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Le petit vieux des Batignolles

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CASTA VIXIT

I

Pour jolie, elle l’était. Jamais les Saumurois ne purent prendre sur eux de l’appeler autrement que la belle Aurélie. On se mettait aux portes quand elle traversait la rue Saint-Jean pour gagner la place de la Billange.

Le sous-préfet lui trouvait «un port de reine,» et le vieux docteur Béclard admirait – en latin – sa démarche de déesse.

Elle avait des cheveux noirs qui n’en finissaient pas, fins et pourtant ondés, de grands yeux profonds et avec cela une peau si fine et si transparente, qu’on voyait le sang courir dessous.

On lui prêtait beaucoup d’esprit; elle était noble par sa mère, une La Palissadière, s’il vous plaît. Enfin son père, en plein cercle littéraire, avait déclaré qu’il donnait 250,000 francs de dot, trousseau non compris.

II

Riche de tant d’avantages, elle devait être et fut fort recherchée en mariage. L’auréole de sa fortune et de sa beauté attirait les prétendants comme la chandelle attire les papillons.

Il est constant que dans la seule année 1860, elle repoussa onze partis, dont deux inespérés, trois brillants et six des plus sortables.

A chaque refus nouveau, elle disait en pinçant ses jolies lèvres:

– Quand on est jeune, riche et belle, on a le droit d’être difficile.

Elle usait et abusait de ce droit.

III

Entourée de plus d’adorations qu’une madone espagnole, rassasiée autant qu’une impératrice d’hommages et d’adulations, Aurélie était bien près de se croire d’une essence supérieure.

Elle se disait dès lors que, pour une fille comme elle, Dieu, dans sa prévoyance, avait dû faire naître quelque part un homme exceptionnel qu’un jour ou l’autre elle verrait à ses pieds.

Souvent, le soir, avant de s’endormir dans sa jolie chambre tendue de cachemire blanc, elle avait cru, aux lueurs tremblantes de sa veilleuse, entrevoir cet élu de son orgueil et de ses espérances. Son ombre, le long des rideaux, glissait fugitive comme le désir. Il avait une main sur son cœur et portait l’autre à ses lèvres pour envoyer des baisers.

Elle le parait, cet être surnaturel, des qualités inouïes qui font les héros des romans d’amour. Elle lui donnait la beauté qui frappe au premier abord, la force qui domine, l’esprit qui séduit, la passion qui entraîne.

Le malheur est qu’il tardait bien à se présenter.

Imprudente fille! Elle avait si fort découragé les épouseurs à vingt lieues à la ronde, que nul ne se risquait plus.

Et un soir, comme elle se mirait après s’être déshabillée, la glace lui découvrit des symptômes alarmants.

Sa gorge, qu’on jugeait divine sous ses guimpes, menaçait de rompre la sobre ligne sculpturale.

– Vierge Marie! pensa-t-elle, j’engraisse!..

Et sur le moment, elle se jura, elle, la fière, la dédaigneuse Aurélie, qu’elle épouserait le premier chien coiffé, – c’est l’expression angevine, – qui se déclarerait.

IV

Il se déclara, ce chien coiffé.

Il était notaire et s’appelait Ernest Dubocage.

V

C’était, il est vrai, un notaire rare, la perle des officiers ministériels. Outre qu’il venait d’acheter la meilleure étude de la ville, il était bien de sa personne et jouissait de la réputation d’un esprit supérieur. Pas un confrère ne pouvait se vanter de tourner un menton mieux rasé sur une cravate plus blanche. Il était grave, content de soi, intraitable sur les mœurs et plaçait à cinq.

Son succès ne surprit personne en ville, et lui-même, ayant la conscience de sa valeur, n’en fut point étonné. Pourtant il aimait la belle Aurélie à en perdre la tête. On parle encore à Saumur de la corbeille qu’il alla, de sa personne, chercher à Paris.

Ce qui n’empêche que le jour de la noce, Me Dubocage était dans un pitoyable état.

