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La dégringolade

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«Étant donné le caractère de Mlle Simone, ce plan présentait de telles chances de succès, que Mme de Maillefert et son fils n'hésitèrent pas à l'adopter.

«Mais ce n'étaient pas eux qui étaient capables de le mener à bien, il leur fallait des complices, et véritablement, pour une telle besogne, il n'était pas facile d'en trouver.

«Ce fut Mme de Maumussy qui les trouva.

«Ayant fourni l'idée, elle fournit encore l'homme le plus capable, selon elle, d'en tirer parti: le comte de Combelaine. Mandé par elle, Combelaine se rendit secrètement à Saumur, où eut lieu sa première entrevue avec Mme de Maillefert et son fils. Dès qu'on lui eut expliqué ce dont il s'agissait, il déclara qu'il se chargeait de tout, et qu'il répondait du succès, à la condition qu'on lui donnerait la main de Mlle Simone avec une dot qu'il fixa.

«Il faut rendre à Mme de Maillefert cette justice qu'elle hésita. La condition lui semblait terriblement dure, non pour sa fille, mais pour elle-même. Elle connaissait M. de Combelaine, et la perspective de présenter un tel gendre lui répugnait singulièrement.

«N'osant, toutefois, refuser carrément, elle objecta des engagements antérieurs, pris par sa fille et par elle. A l'entendre, Mlle Simone, aimant quelqu'un, ne donnerait jamais son consentement, et son caractère était trop absolu pour qu'on pût espérer l'influencer ou la contraindre. M. de Combelaine déclara qu'il se chargeait, le moment venu, d'obtenir le consentement de Mlle Simone. Et le traité fut signé, grâce surtout à la duchesse de Maumussy, laquelle m'a toujours paru avoir voué une haine implacable à Mlle de Maillefert…

M. Verdale allait-il enfin éclairer les profondeurs de cette ténébreuse intrigue?..

C'est la pâleur au front que le docteur Legris, Raymond et Me Roberjot écoutaient, oubliant jusqu'à la présence de Lucien Verdale, lequel avait repris sa place devant la cheminée, et semblait l'accusé dont on prononce le réquisitoire.

– Vous devez le supposer, poursuivait l'architecte, Combelaine ne pouvait agir seul. S'il s'était tant avancé, c'est qu'il se savait, dans la banque et dans les affaires, des amis, des relations. Il vint me trouver. Je l'affirme sur l'honneur, la vérité ne me fut pas tout d'abord révélée. Si je l'avais seulement soupçonnée, je n'en serais pas où j'en suis à cette heure. Mais Combelaine me dit simplement qu'il s'agissait de tirer de peine des amis à lui, une grande dame et son fils, un charmant garçon, et aussi de favoriser son mariage avec une jeune fille dont il était très épris… Ce qu'il me proposait n'était sans doute pas très correct, avouait-il, mais il ajoutait que tout ne serait qu'une innocente comédie… Bref, je finis par lui promettre mon concours.

Depuis un instant, Raymond s'était redressé sur sa chaise.

– Vous oubliez votre visite à Maillefert, monsieur, interrompit-il…

Mais un coup de coude de Me Roberjot lui coupa la parole.

N'était-il pas naturel que M. Verdale cherchât à se disculper et à rejeter sur des complices tout l'odieux de l'intrigue!.. Et qu'importait qu'il fût plus ou moins coupable!

– Je suis allé à Maillefert, répondit-il, mais uniquement pour m'assurer que M. de Combelaine ne me trompait pas, et que c'était bien une affaire sérieuse qu'il me proposait. Plusieurs fois déjà, il m'avait joué, il me devait beaucoup d'argent, je me défiais de lui. Enfin, je puis bien le dire, jusqu'à un certain point, j'étais à sa discrétion. Il m'avait autrefois engagé dans des spéculations qui avaient nécessité des négociations délicates, j'avais eu l'imprudence de lui écrire, il avait conservé toute notre correspondance, et parfois m'en a menacé.

