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La dégringolade

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VI

La doctrine du juge d'instruction était discutable, mais non la portée de ses allusions.

Donc, la victoire était plus que probable. Mais c'était pour Raymond une raison de plus de se cacher, s'il tenait à échapper aux efforts désespérés de Combelaine.

M. Legris, dans ses courses, avait découvert chez un de ses amis une retraite absolument sûre. Il la refusa. Il voulait, prétendait-il, conserver la liberté de ses mouvements, et quoi qu'on pût lui dire, il déclara qu'il allait se réfugier dans l'appartement qu'il avait loué rue de Grenelle.

– Précisément parce qu'il est insensé d'y aller, disait-il, on ne m'y cherchera pas…

C'était une raison; mais le docteur n'en fut pas dupe.

– Avouez plutôt, fit-il, que vous voulez surveiller l'hôtel de Maillefert pour être bien sûr que le mariage ne se fera pas sans que vous soyez averti.

– Eh bien! oui, c'est vrai! répondit Raymond, de l'accent d'un homme dont la détermination est irrévocable…

Il prit cependant quelques précautions avant de gagner cet appartement, et il avait fait assez de tours et de détours pour déjouer toutes les surveillances, lorsqu'il y arriva, sur les sept heures du soir.

– A tout le moins, ne sortez pas, lui recommanda le docteur; je viendrai tous les jours vous apporter des nouvelles… Et excusez-moi; mes moments sont comptés.

Le docteur, en effet, avait à aller attendre, rue de Suresnes, Mme Flora Misri.

Il l'attendit longtemps…

L'heure du rendez-vous était bien passée, lorsqu'enfin elle arriva toute palpitante.

– Ah! j'ai bien failli ne pas venir! dit-elle tout d'abord à M. Legris… Il s'est passé bien des choses depuis hier…

– Quoi donc?..

– Combelaine m'est revenu!.. Il me savait chez Lucy, il m'a envoyé un de ses amis avec une lettre… Savez-vous ce qu'il me propose?..

– Dites.

– Eh bien! il m'écrit qu'il est un fou, qu'il n'a jamais aimé, qu'il ne peut aimer que moi, qu'il est au désespoir et prêt, si je le veux, à rompre ce mariage… Bref, il me propose de quitter la France et d'aller nous marier en Amérique…

Le docteur frémit.

– Accepteriez-vous donc!.. s'écria-t-il.

Mme Flora eut un geste découragé.

– J'ai hésité, répondit-elle, parce que cet homme-là, voyez-vous, c'est mon passé, c'est toute ma vie, je lui appartiens… Et s'il fût venu lui-même, s'il m'eût commandé de le suivre, je me connais… je l'aurais suivi comme un chien que son maître siffle… Mais il n'est pas venu, et j'avais Lucy près de moi… Lucy m'a remontré que partir avec Victor, c'était me livrer à lui, et que, certainement, un jour ou l'autre, pour avoir mon argent, il m'empoisonnerait…

– Et alors?..

– Alors, je viens vous demander de me protéger, de me cacher…

Une heure plus tard, Mme Misri était à l'abri des recherches dans la petite maison de la veuve du garde du génie, et le docteur Legris remontait chez lui, réfléchissant aux péripéties étranges de cette lutte…

Très certainement Flora Misri millionnaire était la carte suprême que s'était réservée Combelaine, et s'il y avait recours, c'est qu'il reconnaissait que la partie était irrésistiblement perdue…

Voilà ce que, le lendemain, rue de Grenelle, le docteur Legris disait à Raymond.

Il pensait le tranquilliser. Point.

– Tout cela, objecta-t-il, empêche-t-il le mariage? Bien au contraire. Combelaine furieux ira jusqu'au bout. Depuis ce matin, je suis en observation derrière ma persienne, et j'ai constaté à l'hôtel de Maillefert un mouvement inaccoutumé. A chaque moment des gens y entrent, portant d'énormes paquets. C'est la noce qui se prépare.

Et, comme le docteur se récriait:

– Oh! j'attendrai jusqu'à la dernière minute, ajouta Raymond, je vous l'ai promis… Mais une fois là, je reprends ma liberté… Et je vous jure que jamais Simone ne portera le nom de l'assassin du général Delorge…

Et en disant cela il montrait sur la cheminée une paire de revolvers…

On était alors au samedi, et la journée s'écoula sans amener de nouveaux incidents.

