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Les esclaves de Paris

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Elle n'était pas maladroite, cette grosse Françoise; elle chaussa ses sabots, prit sa cape et sortit, et une heure plus tard le message était fidèlement et discrètement remis.

Voilà pourquoi, le lendemain, un peu avant deux heures, par une pluie battante, Norbert se présenta chez maître Dauman, ayant à causer de sa créance, prétendait-il, parce que les deux mille francs s'épuisaient et qu'il fallait aviser à lui procurer de l'argent.

Lui aussi, le pauvre garçon, il était travaillé d'idées de mariage. Épouser cette jeune fille si belle, qu'il aimait à la folie, vivre près d'elle dans une belle habitation comme Sauvebourg, la voir, l'entendre, lui parler à toute heure, lui semblait le comble de la félicité humaine.

Mais si enflammés que fussent ses désirs, ils n'allaient pas encore jusqu'à lui donner l'audace de s'ouvrir à son père de ses projets. D'avance il était sûr d'un refus bien net et bien formel, et il lui semblait ouïr les paroles dures et railleuses dont il serait accompagné.

Son sort n'était-il par arrêté et fixé par une volonté inexorable? Après l'avoir condamné à la plus misérable jeunesse, on prétendrait le contraindre à épouser une femme qu'il détesterait. Le duc lui avait dit: «Tu épouseras une fille très riche.»

Mais sur ce point, Norbert s'était juré de résister. Il était décidé à mourir sous le bâton fourchu du duc de Champdoce, au roulement de ses Jarnitonnerre! plutôt que de céder.

Or, il comptait sur Dauman pour lui fournir des moyens de résistance.

Il venait donc d'entamer ce sujet, quand on entendit une voiture s'arrêter devant la maison du Président. Presque aussitôt Mlle du Sauvebourg parut. Elle était fort pâle, et ses lèvres serrées trahissaient la violence qu'elle se faisait pour recourir à ce déplorable expédient.

D'un coup d'œil, maître Dauman comprit ses avantages; aussi abrégea-t-il ses formules de civilité pour expliquer à mademoiselle que, jaloux de lui être agréable, il s'était occupé de l'affaire Rouleau et qu'il la considérait comme arrangée.

– Je puis même ajouta-t-il, montrer à mademoiselle la lettre de l'huissier; il consent à arrêter les poursuites…

Il la cherchait, cette lettre, avec acharnement, parmi ses papiers, partout, avec autant de persistance que si vraiment elle eût existé.

– Je ne puis mettre la main dessus, dit-il d'un ton dépité, je l'aurai laissée en bas ou dans ma chambre. J'ai tant d'occupations que j'en perds la tête. Il faut la trouver, pourtant… Vous permettez, je descends, je suis à vous à l'instant!

Il sortit en effet rapidement, et vivement referma la porte sur lui.

Véritablement il était un peu étourdi du surprenant concours de circonstances qui, sans peines, sans efforts de sa part, amenait ces deux jeunes gens ensemble, dans sa maison, à son entière discrétion, et il avait besoin de réfléchir.

Sa sortie avait été une de ces inspirations qui jamais ne font défaut aux coquins à l'affût de l'occasion. Devinant un rendez-vous donné chez lui, il était bien aise de laisser un peu «les amoureux», comme il disait, tête à tête.

Il ne risquait rien à cela, n'étant pas allé plus loin que l'autre côté de la porte.

Alternativement, il collait l'œil et l'oreille à la serrure, il entendait, il voyait.

Cet instant de liberté que lui laissait la grossière diplomatie de l'intrigant de village, parut à Norbert une faveur céleste.

Ce n'est pas que l'intelligence lui manquât, pour deviner le piège; mais l'esprit, dans les grandes crises, ne s'arrête pas aux circonstances extérieures.

Depuis l'entrée de Mlle de Sauvebourg, il était frappé de l'altération de ses traits si purs, respirant d'ordinaire le calme assuré de l'innocence.

