lorsqu'elle descendit, elle retrouva Martine qui se traînait encore à genoux, dans la terre molle, achevant ses plantations. En haut, dès les premiers mots, comme elle racontait qu'elle avait causé avec le docteur Ramond et qu'il se montrait impatient de connaître son sort, elle venait de voir Pascal l'approuver: il était grave, il hochait la tête, comme pour dire que cette impatience lui semblait naturelle. Clotilde elle-même, cessant de sourire, avait paru l'écouter avec déférence. Mais elle témoignait quelque surprise. Pourquoi la pressait-on? Maître avait fixé le mariage à la seconde semaine de juin, elle avait donc deux grands mois devant elle. Très prochainement, elle en parlerait avec Ramond. C'était si sérieux, le mariage, qu'on pouvait bien la laisser réfléchir et ne s'engager qu'à la dernière minute. D'ailleurs, elle disait ces choses de son air sage, en personne résolue à prendre un parti. Et Félicité avait du se contenter de l'évident désir où ils étaient tous les deux que les choses eussent le dénouement le plus raisonnable.

– En vérité, je crois que c'est fait, conclut-elle. Lui, ne paraît y mettre aucun obstacle, et elle, n'a l'air que de vouloir agir sans hâte, en fille qui entend s'interroger à fond, avant de s'engager pour la vie… Je vais encore lui laisser huit jours de réflexion.

Martine, assise sur ses talons, regardait la terre fixement, la face envahie d'ombre.

– Oui, oui, murmura-t-elle à voix basse, mademoiselle réfléchit beaucoup depuis quelque temps… Je la trouve dans tous les coins. On lui parle, elle ne vous répond pas. C'est comme les gens qui couvent une maladie et qui ont les yeux à l'envers… Il se passe des choses, elle n'est plus la même, plus la même…

Et elle reprit le plantoir, elle enfonça un poireau, dans son entêtement au travail; tandis que la vieille madame Rougon, un peu tranquillisée, s'en allait, certaine du mariage, disait-elle.

Pascal, en effet, semblait accepter le mariage de Clotilde ainsi qu'une chose résolue, inévitable. Il n'en avait plus reparlé avec elle; les rares allusions qu'ils y faisaient entre eux, dans leurs conversations de toutes les heures, les laissaient calmes; et c'était simplement comme si les deux mois qu'ils avaient encore à vivre ensemble, devaient être sans fin, une éternité dont ils n'auraient pas vu le bout. Elle, surtout, le regardait en souriant, renvoyait à plus tard les ennuis, les partis à prendre, d'un joli geste vague, qui s'en remettait à la vie bienfaisante. Lui, guéri, retrouvant ses forces chaque jour, ne s'attristait qu'au moment de rentrer dans la solitude de sa chambre, le soir, quand elle était couchée. Il avait froid, un frisson le prenait, à songer qu'une époque allait venir où il serait toujours seul. Était-ce donc la vieillesse commençante qui le faisait grelotter ainsi? Cela, au loin, lui apparaissait comme une contrée de ténèbres, dans laquelle il sentait déjà toutes ses énergies se dissoudre. Et, alors, le regret de la femme, le regret de l'enfant l'emplissait de révolte, lui tordait le coeur d'une intolérable angoisse.

Ah! que n'avait-il vécu! Certaines nuits, il arrivait à maudire la science, qu'il accusait de lui avoir pris le meilleur de sa virilité. Il s'était laissé dévorer par le travail, qui lui avait mangé le cerveau, mangé le coeur, mangé les muscles. De toute cette passion solitaire, il n'était né que des livres, du papier noirci que le vent emporterait sans doute, dont les feuilles froides lui glaçaient les mains, lorsqu'il les ouvrait. Et pas de vivante poitrine de femme à serrer contre la sienne, pas de tièdes cheveux d'enfant à baiser! Il avait vécu seul dans sa couche glacée de savant égoïste, il y mourrait seul. Vraiment, allait-il donc mourir ainsi? ne goûterait-il pas au bonheur des simples portefaix, des charretiers dont les fouets claquaient sous ses fenêtres? Il s'enfiévrait à l'idée qu'il devait se hâter, car bientôt il ne serait plus temps. Toute sa jeunesse inemployée, tous ses désirs refoulés et amassés lui remontaient alors dans les veines, en un flot tumultueux. C'étaient des serments d'aimer encore, de revivre pour épuiser les passions qu'il n'avait point bues, de goûter à toutes, avant d'être un vieillard. Il frapperait aux portes, il arrêterait les passants, il battrait les champs et la ville. Puis, le lendemain, quand il s'était lavé à grande eau et qu'il quittait sa chambre, toute cette fièvre se calmait, les tableaux brûlants s'effaçaient, il retombait à sa timidité naturelle. Puis, la nuit suivante, la peur de la solitude le rejetait à la même insomnie, son sang se rallumait, et c'étaient les mêmes désespoirs, les mêmes rébellions, les mêmes besoins de ne pas mourir sans avoir connu la femme.