Il plaidait les circonstances atténuantes, il s'égarait…

– Revenons à Philippe de Maillefert, cher monsieur Verdale, dit doucement Me Roberjot…

L'ancien architecte eut un geste de fureur, mais se maîtrisant:

– La fortune constatée, l'exécution du plan n'était pas difficile. J'étais, comme je le suis encore maintenant, le directeur-gérant d'une société financière, la Caisse rurale. Combelaine était et est encore un des administrateurs de cette société. Je fis nommer M. Philippe de Maillefert membre du conseil de surveillance d'abord, puis sous-directeur. Cette situation lui donnant la disposition des titres, le reste allait tout seul. Encouragé par Combelaine, car il hésita au dernier moment, M. Philippe enleva des titres pour trois millions cinq cent mille francs environ, et masqua le détournement par des faux aussi maladroits et aussi authentiques que possible. Était-il pour cela un voleur et un faussaire? Non, pas dans le sens habituel de ces mots. Sa conviction était qu'il jouait simplement une comédie destinée à tromper sa sœur, et il était bien persuadé qu'il ne courait pas le moindre risque. Il ne disposa, d'ailleurs, d'aucun des titres qu'il avait enlevés. Il les laissa entre les mains de Combelaine. Et, quand l'un des deux avait besoin d'argent, je lui en avançais.

«Ces dispositions prises, M. Philippe partit pour Maillefert, jouer la grande scène d'où dépendait le succès et dont je ne me dissimulais pas l'odieux. Mais déjà j'étais trop engagé pour reculer.

«Ayant pris sa sœur à part, M. Philippe lui raconta que pressé par le besoin, tourmenté par des dettes de jeu, conseillé par de faux amis, égaré par la passion, il avait joué à la Bourse et perdu des sommes considérables qui ne lui appartenaient pas. Il ajoutait que tout allait être découvert, et que, préférant la mort au déshonneur, il allait se brûler la cervelle si on ne venait pas à son secours.

«Mlle Simone connaissait son frère… Elle ne douta pas une seconde de ce qu'il lui disait. Se décidant sur-le-champ, elle lui déclara qu'elle arrangerait tout si c'était possible encore, dût sa fortune entière y passer. Et M. Philippe nous revint ravi, en nous disant: «L'affaire est dans le sac, ma sœur sera ici demain.»

A l'attitude seule de M. Verdale, au regard qu'il jetait à la dérobée sur son fils, il était aisé de voir que ce qu'il avait dit n'était rien, près de ce qu'il restait encore à révéler…

Si Combelaine eût été un homme comme les autres, reprit-il, tout allait comme sur des roulettes. Mlle Simone vendait pour quatre millions de propriétés, on remplaçait les titres, et le tour était joué… Mais Combelaine n'était pas d'un caractère à renoncer à la fortune qui, après ce sacrifice, allait rester encore à Mlle de Maillefert. Aussi, quand elle l'envoya chercher, déclara-t-il que l'affaire de M. Philippe n'était pas si simple que cela à arranger. Il consentait bien, disait-il, à user de son influence, mais à une condition, c'est que s'il réussissait, Mlle Simone lui accorderait sa main.

«J'étais présent à cette scène, et rien ne peut rendre l'horreur de la pauvre jeune fille à cette déclaration. C'est pourtant du ton le plus doux qu'elle répondit qu'elle ne s'appartenait plus, qu'elle avait disposé de sa vie…

«Combelaine n'en insista pas moins, et si brutalement et si maladroitement, que Mlle de Maillefert, blessée et indignée, finit par lui dire, d'un ton de mépris écrasant:

« – Je vous entends, monsieur; les millions qui me restent vous font envie… Eh bien! soit! sauvez l'honneur de notre maison, et je vous les abandonne. Quant à devenir votre femme, jamais!..

«Par cette seule phrase, elle venait de se faire un ennemi mortel d'un homme qui jamais n'a rien oublié ni pardonné. Avant, il est certain que s'il tenait prodigieusement à la dot, il se souciait infiniment peu de la femme. Après, la femme plus que l'argent peut-être devint l'objet de ses ardentes convoitises.

« – Je la veux, me disait-il, cette orgueilleuse, et je l'aurai, ou pardieu, monsieur son frère ira au bagne.

«J'essayais de le calmer, mais je perdais mes peines. Et comme, deux ou trois jours plus tard, je le menaçais de l'abandonner et de prendre parti pour Mlle Simone.