Il osa lui prendre la main, qu'elle ne retira pas, et chercha son regard, espérant lire jusqu'au fond de son âme.

– De grâce, mademoiselle, commença-t-il, qu'avez-vous? Ce ne peut-être le malheur de cette pauvre femme qui vous attriste à ce point!

Un soupir profond fut la seule réponse de Mlle Diane. Une grosse larme brilla dans ses yeux, trembla une seconde dans ses cils, et lentement roula, brûlante, la long de sa joue.

Cette larme emplit de douleur l'âme du pauvre jeune homme.

– Au nom du ciel, insista-t-il d'une voix étranglée par l'angoise, que vous arrive-t-il! mademoiselle!.. Diane!.. je vous en conjure, parlez-moi, répondez-moi… ne suis-je pas votre ami, le plus dévoué, le plus aimant des amis?

Elle résista d'abord, écartant doucement Norbert, détournant la tête. Puis enfin, avec toutes sortes d'hésitations, et comme si elle eût fait à ses pudeurs de jeune fille la plus douloureuse violence, elle avoua que la veille au soir, et lorsqu'elle s'y attendait le moins, son père lui avait parlé d'un parti qui se présentait, un jeune homme offrant toutes les garanties de naissance, de caractère et de fortune qui enlèvent le consentement des familles.

Norbert l'écoutait, la joue blême, secoué par toutes les furies de la jalousie et de la colère.

– Et vous n'avez pas refusé, s'écria-t-il, vous n'avez pas repoussé ces propositions affreuses?..

Hélas! le pouvait-elle?

Sans répondre directement, elle se répandit en plaintes désolées, sur la tyrannie de la famille. Que peut faire une pauvre jeune fille, abandonnée sans défense aux caprices ou aux calculs de sa famille, obsédée, réprimandée, épiée?

Comment disposerait-elle librement de son cœur, prise entre deux alternatives également effrayantes, réduite à opter entre un mariage qui lui faisait horreur, et le couvent, dont la seule menace la glaçait?..

Accroupi derrière la porte de son cabinet, ne perdant ni un geste, ni un mot, ni un coup d'œil, ni une intonation, maître Dauman jubilait prodigieusement.

– Eh! eh! ricanait-il, pas mal, pour une petite pensionnaire émancipée d'hier. Elle a des dispositions, cette jeune commère, et inspirée par moi elle peut aller loin. Bien trouvé, pour forcer ce jeune benêt à se déclarer! Mais réussira-t-elle?..

Oui! la mort la plus épouvantable, inévitable, imminente, la hache au-dessus de sa tête, n'eussent pas effrayé Norbert autant que ces horribles perspectives.

– Et vous avez pu hésiter! fit-il d'un ton de reproche. On sort du couvent, si hauts qu'en soient les murs, tandis que le mariage… le mariage!..

Il s'arrêta. Il ne trouvait pas d'expressions pour rendre la sensation qu'il éprouvait, en songeant que Mlle de Sauvebourg pourrait être à un autre.

Elle, cependant, rendue mille fois plus belle par son désordre, poursuivait ses lamentations d'une voix entrecoupée. On eût dit que sa poitrine gonflée par les sanglots allait éclater.

– Quelles raisons donner à son père de sa résistance? Ne savait-on pas bien qu'elle n'aurait pas de dot, qu'elle était sacrifiée à son frère aîné, immolée aux stupides préjugés de l'orgueil nobiliaire? Qui donc dans de telles conditions s'intéresserait à elle, qui donc songerait à demander jamais sa main!

– Et moi! s'écria Norbert frémissant, et moi, qui suis-je donc! Vous ne m'aimez donc pas, que vous n'avez pas daigné penser à moi!..