Le lendemain, sur les huit heures, Raymond put voir Mlle Simone sortir à pied, en compagnie de miss Lydia Dodge, se rendant sans doute à la messe. Vers quatre heures, M. de Combelaine se présenta à l'hôtel et fut reçu…

Mais le lundi, dans l'après-midi, le docteur arriva tout essoufflé.

Il apportait une grosse nouvelle, une nouvelle qui, depuis le matin, circulait sur les boulevards et qui s'était confirmée à l'heure de la Bourse. Le directeur de la Caisse rurale, le baron Verdale, avait levé le pied, emportant à ses actionnaires une somme énorme.

Selon les uns, il avait réussi à gagner l'Angleterre; selon les autres, il avait été arrêté à la frontière belge, porteur d'un sac de voyage bourré de valeurs…

– Oui, c'est une grave nouvelle, approuva Raymond, mais qui n'empêchera pas le mariage de M. de Combelaine… C'est demain mardi, et rien n'annonce cet événement décisif sur lequel vous comptiez…

Le docteur garda le silence… Il commençait à se sentir décontenancé… Que faisait donc Cornevin?.. Des doutes lui venaient, et il n'osait dire:

– Agissez.

La nuit fut pour Raymond une longue agonie, et le jour était à peine levé, qu'il s'établissait derrière sa persienne, guettant les mouvements de l'hôtel de Maillefert…

Déjà tous les domestiques étaient debout… On retirait les voitures des remises, les palefreniers préparaient les harnais… Le suisse avait la tenue des grands jours.

A neuf heures, des équipages commencèrent à se succéder, d'où descendaient en grande toilette la princesse d'Eljonsen, le docteur Buiron, le duc et la duchesse de Maumussy, puis enfin, sévèrement vêtu de noir, ganté et cravaté de blanc… le comte de Combelaine.

Plus de doute!.. le mariage allait avoir lieu.

– Allons, murmura Raymond, que ma destinée s'accomplisse!..

Et, glissant dans ses poches ses deux revolvers, il se dirigea en toute hâte vers la mairie du Palais-Bourbon, située tout près, rue de Grenelle…

Là aussi, tout était en mouvement… Les garçons couraient le long des escaliers et des corridors, portant des tapis, des fauteuils, des tentures…

Raymond arrêta l'un d'eux.

– Pourquoi ces préparatifs? lui demanda-t-il.

– Pour une noce… une noce dans le grand genre. C'est un comte qui épouse la fille d'une duchesse…

Et cet honnête garçon disait quel escalier prendrait la noce, quelles pièces elle traverserait, et dans quel salon le mariage serait célébré…

– Je vous remercie, mon ami, dit Raymond.

Et, calme comme un homme qui n'a plus de sacrifice à faire, il se mit à choisir la place la plus favorable à son dessein.

Il ne réfléchissait plus, toutes ses idées étaient comme figées dans son cerveau, et même il souffrait moins, car toutes ses angoisses avaient cessé et il se disait que dans quelques instants tout serait fini.

– Il s'agit de ne pas le manquer, pensait-il, et de ne tirer qu'à bout portant…

Et il tendait le bras, constatant avec une sorte d'orgueil farouche que son bras ne tremblait pas…

Cependant un frisson terrible le secoua de la nuque aux talons, lorsqu'il entendit dans la cour un roulement de voitures. Il courut à la fenêtre…

– C'est bien eux!.. dit-il.

Mais lorsqu'il revint prendre son poste, il se trouva en face d'un homme aux épaules carrées, au visage rayonnant d'intelligence et d'énergie, vêtu comme l'étaient en 1851 les palefreniers du palais de la Présidence.

Cet homme lui prit le bras et, le serrant à lui arracher un cri:

– Malheureux! dit-il, que voulez-vous faire?..

Une stupeur immense serrait la gorge de Raymond jusqu'à l'empêcher d'articuler une syllabe.

