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Les esclaves de Paris

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Pareille au mineur qui, sa mine chargée et sa mèche allumée, se retire à l'écart en attendant l'explosion, Mlle Diane de Sauvebourg, en quittant Dauman, s'était hâtée de regagner la maison paternelle.

Les heures, ainsi qu'elle l'avait prévu, se traînèrent mortellement longues et douloureuses.

Si robuste que fût son énergie, si grande que fût sa puissance sur elle-même, elle ne put entièrement dissimuler l'angoisse qui l'étreignait et qui devenait plus poignante à mesure que s'avançait la soirée.

Pendant le souper, qui au château de Sauvebourg avait lieu vers neuf heures, il lui fut presque impossible de parler, et il lui fallut des efforts inouïs pour avaler quelques bouchées.

Elle se disait qu'en ce moment même on soupait pareillement à Champdoce, et son imagination lui représentait avec une vivacité et une netteté effrayantes, le duc vidant le verre où Norbert avait mis le poison.

Par bonheur, ni le marquis ni la marquise de Sauvebourg ne faisaient attention à elle.

Ils avaient reçu, dans la journée, une lettre qui leur annonçait que leur fils, le frère aîné auquel on sacrifiait Mlle Diane, et qui vivait magnifiquement à Paris, était assez sérieusement indisposé. Ils étaient inquiets et soucieux, ils parlaient d'entreprendre le voyage.

Ils ne firent donc aucune objection, quand en sortant de table, Mlle Diane annonça qu'elle avait une migraine affreuse et demanda la permission de se retirer chez elle.

Seule dans sa chambre de jeune fille, sa soubrette congédiée, elle eut un soupir d'ineffable soulagement.

Enfin, elle n'avait plus besoin de se contraindre, de composer sa physionomie, de surveiller ses regards.

Elle était libre d'être inquiète à son aise, et elle l'était horriblement, torturée par l'incertitude de l'événement.

La pensée de se coucher ne pouvait lui venir; à quoi bon? Elle s'enveloppa d'un grand peignoir de mousseline, et, ouvrant une fenêtre, elle s'accouda au balcon sculpté.

Que n'eût-elle pas donné pour posséder, ne fût-ce qu'une seconde, ce merveilleux pouvoir qui permet de voir et de savoir ce qui se passe au loin!

Elle se penchait, le cou tendu, la pupille dilatée, dans la direction de Champdoce, comme si elle eût espéré une révélation d'une lueur dans les ténèbres, ou d'un bruit troublant le silence de la campagne.

Il lui paraissait impossible que Norbert ne cherchât pas et ne trouvât pas un expédient pour lui faire savoir qu'ils avaient réussi… ou échoué.

A deux ou trois reprises, des pas rapides qui sonnaient sur un chemin longeant le parc lui causèrent d'atroces palpitations. Si c'était lui!..

Mais non; c'était quelque gars de Bivron venant de visiter sa bonne amie, et qui rentrait en hâte.

Le jour allait venir, cependant; le ciel, au levant, se nuançait de teintes oranges, la cime des arbres frissonnait à la brise matinale.

Mlle Diane se sentait glacée jusqu'à la moelle des os. Elle referma la fenêtre, et, toute grelottante, se blottit sous ses couvertures, n'osant appeler le sommeil.

Norbert, se disait-elle, aura jugé imprudent de s'éloigner; il est impossible que j'aie de ses nouvelles avant l'heure du déjeuner.

Mais tous les calculs qu'elle faisait ne la rassuraient pas; elle fut sur pied la première et alla se poster à un endroit du jardin d'où on découvrait la route.

Rien ne venait. La cloche sonna le déjeuner, et elle dut aller s'asseoir à table, entre ses parents. C'était le supplice de la veille, mille fois plus douloureux.

Enfin, vers trois heures, n'y pouvant tenir davantage, elle s'échappa et courut chez Dauman.

Il devait, pensait-elle, savoir quelque chose, et, au pis-aller, il trouverait des raisons qui calmeraient son intolérable inquiétude. Elle se trompait.

