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Mariages d'aventure

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Cette dernière raison parut concluante à Lorilleux, il s’avoua convaincu. Mais la conversation continua sur le chapitre. Qui M. de Saint-Roch mariait-il, où, comment? Quels étaient ses procédés? Autant de questions que nul des amis ne pouvait résoudre.

– Eh bien! messieurs, dit enfin l’un d’eux, je dois vous avouer une faiblesse, dix fois j’ai été sur le point d’écrire à M. de Saint-Roch.

– Et pourquoi? grands dieux! demanda le docteur.

– Par curiosité.

– Ma foi, dit Pascal, j’ai eu la même idée; cet homme m’intrigue.

– Alors, objecta Lorilleux, il faut non écrire, mais y aller toi-même.

– Au fait, ce serait plus intéressant et plus instructif.

– Puisque c’est ainsi, reprit Pascal en riant, je satisferai d’un coup votre curiosité et la mienne, j’irai trouver l’homme mystérieux.

– C’est vraiment un beau projet, fit le médecin en haussant les épaules, je te reconnais bien là.

– Y verrais-tu quelque inconvénient?

– Oh! aucun en vérité, si cela peut vous amuser. Je trouve seulement qu’il est inconvenant d’aller chez un homme avec l’intention de se moquer de lui. Cet enfantillage n’est plus guère de notre âge.

On imposa silence à ce trouble-fête.

– C’est convenu, dirent les amis, Pascal va à la découverte; s’il est satisfait, nous donnons tous, d’emblée, notre clientèle à M. de Saint-Roch.

V

Le fondateur de la profession matrimoniale occupe tout le premier étage d’une magnifique maison située à l’angle de deux des plus belles rues du quartier de la Chaussée-d’Antin.

Son appartement n’a pas moins de seize fenêtres de façade, et les riches rideaux qu’on aperçoit du dehors donnent aux passants une haute idée de l’intérieur.

Le choix seul de cette maison est un coup de maître. Sa situation lui donne deux entrées sur des rues différentes. Deux escaliers conduisent chez le négociateur, et encore, en cherchant bien, on trouverait au moins un escalier de service et un couloir obscur qui aboutit à une troisième rue.

Dans ses annonces, M. de Saint-Roch fait sonner bien haut ces trois issues, gages d’incognito pour les pratiques. Il n’est pas fier, et ne tient pas à ce que ses visiteurs se fassent annoncer à son de trompe. Enfin, comme pour préparer des excuses, des prétextes, aux hommes aussi bien qu’aux femmes, une modiste en renom occupe le troisième étage, tandis qu’au deuxième demeure un banquier dont on entend tinter les écus dans l’escalier. Trois fois heureux présage!

Cette maison mystérieuse a sans doute un portier, deux portiers plutôt, puisqu’il y a deux portes, mais personne jamais ne les a vus. Il y a deux loges, mais jamais au carreau de l’une ni de l’autre ne se montre une tête maussade; jamais une voix insolente ne crie aux visiteurs: «Où allez-vous?» Cette question pourrait être embarrassante.

Des écriteaux à lettres dorées sur un fond de laque noire, remplacent avantageusement les portiers absents. Ils prennent pour ainsi dire l’étranger par la main, le suivent tout le long de l’escalier, et le conduisent où il désire aller: chez le banquier, chez la modiste, où chez l’homme aux mariages.

Dans cette bienheureuse maison, d’un côté ou de l’autre, on entre comme chez soi. C’est ainsi qu’y entra Pascal. Guidé par les mains à l’index tendu dessinées sur le mur, il gravit l’escalier. Sur le palier du premier étage donnent trois portes; sur toutes trois, en lettres brillantes, on lit le nom illustre de l’ambassadeur matrimonial.

Pascal sonna au hasard à l’une de ces entrées. Le timbre vibrait encore que la porte s’ouvrait, et il se trouvait face à face avec un superbe domestique, plus doré sur tranche qu’un suisse de cathédrale.