– Hélas! mon ami, murmura-t-elle, êtes-vous libre plus que moi? Nos destinées ne sont-elles pas pareilles? Oubliez-vous tout ce que vous m'avez dit? N'êtes-vous pas, ainsi que moi, victime de l'implacable raison de famille!..

Norbert écoutait, les traits contractés par une rage froide. Il lui semblait qu'un homme nouveau s'éveillait en lui. L'énergie terrible de ses pères, courbée sous une main de fer, se révoltait. Le sang rouge des Champdoce qui coulait dans ses veines, enflammé par la passion, bouillonnait comme la lave.

– Je ne suis donc qu'un enfant débile et lâche? dit-il, se contenant à peine.

– Votre père est tout puissant, lui fut-il répondu avec la douceur de la résignation; il est rude, il est inflexible, et vous êtes en son pouvoir. Votre père, mon ami…

C'en était trop! L'orage terrible qui grondait dans le cœur de Norbert éclata.

– Mon père, s'écria-t-il d'une voix éclatante, mon père!.. Eh! que m'importe! Je suis Dompair de Champdoce aussi bien que lui, et tant pis pour celui qui se trouve en travers du chemin d'un Champdoce! Oui, malheur à celui-là, fût-il mon père, qui oserait se placer entre mon désir et la femme que j'aime! Car je vous aime, Diane; je t'aime, tu es à moi, et il n'est pas de puissance humaine assez forte pour t'arracher, moi vivant, à mon amour.

Il était hors de lui, il délirait; il étendit les bras, et, saisissant la jeune fille par la taille, il la serra contre sa poitrine à la briser; et comme pour prendre possession de sa personne, il la marqua au front d'un baiser brûlant! L'œil grand ouvert au trou de la serrure, maître Dauman retenait son souffle.

– Cré chien!.. grommelait-il, évidemment empoigné, pour n'importe qui, ma place vaut cent sous comme un liard… Pour moi, elle vaut cent cinquante mille francs, que ces amoureux me donneront. Il tient de son papa, le petit. Quelle braise!.. Quand la jeune personne et moi soufflerons dessus, l'incendie sera vite allumé…

Plus palpitante que l'oiseau entre les mains d'un enfant, Mlle de Sauvebourg repoussait Norbert et se dégageait de son étreinte.

Il lui paraissait sublime en ce moment: transfiguré par la colère, admirable d'orgueil et de passion. Et, sentant vibrer toutes les cordes de son être, elle avait peur… peur de lui, peur d'elle même. Après ce grand éclat, Norbert gardait le silence, tout étourdi et confus de son emportement.

Il cherchait maintenant quelqu'un de ces arguments raisonnables et décisifs qui assurent le triomphe d'une cause en suspens. Bientôt il crut l'avoir trouvé.

– Me refuseriez-vous donc, mademoiselle, reprit-il d'une voix plus calme, me repousseriez-vous si, à genoux, à mains jointes, je vous demandais d'être ma femme, d'être duchesse de Champdoce?

 

Mlle de Sauvebourg répondit par un seul regard, mais il n'y avait pas à s'y méprendre, il disait: Oui, oui avec bonheur.

– Eh bien! répondit Norbert, pourquoi nous effrayer de vaines chimères? Douteriez-vous de moi, de ma parole, de mon amour? Il se peut que mon père s'oppose à des projets qui assureraient la félicité de ma vie; qu'importe! Avant longtemps j'échapperai à son despotisme. Je serai majeur dans quelques mois, c'est-à-dire libre, maître de suivre les inspirations de mon cœur, et alors…

De l'air le plus triste Mlle Diane hochait la tête. Il s'interrompit un peu inquiet et presque aussitôt demanda:

– Que voulez-vous dire? Quel obstacle apercevez-vous?

– Hélas! mon ami, comment ne pas vous dire que vous vous bercez d'illusions vaines. Ce n'est qu'à vingt-cinq ans accomplis qu'un homme échappe aux dernières entraves du pouvoir paternel, et peut donner son nom à qui bon lui semble…

Cet avertissement, le perspicace Président l'attendait derrière sa porte.