Le «Président» n'avait guère passé de meilleurs instants qu'elle, et toute la nuit il avait sué entre ses draps, l'agonie de la peur.

Toute la matinée il était resté claquemuré dans son cabinet, tremblant au moindre bruit, et c'est au tantôt seulement qu'il s'était hasardé à sortir, espérant recueillir quelques informations.

Son espoir ne fut pas tout à fait déçu. Le minotier de Bivron, qu'il rencontra, lui apprit que la veille, sur le tard, on était venu chercher le médecin pour M. de Champdoce, lequel était à toute extrémité.

Dauman rentrait avec ce seul renseignement, sensiblement menaçant, quand arriva Mlle de Sauvebourg.

En la reconnaissant, sa joue blême s'empourpra, ses yeux flamboyèrent, et sans souci de la civilité, il lâcha le plus grossier juron de son répertoire.

– C'est vous, fit-il brusquement; que voulez-vous? Il faut que vous soyez folle pour venir ici!.. Vous tenez, paraît-il, à apprendre à tout Bivron que nous sommes les complices de Norbert…

– Grand Dieu!.. qu'y a-t-il?

– Il y a que ce duc de malheur n'est pas mort, et que, s'il se remet, nous sommes flambés! Quand je dis: nous, je veux dire: moi. Vous, on vous tirera toujours de là; vous êtes la fille d'un noble, et les gros ne se mangent pas entre eux. C'est moi qui payerai pour tous!

– Vous disiez que c'était… foudroyant.

– J'ai dit cela, moi!.. c'est faux. Ah! si j'avais su. Mais je nierai tout. Vous m'avez trompé et volé. C'est que je me défendrai, oui! Vous, les nobles et toute la clique, je vous mettrai plus bas que la boue. Je suis un honnête homme, moi!.. Il fallait faire le coup vous-même, vous êtes une gaillarde, vous n'auriez pas perdu la tête, tandis que cet imbécile qui est votre amant aura caponné!..

Être ainsi outragée, et par un tel misérable! Mlle Diane essaya de se révolter.

Mais il lui coupa la parole. La frayeur d'un lâche est impitoyable.

– Ah! je n'ai pas le temps de mettre des gants pour vous parler, reprit-il, quand je sens ma tête branler sur mes épaules. Ainsi, faites-moi un plaisir: décampez et ne remettez plus les pieds ici.

– Soit!.. je vais envoyer quelqu'un à Champdoce.

– Sacré tonnerre! s'écria Dauman, avec un geste menaçant, si vous faisiez cela!.. Pourquoi, pendant que vous y êtes, n'allez-vous pas demander au duc de Champdoce si le poison était de son goût?..

Mais Mlle de Sauvebourg voulait savoir. Tout lui paraissait préférable à l'horreur de l'incertitude. Elle tint ferme; après avoir prié, elle menaça, et à la fin elle obtint de Dauman qu'il irait à la découverte, et que, si le lendemain ils n'apprenaient rien de précis, ils enverraient, le jour suivant, la fille de la mère Rouleau à Champdoce.

Ils convinrent encore, avant de se séparer, de l'endroit où ils se rencontreraient pour échanger leurs informations…

Les promesses, d'ordinaire, ne coûtaient rien au sieur Dauman, et si elles le gênaient ensuite, il s'en affranchissait le plus délibérément du monde.

Cependant, il ne lui vint pas à l'esprit d'essayer même de se soustraire aux conventions arrêtées avec Mlle de Sauvebourg.

Pour dire vrai, l'énergie de cette jeune fille lui imposait extraordinairement, elle lui faisait peur.

Pris entre le risque de se compromettre et les menaces qu'il la croyait fort capable de tenir, il jugea que le moindre danger était encore de lui obéir.

Démarches perdues, imprudences inutiles! Il n'apprit rien de plus que le peu qui lui avait été conté du premier coup par le minotier.

C'est que personne, dans le pays, n'en savait plus long.