Le bal finissait; la jeune mariée venait de disparaître, entraînée par sa mère et plusieurs vieilles dames; réfugié au fond d’un couloir, le pauvre époux attendait qu’on lui livrât la clef du paradis nuptial.

Il avait froid et il suait à grosses gouttes; il ne cherchait même plus à rallier ses idées en déroute; il parlait seul, tout haut, comme un fou.

– Quel moment, disait-il, à moi tant de perfections!.. Suis-je digne d’elle?.. Ah! je voudrais être à cent lieues… Mais non, elle m’aime, elle m’aime!..

Il chancelait comme un ivrogne en suivant la mère de sa femme, qui enfin était venue le chercher et qui lui adressait, en fondant en larmes, un long discours qu’il n’entendait pas.

VI

Positivement, la belle Aurélie s’était imaginée qu’elle aimait celui qui allait être son mari.

Le lendemain même de son mariage, elle reconnut avec horreur qu’elle s’était trompée.

Son front était rouge encore de toutes les pudeurs offensées de la vierge, que déjà son cœur était plus glacé que celui de la veuve qui se remarie en troisièmes noces. C’est qu’elle avait trop vécu avec ses rêves. C’est que l’espoir est un usurier qui ruine sans pitié tous ceux qui lui escomptent les joies de l’avenir. La terre ne pouvait plus lui offrir d’enchantements, à elle qui tant de fois s’était élancée vers le ciel sur la croupe radieuse des chimères. A l’âpre brise de la réalité, toutes ses illusions en un instant s’éparpillèrent comme les feuilles d’un arbre au premier ouragan de novembre.

Bientôt le tumulte qui suit un mariage s’était apaisé, et les jeunes époux se trouvèrent seuls dans une ravissante maison achetée près du Pont-Fouchard par l’amoureux notaire.

C’est alors que vraiment la belle Aurélie sentit ce qu’elle appelait l’horreur de sa situation.

S’en prenant à son mari d’une erreur funeste dont seule elle était coupable, elle le jugeait avec la dernière sévérité. Il lui semblait que jamais elle n’avait rencontré d’homme à la fois si prétentieux et si nul, si absolument ridicule. Elle ne pouvait s’expliquer son influence en ville. En lui, elle haïssait tout, même les meilleures qualités. Il avait pour elle les attentions les plus délicates et elle lui en voulait de ses prévenances. Elle était agacée de le sentir continuellement autour d’elle, l’enveloppant de sa sollicitude inquiète, l’admirant et le lui disant, épiant du matin au soir le prétexte d’un baiser.

Elle s’était promis de planer dans l’azur et elle en était réduite à traîner péniblement la lourde charrue d’un mariage de raison.

Et pas de terme, même lointain, à l’horrible supplice. Rien qu’à interroger l’avenir, elle se sentait prise de nausées comme celui qui regarde longtemps le monotone balancement d’une mer calme.

Mais elle était bien trop fière pour rien laisser deviner de ce qui se passait en elle. Jamais une larme ne monta de son cœur à ses yeux. Après avoir dit: la belle, on disait: l’heureuse Aurélie.

VII

Ainsi que tout le monde, Me Dubocage fut pris aux apparences. Pendant que les voix mauvaises de la solitude soufflaient à sa femme les pires insinuations, il promenait en tous lieux le rayonnant visage de l’homme qui se sait adoré.

Hélas! après trois mois de mariage, la chaste jeune fille en était arrivée à se demander froidement si elle serait ou non fidèle à son mari.

La vertu, c’était l’estime de tous. Oui, mais un amant, c’était peut-être la réalisation du rêve.

Le hasard se chargea de mettre fin à ses hésitations.

VIII

Elle était au bal lorsque tout à coup, au milieu du salon, elle aperçut celui que si longtemps elle avait espéré en vain, le fantastique héros de ses insomnies. Oui, c’était bien lui, elle n’en pouvait douter à cette voix mâle et vibrante qui remuait tout son être, à ces yeux dont la flamme devait amollir et fondre les plus solides résolutions. Il parlait et il semblait à Aurélie que les autres hommes, debout près de lui, comme des courtisans autour d’un prince, l’écoutaient avec une respectueuse déférence.