« – Il est un peu tard pour reculer, mon cher, me dit-il en ricanant. Désormais je vous tiens tout autant que M. Philippe. Quant aux titres détournés, vous devez bien penser que je ne les ai pas laissés moisir dans mon tiroir. Il faut la croix et la bannière pour vous arracher dix mille francs, j'avais des créanciers… Vous êtes trop intelligent pour qu'il soit besoin de vous expliquer le reste.

M. Verdale disait-il vrai?

Ce qui est sûr, c'est que le frémissement de sa voix semblait trahir les rancunes de l'homme pris pour dupe.

– Les sarcasmes, poursuivit-il, encore plus que les menaces de Combelaine, m'ouvrirent les yeux. Je compris que j'étais joué par un de ces traîtres qui déshonorent le crime même, et qui pour se faire une part plus large n'hésitent pas à livrer leurs complices. Je discernai que son dessein était de s'emparer de la fortune entière de Mlle Simone, que jamais il ne rendrait les titres qui lui avaient été confiés et que tôt ou tard le pauvre Philippe payerait de son honneur et de sa liberté sa coupable imprudence…

M. Lucien Verdale était atterré.

Considérant son père avec une douloureuse stupeur:

– Mais c'est monstrueux! prononça-t-il.

– Oui, monstrueux, répéta l'ancien architecte, mais Combelaine me tenait. N'avait-il pas ma correspondance? Et telle était alors la situation de la Caisse rurale qu'un éclat scandaleux me menait droit à la banqueroute…

– Quelle honte! murmura Lucien.

– Oh! je ne prétends pas me disculper, poursuivait M. Verdale. J'explique seulement comment je fus réduit à assister les bras croisés à l'horrible drame dont l'hôtel de Maillefert a été le théâtre. Si triste que soit le caractère de la duchesse et de son fils, ils ne purent voir, sans être troublés, la douleur de Mlle Simone. Comprenant bien que ce mariage serait la mort de cette pauvre fille qu'ils avaient si indignement abusée, ils essayèrent d'en détourner M. de Combelaine, et voyant qu'ils perdaient leurs peines, ils finirent par lui déclarer qu'ils retiraient leur consentement.

 

« – Soit! fit-il froidement. On verra alors un duc de Maillefert en cour d'assises. Cependant, comme je suis bon prince, je vous accorde quarante-huit heures de réflexion…

«J'étais là. Et, je vous le jure, si j'avais connu un moyen de secourir ces malheureux, je n'aurais pas hésité à l'employer. Mais je vous le répète, j'étais aussi menacé qu'eux et c'est avec la rage de l'impuissance que j'assistai à la scène qui suivit le départ de Combelaine.

«M. Philippe était comme fou de douleur et de colère. Il n'est pas corrompu tout à fait, ce pauvre garçon, il est plus écervelé encore que méchant et, la situation où il voyait sa sœur réveillant en lui tous les instincts de l'honneur, il délirait.

«Il jurait que ce mariage ignominieux ne se ferait pas, déclarant que, puisque c'était lui qui avait commis la faute, c'était à lui d'en subir le châtiment. Il savait bien, disait-il, que rien ne ferait revenir Combelaine sur sa résolution, mais il s'en moquait, décidé qu'il était à se brûler la cervelle.

«Je vivrais des siècles que jamais je n'oublierais l'accent de Mlle Simone répondant à son frère:

« – Si votre mort devait sauver votre honneur, c'est de ma main que je chargerais vos pistolets, Philippe. Mais vous n'emporteriez pas dans la tombe le secret de notre honte. On saurait quand même qu'un duc de Maillefert a été voleur et faussaire… et c'est ce qu'à tout prix, oui, à tout prix, il faut éviter. Vivez, je saurai faire mon devoir…

«Quant à la duchesse de Maillefert, ce qui surtout la transportait de rage, c'était la conviction de l'inutilité de sa honteuse supercherie. Sans voir aussi bien que moi dans le jeu de Combelaine, elle comprenait fort bien qu'une fois en possession de la fortune de Mlle Simone, devenue sa femme, il la garderait pour lui seul. Elle se trouvait donc prise à son propre piège. Pour avoir voulu s'emparer des millions de sa fille, de ces millions dont le revenu lui avait toujours été généreusement abandonné, elle s'était ruinée irrémédiablement.