Grâce aux précautions de Jean, rien de ce qui se passait à Champdoce ne transpirait au dehors, et il avait usé et abusé de son influence sur tous les gens du château pour les empêcher de rien rapporter de l'état du duc.

Force fut donc à Dauman de recourir à la fille de la mère Rouleau.

Il avait, pour lui ouvrir les portes du château, un prétexte admirable: de l'argent à réclamer à Méchinet, le berger vétérinaire, qui lui devait une soixantaine d'écus.

Il fit donc venir Françoise, laquelle, hélas! n'avait plus de raisons de le craindre, et l'endoctrina assez habilement pour qu'il lui fut possible de prendre les informations essentielles, sans se douter le moindrement du but réel de sa mission.

Même, pour plus de sûreté et aussi parce que l'impatience le dévorait, il l'accompagna jusqu'au bas de la côte de Champdoce, et lui dit qu'il allait s'asseoir et l'attendre.

C'était à cet endroit qu'il devait rencontrer Mlle de Sauvebourg.

Il n'attendit pas longtemps.

Vingt minutes s'étaient à peine écoulées lorsqu'il aperçut en haut de là côte sa commissionnaire qui revenait grand train. Il se leva tout palpitant.

– Eh bien!.. lui cria-t-il d'abord, ce mauvais payeur de Méchinet t'a-t-il remis mon dû?

– Ma fine!.. non, Président, et je n'ai seulement pas pu lui parler.

– Il était absent?

– Je crois bien que non, mais depuis que le maître est malade on tient les portes du château verrouillées et on ne laisse entrer personne. Il paraît qu'il est bien bas, ce pauvre monsieur, bien bas…

– On t'a dit sa maladie, au moins?

– Non, ce que je vous en conte, je le tiens du fils de la Jubon, que j'ai trouvé dans la cour; il m'en aurait débité plus long, mais M. Jean est arrivé…

– Le vieux domestique du duc?

Françoise cligna malicieusement de l'œil.

– Précisément, répondit-elle. M. Jean était comme un furieux. Toi, a-t-il crié à Jubon, va-t-en voir à l'étable si j'y suis! Alors il s'est retourné vers moi. Et toi, la fille, m'a-t-il demandé, que veux-tu? Naturellement je lui ai expliqué que je venais pour Méchinet. Mais il m'a coupé la parole, en me disant: C'est bon, il n'est pas ici; tourne-moi les talons, tu repasseras le mois qui vient…

– Et tu ne t'es pas récriée, petite sotte!

– Oh! que si, j'ai insisté. Mais aussitôt il m'a regardée avec des yeux terribles, en criant:

– Qui est-ce qui t'envoie? petite espionne.

Le «Président» tressaillit.

 

– Ah! fit-il vivement, il a dit cela… Et qu'as-tu répondu?

– Pardi!.. que c'était vous, donc!

– Oui, en effet… c'est juste! Et alors?..

– Alors, M. Jean s'est gratté le menton, et il a dit comme cela: Ah! tu viens de la part du Président!.. J'aurais dû m'en douter… C'est bon, c'est bon, il aura de mes nouvelles!

Maître Dauman, à ce rapport, ressentit une telle commotion qu'il en pensa choir, ses jambes flageollaient.

Cependant, il ne poursuivit pas son interrogatoire; il venait de s'entendre appeler, il se retourna: c'était M. de Puymandour qui montait au château.

Certain qu'il aurait par lui des renseignements précis, il congédia Françoise et guetta le retour du riche propriétaire. Ses prévisions se réalisèrent. Il sut enfin par lui la nature de la maladie de M. de Champdoce.

De ce moment, il fut, ou du moins il se crut fixé, et le terrible poids qu'il avait sur la poitrine diminua un peu.

C'est que le chimiste qui avait fait cadeau à Dauman du «produit de son art» contenu dans le flacon de verre noir, lui en avait expliqué les propriétés, et il ne doutait pas que l'attaque d'apoplexie du duc ne fût un effet de l'intoxication.

Donc Norbert n'avait pas reculé; donc on ne pouvait le poursuivre, lui, sans poursuivre Norbert; donc il était à peu près sauvé.