– M. de Saint-Roch? demanda Pascal.

– Si monsieur veut bien prendre la peine de me suivre, répondit respectueusement le magnifique valet, je vais conduire monsieur.

Et écartant une portière de damas, il précéda le jeune homme dans un couloir éclairé par des verres dépolis. Un épais tapis assourdissait le bruit des pas.

Tout en marchant, Pascal riait; il songeait aux réclames du négociateur qui dépeignent sa maison sous un aspect fantastique: portes mystérieuses, escaliers dérobés, corridors sombres, rien n’y manque; peut-être cependant les valets devraient-ils être sourds et muets.

Enfin, le domestique introduisit le visiteur dans un petit salon tendu de reps lilas tendre, d’une nuance audacieuse.

– Si monsieur veut prendre la peine de s’asseoir, dit-il, je vais prévenir monsieur.

Et en même temps il frappait trois coups sur un timbre placé au milieu de la table.

– Me faudra-t-il attendre longtemps?

– Monsieur est prévenu que monsieur l’attend dans le salon lilas, répondit en s’inclinant le domestique. Monsieur ne tardera pas à venir retrouver monsieur.

Il s’inclina de nouveau et se retira sans bruit, refermant discrètement la porte.

– Diable! pensa Pascal, il paraît qu’il y a des salons de toutes les couleurs, ici; examinons toujours celui-ci.

Ce salon lilas est, à vrai dire, une petite merveille de luxe malentendu et de richesse de mauvais goût. Une revendeuse à la toilette y aurait des éblouissements. Tout est doré, depuis le bras des fauteuils jusqu’à la rosace du plafond. La tapisserie des meubles est brodée à la main; il n’en est pas un qui ressemble à l’autre. Le tapis à personnages est le chef-d’œuvre du grotesque: il doit représenter la toilette de madame de Pompadour, ou autre chose, l’auteur du carton peut seul savoir quoi.

Le reste est à l’avenant. Mais ce qui donne au salon lilas une physionomie particulière, c’est le nombre des tableaux de tout genre accrochés aux lambris, et la profusion incroyable de menus objets disposés sur la cheminée, sur les tables, sur quatre ou cinq étagères.

Bronzes, plâtres, marbres, porcelaines, bois sculptés, il y a de tout. Un magasin de bric-à-brac peut seul donner une idée de cet encombrement d’objets d’art. Et quels objets d’art! Des choses inouïes, prodigieuses, des statuettes à faire frémir, des peintures à donner le frisson. Un bon tableau, trois médiocres, quelques bronzes de chez Barbedienne, trouveraient grâce; mais tout le reste!..

Pascal, horripilé, allait d’un objet à l’autre. Sous chaque bibelot il y avait une étiquette et une devise; on lisait: A notre bon ami. – A l’auteur de mon bonheur. – Souvenir d’une heureuse mère. – Gage de reconnaissance, etc., etc…

Évidemment tous ces objets d’art étaient des dons, mais de qui? Le sujet de la pendule était un Amour joufflu soufflant de tous ses poumons sur un brasier. Au-dessous du Cupidon, on avait gravé au burin: «Ainsi sera toujours notre flamme!..»

Le nouveau client de M. de Saint-Roch se perdait en conjectures.

Il était là, ébahi, devant cet Amour et cette flamme, lorsqu’une porte s’ouvrit doucement et l’ambassadeur matrimonial lui-même parut sur le seuil.

C’est un petit homme grassouillet, dodu et frais à faire plaisir. Les lis et les roses que les parfumeurs vendent en petits pots s’épanouissent sur sa joue scrupuleusement rasée. Sa bouche en cœur, qui sourit comme un bouquet à Chloris, découvre un écrin de perles fines et blanches, dernier mot de l’art du dentiste. Son œil a la tendre gaîté d’un madrigal.