Cet inconnu, il le reconnaissait…

Il retrouvait dans ses yeux le regard de l'Anglais qui l'avait protégé le jour de l'enterrement de Victor Noir, et dans sa voix l'accent du manœuvre qui lui avait sauvé la vie le soir de l'arrestation de Rochefort.

– Vous!.. balbutia-t-il enfin.

– Oui, moi!.. répondit l'homme.

Et tout de suite, d'un ton bref:

– Pourquoi ces armes que je devine sous vos vêtements?

Raymond n'essaya pas de nier.

– Je ne voyais plus, prononça-t-il, aucun moyen au monde d'empêcher l'assassin de mon père d'épouser la femme que j'aime…

D'un geste impérieux l'homme l'interrompit:

– Ne saviez-vous donc pas que je veillais? fit-il…

– Pardonnez-moi, seulement…

– Pensiez-vous que je souffrirais ce crime ajouté à tant d'autres crimes?..

Raymond, tristement, secouait la tête.

– Vous poursuiviez une œuvre formidable, monsieur, dit-il… Vous ignoriez que mon amour, c'est mon existence même… J'avais tenté de vous rejoindre…

Une fois encore l'homme l'arrêta.

– Les événements, reprit-il, dominaient ma volonté. Découvert, j'étais écrasé, et pour vous surtout je voulais vaincre…

Au bas du grand escalier de la mairie retentissait comme un brouhaha de foule.

– Entendez-vous!.. murmura Raymond.

– Oui, mais nous avons une minute encore. Écoutez-moi donc. Un jour, il y a de cela dix-huit ans, je fus enlevé, déporté, et comme supprimé du monde. Je laissais à Paris une femme que j'adorais et cinq enfants sans fortune, sans amis, sans pain… Tous devaient périr, les enfants à l'hôpital, la femme Dieu sait où. Grâce à votre mère, tous ont été sauvés, monsieur Delorge… Et, si je suis ici, c'est qu'à la noble femme qui m'a rendu mes enfants je veux rendre son fils…

Le bruit croissait dans l'escalier.

– Monsieur, fit Raymond, monsieur…

– Silence! prononça l'homme. Et quoi que vous puissiez voir ou entendre, si loin que vous semblent aller les choses, pas un mot, pas un geste. Je suis là!..

Et il attira Raymond dans l'embrasure sombre d'une porte, où ils devaient rester inaperçus…

 

Il était temps.

La noce, ainsi que s'exprimeraient les garçons de la mairie, atteignait le palier.

La première, s'avançait Mlle Simone de Maillefert, plus blanche que ses vêtements blancs, plus blanche que la couronne virginale qui ceignait son front… Elle s'appuyait au bras du duc de Maumussy, tout chamarré de décorations et plus que jamais justifiant, par son attitude, son surnom de «dernier des gentilshommes…»

A voir ainsi Mlle Simone, Raymond sentait tout son sang affluer à son cerveau, et il chancelait à ce point d'en être réduit à s'appuyer au mur…

Et cependant, circonstance étrange, dans les yeux et sur les lèvres de cette tant aimée de son âme, il lui semblait surprendre comme un rayon, comme un sourire d'espoir…

Mais elle passait, et après elle venaient Combelaine, effrayant de calme, et la princesse d'Eljonsen et la duchesse de Maillefert, puis Mme de Maumussy et le docteur Buiron, puis deux ou trois autres personnes seulement; car il était impossible de donner quelque solennité à ce mariage, alors que l'héritier du nom, le dernier des ducs de Maillefert, était en prison, accusé de détournements et de faux…

– Venez, maintenant, dit l'homme en entraînant Raymond dans la salle des mariages, où ils se dissimulèrent derrière un groupe de garçons…

Le maire venait d'arriver.

C'était un grand vieillard, très sec et encore plus chauve, grave comme la loi dont il était le représentant…

Il se tenait debout, ceint de son écharpe, derrière une table couverte d'un tapis vert, la main sur un gros volume, le Code, jauni et déchiqueté par l'usage…

– Monsieur, murmurait Raymond, monsieur, qu'attendez-vous donc?..

– Chut! fit l'homme…

Le maire, d'une voix paternelle, venait d'entamer un petit discours où il retraçait les joies paisibles d'une union bien assortie et les devoirs réciproques des époux…

Il promenait sur l'assistance des regards satisfaits, semblant quêter des approbations aux passages à effet.