– Bravo! murmura-t-il, bravo, la jeune demoiselle! Voilà donc pourquoi elle est venue, elle voulait prévenir l'enfant. Peste! il fait bon lui donner des leçons, elle ne les oublie pas.

Cependant Norbert ne pouvait en croire ses oreilles.

– Ce que vous dites est impossible, mademoiselle, dit-il.

– C'est la vérité, malheureusement, mon ami. Au-dessus de nous, de notre volonté, de nos plus ardents désirs, il y a la loi, et c'est la loi qui a fixé l'âge que je vous dis: vingt-cinq ans. Ce serait donc sept ans à attendre… sept ans! Vous jouirez de votre fortune, alors, Norbert, vous habiterez Paris, vous serez fêté, entouré, flatté, toutes les séductions viendront au-devant de vous, tous les plaisirs, toutes les ivresses. Penserez-vous encore à moi? Vous souviendrez-vous seulement qu'il existe une pauvre jeune fille que vous prétendiez aimer, et qui elle-même…

– Champdoce n'oublie jamais, s'écria Norbert, et jamais ne cède! Que me parlez-vous de la loi? J'aurai de l'argent quand je serai majeur, et je trouverai des gens qui m'apprendront comment on peut s'y soustraire. Et si c'est impossible, eh bien! j'aviserai. J'ai dit: Je veux. J'arracherai le consentement de mon père de vive force, s'il le faut…

Le Président s'était relevé, et d'un doigt soigneux il époussetait à coups de pichenettes les genoux de son pantalon.

– Attention! se disait-il, voici l'instant de paraître. Je reviens en hâte, j'ouvre la porte, je surprends quelques mots, j'y réponds, et je suis en plein dans la situation. Allons, cela évitera bien des longueurs…

Ce disant, il entra.

Le même cri de surprise et d'effroi échappa à Mlle de Sauvebourg et à Norbert.

Entièrement absorbés dans les sensations de l'heure présente, ils avaient oublié en quel lieu ils se trouvaient, et jusqu'à l'existence du «Président.»

Lui, ne sembla nullement décontenancé de l'effet qu'il produisait; il l'avait prévu. C'est du ton le plus détaché, et comme s'il se fût agi d'une chose toute naturelle, qu'il prit la parole.

– Impossible, commença-t-il, de dénicher cette satanée lettre. Mais qu'importe, je vous garantis l'affaire de la mère Rouleau arrangée, et je voudrais bien en dire autant de la vôtre.

Norbert et Mlle Diane tressaillirent et échangèrent un regard où se peignait l'inquiétude qu'ils ressentaient de se savoir à la discrétion de cet homme.

Cette crainte, très-évidente, parut cruellement mortifier Dauman.

– Mon Dieu! reprit-il d'un ton bourru, je sais bien que ce ne sont pas là mes affaires, et que vous avez le droit de me dire: «Bonhomme, mêle-toi de ce qui te regarde!» Mais que voulez-vous, c'est plus fort que moi, l'injustice me révolte, et bon gré mal gré il faut que je me mette du côté des plus faibles. Ah! il m'en a cuit plus d'une fois. On ne se refait pas. Donc, j'arrive, je vous entends causer de vos peines, je devine ce que je n'entends pas, et aussitôt je me dis: Président, voici deux gentils amoureux, créés l'un pour l'autre, c'est sûr…

– Monsieur!.. interrompit Mlle de Sauvebourg, froissée dans toutes ses délicatesses de femme, monsieur! Vous vous oubliez.

La figure de maître Dauman exprima le désappointement comique et naïf de l'homme qui, pensant rendre un grand service, s'aperçoit qu'il commet une insigne maladresse.

– Mademoiselle me pardonnera, balbutia-t-il, je ne suis qu'un pauvre paysan, je dis les choses comme mon cœur me les inspire; si j'ai péché, ce n'est pas avec intention; je me tais.