Pendant ces nuits ardentes, les yeux grands ouverts dans l'obscurité, il recommençait toujours le même rêve. Une fille des routes passait, une fille de vingt ans, admirablement belle; et elle entrait s'agenouiller devant lui, d'un air d'adoration soumise, et il l'épousait. C'était une de ces pèlerines d'amour, comme on en trouve dans les anciennes histoires, qui avait suivi une étoile pour venir rendre la santé et la force à un vieux roi très puissant, couvert de gloire. Lui était le vieux roi, et elle l'adorait, elle faisait ce miracle, avec ses vingt ans, de lui donner de sa jeunesse. Il sortait triomphant de ses bras, il avait retrouvé la foi, le courage en la vie. Dans une Bible du quinzième siècle qu'il possédait, ornée de naïves gravures sur bois, une image surtout l'intéressait, le vieux roi David rentrant dans sa chambre, la main posée sur l'épaule nue d'Abisaïg, la jeune Sunamite. Et il lisait le texte, sur la page voisine: «Le roi David, étant vieux, ne pouvait se réchauffer, quoiqu'on le couvrit beaucoup. Ses serviteurs lui dirent donc: «Nous chercherons une jeune fille vierge pour le roi notre seigneur, afin qu'elle se tienne en présence du roi, qu'elle puisse l'amuser, et que, dormant près de lui, elle réchauffe le roi notre seigneur.» Ils cherchèrent donc dans toutes les terres d'Israël une fille qui fût jeune et belle; ils trouvèrent Abisaïg, Sunamite, et l'amenèrent au roi; c'était une jeune fille, d'une grande beauté; elle dormait auprès du roi, et elle le servait…» Ce frisson du vieux roi, n'était-ce pas celui qui le glaçait maintenant, dès qu'il se couchait seul, sous le plafond morne de sa chambre? Et la fille des routes, la pèlerine d'amour que son rêve lui amenait, n'était-elle pas l'Abisaïg dévotieuse et docile, la sujette passionnée se donnant toute à son maître, pour son unique bien? Il la voyait toujours là, en esclave heureuse de s'anéantir en lui, attentive à son moindre désir, d'une beauté si éclatante, qu'elle suffisait à sa continuelle joie, d'une douceur telle, qu'il se sentait près d'elle comme baigné d'une huile parfumée. Puis, à feuilleter parfois l'antique Bible, d'autres gravures défilaient, son imagination s'égarait au milieu de ce monde évanoui des patriarches et des rois. Quelle foi en la longévité de l'homme, en sa force créatrice, en sa toute-puissance sur la femme, ces extraordinaires histoires d'hommes de cent ans fécondant encore leurs épouses, recevant leurs servantes dans leur lit, accueillant les jeunes veuves et les vierges qui passent! C'était Abraham centenaire, père d'Ismaël et d'Isaac, époux de sa soeur Sara, maître obéi de sa servante Agar. C'était la délicieuse idylle de Ruth et de Booz, la jeune veuve arrivant au pays de Bethléem, pendant la moisson des orges, venant se coucher, par une nuit tiède, aux pieds du maître, qui comprend le droit qu'elle réclame, et l'épouse, comme son parent par alliance, selon la loi. C'était toute cette poussée libre d'un peuple fort et vivace, dont l'oeuvre devait conquérir le monde, ces hommes à la virilité jamais éteinte, ces femmes toujours fécondes, cette continuité entêtée et pullulante de la race, au travers des crimes, des adultères, des incestes, des amours hors d'âge et hors de raison. Et son rêve, à lui, devant les vieilles gravures naïves, finissait par prendre une réalité. Abisaïg entrait dans sa triste chambre qu'elle éclairait et qu'elle embaumait, ouvrait ses bras nus, ses flancs nus, toute sa nudité divine, pour lui faire le don de sa royale jeunesse.