Pourtant, il s'embrouilla vers la fin et, ne retrouvant pas le fil, bien vite il passa aux formules ordinaires.

Déjà il posait la question fatidique: «Consentez-vous?..»

Lorsque tout à coup:

– Ce mariage est impossible!.. s'écria le compagnon de Raymond.

Violemment, M. de Combelaine se retourna, et apercevant cet homme vêtu de l'uniforme des anciens palefreniers de l'Élysée:

– Laurent Cornevin!.. s'écria-t-il.

Mais c'était un redoutable adversaire que le comte de Combelaine… Il trouva en lui assez d'énergie pour dominer son trouble, et reprenant son impudence superbe:

– De quel droit, fit-il, cet homme interrompt-il cette solennité?..

– Du droit, répondit Cornevin, qu'a tout honnête homme d'empêcher un misérable, qui est marié, de contracter un second mariage.

L'embarras du maire se lisait sur son maigre visage.

– M. le comte de Combelaine a été marié, c'est vrai, dit-il, mais nous avons en bonne et due forme l'acte de décès de sa première femme, Marie-Sidonie…

Cornevin s'était avancé, écrasant de toute la hauteur de son honnêteté les gens qui l'entouraient.

– Il se peut que vous ayez un acte de décès, monsieur le maire, prononça-t-il d'une voix forte; il n'en est pas moins vrai que le cercueil de Marie-Sidonie, au cimetière Montmartre, est vide… Il est des témoins. En attendant une enquête, j'en appelle à Mme la duchesse de Maillefert et à Raymond Delorge, ici présents…

N'importe, Combelaine protestait encore.

– Ma femme, dit-il, est morte en Italie.

– Assez!.. interrompit Cornevin d'un accent d'autorité irrésistible, assez, et puisque vous le voulez, monsieur de Combelaine, je vais dire l'histoire de votre mariage… Vous trouvant à une de ces heures de détresse honteuse si fréquentes dans votre vie, vous avez épousé, pour vous emparer de cent mille francs qu'elle possédait, une malheureuse orpheline… Songiez-vous déjà à vous en défaire? Le fait est que vos plus intimes amis ont toujours ignoré ce mariage, et que personne n'a jamais connu la comtesse de Combelaine… Au bout de six mois, les cent mille francs étaient dévorés et vous étiez liés pour la vie… Mais vous êtes un homme d'expédients et le Code a de prodigieuses lacunes et d'étranges indulgences… En moins d'un an, vous parveniez à corrompre votre femme et à la jeter aux bras d'un amant… Puis, un soir, vous apparaissiez, armé de cet article terrible qui donne au mari outragé le droit de vie et de mort… Vous parliez haut, la loi était pour vous… Pour racheter sa vie, Marie-Sidonie consentit à passer pour morte et à quitter la France, et quelques mois plus tard vous receviez d'Italie un cercueil, qui ne contenait que du sable et un acte de décès, qui est un faux…

Tout s'écroulait autour de Combelaine…

Et cependant, au milieu des décombres de ses espérances, il se débattait toujours.

– Cet homme est un imposteur! s'écria-t-il.

Cornevin riait d'un rire terrible.

– Est-ce des preuves que vous demandez? fit-il. Soyez tranquille, j'en ai, car je connais toute votre vie, depuis le jour ou Mme d'Eljonsen vous a lancé dans le monde. Je sais comment un vol au jeu vous a fait chasser de l'armée; j'étais là quand vous avez assassiné le général Delorge; je prouverai que c'est vous qui êtes coupable du détournement et des faux qu'on attribue à M. Philippe de Maillefert… S'il faut enfin le témoignage de Marie-Sidonie, soyez tranquille, je sais où la trouver…

La bête fauve qui, se voyant forcée, cherche une issue pour fuir, n'a pas de regards plus atroces que ceux du comte de Combelaine pendant que parlait Laurent Cornevin.