Coquet, soigné, musqué, il exhale les plus pénétrantes senteurs. Fait-il un mouvement, un geste, on dirait un sachet qu’on agite. Il a les grâces juvéniles d’un berger de Watteau, et des précieusetés de poses à ravir le cœur. Vestris l’eût aimé pour sa façon de cambrer la jambe, c’est le dieu Menuet en personne.

Son gilet à transparents est un souvenir du premier empire. C’est lui qui usera le dernier des habits bleu-barbeau, à boutons d’or ciselé, à basques longues et effilées. Il a renoncé à la culotte courte, mais des boucles de brillants ornent les fins escarpins de castor qui emprisonnent ses gros pieds. Des manchettes de malines cachent à demi ses mains potelées et poilues.

Il a la passion des bijoux. Toute sa personne resplendit et scintille comme le ciel d’une nuit de décembre. Des bagues s’enfilent à tous ses doigts. Ouvre-t-il son habit, on croit voir s’ouvrir la boutique d’un orfèvre. Epingles, boutons, étincelles, constellent sa cravate, sa chemise et son jabot. Des chaînes d’or tombent en triples cascades le long des plis de son gilet. Il n’a jamais moins de trois montres sur lui; leurs breloques formeraient un musée. Il ne porte pas de boucles d’oreilles, mais sa perruque blonde et frisée est un poème.

Tel il apparut radieux sur le seuil du salon, et Pascal fut ébloui.

L’ambassadeur matrimonial ne sembla pas trop fier de l’effet qu’il produisait. Sa vanité sur ce point doit être blasée. Mais comme la surprise du nouveau client ressemblait fort à une timidité exagérée, il entreprit de le rassurer. Aussi, est-ce d’une voix enchanteresse qu’il modula ces simples paroles:

– Vous étiez, je le vois, monsieur, en contemplation devant mes pauvres ex-voto.

– Ex-voto! répéta Pascal comme un écho.

– Si je me sers de cette expression, continua l’illustre négociateur, c’est que je dois à la reconnaissance tous les objets que vous voyez ici. C’est en pensant à moi que des mains amies ont brodé ces fauteuils; ces bronzes, ces tableaux, sont pour moi les gages d’un impérissable souvenir.

Pascal s’inclina. Les paroles lui manquaient pour peindre sa stupéfaction.

– Aussi, continua l’ambassadeur matrimonial d’une voix attendrie, j’aime à m’entourer de ces dons pieux. Ils sont mon trésor le plus cher, la plus précieuse récompense de mes labeurs. Mais tout n’est pas ici, je vous prie de le croire. J’ai sept autres salons encore, aussi encombrés que celui-ci.

– Monsieur, dit Pascal, vous avez, je le vois, marié bien du monde.

– Le tiers de la France, à peu près, répondit M. de Saint-Roch d’un air modeste. Beaucoup ne s’en doutent guère, beaucoup m’ont oublié.

 

– Est-ce possible?

– Cela est ainsi, du moins. Ah! monsieur, et l’attendrissement semblait gagner l’ambassadeur, j’ai fait bien des ingrats! On a calomnié mes intentions si pures, on m’a intenté des procès. Mais j’ai des arrêts et jugements en ma faveur, par mes soins ils ont été imprimés, avec les plaidoiries des dix avocats. J’ai des consultations qui confirment la moralité et la légalité de mes actes! j’ai encore… Mais tous ces présents que vous voyez ici ne sont-ils pas la plus éloquente des plaidoiries, le panégyrique le plus glorieux…

– Monsieur, essaya Pascal, je n’ai jamais eu l’idée de contester…

– Heureusement, continua M. de Saint-Roch, il n’est pas que des ingrats en ce monde. Tenez, ce petit groupe que vous voyez là m’a été ce matin envoyé par un jeune ménage que j’ai marié l’an passé. Je dois ce tableau à deux jeunes époux dont j’ai négocié l’union il y a quatre ans. Ah! ceux-là me donnent bien de la satisfaction; ils en sont à leur cinquième enfant, c’est une fille, et ils m’ont choisi pour parrain. Que de couples ont gardé ma mémoire au fond de leur cœur! ils m’écrivent, ils m’informent de tout ce qui leur arrive d’heureux… Survient-il une petite brouille dans le ménage, ils me prennent pour arbitre, et j’ai bientôt rétabli la paix.