 

Ah! la jeunesse, il en avait une faim dévorante! Au déclin de sa vie, ce désir passionné de jeunesse était la révolte contre l'âge menaçant, une envie désespérée de revenir en arrière, de recommencer. Et, dans ce besoin de recommencer, il n'y avait pas seulement, pour lui, le regret des premiers bonheurs, l'inestimable prix des heures mortes, auxquelles le souvenir prête son charme; il y avait aussi la volonté bien arrêtée de jouir, cette fois, de sa santé et de sa force, de ne rien perdre de la joie d'aimer. Ah! la jeunesse, comme il y aurait mordu à pleines dents, comme il l'aurait revécue avec l'appétit vorace de toute la manger et de toute la boire, avant de vieillir. Une émotion l'angoissait, lorsqu'il se revoyait à vingt ans, la taille mince, d'une vigueur bien portante de jeune chêne, les dents éclatantes, les cheveux drus et noirs. Avec quelle fougue il les aurait fêtés, ces dons dédaignés autrefois, si un prodige les lui avait rendus! Et la jeunesse chez la femme, une jeune fille qui passait, le troublait, le jetait à un attendrissement profond. C'était même souvent en dehors de la personne, l'image seule de la jeunesse, l'odeur pure et l'éclat qui sortait d'elle, des yeux clairs, des lèvres saines, des joues fraîches, un cou délicat surtout, satiné et rond, ombré de cheveux follets sur la nuque; et la jeunesse lui apparaissait toujours fine et grande, divinement élancée en sa nudité tranquille. Ses regards suivaient l'apparition, son coeur se noyait d'un désir infini. Il n'y avait que la jeunesse de bonne et de désirable, elle était la fleur du monde, la seule beauté, la seule joie, le seul vrai bien, avec la santé, que la nature pouvait donner à l'être. Ah! recommencer, être jeune encore, avoir à soi, dans une étreinte, toute la femme jeune!

Pascal et Clotilde, maintenant, depuis que les belles journées d'avril fleurissaient les arbres fruitiers, avaient repris leurs promenades du matin, dans la Souleiade. Il faisait ses premières sorties de convalescent, elle le conduisait sur l'aire déjà brûlante, l'emmenait par les allées de la pinède, le ramenait au bord de la terrasse, que coupaient seules les barres d'ombre des deux cyprès centenaires. Le soleil y blanchissait les vieilles dalles, l'immense horizon se déroulait sous le ciel éclatant.

Et, un matin que Clotilde avait couru, elle rentra très animée, toute vibrante de rires, si gaiement étourdie, qu'elle monta dans la salle, sans avoir ôté son chapeau de jardin, ni la dentelle légère qu'elle avait nouée à son cou.

– Ah! dit-elle, j'ai chaud!.. Et suis-je sotte de ne m'être pas débarrassée en bas! Je vais redescendre ça tout à l'heure.

Elle avait, en entrant, jeté la dentelle sur un fauteuil. Mais ses mains s'impatientaient, à vouloir défaire les brides du grand chapeau de paille.

– Allons, bon! voilà que j'ai serré le noeud. Je ne m'en sortirai pas, il faut que tu viennes à mon secours.

Pascal, excité lui aussi par la bonne promenade, s'égayait, en la voyant si belle et si heureuse. Il s'approcha, dut se mettre tout contre elle.

– Attends, lève le menton… Oh! tu remues toujours, comment veux-tu que je m'y reconnaisse?

Elle riait plus haut, il voyait le rire qui lui gonflait la gorge d'une onde sonore. Ses doigts s'emmêlaient sous le menton, à cette partie délicieuse du cou, dont il touchait involontairement le tiède satin. Elle avait une robe très échancrée, il la respirait toute par cette ouverture, d'où montait le bouquet vivant de la femme, l'odeur pure de sa jeunesse, chauffée au grand soleil. Tout d'un coup, il eut un éblouissement, il crut défaillir.