C'est avec bonheur que, peu de moments plus tard, il donnait à Mlle Diane cette explication.

– M. Norbert lui dit-il, n'aura pas administré une dose assez forte; ce duc de malheur avait un tempérament de cheval; l'épanchement n'aura pas été complet. Mais rassurez-vous: cette substance ne pardonne pas; si le duc vit, il sera idiot, et notre but sera atteint quand même.

Mlle Diane réfléchissait.

– Pourquoi Norbert ne m'écrit-il pas? murmura-t-elle. Pourquoi?..

– Pourquoi? Parce qu'il est prudent, mademoiselle. Savez-vous s'il n'est pas épié? C'est un brave jeune homme qui comprend qu'il est des choses qu'on n'écrit pas. Nous n'avons plus qu'à attendre…

Ils attendirent. Mais la semaine s'écoula sans nouvelles de Norbert.

Les souffrances de Mlle de Sauvebourg étaient atroces durant ces jours, qui lui paraissaient interminables.

Mais si merveilleuse était son organisation, si résistants étaient les ressorts de son énergie, que nul, à Sauvebourg, ne se douta des tortures qui la déchiraient.

Le dimanche cependant arriva.

Levée matin, la marquise de Sauvebourg était allée à la première messe, et elle avait décidé que sa fille irait à la grande, accompagnée de sa femme de chambre.

Cet arrangement devait ravir Mlle Diane. Peut-être verrait-elle Norbert.

Hélas! non. L'office était déjà commencé quand elle arriva, et cependant le banc de la famille de Champdoce était vide.

Lentement, elle gagna sa place, et, s'agenouillant, elle essaya de lire dans son paroissien, et même s'efforça de prier; mais elle ne pouvait: son âme était trop loin de là, et c'est machinalement qu'elle suivait les mouvements des fidèles.

Cependant elle s'aperçut que le curé montait en chaire. C'était à Bivron le moment palpitant de la messe, parce que, avant le sermon, avaient lieu les publications de mariage.

Les hommes, qui jusque-là se tenaient au bas de l'église, ou même dehors, sur la place, ne manquaient pas de s'approcher, et un silence s'établissait si profond, qu'on entendait les dévotes renifler la prise de tabac qui dégage le cerveau.

Il en fut ce dimanche-là comme des autres.

Le curé, après avoir promené son regard sur l'auditoire, comme pour compter ses ouailles, se moucha largement, toussa, et enfin tirant de son bréviaire une feuille de papier, lut:

«Il y a promesse de mariage…»

Toutes les curiosités étaient suspendues à ses lèvres; il fit une pause, et d'une voix forte, reprit:

«Entre monsieur Louis-Norbert de Dompair, marquis de Champdoce, fils mineur et légitime de Guillaume-César de Dompair et de feu Isabelle de Barville, son épouse, domicilié dans cette paroisse… d'une part.

«Et demoiselle Désirée-Anne-Marie Palouzat, fille mineure et légitime de René-Auguste Palouzat, comte de Puymandour, et de défunte Zoé Staplet, son épouse, également de cette paroisse… d'autre part…»

C'était la foudre qui, du haut de cette chaire, frappait Mlle Diane. Son cœur cessa de battre. Elle crut qu'elle allait mourir…

Le prêtre continuait:

«Cette première publication sera la dernière, vu les dispenses que les parties se proposent d'obtenir de Mgr l'archevêque.»

Puis il dépêcha en bredouillant les formules ordinaires:

«Ceux qui connaîtraient quelque empêchement à la célébration de ce futur mariage, sont obligés, sous peine d'excomunication, de nous en donner connaissance, de même qu'il est défendu, sous la même peine, d'en apporter aucun, par malice et sans cause!..»

Des empêchements!.. Quelle épouvantable ironie!.. Mlle de Sauvebourg n'en connaissait que trop des empêchements!..

