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Mariages d'aventure

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Et il oubliait de prendre la plume, bien que son tour fût venu et que le notaire l’eût appelé trois fois.

Puis on partit pour la mairie du bourg, distante de quelques centaines de pas à peine. Hector avait offert son bras à la vieille demoiselle Aubanel, il l’entraînait, vite, trop vite; il avait hâte de retrouver la jeune fille blonde.

Il ne put la rejoindre que dans la salle de la mairie. Elle s’appuyait sur le bras du vieux cousin, insoucieuse, ignorante de son admirable beauté. Il parlait, et elle souriait en l’écoutant. Une innocente malice pétillait dans ses grands yeux bleus. A quelque plaisanterie plus amusante que les autres, elle éclatait de rire; alors ses lèvres roses découvraient ses dents, fines et brillantes comme des perles.

– On n’est pas plus belle, murmurait Hector en regagnant la maison de son ami.

Il s’enferma dans sa chambre, et lorsque Ferdinand, comme la veille, voulut entrer, il refusa énergiquement d’ouvrir, jurant qu’il dormait, et qu’il ne se lèverait pas même pour éteindre le feu s’il prenait à la maison.

Mais une douce vision le tint longtemps éveillé.

– Si mademoiselle Aurélie pouvait lui ressembler!

Le lendemain, c’était le grand jour. Longtemps encore le mariage à la mairie ne sera qu’une formalité ennuyeuse, un acte par devant un gros monsieur qu’on connaît souvent trop, et auquel l’écharpe tricolore ne prête aucune majesté.

A onze heures, – on se marie en plein soleil, en Touraine, – une douzaine de grandes voitures découvertes vinrent prendre les invités. Il faisait le plus beau temps du monde, le ciel se mettait de la fête. Jamais on ne vit noce plus gaie, plus souriante. C’était comme une de ces belles matinées qui promettent un jour radieux.

Il y avait des fleurs partout; les cochers avaient de gros bouquets à leur poitrine, avec des flots de rubans blancs; les chevaux étaient plus enguirlandés qu’un mouton de procession de la Saint-Jean. Le long des sentiers s’arrêtaient des groupes de paysans et de paysannes. Les hommes agitaient leurs chapeaux, les femmes poussaient de joyeux vivats.

Les voitures roulaient doucement sur le sable des allées, au milieu de ces beaux paysages de la Loire qui inspirent le désir de se faire laboureur, par des routes charmantes qui réduisent les promeneurs à envier le sort du facteur rural qui les parcourt tous les jours.

Après la cérémonie, sous le porche, Hector retrouva la jeune fille de la veille. Son ami passait, il l’appela.

– Quelle est, je t’en prie, lui demanda-t-il, cette délicieuse personne?

– Une de nos voisines, fit l’autre négligemment.

Et, allongeant le bras dans la direction de l’horizon:

– Tiens, sa mère habite ce petit château, que tu vois là-bas à mi-côte, comme un point blanc au milieu des arbres.

Elle était demoiselle d’honneur de la mariée, et l’usage faisait Hector son cavalier servant.

Tout le reste du jour, rieuse, babilleuse comme les libres oiseaux qui gazouillaient dans les ormes du parc, elle se suspendit à son bras. Ils allaient, tous deux, suivant les groupes amis dans les grandes allées du jardin et le long des charmilles.

Il fallut qu’il lui contât l’histoire de son amitié avec Ferdinand, et comment il s’était décidé à venir. Ses questions avaient cette superbe assurance d’une candeur qui ignore tout. Une ou deux fois, Hector fut si surpris, qu’il le laissa voir. Alors elle arrêtait sur lui ses grands yeux tremblants. Mais bientôt elle reprenait sa sérénité insouciante. Et lui bénissait le thème facile de causerie qu’elle lui donnait, car vraiment il n’eût su que lui dire. Près d’elle il était à court, même de ces frivoles niaiseries, de ces platitudes élégantes, qui sont la fausse monnaie d’une conversation spirituelle qu’échangent des inconnus.