Tout à coup:

– Monsieur, dit-il au maire, confondu de stupeur, il faut que je vous parle, seul, à l'instant…

– Suivez-moi donc dans mon cabinet, répondit le magistrat municipal…

Tous deux disparurent par une petite porte; mais presque aussitôt le maire reparut seul et, d'un air inconcevablement troublé:

– Parti!.. bégaya-t-il. Mon cabinet a une seconde porte qui donne sur le vestibule, de sorte que…

– Le misérable a filé, n'est-ce pas? acheva Cornevin. Qu'importe! M. Barban d'Avranchel a décerné contre lui un mandat d'amener; on le retrouvera…

Il riait… Il voyait, un à un, gagner doucement la porte et s'esquiver les invités de ce mariage, le duc de Maumussy et le docteur Buiron, qui devaient être les témoins de Combelaine; puis la princesse d'Eljonsen, Mme de Maumussy et les autres… Si bien que, dans cette vaste salle de la mairie, il ne restait plus avec Laurent Cornevin que la duchesse de Maillefert, Mlle Simone et Raymond…

Pour la première fois de sa vie, peut-être, Mme de Maillefert était sincèrement émue.

Saisissant les mains de Cornevin:

– Que ne vous dois-je pas, monsieur! commença-t-elle. Béni soit Dieu, qui m'a inspiré de me confier à vous!.. Tout ce que vous m'aviez promis, vous l'avez tenu… Il n'y a plus maintenant que mon malheureux fils…

– M. Philippe, madame, vous sera rendu aujourd'hui même… La justice a reconnu qu'en toute cette affaire il n'a été que très… imprudent. Le déficit de la Caisse rurale est comblé…

– Et comblé par vous, n'est-ce pas, monsieur! C'est l'honneur que vous nous rendez, la vie, la fortune! Comment nous acquitter jamais?..

Du coin de l'œil, Cornevin observait Raymond et Mlle Simone, qui, réfugiés dans l'embrasure d'une fenêtre, pleuraient, – mais des larmes de joie, cette fois.

Les montrant à la duchesse de Maillefert:

– Vous savez ce que vous m'avez promis, madame, dit-il…

– Avant un mois, monsieur, ma fille sera Mme Delorge, répondit la duchesse.

Cornevin triomphait, mais il était de ces forts que n'étourdit pas le succès. S'approchant de Raymond:

– Tout n'est pas fini, mon cher ami, lui dit-il; tant que Combelaine ne sera pas sous clef, je tremblerai… Il faut que je vous quitte… Vous êtes poursuivi pour votre affiliation à la Société des Amis de la justice; mais voici un sauf-conduit du juge chargé de l'instruction… Rentrez donc chez vous, où votre mère doit se mourir d'inquiétude; avant deux heures, je vous y aurai rejoint…

Ayant pressé contre ses lèvres la main de Mlle Simone et salué la duchesse de Maillefert, Raymond se précipita dehors.

Aussi bien se sentait-il devenir fou. Tant de bonheur succédant à de si effroyables angoisses! Il se demandait s'il ne rêvait pas…

C'est donc en fondant en larmes que, en arrivant rue Blanche, il se jeta dans les bras de sa mère et de sa sœur.

– Tout est donc sauvé? lui dit à l'oreille Mlle Pauline.

Il la regarda et, la voyant rougir:

– Tu savais donc?.. fit-il.

– Beaucoup de choses… Jean m'écrivait pour moi seule, de sorte que… Oh! mais je viens de tout avouer à maman.

– Il y aura donc deux mariages, dit Raymond…

Mais sa joie ne lui faisait pas oublier le docteur Legris. Il se hâta de lui écrire, le priant de venir bien vite, et il expédia Krauss à Montmartre…

Après quoi il se réfugia dans son cabinet de travail, sentant le besoin d'être seul pour se remettre un peu, pour ressaisir ses idées, pour s'accoutumer à la certitude de son bonheur…

Et il y était depuis une demi-heure environ, lorsqu'il entendit dans le corridor une voix d'homme très forte, très impérieuse, qui parlementait avec la vieille bonne et qui répétait son nom avec une insistance singulière…

Il se levait pour aller voir, lorsque la porte de son cabinet s'ouvrit brusquement…

M. de Combelaine entra…

Il portait encore ses habits de noce, mais en quel désordre!.. Sa cravate était arrachée, et ses gants blancs pendaient en lambeaux à ses mains…