Une inspiration du désespoir traversa son cerveau. Elle eut l'idée de se lever, et de crier, là, devant tous: Non ce mariage ne peut avoir lieu, Norbert est à moi, il est mon mari devant Dieu, nous sommes unis par un lieu plus fort et plus indissoluble que tous les liens terrestres… par un crime.

Mais au milieu de ce désastre, et lorsqu'elle était comme écrasée sous les ruines de son bonheur et de ses chères espérances, son intraitable orgueil la sauva d'elle-même.

Grâce à un prodigieux effort, elle se redressa, plus blanche que sa collerette, mais souriante. Et apercevant à quelques chaises d'elle, une jeune fille de ses amies, elle eut le courage inouï de lui adresser un petit geste amical, comme pour lui dire:

– Qui se serait jamais attendu à cela?..

Toute son intelligence se concentrait sur ce point: faire bonne contenance, et pour y parvenir elle n'avait pas trop de toute son énergie. La voix des chantres bourdonnait insupportablement à ses oreilles, l'odeur de l'encens lui donnait des nausées. Il lui semblait qu'elle allait s'évanouir, et que cette messe n'en finissait pas.

Enfin, le prêtre se retournant vers les fidèles, entonna l'Ite missa est. Mlle Diane saisit le bras de sa femme de chambre, et sans prononcer une parole l'entraîna. Elle avait soif de solitude, comme ces lutteurs qui, blessés à mort, s'efforçaient de dérober les convulsions de leur agonie.

A Sauvebourg, une émotion nouvelle l'attendait.

Au moment où elle pénétrait sous le vestibule, un domestique vint à elle, dont la figure était toute décomposée.

Ah! mademoiselle, lui dit cet homme, quel malheur! Monsieur et Madame vous attendent dans leur appartement… C'est horrible!

Sans plus s'informer, elle monta lentement. Elle ne doutait pas qu'il ne dût être question de Norbert. Quand on a une préoccupation poignante, on y rapporte toute chose. Sans doute, ses parents avaient appris ses imprudences, peut-être pis!..

Lorsqu'elle entra, son père et sa mère, assis l'un près de l'autre, pleuraient. Elle s'avança, et alors le marquis, l'attirant à lui, la fit asseoir sur ses genoux, et la pressa entre ses bras avec une sorte d'égarement.

– Pauvre fille! balbutia-t-il, pauvre chère fille, mon enfant bien-aimée, nous n'avons plus que toi!..

Le frère de Mlle Diane était mort. Un exprès avait apporté cette affreuse nouvelle pendant qu'elle était à l'église.

Elle était fille unique, à cette heure, seule héritière de plus de soixante mille livres de rentes. Elle devenait un des brillants partis de la province.

Voilà ce qu'elle vit tout d'abord.

Pourtant elle pleura, elle aussi, comme ses parents, mais ses larmes étaient des larmes de rage.

Survenue huit jours plus tôt, cette catastrophe la sauvait, elle assurait son mariage avec Norbert; elle lui épargnait un crime abominable.

Maintenant, ce n'était plus qu'une effroyable raillerie du la destinée, un châtiment.

Pour son frère, elle n'eut pas un regret. Elle ne pouvait détacher sa pensée de Norbert, et elle entendait toujours cette publication fatale.

Pourquoi cette surprenante détermination, ce mariage odieux tout à coup décidé?

Elle devinait un mystère et s'appliquait à le pénétrer.

Qu'était-il arrivé à Champdoce? Le duc, contrairement aux affirmations de Dauman, s'était-il rétabli? Avait-il découvert la tentative de son fils et en abusait-il pour lui imposer sa volonté?

La journée se consuma en conjectures, et à chercher par quel moyen, quel qu'il fût, elle parviendrait à rompre cette union. Car elle ne renonçait pas à lutter, elle ne désespérait pas encore. Sa fortune nouvelle pouvait faire pencher la balance de son côté.