Parfois, tout en écoutant, elle se baissait pour saisir au vol une fleur, qu’elle effeuillait machinalement. Elle s’appuyait alors plus fortement sur le bras d’Hector pour ne pas tomber, et il admirait l’élégante souplesse de sa taille; ou bien, c’était une branche qui s’embarrassait dans les plis de sa robe de crêpe blanc, et qu’elle arrachait en riant. Elle se piquait les doigts et vivement les portait à sa bouche, et les mordillait du bout de ses petites dents blanches.

Surpris, ravi, Hector s’abandonnait doucement à cette irrésistible séduction de l’innocence. Tant de grâces pudiques et naïves le tenaient si bien sous le charme, qu’il n’essayait même pas d’analyser les sensations nouvelles qui l’enivraient.

Placé près d’elle, à table, il maudissait ceux qui lui adressaient la parole et le forçaient à répondre, mais il l’observait curieusement et souriait lorsque, timidement, elle trempait sa lèvre au vin précieux qu’on versait dans les verres de mousseline.

A six heures précises, – il faisait encore grand jour, – des violons grincèrent. Le bal commençait sous la charmille, plus tard il devait continuer dans le salon.

Aux premiers accords elle s’était levée, Hector l’avait suivie.

Toute la nuit il dansa, comme un collégien en vacances, s’essuyant le front après chaque quadrille, tendant la main à tous les plateaux.

Valses, polkas, masurkes, il ne reculait devant rien. On eût pu le prendre pour un de ces pauvres surnuméraires qui ont leur nomination dans leurs escarpins. Mademoiselle Aubanel ne put s’empêcher de lui faire compliment. Il ne l’entendit pas. Un reste de prudence murmurait à son oreille:

– Tu peux au plus l’inviter une fois sur cinq.

Et il invitait toutes les femmes, jeunes, laides, vieilles, jolies, et pour toutes, il avait des attentions charmantes, des phrases spirituellement flatteuses.

De sa vie il n’avait été aussi satisfait. Il se souciait bien du monde vraiment, en ce moment; il jouissait pour lui; même il espérait probablement que le bal durerait toujours, jusqu’au jugement dernier, puisqu’il avait fait des invitations pour la trente-septième contredanse.

Mais voici que, tout à coup, sur les trois heures du matin, on n’aperçut plus la mariée. La mariée avait disparu. – Qu’est devenue la mariée?

Ce fut le signal de la retraite, qui bientôt se changea en déroute, malgré les efforts du vieux cousin, qui essayait d’organiser un cotillon et menaçait du garde champêtre les danseuses qui s’enfuyaient. Il invoquait à grands cris l’assistance d’Hector.

Hector venait d’offrir son bras à la charmante blonde et la reconduisait avec sa mère jusqu’à leur voiture. Le vestibule était encombré; on cherchait les châles et les manteaux.

Elle faisait une petite moue mutine.

– Comme nous partons de bonne heure, maman, disait-elle.

– Et vite, vite, ma fille, disait la mère, couvre bien ton cou, et tes épaules, et tes bras; l’air est froid au dehors, les fluxions de poitrine courent les chemins, guettant les imprudentes, et vite, vite, ce châle, et cette sortie de bal, et cette écharpe, et ce bon gros manteau, et encore ce foulard sur ta tête.

Et la jeune fille grelottait et riait. Embarrassée dans les étoffes, comme une momie dans ses bandelettes, elle pouvait à peine marcher. Hector la soutint ou plutôt la porta jusqu’à la voiture; il aida ensuite la mère à étendre sur elle une grande couverture de voyage; toutes deux le remerciaient.

Le cocher fouetta les chevaux.

Hector resta seul sur le perron, surpris, triste, comme le rêveur qui voit s’envoler un rêve heureux, comme l’enfant qui regarde à terre les débris de son jouet favori.