«Peut-être est-ce là ce qui la décida à tout révéler à Mlle Simone, à lui avouer que Philippe n'était coupable qu'en apparence, que le vol et les faux n'étaient, dans le principe, qu'une ruse indigne…

«La pauvre jeune fille fut révoltée de cette révélation, et je l'entendis s'écrier que d'avoir feint un tel crime, c'était pis, à ses yeux, que de l'avoir commis…

«Cependant, avant de prendre un parti, elle adopta une idée que je lui avais sournoisement suggérée, et qui était d'essayer d'intéresser à sa situation le duc et la duchesse de Maumussy. Je savais que Combelaine avait payé de magnifiques promesses l'indispensable complicité de Maumussy et de sa femme, et que depuis sa certitude du succès il ne cherchait plus que le moyen de ne pas les tenir. De là, des rancunes dont il y avait peut-être, pensais-je, à tirer parti.

«Je me trompais. Sentant mes répugnances à le servir, et que je pouvais lui manquer d'un moment à l'autre, Combelaine s'était secrètement rapproché de son ancien complice, et lui avait même attribué un assez bon nombre des titres volés à la Caisse rurale. D'un autre côté, le temps n'avait fait qu'envenimer la haine de la duchesse de Maumussy.

«La démarche de Mlle Simone ne servit qu'à lui démontrer l'inanité d'une plus longue résistance. Et le lendemain, Combelaine, triomphant, me montrait un billet qu'il venait de recevoir de Mlle de Maillefert.

« – Je vous attends, lui écrivait-elle. A une certaine condition que je vous dirai, je consens.

«Cette condition était qu'avant la célébration du mariage le déficit de la Caisse rurale serait comblé et qu'on aurait fait disparaître tout ce qui pouvait accuser M. Philippe. Sans discussion, Combelaine promit tout ce qu'on voulait, ayant l'intention, il ne me le cachait pas, et aussi le moyen, affirmait-il, d'éluder ses engagements.

«Je ne pouvais donc, à part moi, qu'approuver M. Philippe, lequel n'avait plus qu'une idée fixe, qui était de contraindre Combelaine à se battre avec lui.

«Malheureusement il n'avait, le pauvre garçon, ni l'adresse ni la patience nécessaires. Et un soir:

« – Je vous vois venir, mon cher, lui dit Combelaine, c'est pourquoi je vous préviens de ceci. Ne vous mettez jamais dans le cas d'avoir un duel avec moi, parce que, sur le terrain, c'est le procureur impérial que vous trouveriez. Je dois épouser votre sœur, donc nous devons être très bien ensemble. C'est entendu, n'est-ce pas?.. nous sommes amis!..

C'était comme un bandeau qui tombait des yeux de Raymond.

Il s'expliquait, à cette heure, les étrangetés de la conduite de Mlle Simone, ses larmes, ses indignations, l'obstination de son silence, ses palpitations d'espoir suivies de mortels découragements.

Ayant repris haleine, cependant, M. Verdale poursuivait:

– Je vous rapporte les faits tels que je les ai constatés, brutalement, mais vous devez penser que Combelaine ne s'était avancé qu'avec beaucoup de ménagements et en enveloppant d'une savante hypocrisie ses projets définitifs.

«Par exemple, il subvenait aux dépenses de Mme de Maillefert et de son fils, dépenses qui continuaient à être excessives, en dépit d'une situation qui eût dû leur inspirer de désolantes réflexions.

«De là vient qu'entre ces gens qui se méprisaient et se haïssaient si cruellement, les relations étaient, en apparence, excellentes. A les voir, on les eût crus intimes, tant chacun voilait ses rancunes et ses espérances d'une politesse affectueuse. Et on les voyait souvent ensemble, au Bois, aux courses, aux premières représentations, partout où court ce monde qui s'ennuie si fort et qu'on appelle le monde qui s'amuse.