Elle avait le pressentiment qu'elle triompherait quand même, si elle pouvait voir Norbert seulement une minute. N'était-elle pas sûre de son empire sur lui? N'avait-elle pas déjà, d'un seul regard, brisé ses plus fermes résolutions? Serait-il capable de résister à ses prières et à ses pleurs? Elle le verrait à ses pieds, comme autrefois si, allant à lui, elle lui disait:

– Je t'aime, tu es ton maître, et tu en épouses une autre!..

Mais il fallait arriver jusqu'à Norbert, et promptement. Le péril pressait. Les jours valent des années.

Elle décida que, cette nuit même, elle s'échapperait de Sauvebourg, et irait à Champdoce.

L'entreprise était pleine de hasards, presque insensée. C'était jouer son avenir d'un coup, peut-être courir à l'abîme.

Un peu après minuit, ayant jeté une mante sur ses épaules (lorsqu'elle se fut assurée que personne, dans la maison, ne bougeait), elle descendit l'escalier à tâtons, les pieds nus, et s'échappa par une porte qui donnait sur la campagne.

Comment elle s'y prendrait pour arriver à Norbert? Elle n'était pas embarrassée. Souvent il lui avait décrit l'intérieur du château de Champdoce, et elle savait qu'il avait sa chambre au rez-de-chaussée, avec deux fenêtres sur la cour. Cela lui suffisait.

Quand elle fut arrivée, elle hésita. Si elle allait se tromper de fenêtre?

Elle se dit qu'elle était trop avancée pour reculer, que si un autre que Norbert ouvrait, elle s'enfuirait, et à tout hasard, elle frappa à un volet, doucement d'abord, puis plus rudement, enfin de toutes ses forces.

Sa mémoire l'avait bien servie. Ce fut Norbert qui ouvrit en demandant:

– Qui va là?..

– C'est moi, Norbert, c'est moi, Diane…

Il l'avait si bien reconnue, qu'il recula en jetant un cri.

Elle profita de ce moment. L'appui de la fenêtre était fort bas; elle y monta hardiment et sauta dans la chambre.

– Que voulez-vous, demandait Norbert d'un air égaré, que venez-vous faire ici?

Elle le regardait et ne le reconnaissait pour ainsi dire plus, tant sa physionomie était étrange. Elle eut peur, elle se troubla.

– Vous épousez Mlle de Puymandour? murmura-t-elle.

– Oui.

– Et cependant, vous prétendiez m'aimer!

Tous les ressentiments de Norbert se réveillèrent, il se rapprocha.

J'étais un enfant, commença-t-il, j'étais ignorant de toutes choses, quand pour mon malheur je vous rencontrai sur mon chemin. Qui se serait défié de vous, qui avez des yeux si purs que les anges doivent en avoir de semblables? Oh! oui, je vous ai aimée follement, jusqu'au renoncement de la vie, jusqu'au crime. Vous, vous ne poursuiviez que le titre de duchesse, et une fortune princière!

Mlle Diane eut un geste désespéré.

– Malheureux!.. s'écria-t-elle, serais-je donc ici à cette heure, s'il en était ainsi? Mon frère est mort, Norbert, je suis aussi riche que vous, et cependant me voici!.. M'accuser d'un odieux calcul, moi!.. Et pourquoi? Sans doute parce que je n'ai pas voulu vous suivre quand vous m'avez proposé de fuir. O mon unique ami, c'était notre bonheur à venir que je défendais, c'était…

Elle s'interrompit, béante, la pupille dilatée par la terreur.

La porte venait de s'ouvrir, et le duc de Champdoce entrait, balbutiant des mots inintelligibles, riant de ce rire navrant des idiots.

– Comprenez-vous maintenant, reprit Norbert, pourquoi le souvenir de nos amours m'est devenu abominable? Osez-vous bien parler de bonheur quand toujours ce fantôme de mon père se dresserait entre nous?

Du doigt, Norbert lui montrait la fenêtre; elle la franchit de nouveau.

Mais elle était transportée de rage et de jalousie, elle ne pouvait pardonner à Norbert ce crime commis par elle, qui anéantissait toutes ses espérances, et son adieu fut une menace.

– Je me vengerai, Norbert, cria-t-elle; à bientôt!