Il avait remarqué que la voiture avait des lanternes plus brillantes que les autres: tant qu’il le put, il suivit leurs lueurs à travers les sinuosités de la route; elles se montraient ou disparaissaient suivant les pentes, comme des feux follets dans la campagne.

Il les perdit de vue, mais il espéra les revoir encore des fenêtres du salon. Il remonta très vite, et, le front contre la vitre, il les chercha longtemps à travers les arbres, dans l’ombre.

Le salon était vide. Au loin, on entendait le roulement des dernières voitures qui se perdaient dans la nuit. Les domestiques, fatigués, allaient et venaient d’un pas traînant. Ils éteignaient les lampes et soufflaient les bougies.

Hector se résignait à regagner sa chambre, lorsque Ferdinand, l’air effaré, traversa le salon comme un ouragan.

Il l’arrêta par le bras, malgré lui, presque de force.

– Comment s’appelle-t-elle? demanda-t-il.

– Elle, qui? ma femme? Herminie.

– Eh! il s’agit bien de ta femme!

Mais Ferdinand avait réussi à se dégager, il était déjà loin.

IV

Elle s’appelait Louise d’Ambleçay et venait d’avoir dix-sept ans.

Sa mère, madame la baronne d’Ambleçay, était restée veuve après peu d’années d’un mariage heureux. Jeune encore, riche, décidée à ne jamais se remarier, elle n’eut pas le courage de se séparer de sa fille unique, et voulut elle-même se charger de son éducation.

Elle eut pour aides, dans cette tâche si difficile, un vieil abbé fort savant, très spirituel, plus original encore, et une institutrice anglaise. Par miracle, cette Anglaise était excellente musicienne; par un miracle plus grand, elle n’était nullement romanesque. Le prêtre et l’institutrice font encore aujourd’hui partie de la famille; sans aucun doute, ils finiront leurs jours au château d’Ambleçay, à discuter, sans pouvoir se mettre d’accord, leur système d’éducation. Car ils ont chacun un système. Il est vrai qu’ils n’en ont pas fait l’essai sur leur élève.

Ainsi, Louise eut le rare bonheur d’éviter les pensions et les couvents, dont l’air est si souvent fatal aux jeunes filles. Une brebis malsaine a plus tôt fait qu’un loup de mettre à mal tout un troupeau, et la plus sévère vigilance souvent ne peut pas écarter de telles brebis. Enfin les demoiselles rapportent de la meilleure des maisons d’éducation nombre de préjugés et de sottes idées, dont plus tard, dans le monde, elles ont mille peines à se défaire.

 

A cette éducation, sous les yeux de sa mère, Louise devait cette ignorance adorable, cette grâce instinctive, cette naïveté sereine, ses plus grands charmes, bien avant sa rare beauté.

Madame d’Ambleçay vivait fort retirée. Abîmée dans sa douleur, à la mort de son mari, elle s’était réfugiée dans son château, se refusant à voir personne. Plus tard, lorsque le temps eut séché ses larmes et ramené un sourire sur ses lèvres, elle ne voulut plus changer son genre de vie. Elle pensait que les plaisirs du monde ne valent pas ceux d’une calme retraite.

Elle recevait cependant quelques-uns de ses parents de Tours, qui tous les ans, à tour de rôle, venaient passer une quinzaine au château. Elle avait aussi les visites de quatre ou cinq voisins de campagne, autrefois amis de son mari, bons gentilshommes qui, malgré leur noblesse, avaient le bon esprit de ne pas être ou de ne pas paraître mécontents, et qui, par extraordinaire, ne parlaient jamais politique, au moins devant des femmes.

Plusieurs fois déjà, dans le pays, on s’était étonné que madame d’Ambleçay ne parût pas songer à «l’établissement» de sa fille. Quelques indiscrètes même, – de ces mamans qui conduisent leurs demoiselles à tous les bals de la préfecture et de la recette générale, avec l’idée fixe d’y trouver un bon parti, – l’avaient, à cet égard, interrogée à brûle-pourpoint.

Madame d’Ambleçay répondait ordinairement que rien ne pressait.