Mais Norbert avait trop d'intérêt à être renseigné pour s'en tenir à cette défaite.

– C'est bien, dit-il, mademoiselle vous excuse; Président, continuez.

– Ce sera donc pour vous obéir, monsieur le marquis.

– Oui, vous m'obligerez.

Dauman attendit quelques secondes une objection de Mlle Diane; elle se taisait, il reprit:

– Pour lors, je me disais: voici des jeunes gens dont les désirs sont naturels, raisonnables, juste même, et qui vont avoir à lutter contre les volontés de leurs familles. Jeunes, sans expérience, ignorant jusqu'aux dispositions du Code, ils seront infailliblement vaincus. Pourquoi ne me mettrais-je pas de leur côté? Mes conseils rétabliraient l'égalité de la partie. Car je connais la loi, moi, je l'ai étudiée, analysée; j'en ai surpris le fort et le faible; je sais comment on l'attaque et comment on la tourne.

Et pendant un bon moment encore, du ton le plus emphatique, il célébra son éloge, soit qu'il ne pût se défaire de cette habitude qu'ont les finauds de campagne d'étourdir leurs victimes de flots d'éloquence, soit qu'il voulût laisser à Mlle Diane ni à Norbert le loisir de la réflexion.

Il affectait en tous cas de ne pas les regarder, de ne point remarquer que debout, dans l'embrasure de la fenêtre, ils se consultaient à voix basse.

– Pourquoi ne pas nous confier à lui? disait Norbert, il a l'expérience pour lui, on vient le consulter de trois lieues à la ronde, dans les cas difficiles.

– Quoi! lui livrer notre secret!

– Ne l'a-t-il pas surpris?

– Il nous trahira; il est capable de tout pour de l'argent.

– Tant mieux s'il est avide, son avidité même nous répond de lui; il se taira sur la promesse d'une magnifique récompense.

– Agissez donc comme vous l'entendrez, mon ami.

Enhardi par cette approbation, Norbert s'avança vers maître Dauman.

– Assez, interrompit-il, j'ai confiance en vous et j'ai répondu de vous à mademoiselle. Vous connaissez la situation, arrivons au fait. Que nous conseillez-vous?

– Sachez attendre, articula vivement le Président. Tout est là. Avant votre majorité, la moindre démarche perdrait tout.

– Cependant…

– Eh! monsieur le marquis, qu'est-ce qu'un an de patience à votre âge, avec la certitude du bonheur au bout? Pour le lendemain de vos vingt et un ans, je vous promets, foi de Dauman, trois moyens de faire capituler le duc de Champdoce votre père et de lui arracher son consentement.

Il parlait avec une imperturbable assurance, comme s'il les eût connus, ces moyens.

– D'ici là, poursuivit-il, de la prudence, monsieur le marquis, dissimulez, cachez-vous. On doit être le plus fin, quand on n'est pas le plus fort. On vous a rencontré donnant le bras à mademoiselle. Quelle faute! On a jasé. Qu'adviendrait-il si les propos des bavards arrivaient aux oreilles de M. de Sauvebourg et de M. de Champdoce? Vous seriez séparés, enfermés, surveillés. Voulez-vous réussir? Ne donnez pas l'éveil. Plus inattendus seront les coups que nous frapperons le moment venu, meilleures seront nos chances.

Il ne voulut pas s'expliquer autrement, mais il avait le don de la persuasion, et quand Mlle de Sauvebourg et Norbert sortirent de chez lui, ils étaient rassurés et plein d'espoir.

Ce fut d'ailleurs une de leurs dernières entrevues de l'année. Le temps continuait à être si mauvais qu'ils ne pouvaient songer à se rencontrer dehors, et la crainte qu'ils avaient d'être épiés les empêchait de profiter de l'hospitalité que Dauman mettait à leur disposition.