«Seule, Mlle Simone maintenait rigoureusement les conditions du traité qu'elle avait consenti, lesquelles stipulaient que, jusqu'au jour du mariage, elle serait libre de ne pas recevoir M. de Combelaine. Elle restait renfermée chez elle, et c'est seulement par l'indiscrétion des femmes de chambre que nous savions que sa santé donnait des inquiétudes.

«Eh bien! cette fermeté exaspérait Combelaine, à ce point que je me demandais si véritablement il n'aimait pas Mlle Simone d'une passion furieuse, lui qui jamais n'a aimé personne. En songeant qu'elle se mourait de la seule idée de devenir sa femme, il délirait de colère. Tantôt il se servait, en parlant d'elle, des expressions les plus odieuses; tantôt il disait que, pour être à la place de Raymond Delorge, il donnerait des millions. Enfin, d'autres fois: – N'importe! s'écriait-il, je l'aurai quand même, cette orgueilleuse; elle vivra bien jusqu'au jour de notre mariage!..

«Mais ce jour restait à fixer, et je m'en étonnais, quand, observant Combelaine, il me parut que, pour un homme qui touchait au triomphe, il était bien sombre et bien préoccupé.

«J'étais malheureusement trop intéressé à son succès, pour ne m'émouvoir pas de ses inquiétudes. Mais lorsque je lui demandais ce qu'il avait, il me répondait invariablement: «Rien!» Et quand je cherchais à savoir pourquoi il ne pressait pas son mariage, il haussait les épaules et disait: «Parce que…»

«Une lettre que je reçus de Flora Misri me donna le mot de l'énigme.

«Cette fille, qui pendant vingt ans a été l'âme damnée de Combelaine, et que Coutanceau et moi nous nous sommes amusés à enrichir, ne voulait pas que son amant épousât Mlle de Maillefert. Il lui avait juré qu'elle serait sa femme, et elle prétendait l'obliger à tenir sa promesse.

«Elle m'écrivait donc pour m'intéresser à sa cause, me disant que, dépositaire de tous les papiers de Combelaine, elle les livrerait à la publicité s'il la trahissait, ajoutant que, parmi ces papiers, se trouvaient plusieurs lettres de moi particulièrement compromettantes.

«Je ne le savais, pardieu! que trop, puisque ces misérables lettres étaient la seule cause de mon obéissance.

«Épouvanté, je courus chez Combelaine, et j'y trouvai le duc de Maumussy et la princesse d'Eljonsen, compromis comme moi, et comme moi menacés par Flora Misri de voir leur correspondance publiée dans les journaux.

«Le calme et l'assurance de Combelaine finirent par nous calmer et nous rassurer.

«Il nous affirma que le danger était nul. Flora lui appartenait si complètement, qu'il était sûr, quoi qu'il advînt, que jamais elle n'exécuterait ses menaces. Pourtant, cette certitude ne l'avait pas empêché de prendre ses précautions. Nuit et jour, Flora était épiée par une demi-douzaine des plus habiles agents de la police secrète, lesquels avaient ordre, à la moindre apparence de péril, de s'emparer, fût-ce de force, des papiers.

«Enfin, il nous donna sa parole d'honneur de ne se pas marier avant d'avoir toutes nos lettres dans son tiroir.

«Je m'étais donc retiré à peu près tranquille, quand une circonstance inattendue vint réveiller mes alarmes. La duchesse de Maillefert, jusqu'alors souple comme un gant entre les mains de Combelaine, un beau matin se raidit et résista. C'était chez elle. Combelaine parlant d'arrêter définitivement l'époque de son mariage: « – Oh! rien ne presse, répondit-elle, un autre jour, plus tard, nous avons le temps…»

«Elle disait cela d'un ton si singulier, que sitôt seul avec Combelaine je lui en parlai. Il me rit au nez d'abord. Puis, comme j'insistais, il finit par m'avouer, d'un air soucieux, que c'était à croire que le diable s'en mêlait, tant il lui surgissait de tous côtés d'obstacles imprévus. Il n'était pas fort éloigné de croire à des ennemis secrets, acharnés. Il en arrivait à soupçonner jusqu'à son valet de chambre, Léonard, en qui jadis il avait toute confiance.

«Et quel ennemi avait-il, assez hardi pour s'attaquer à lui, sinon Raymond Delorge, l'homme dont il avait tué le père, et auquel il enlevait une femme adorée?