– Voilà des faits qui honorent un homme.

– Et une profession, monsieur. Ah! si les heures n’étaient pas si courtes, je voudrais, après avoir allumé le flambeau de l’hyménée, entretenir sa flamme toujours pure et brillante. Que faudrait-il pour cela? Une maison d’assurance contre les querelles de ménage. Les époux soumettraient leurs petits griefs à un jury composé de personnes des deux sexes. Le jugement rendu, d’habiles négociateurs feraient entendre raison à celui des époux qui serait dans son tort. Mais, pardon, j’abuse de vos instants, monsieur; veuillez donc prendre la peine de passer dans mon cabinet.

Et l’homme surprenant s’effaça devant Pascal, pour lui livrer passage, avec la grâce flexible d’un professeur de maintien.

Le cabinet de M. de Saint-Roch ressemble à tous les laboratoires d’affaires possibles. A la malpropreté, à la poussière près, un avoué s’y croirait chez lui. Mais les valets du négociateur font la chasse aux araignées, et essuient soigneusement le cuir doré des nombreux cartons qui tapissent la pièce.

L’ambassadeur matrimonial daigna, de sa main, avancer un fauteuil à son jeune client, et lui-même prit place devant un vaste bureau chargé de papiers et de dossiers ornés de ficelles roses.

– Monsieur, dit alors Pascal, je suis venu vous trouver parce que je désire me marier.

– Bien, monsieur, bien, très bien! répondit M. de Saint-Roch, voilà une bonne pensée. Le mariage, monsieur, est la véritable fin de l’homme. Je puis vous en parler, moi qui seul ai le droit de me dire son rénovateur. Dieu et moi avons dit à l’homme: Prends une compagne. Et si moi-même je ne suis pas père de famille, c’est que j’exerce un sacerdoce trois fois saint. Je suis voué au célibat, comme le confesseur. Je porte en moi trop de secrets pour ne pas redouter et fuir la présence d’une femme aimée.

– Aussi ai-je toute confiance.

– Loyauté et discrétion, monsieur, voilà ma devise. Ah! vous avez mille fois raison de vous adresser à moi. Comment se font, s’il vous plaît, les mariages dans le monde? Je ne parle pas des exceptions. Ils se font par hasard, par un ami, un parent, une simple connaissance. Les vieilles femmes ordinairement ont la rage de marier les gens. Oh! les vieilles femmes! Mais quelles garanties avez-vous, quel contrôle? Vous épousez de confiance, les yeux fermés. Si vous êtes délicat, on exploite votre délicatesse; on vous promettait des monts d’or, on ne vous donne rien. Mais vous êtes engagé, une fausse honte vous retient, vous êtes furieux, mais vous n’osez dire: Non.

Pascal fit un geste de dénégation.

– Oh! reprit M. de Saint-Roch, je sais qu’il y a des exceptions. Mais enfin, chez moi, jamais de surprise, jamais de déception. Ce qui honore mes actes, monsieur, ce qui les distingue, c’est que vous pouvez toujours faire vérifier par votre notaire les pièces et documents que je fournis; et cela, sans être engagé. Voilà d’où découle ma réputation hors ligne…

– C’est fort bien, monsieur, interrompit Pascal, mais ne serait-il pas temps d’en revenir à mon affaire?

– Nous y voici; mais je tenais, mon cher client, à vous donner ces explications nécessaires.