Ils ne restaient pas pour cela sans nouvelles l'un de l'autre. Chaque jour la fille de la mère Rouleau portait une lettre à Sauvebourg et rapportait une réponse à Champdoce. Norbert écrivait des volumes.

D'ailleurs la saison s'avançait, et les châtelains du voisinage, chassés par les premiers froids, se réfugiaient à la ville. Le vieux comte de Mussidan était allé demander un rayon de soleil à l'Italie, M. de Puymandour était parti pour Paris avec Mlle Marie, sa fille.

Seul, le marquis de Sauvebourg, chasseur enragé, tenait bon. Mais, pourtant, à la suite d'une tombée de neige, ne pouvant sortir, il se décida à suivre l'exemple général et à regagner, pour l'hiver, la belle et vaste maison qu'il possédait à Poitiers.

Cette séparation, Norbert et Mlle de Sauvebourg l'avaient prévue, et leurs mesures étaient prises. Ils avaient, grâce à l'ingénieuse complaisance de Dauman, toutes facilités pour correspondre.

Mais à quoi bon! Poitiers n'était pas le bout du monde.

Deux ou trois fois la semaine, Norbert sautait sur un cheval, arrivait à la ville, changeait en hâte de vêtements, et allait se promener devant une petite porte, pratiquée dans le mur du fond d'un grand jardin.

A une certaine heure, convenue d'avance, cette petite porte s'entr'ouvrait mystérieusement. Norbert se glissait par l'entrebâillement, et il retrouvait Mlle Diane, plus belle, plus adorée que jamais.

Cette grande passion, la certitude d'être aimé, lui avaient fait perdre en grande partie sa farouche timidité.

Il ne passait plus son temps seul à Poitiers. Il y avait retrouvé Montlouis, ce fils du fermier de son père qui lui avait offert sa première tasse de café, et assez souvent ils allaient, le soir, jouer aux dominos au café Castille.

Montlouis n'était plus que pour peu de temps à Poitiers. Ses études étaient terminées, et il devait, le printemps venu, rejoindre à Paris le jeune vicomte de Mussidan, en qualité de secrétaire intendant.

Même ce départ le désolait, car il aimait passionnément, ainsi qu'il l'avoua à Norbert, une jeune fille de Châtellerault qu'il allait visiter tous les dimanches.

Confidence pour confidence, Norbert ne sut pas cacher ses amours, et, plus d'une fois, Montlouis l'accompagna lorsqu'il allait attendre que s'entr'ouvrît la petite porte du jardin du marquis de Sauvebourg.

Comment le duc de Champdoce laissait-il à son fils une liberté si grande? Il était impossible d'expliquer ce relâchement de sévérité.

Quoi qu'il en fut, il aida les jeunes gens à passer l'hiver. Ils en étaient à compter les jours qui les séparaient de cette majorité tant attendue. Chacun d'eux avait un almanach où il effaçait, le soir, la journée écoulée.

Ainsi ils effacèrent décembre, puis janvier, puis trois mois encore; les beaux jours revenaient; les châteaux se repeuplaient; M. de Puymandour et M. de Mussidan étaient de retour; le marquis de Sauvebourg ne tarda pas à les imiter.

Quel moment que celui où Norbert et Mlle de Sauvebourg se retrouvèrent chez Dauman, libres de toute contrainte!

Ils n'avaient plus que quelques mois à attendre, et pour s'encourager à prendre patience, à l'aide de mille précautions, ils passaient toutes les après-midi une heure ensemble au sentier de Bivron, mais de l'autre côté de la haie, cachés par les arbres.

C'est de l'un de ces rendez-vous que revenait Norbert, l'esprit libre, le cœur plein de joie, quand on l'avertit que son père le demandait dans la salle commune. Il y courut.

– Marquis, commença le duc sans préambule, réjouissez-vous; je vous ai trouvé un parti, avant deux mois vous serez marié!