C’était un soldat, un chef d’escadron de dragons; il n’avait pas trente ans, et son riche uniforme faisait valoir l’énergie de sa figure martiale et accusait les magnificences de son buste.

Elle eut un éblouissement. Qui était-il? Jamais elle ne l’avait rencontré. Comment se trouvait-il là?

Justement, près d’elle, une vieille dame disait l’histoire de l’inconnu.

Il était frère du receveur particulier et arrivait d’Algérie. On racontait de lui des choses surprenantes, de ces traits d’héroïsme pour lesquels le premier empire n’avait ni assez de titres ni assez de dotations.

Tout dernièrement, pendant une expédition, il s’était trouvé séparé de ses soldats et entouré par un groupe d’Arabes; on le croyait perdu, mais il avait réussi à se dégager en sabrant et en tuant une douzaine d’ennemis.

Elle écoutait de toute son âme, surprise, émue, ravie, aussi fière intérieurement que si quelque chose eût rejailli sur elle de la gloire de ce vaillant soldat. N’est-ce pas ainsi qu’elle l’avait voulu?

Cependant l’orchestre préludait; il s’avança vers elle, – la devinait-il donc? – Et il lui demanda de valser avec lui.

Sans répondre, elle se leva, pâle, les dents serrées, les yeux noyés, elle prit son bras et il l’entraîna. Mais, au deuxième tour, son émotion fut si forte qu’elle faillit s’évanouir, et il dut la ramener à sa place.

Me Dubocage, prévenu, accourait tout inquiet.

– Qu’as-tu, disait-il, qu’as-tu, chère amie? Tu es souffrante, viens, partons.

Et il l’emmena, malgré ses protestations.

IX

Elle se leva tard le lendemain. On était au mois de décembre, il faisait froid, il neigeait.

Paresseusement renversée sur une chaise longue, au coin de son feu, elle s’efforçait de ressaisir quelque chose des enivrantes émotions de la veille.

La nuit était venue. Seule, la flamme capricieuse du foyer éclairait la chambre.

 

Elle éprouvait une âcre et malsaine jouissance à savourer l’amertume de ses désillusions. Ainsi donc ses rêves ne l’avaient pas trompée! Il existait vraiment, cet être extraordinaire paré de toutes les perfections terrestres. Ah! que n’avait-elle eu plus de courage et de patience! Que n’était-elle jeune fille encore et libre, pour s’élancer vers lui, pour lui crier: Viens, me voici, je suis à toi, je t’attendais!

Celui-là était un de ces hommes que toutes les femmes envient, qui inspirent ces passions folles, ces dévouements idiots qui stupéfient les autres hommes. Combien il devait être beau, sur son cheval de bataille, entouré d’ennemis, agitant son sabre sanglant! Elle se le représentait ainsi, et si nettement, si distinctement, qu’il lui semblait entendre le cliquetis des armes.

Puis, tout à coup, la scène changeait, et il arrivait vers elle au grand galop; il la saisissait par la taille, comme au bal pour la valse, il l’enlevait, il la couchait en travers sur le cou de son cheval, et il l’emportait à toute vitesse, loin, bien loin, vers des pays inconnus. Elle frissonnait, mais c’était de joie, et à demi-pâmée, elle se laissait aller sur le bras du robuste cavalier.

Si intense était la sensation, il lui semblait si bien percevoir la pression des mains, le vent de la course sur son visage, qu’elle ouvrit les yeux pour se prouver qu’elle ne rêvait pas.

Dubocage, entré à pas de loup, était étendu sur le tapis devant elle, la tête sur ses genoux, un bras passé autour de sa taille.