Là-dessus, les bonnes âmes avaient charitablement répandu le bruit que la baronne sacrifiait Louise à son égoïsme maternel, qu’elle la séquestrait impitoyablement, bien décidée à lui faire, bon gré mal gré, coiffer sainte Catherine.

Hector sut très vite tous ces détails et beaucoup d’autres encore, par la femme de son ami. Madame Aubanel était précisément la meilleure, ou plutôt la seule amie de Louise. Aussi devint-elle la confidente du jeune homme, sans qu’il s’en doutât. Il recherchait les occasions de se trouver seul avec elle, et, toutes les fois qu’il le pouvait, il s’emparait de son bras. Il faisait assaut d’empressements avec Ferdinand, qu’il trouvait fort ridicule avec sa galanterie de jeune marié.

Il faut dire que, tout en parlant toujours et sans cesse de mademoiselle d’Ambleçay, Hector essayait et croyait prendre l’air le plus détaché et le plus désintéressé du monde. Mais il réussissait mal. Sans sa préoccupation, il eût surpris de malins sourires sur les lèvres de la jeune femme. Elle croyait voir clair dans le cœur de l’ami de Ferdinand.

Hélas! il n’y voyait rien lui-même, au moins dans les premiers jours. S’il dissimulait, c’était de très bonne foi. Il était le premier à prendre le change.

S’il restait à la Fresnaie, lui qui s’était si bien promis de partir dès le lendemain du mariage de son ami, c’est qu’il ne pouvait faire autrement. Il se le prouvait.

Les prétextes ne lui manquaient pas, ni les excellentes raisons. Il n’y a pas, en Touraine, de bonne fête sans lendemain, de noce sans «retour.» C’est à qui, des parents et des amis, recevra les nouveaux mariés. Les broches tournent quinze jours durant, les violons font rage toutes les nuits; les bals, les dîners, les parties de campagne se succèdent sans interruption. Pour que cette folie de plaisirs se calme, il faut que toute la parenté soit sur les dents.

Hector pouvait-il refuser les invitations qui pleuvaient dru comme grêle? Non certes. C’eût été faire injure à son ami.

Et partout il retrouvait mademoiselle d’Ambleçay, dont la mère, pour ce fait du mariage d’une amie de sa fille, avait renoncé à ses habitudes d’isolement.

Moins prévenu, Hector aurait à coup sûr remarqué le singulier changement qui s’opérait dans le caractère de la jeune fille. Elle, si rieuse, si expansive le premier jour, elle devenait de plus en plus réservée. A l’encontre de ce qui arrive d’ordinaire, il l’intimidait davantage à mesure qu’elle le connaissait mieux.

Il ne fit pas cette remarque, lui qui se flattait de connaître les femmes, parce que le séducteur le plus habile perd ses moyens dès l’instant où il aime sérieusement, de même que le meilleur acteur deviendrait exécrable s’il ressentait vraiment la passion qu’il s’efforce de rendre.

Cependant les jours se passaient, et chaque soir Hector faisait sa malle pour la défaire le lendemain. Il se maudissait d’être si faible; il se trouvait inconvenant et même un peu ridicule, de demeurer là, en tiers dans une lune de miel, de jouer le rôle de trouble-fête, d’épouvantail à amoureux. Parfois il était pris de remords.

– Le pauvre Ferdinand, pensait-il, doit être excédé de moi. Il y a longtemps qu’à sa place j’aurais très poliment jeté à la porte mon bon ami Hector.

Mais Ferdinand n’avait pas si mauvais caractère. La présence de son ami l’enchantait. Il disait les plus jolies choses sur l’amour et l’amitié, et ne se reprochait rien, sinon l’excès de son bonheur, qui commençait à l’inquiéter sérieusement. Il aurait vécu cent ans ainsi, sans se douter des perplexités de son ami. Il fut averti par sa femme.