Et sur ce, l’interrogatoire de Pascal commença. Nom, profession, famille, demeure, fortune, caractère, détails intimes, le négociateur en mariages n’oublia rien. Il prenait des notes, à mesure que le jeune homme répondait. Lorsqu’il fut à bout de questions:

– Maintenant, mon cher client, dit-il, vous pouvez dormir tranquille, nous trouverons chaussure à votre pied, et cela, avant longtemps.

– Comment, répondit Pascal surpris, avant longtemps; mais je croyais que ce serait de suite…

– Oh! fit l’ambassadeur qui parut extrêmement choqué, comme vous y allez! Ah! bouillante jeunesse, continua-t-il d’un ton badin, vous croyez qu’un mariage se fait ainsi…

– Pardon, je supposais…

– Que j’avais là, dans un carton, une épouse à vous présenter? Mais parlons sérieusement. Nous sommes aujourd’hui jeudi, revenez mercredi prochain, je me serai occupé de vous.

M. de Saint-Roch se leva sur ces mots, l’audience était finie. A ce moment, quatre coups frappés sur un timbre retentirent.

– Ah! fit l’ambassadeur, quelqu’un m’attend dans le salon rose.

– Alors, dit Pascal, à mercredi.

Et il se dirigea vers la porte. M. de Saint-Roch le retint.

– Pas par là, pas par là, dit-il. Peste! vous pourriez rencontrer quelqu’un. On ne doit rencontrer personne chez moi, la maison est disposée en conséquence. J’y recevrais vingt personnes à la fois, que chacun se croirait seul. Par ici, venez.

Et, ouvrant une porte dissimulée par des cartons, il remit Pascal aux mains d’un domestique, qui le conduisit, par un couloir assez obscur, jusqu’à la rue.

Le soir même, Pascal racontait, sans omettre le plus léger détail, sa visite au négociateur. Jamais récit n’eut plus grand succès. Mais ce n’était là qu’un premier acte, et chacun engagea le jeune ingénieur à pousser l’aventure. Lorilleux lui-même, que les exhortations matrimoniales de l’ambassadeur avaient beaucoup réjoui, fut de cet avis.

Pascal fut donc fidèle au rendez-vous. Cette fois on le fit attendre dans un salon vert-pomme, à la couleur près exactement semblable au premier. Il n’eut pas le temps de s’impatienter. M. de Saint-Roch parut presque aussitôt.

Mais combien cette seconde réception fut différente de la première! Pascal fut accueilli comme un fils attendu avec impatience, l’ambassadeur ne savait quelle fête lui faire.

– Eh bien! lui dit-il, j’ai pensé à vous. Ah! vous êtes un jeune homme bien honnête, et je vous dois des félicitations: pourquoi tous mes clients ne vous ressemblent-ils pas?

– Comment cela, en quoi?

– Eh! vous êtes trop modeste, mon cher enfant, vous m’avez caché une partie de votre fortune. Que me disiez-vous donc, que votre père possède dix mille livres de rentes et une étude qui vaut quarante mille francs? Son étude vaut trente mille écus, et il a bien près de vingt mille livres de rente. Sa seule ferme de Kerpris rapporte douze mille francs par an. Il a près de Guingamp des bois magnifiques, et de superbes prés le long du Trieux.

Jamais homme ne fut plus stupéfait que Pascal en écoutant ces détails. Comment! un étranger connaissait mieux ses affaires que lui-même? D’où diable M. de Saint-Roch tenait-il ces détails?

– Ce n’est pas tout, continua le fondateur de la profession matrimoniale, vous annonciez une fortune personnelle de trois cent mille francs; vous avez beaucoup mieux que cela. Le docteur Lorilleux dit partout que vous avez le double, mais votre associé, M. Lantier, calcule sur quatre cent cinquante mille francs.

– Morbleu! monsieur, dit Pascal, d’où savez-vous tout cela?