Il referma sur lui la porte à double tour et, se campant devant Raymond, les bras croisés, livide, les yeux injectés de sang:

– C'est moi, fit-il, d'une voix étranglée, moi!.. Vous l'emportez. Non content de me perdre, vous m'avez enlevé mes dernières ressources. Flora Misri a disparu; Verdale est en prison. Pendant que j'étais à la mairie, la justice a pénétré chez moi et y a saisi tout ce que je possédais d'argent et de valeurs. Ainsi, la fuite même m'est interdite. C'est trop. Il est des gens qu'il est dangereux de ne pas laisser fuir…

– Que voulez-vous? demanda Raymond, dont l'œil ne quittait pas un revolver placé sur le bureau, à sa portée.

M. de Combelaine se rapprocha.

– Dix fois, répondit-il, vous m'avez fait offrir un combat… Je viens vous dire que je suis à vos ordres…

C'était à ne pas croire à l'impudence de ce misérable, qui, démasqué enfin, poursuivi, venait proposer un duel, le suprême expédient des gens d'honneur.

– Vous oubliez, prononça froidement Raymond, que je n'ai qu'à appeler pour que montent les agents chargés de vous arrêter.

Une convulsion de rage contracta le visage de Combelaine.

– Nous sommes seuls, dit-il, et avant qu'on ne vienne!..

Puis, avec une violence effroyable:

– Il y a des armes, ici!.. Avez-vous peur?.. Que vous dire pour vous fouetter le sang!.. Faut-il vous rappeler le jardin de l'Élysée?.. Faut-il vous rappeler qu'il n'y a pas une heure, la femme que vous aimez s'appuyait à mon bras, qu'elle allait être à moi et que je l'adore!..

Avec un homme de sang-froid il eût perdu son temps…

Mais Raymond frémissait de toutes les colères qu'il avait dévorées depuis tant d'années; il tressaillait d'une volupté farouche à l'idée de sentir les chairs du misérable tressaillir sous son fer…

Saisissant donc une épée de combat à une panoplie, il la jeta aux pieds de Combelaine…

Et, s'emparant de l'épée placée en travers du portrait du général Delorge, il la tira de son fourreau, scellé de cire rouge, et tomba en garde en criant:

– Soit!.. Un combat, et que Dieu décide!.. Défends-toi.

Déjà M. de Combelaine attaquait avec une fureur aveugle, précipitant ses coups, et c'était effroyable, cette lutte mortelle en un si étroit espace. La maison entière retentissait des froissements de l'acier, du choc des meubles renversés, du fracas des mille objets qui, en tombant, se brisaient, et aussi des rauques clameurs de Combelaine, qui avait gardé, du temps où il était prévôt on ne sait où, l'habitude de crier sous les armes…

Pour la seconde fois, Raymond venait d'être touché au cou, et sa blessure, bien qu'insignifiante, saignait abondamment, lorsque la porte du cabinet vola en éclats sous le choc d'une épaule d'hercule.

Dans le corridor se pressaient effarés Laurent Krauss, Cornevin, le docteur Legris, M. de Boursonne, Mme Delorge et le bonhomme Ducoudray…

– Que personne n'entre! cria Raymond d'une voix terrible, cet homme est à moi! Cornevin, que personne n'entre!

Ces vingt mots faillirent lui coûter la vie… Combelaine lui portait, à fond, un coup droit terrible.

 

Il le para cependant et, sautant de côté, il se trouva placé sous le portrait de son père… juste dessous…

Et lorsque Combelaine, résolu à se faire tuer pourvu qu'il tuât, se jetait en avant, c'est le visage du général Delorge qu'il aperçut, c'est les yeux de l'homme qu'il avait assassiné que ses yeux rencontrèrent…

– Lui!.. fit-il, terrifié comme à la vue d'un spectre, lui, le général!..

Il n'acheva pas.

L'épée de Raymond venait de lui entrer dans la poitrine et ressortait de trois pouces un peu au-dessous de l'épaule.

Le misérable, lâchant son épée, battit l'air de ses mains, une écume sanglante frangea ses lèvres, un dernier blasphème s'éteignit dans sa gorge…

Il tomba, la face contre terre…

Il était mort!..