C’était un matin, les jeunes mariés déjeunaient en tête-à-tête. Dès l’aube, Hector avait gagné les champs sous le prétexte très plausible de tirer quelques perdrix, en réalité pour aller rôder un peu du côté du château de madame d’Ambleçay. Ferdinand bénissait ce phénix des amis, qui, en dépit de ses affaires, – car il devait avoir des affaires, – leur consacrait ainsi plusieurs semaines.

– Es-tu bien sûr, mon ami, demanda madame Aubanel, que sa seule amitié pour toi, pour nous, retienne M. Malestrat à la Fresnaie?

– Parbleu! répondit Ferdinand, la bouche pleine, quelle autre raison…

– Qui sait? quelque gentille raison, toute jeune, bien blonde…

– Bah!..

– Mademoiselle d’Ambleçay, par exemple?

– Comment, ton amie, tu crois? quelle idée! Mais au fait, pourquoi non? on la dit fort bien, cette demoiselle.

– On la dit… comme si tu ne la connaissais pas.

– Je la connais; mais vous savez bien, madame, que depuis deux ans je n’ai pas regardé d’autre femme que vous.

– Et j’espère bien que ce sera toujours ainsi.

– Je le jure, dit gravement Ferdinand. Mais revenons à ta découverte. Hector amoureux, c’est invraisemblable! Comment ne m’a-t-il rien dit? ce serait le comble de la dissimulation, un crime de lèse-amitié; j’en aurai raison, et certainement je le confesserai.

La confession était toute faite.

Les indécisions d’Hector avaient cessé, après trois semaines des plus cruelles et des plus comiques perplexités qui aient jamais troublé le cœur et l’esprit d’un amoureux.

La première fois, la nuit du bal, après une journée délicieuse, Hector n’avait pas eu le loisir de la réflexion. Il n’était pas une de ses pensées qui ne fût à cette adorable jeune fille, à mademoiselle d’Ambleçay. Il subissait le charme.

Le lendemain seulement, le souvenir de mademoiselle Blandureau, de cette inconnue qu’il devait épouser, vint méchamment troubler son bonheur. Il chassa vite cette idée importune, se disant qu’il aurait bien assez de toute sa vie pour penser à celle qui allait être sa femme, et il ne songea plus qu’à Louise.

Mais il revint à la charge, ce souvenir, plus vif, plus pressant. Au milieu des rêves d’Hector, mademoiselle Aurélie Blandureau se dressait devant lui, froide et sévère comme le remords. Elle disait:

– Que fais-tu, fiancé coupable, que fais-tu, tandis que je t’attends? Tu oublies, je le vois, cette lettre qu’il y a deux mois à peine tu écrivais à mon père. C’est une horrible trahison.

– Daignez m’excuser, ombre irritée, murmurait Hector. Vous devez bien comprendre qu’il n’y a rien de sérieux dans tout ceci; je vais partir et j’oublierai celle que vous croyez, bien à tort, votre rivale.

– Je suis ta femme, ou c’est tout comme, reprenait l’ombre de mademoiselle Aurélie; désormais toutes tes pensées m’appartiennent. Tu n’as plus le droit d’ouvrir ton cœur à une autre femme. Ton père a-t-il, oui ou non, donné sa parole? Tu as, toi, reconnu la dette. Est-ce ainsi que tu prétends remplir des engagements deux fois sacrés? Que dira M. Blandureau, mon trop crédule père?

– Hélas, oui! murmura Hector, que dira M. Blandureau?

Et il baissait la tête comme un coupable. Il ne pouvait s’empêcher d’avouer que l’ombre de la fiancée inconnue avait raison, et il cherchait à la désarmer par de belles promesses.

Enfin, le jour arriva où, après un examen de conscience, il dut s’avouer qu’il était sérieusement épris de mademoiselle d’Ambleçay, mais là, sérieusement, pour tout de bon. Il était amoureux comme jamais il ne l’avait été, comme il ne croyait pas qu’on pût l’être.

Ce fut le comble. L’ombre d’Aurélie devint inexorable. Elle le pressait, le tourmentait, le harcelait, le torturait nuit et jour. Il n’avait plus un instant de répit.