Elle faillit jeter un cri, comme la femme prise en faute. Et bien vite elle referma les yeux, éperdue, folle, doutant du témoignage de ses sens; si bouleversée, que tout dans son esprit se confondait, le sommeil et la veille, le présent et le passé, la réalité et le songe; si égarée qu’elle n’aurait su dire avec certitude où elle se trouvait ni ce qui se passait, si elle était là dans sa chambre, près de Me Dubocage, ou emportée au galop du cheval de son amant…

X

Vers la fin de la semaine, une de ses amies, qui lui rendait visite, lui apprit le départ du brillant chef d’escadron. Elle n’en éprouva ni chagrin, ni regret.

C’est qu’elle avait réfléchi. C’est qu’ayant épelé une à une toutes les lettres de ce mot terrible: Adultère! elle avait eu peur.

C’est qu’elle s’était dit que toujours et quand même, le rêve est supérieur à la réalité; c’est qu’elle avait compris qu’il n’est d’idoles éternellement adorées que les idoles de l’imagination, dont la dorure ne reste pas aux doigts. Il pouvait partir, ce soldat à peine entrevu, elle gardait dans son esprit son radieux souvenir.

Mais tout en se jurant de rester fidèle à Me Dubocage, la belle Aurélie se promettait bien de l’assouplir à ses caprices, de le façonner selon ce qui lui semblait l’idéal. Sûre de son empire absolu, elle se dit qu’il serait pour elle quelque chose comme ces pauvres modèles que les peintres couvrent des plus riches draperies et qui, tour à tour, selon la fantaisie du maître, peuvent être des héros, des guerriers ou des rois.

C’est vers ce temps, qu’à la grande stupeur de tout Saumur, le grave Dubocage coupa ses favoris et laissa pousser ses moustaches, il se montra au cercle avec de grandes bottes à l’écuyère, ornées de formidables éperons.

Et à ceux que surprenait sa tournure militaire, il répondait:

– Que voulez-vous, les femmes!

XI

Dubocage serait devenu un écuyer, car il apprenait à monter à cheval, si Aurélie lui en eût laissé le temps. Mais peu à peu le souvenir du chef d’escadron s’effaçait et devenait moins distinct.

D’ailleurs, il venait d’arriver en ville un poëte presque célèbre. Il portait de longs cheveux plats et une barbe un peu en désordre. Invité dans quelques salons, il daigna réciter d’une voix mélancolique des vers désolés qui firent pleurer les femmes.

En voyant le poëte, Aurélie comprit et aima la poésie.

C’est pourquoi les bottes molles de Dubocage furent reléguées au grenier, et trois semaines plus tard, il publiait dans l’Écho Saumurois, sous un pseudonyme des plus transparents, une nouvelle éplorée qui obtint un légitime succès.

XII

Il était destiné à de bien autres métamorphoses. Pareil à ces infortunés comédiens qui, sous le nom d’utilités, sont engagés pour jouer tous les rôles, il fut le héros obligé de tous les romans dont se plut à vivre la belle Aurélie.

Ils furent nombreux et divers, ces romans, et comme pour leur donner plus de réalité, à mesure qu’elle les suivait, elle les écrivait à ses heures de solitude, sur un gros livre qu’elle cachait au fond de son bureau.

Et pendant qu’elle s’abandonnait à tous les rêves d’une imagination en délire, tout Saumur chantait ses louanges et célébrait ses vertus; les maris la proposaient comme modèle à leurs femmes, les hommes enviaient l’heureux notaire.

Mais le bonheur ici-bas ne saurait durer.

Un soir de mai, la belle Aurélie fut prise d’un malaise subit, et vingt-quatre heures plus tard elle était morte sans avoir eu le temps de se reconnaître.

XIII

Dubocage, fou de douleur dans les premiers jours de son veuvage, ne serait peut-être pas consolé à cette heure, si une fois, cherchant par hasard dans ce bureau qui servait à Aurélie, il n’eût trouvé ce fameux manuscrit qu’elle appelait ses «Mémoires.»

C’est en poussant de véritables cris de rage qu’il les lut.

XIV

Cependant, au cimetière, par delà Nantilly, sur la tombe de madame Dubocage, on lit: Casta vixit.

Et, dans le fait, c’est vrai.

FIN