– Eh! eh! fit M. de Saint-Roch en riant, on est allé aux renseignements.

– Monsieur!

– N’allez-vous pas vous fâcher? Ah çà, croyez-vous donc que je marie les gens sans savoir ce que je fais? Ce serait de belle besogne, vraiment! Sachez que je n’ignore aucun détail de l’existence de mes clients. Je sais toutes les particularités de votre vie mieux que votre meilleur ami, le docteur Lorilleux. Ainsi, je pourrais vous dire ce que vous lui avez caché: par exemple, pourquoi vous avez donné votre démission il y a six ans.

– Oh! pour cela!..

– Eh! cher client, vous vous êtes retiré parce que vous deviez être nommé en province, et qu’à aucun prix, à ce moment, vous ne vouliez quitter Paris, à aucun prix! Certaine affaire de cœur…

Pascal devint cramoisi. Il eut presque peur. – «Ah çà, pensait-il, c’est un sorcier, cet homme, ou un employé de la préfecture de police.» Il regrettait fort sa démarche, et était bien près de se fâcher.

– Je sais que tout est fini depuis longtemps, ajouta M. de Saint-Roch. D’ailleurs, soyez sans inquiétude; ma maison, je vous l’ai dit, est un confessionnal. Effrayé de l’immense responsabilité qui pèse sur moi, jamais, par discrétion, je n’ai formé aucun élève. J’emporterai mes secrets au tombeau; cabinet, titres, notes, correspondances, tout mourra avec moi, et alors, la profession matrimoniale retombera dans l’enfance et la déconsidération.

Il prononça ces dernières paroles d’une voix émue, sa figure fardée exprimait une douleur profonde. Pascal ne savait s’il devait rire ou se mettre en colère. Était-ce un charlatan ou un homme convaincu? « – Quel comédien!» pensa le jeune homme. Peu à peu cependant le sourire habituel revint sur les lèvres de l’homme singulier.

– Maintenant, parlons de vous, dit-il. Vous êtes jeune, joli garçon, spirituel, riche, vous êtes très facile à marier, l’affaire sera vite faite. Répondez-moi comme à votre confesseur: Vous mariez-vous par spéculation, voulez-vous beaucoup d’argent?

– L’argent est une belle chose, je ne le méprise pas, mais je veux aimer la femme que j’épouserai.

– Eh bien! vous êtes dans le vrai. Parfois, je suis forcé de me prêter à des spéculations, mais cela me fâche toujours. Ainsi, nous disons une fortune qui réponde à la vôtre, une femme que vous puissiez aimer.

– Vous l’avez dit.

M. de Saint-Roch se leva, et, prenant un énorme registre, l’ouvrit sur son bureau.

– J’ai là, dit-il en frappant sur le registre, là, les plus riches fortunes de France et des divers pays, toujours avec titres à l’appui.

Pascal s’avança pour jeter un coup d’œil sur ce répertoire de toutes les héritières de l’Europe.

– Oh! vous pouvez regarder, dit l’ambassadeur, vous n’y comprendrez rien. Tous mes registres sont écrits en caractères hiéroglyphiques, et seul j’en ai la clef.

Tout en parlant, il feuilletait son registre:

– Quinze cent mille francs, c’est trop. Cent mille francs, pas assez. Là, il faut être noble, baron au moins; ici, on veut un militaire; il y a des parents singuliers! Ah! voici, peut-être: un million comptant, une veuve, cinquante-trois ans…

– Bien obligé.

– Cherchons encore. Ici, on désire que le mari continue à gérer une fabrique. Cette demoiselle exige que l’homme qu’elle prendra ne fume pas; des exigences et pas de dot! Cette autre n’épousera qu’un blond, et vous êtes brun; belle fortune pourtant. Ah! une de mes meilleures clientes, elle s’est remariée trois fois, toujours par mes soins: vingt-neuf ans, cinq enfants…

– Passons…

– Voici peut-être votre affaire: deux cent mille francs, dix-huit ans, excellente éducation, parents honorables…

– Cela pourrait aller.