Pris comme dans un inextricable labyrinthe, entre le passé et le présent, il ne voyait pas d’issue à l’avenir. Il se creusait l’esprit à chercher un expédient pour concilier ce qu’il appelait son devoir et ses désirs les plus chers. Mais comme tous les hommes d’imagination, il n’arrivait qu’à des combinaisons romanesques et impossibles.

Il était bien disposé à ne pas épouser mademoiselle Blandureau, mais il ne voulait pas reprendre sa parole. L’idée d’une banqueroute au jour de l’échéance lui faisait horreur. C’était le seul moyen pourtant. Il le repoussa, ce moyen, le reprit, l’écarta, le discuta longtemps, et finalement dut se résoudre à l’admettre.

– Mon père, se disait-il, a pris des engagements; il n’en avait pas le droit. J’ai eu le tort de ratifier moi-même ces engagements. Mais qu’ai-je promis en définitive? d’aimer mademoiselle Blandureau. Or, l’amour n’est si beau que parce qu’il est involontaire, et j’en aime une autre. Si je tenais ma parole, je serais un malhonnête homme, car j’assurerais mon malheur et celui d’Aurélie. Donc, je dois m’abstenir. Il y a force majeure; ce n’est plus une banqueroute, c’est une faillite simple.

J’ai droit à un concordat.

Résolu à ne pas laisser échapper le bonheur qui passait à portée de sa main, il poursuivit son idée de rupture dans tous ses développements.

Quel tort faisait-il à mademoiselle Aurélie? Aucun certainement. Elle ne l’avait jamais vu, et ainsi elle ne pouvait l’aimer; donc, aucune souffrance. Étant très riche, elle n’aurait qu’à choisir entre tous les partis qui se présenteraient; donc, aucun préjudice.

Tout le difficile pour Hector n’était plus que de redemander sa parole à M. Blandureau. Cette terrible perspective le tint en suspens deux jours encore. Mais il usa ce remords comme les autres. Il décida qu’il écrirait lorsque tout serait terminé, c’est-à-dire lorsqu’il aurait demandé la main de mademoiselle d’Ambleçay.

Dès lors il bannit tout souci, donna congé au souvenir fâcheux de mademoiselle Aurélie, et, tout entier à son amour, il attendit une occasion favorable pour se déclarer bravement.

Bravement est peut-être de trop. L’audacieux Hector était devenu fort timide. Il aurait sans doute attendu longtemps encore, lorsque madame Aubanel précipita les événements. Pour la centième, la millième fois, il venait d’amener – maladroitement – la conversation sur mademoiselle d’Ambleçay.

– Ma présence ici la contrarie donc? demanda-t-il; c’était votre meilleure amie, madame, et depuis votre mariage elle n’est pas venue vous rendre visite une seule fois.

– Ah! vous avez remarqué cela? C’est grave, dit madame Aubanel.

Ferdinand se mit à rire. Hector rougit, balbutia, s’embrouilla, mais n’en continua pas moins. Deux minutes plus tard, il en était à cette question qui lui brûlait les lèvres:

– Elle ne songe donc pas à se marier?

– Eh! le sais-je? répondit la jeune femme en souriant. Il fallait le lui demander, vous qui avez dansé si souvent avec elle.

– J’y ai bien pensé, dit naïvement Hector, mais je n’ai pas osé.

– Il fallait oser.

– Quoi! vous croyez… je pourrais espérer… elle vous aurait parlé…

– Comme vous y allez! Je ne crois rien, je ne sais rien, on ne m’a rien dit.

– Ah! madame, vous êtes cruelle, reprit Hector avec découragement; moi qui déjà songeais…

– A la demander en mariage? Essayez… Seulement vous rencontrerez, je le crains, certaines difficultés…

– Je ne suis pas noble, c’est vrai.

– Oh! ce ne serait pas une raison.

– Qu’est-ce, alors? Oh! madame, dites-le moi, je vous en prie…

– C’est un secret.