– Non, non! je ne puis pas, si tu ne restes pas tranquille!

Un flot de sang lui battait les tempes, ses doigts s'égaraient, tandis qu'elle se renversait davantage, offrant la tentation de sa virginité, sans le savoir. C'était l'apparition de royale jeunesse, les yeux clairs, les lèvres saines, les joues fraîches, le cou délicat surtout, satiné et rond, ombré de cheveux follets vers la nuque. Et il la sentait si fine, si élancée, la gorge menue, dans son divin épanouissement!

– Là, c'est fait! cria-t-elle.

Sans savoir comment, il avait dénoué les brides. Les murs tournaient, il la vit encore, nu-tête maintenant, avec son visage d'astre, qui secouait en riant les boucles de ses cheveux dorés. Alors, il eut peur de la reprendre dans ses bras, de la baiser follement, à toutes les places où elle montrait un peu de sa nudité. Et il se sauva, en emportant le chapeau qu'il avait gardé à la main, bégayant:

– Je vais l'accrocher dans le vestibule… Attends-moi, il faut que je parle à Martine.

En bas, il se réfugia au fond du salon abandonné, il s'enferma à double tour, tremblant qu'elle ne s'inquiétât et qu'elle ne descendit l'y chercher. Il était éperdu et hagard, comme s'il venait de commettre un crime. Il parla tout haut, il frémit à ce premier cri, jailli de ses lèvres: «Je l'ai toujours aimée, désirée éperdument!» Oui, depuis qu'elle était femme, il l'adorait. Et il voyait clair, brusquement, il voyait la femme qu'elle était devenue, lorsque; du galopin sans sexe, s'était dégagée cette créature de charme et d'amour, avec ses jambes longues et fuselées, son torse élancé et fort, à la poitrine ronde, au cou rond, aux bras ronds et souples. Sa nuque, ses épaules étaient un lait pur, une soie blanche, polie, d'une infinie douceur. Et c'était monstrueux, mais c'était bien vrai, il avait faim de tout cela, une faim dévorante de cette jeunesse, de cette fleur de chair si pure, et qui sentait bon.

Alors, Pascal, tombé sur une chaise boiteuse, la face entre ses deux mains jointes, comme pour ne plus voir la lumière du jour, éclata en gros sanglots. Mon Dieu! qu'allait-il devenir? Une fillette que son frère lui avait confiée, qu'il avait élevée en bon père, et qui était, aujourd'hui, cette tentatrice de vingt-cinq ans, la femme dans sa toute-puissance souveraine! Il se sentait plus désarmé, plus débile qu'un enfant.

Et, au-dessus du désir physique, il l'aimait encore d'une immense tendresse, épris de sa personne morale et intellectuelle, de sa droiture de sentiment, de son joli esprit, si brave, si net. Il n'y avait pas jusqu'à leur désaccord, cette inquiétude du mystère dont elle était tourmentée, qui n'achevât de la lui rendre précieuse, comme un être différent de lui, où il retrouvait un peu de l'infini des choses. Elle lui plaisait dans ses rébellions, quand elle lui tenait tête. Elle était la compagne et l'élève, il la voyait telle qu'il l'avait faite, avec son grand coeur, sa franchise passionnée, sa raison victorieuse. Et elle restait toujours nécessaire et présente, il ne s'imaginait pas qu'il pourrait respirer un air où elle ne serait plus, il avait le besoin de son haleine, du vol de ses jupes autour de lui, de sa pensée et de son affection dont il se sentait enveloppé, de ses regards, de son sourire, de toute sa vie quotidienne de femme qu'elle lui avait donnée, qu'elle n'aurait pas la cruauté de lui reprendre. A l'idée qu'elle allait partir, c'était, sur sa tête, comme un écroulement du ciel, la fin de tout, les ténèbres dernières. Elle seule existait au monde, elle était la seule haute et bonne, la seule intelligente et sage, la seule belle, d'une beauté de miracle. Pourquoi donc, puisqu'il l'adorait et qu'il était son maître, ne montait-il pas la reprendre dans ses bras et la baiser comme une idole? Ils étaient bien libres tous les deux, elle n'ignorait rien, elle avait l'âge d'être femme. Ce serait le bonheur.

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