– D’autant que je vous donne le chiffre du comptant. Il y a de belles espérances, très belles, superbes. La mère est âgée, sa santé est déplorable, vous comprenez… et toute la fortune est de son côté. Quant à la jeune fille, elle est très jolie, ma foi! grande, bien faite, blonde. S’il faut tout dire, je lui crois un caractère inégal, les domestiques ne restent jamais plus de deux mois dans cette maison-là.

– Diable!

– Oui, quand on se marie, c’est pour plus longtemps. Les parents exigeront que leur gendre demeure avec eux…

– Alors, merci. Puis, je dois vous l’avouer, je n’aime pas les blondes.

– Fort bien! Et M. de Saint-Roch continua sa revue. Ah! pour le coup, s’écria-t-il, nous y voici. La demoiselle est charmante, oui, charmante, et brune. Elle a vingt ans, et n’est jamais allée en pension. Excellente éducation cependant, la mère est un peu rigoriste. La jeune personne a le meilleur caractère, elle est aimable, vive, enjouée, un peu enfant peut-être; mais elle n’est pas coquette et sait tenir une maison. Le père est un ancien fabricant de Roubaix, retiré depuis trois ans, un brave et excellent homme, nullement taquin. Grande fortune, ma foi! en immeubles, s’il vous plaît, bien près d’un million. Ils donneront cent mille écus.

 

– Arrêtons-nous, dit Pascal, il me semble difficile de trouver mieux.

– N’est-ce pas? Certainement la demoiselle vous plaira. Par exemple, je ne puis vous garantir, à cinquante mille francs près, le chiffre de la dot. Le père est un peu serré.

– Peu importe, je vous ai dit mes prétentions. Je ne suis pas exigeant. Et maintenant, quel est le nom de cette jeune fille, quand la verrai-je?

– Patience, vous saurez son nom quand il le faudra; on ne tardera pas à vous présenter. Il ne nous reste plus qu’une formalité à remplir, la plus simple au monde.

M. de Saint-Roch présenta alors un petit papier à son nouveau client, en le priant de vouloir bien le signer.

Pascal s’y engageait à compter à l’ambassadeur matrimonial cinq pour cent sur la dot, le lendemain de son mariage avec mademoiselle…

Le nom était en blanc.

– «Voilà le fond du sac, pensa Pascal. Dois-je signer? Bah! je ne crois pas que cette signature puisse jamais me coûter un centime.» Et, de sa plus belle écriture, il traça son nom au bas du papier.

M. de Saint-Roch prit la plume à son tour. Il mit sa signature à côté de celle de Pascal. Puis, dans le blanc laissé à la place du nom de la jeune fille, il écrivit: Antoinette Gerbeau.

– Antoinette, dit Pascal. Ce nom me plaît assez.

– C’est d’un heureux augure, répondit gracieusement M. de Saint-Roch; vous aurez bientôt de mes nouvelles.

Il mit ensuite son client à la porte avec les mêmes précautions que la première fois.

Les détails de cette seconde entrevue égayèrent encore beaucoup les amis du jeune ingénieur, sauf vers la fin. L’épisode du papier à signer leur parut inconvenant. L’homme d’affaires en cela perçait trop sous l’habit bleu-barbeau du commis-voyageur de l’hymen. Presque tous affirmèrent qu’ils n’auraient certes pas oublié leur signature dans ce mystérieux laboratoire, et ils déclarèrent que M. de Saint-Roch n’aurait pas leur pratique.

Lorilleux profita de ces dispositions pour en revenir à ses moutons et répéter, avec plus d’assurance, que jamais l’ambassadeur matrimonial n’avait marié personne. On partagea son avis, et on l’engagea, puisqu’il était toujours décidé à prendre femme, à s’adresser ailleurs.