C’en était trop pour Ferdinand, qui depuis cinq minutes faisait, pour s’empêcher de rire, des efforts surhumains. En voyant la figure piteuse de son ami, sur ces mots: «C’est un secret,» il éclata. Il ne riait pas, il se tenait les côtes, il se tordait. A peine le fou rire lui laissait-il le moyen d’articuler quelques lambeaux de phrases.

 

– Parle, mon ami, disait-il, continue, cher Hector, tu me ravis… Ah! si tu pouvais te voir! tu es trop drôle… Non, de ta vie tu n’as été si amusant…

Le rire de son mari avait gagné madame Aubanel. Hector se leva furieux.

– Eh bien, oui! s’écria-t-il, j’aime mademoiselle Louise; qu’y a-t-il de si risible à cela?

Et comme on ne lui répondait pas:

– Oui, je l’aime, continua-t-il, et mon plus ardent désir est de l’épouser. Et au fait, j’en aurai le cœur net. Je vais aller demander sa main, aujourd’hui même, sur-le-champ. Je me rends de ce pas chez madame d’Ambleçay…

– Et tu lui diras? demanda Ferdinand.

– Je lui dirai: «Madame, j’aime votre fille, je crois que je ne lui suis pas indifférent…»

– Tu n’es qu’un fat.

– Je répète ce que ta femme m’a dit…

– Oh! par exemple, quelle horreur! fi! monsieur, interrompit madame Aubanel…

Hector lança à la jeune femme un regard furibond.

– Je puis, reprit-il, m’être cruellement trompé sur le sens de certaines de vos paroles; alors je ne dirai pas cela. Non, je dirai… je dirai… je… Eh! par ma foi! je ne sais pas ce que je dirai; mais je parlerai, je m’expliquerai. Dans tous les cas je sortirai de cette affreuse incertitude qui me tue. Je ne puis supporter l’incertitude, c’est pour moi comme une rage de dents. Et quand une dent m’empêche de dormir, je n’hésite pas… je la fais arracher.

Et il sortit, laissant ses amis dans un nouvel accès de gaîté.

– Parbleu! s’écria Ferdinand, d’un ton suffisant, le pauvre garçon a perdu la cervelle; je n’étais certes pas plus fou la veille de mes noces.

– Eh bien! monsieur? dit gaîment madame Aubanel en menaçant son mari du doigt…

– Je serai fou très longtemps encore, rassure-toi. Mais sérieusement, je voudrais bien que ce mariage d’Hector réussît, nous fonderions ici une colonie d’amis. A-t-il des chances, au moins?..

– J’ai de bonnes raisons pour croire que Louise ne dira pas non.

– C’est déjà quelque chose.

– Malheureusement, je suis au moins aussi sûre d’une vive résistance de la part de madame d’Ambleçay.

– Bast! quand on se sent aimé on est bien fort; je jure pour ma part que si tes parents s’étaient opposés à notre mariage…

– Chut!.. le voici.

Hector reparut, plus grave qu’un député le jour du vote de l’Adresse, tout de noir vêtu comme un notaire où un maître d’hôtel. Il achevait de mettre ses gants paille.

– Je pars pour le château d’Ambleçay, dit-il d’un ton résolu.

Ses amis essayèrent quelques représentations des plus justes, mais tous leurs efforts échouèrent contre son obstination.

– Je veux être fixé, répondit-il; je me sens en veine de courage, j’en profite, le sort en est jeté. La voiture doit être attelée, adieu; souhaitez-moi bonne chance.

Lorsque Hector fut parti, madame Aubanel conjura son mari de courir après cet imprudent, qui par une démarche inconsidérée allait certainement tout compromettre.

– Je ne me dérangerai certes pas, répondit Ferdinand; crois-tu donc, chère amie, qu’il ira chez la baronne? que nenni. Le château est à près d’une heure d’ici, il aura le temps de la réflexion, et nous allons le voir revenir tout penaud.