« – Mais qu'il ne me fasse pas repentir de l'avoir ménagé jusqu'ici, ajoutait-il, sinon je le brise comme verre. Je le tiens, il fait partie d'une société secrète, il peut être ce soir en prison, et dans un mois à Cayenne.

«Malgré tout, il était mal à l'aise, car il me dit qu'il fallait en finir, qu'il allait revoir Flora, lui reprendre nos lettres et se marier.

«Le lendemain matin, je le vis arriver ici, pâle comme la mort, et d'une voix étranglée:

« – Nous sommes flambés! me dit-il. On a volé les papiers!..

Après avoir commencé par perdre la tête et jeter feu et flammes, M. Verdale, petit à petit, semblait se résigner à sa situation et ne chercher plus qu'à en tirer le meilleur parti possible.

Maître de soi désormais, ayant recouvré cette éloquence fluide dont il submergeait les actionnaires de la Caisse rurale, il s'occupait bien moins d'observer son fils que de guetter du coin de l'œil le résultat de sa plaidoirie sur le visage de Me Roberjot, de Raymond et du docteur Legris.

«Est-il besoin, continua-t-il, de vous dire mon effroi, en apprenant que toute notre correspondance était aux mains d'un ennemi? Il n'était plus, selon moi, qu'une planche de salut: la fuite.

«Pardieu! dix ans plus tôt, en 1865 seulement, je n'aurais pas ainsi jeté le manche après la cognée. L'Empire alors avait la poigne assez solide pour protéger ses serviteurs, pour faire reconnaître leur innocence ou jeter sur leurs peccadilles le voile indulgent de l'oubli.

«Mais en 1870, sous le ministère Ollivier, alors que c'était à qui couvrirait de boue les ouvriers de la première heure, à un moment où chacun, d'un air béat, célébrait les charmes et les avantages de l'honnêteté, diable! il n'y avait pas à s'y fier.

«Nos lettres en disaient long sur le chapitre des concessions mises à l'encan et des pots-de-vin distribués à gros intérêts, et il était clair que les nouveaux venus au pouvoir saisiraient avec empressement une occasion de battre la caisse de leur popularité, déjà fort compromise, sur le dos de leurs prédécesseurs.

«Mon avis était donc de mettre la clef sous la porte et de filer attendre les événements de l'autre côté de la frontière… Combelaine malheureusement est un de ces entêtés qui se butent à une idée et qui, à regarder leur but, s'aveuglent aussi sûrement qu'à fixer le soleil.

«Il me déclara que, la tête sur le billot, il ne céderait pas, que nous étions trop avancés pour reculer, et que l'audace seule pouvait nous tirer de ce mauvais pas.

«De l'audace!.. Il lui en fallait terriblement, rien que pour parler ainsi. L'avant-veille, son valet de chambre, Léonard, l'avait quitté, pour entrer au service d'un Anglais, à ce qu'il avait prétendu, et tout prouvait que ce brusque départ cachait une trahison.

«N'importe!.. Il soutenait que notre partie pouvait être gagnée encore, un hasard heureux lui ayant appris par qui et comment les papiers avaient été enlevés.

 

«L'auteur de ce hardi coup de main était, me dit-il, M. Raymond Delorge.

« – Et c'est heureux, ajouta-t-il, puisque je le tiens, et que ce soir même il sera hors d'état de nous nuire…

– Et en effet, interrompit rudement Me Roberjot, le soir même, des assassins se précipitaient sur Raymond, et le frappaient à coups de couteau…

M. Verdale ignorait-il cette circonstance? On l'eût juré, à la façon dont il leva les bras au ciel.

– Eh bien! s'écria-t-il, Combelaine est encore plus fort que je ne le pensais, car il ne m'a rien laissé soupçonner de ce crime si lâche, oh! rien absolument… Le surlendemain seulement, il m'entraîna chez Mme de Maillefert, à laquelle il signifia qu'il voulait être marié dans le plus bref délai.

« – On ne se marie pas en carême, d'ordinaire, lui répondit-elle; cependant vous êtes le maître, qu'il soit fait selon votre volonté…

«Depuis, je n'ai guère revu Combelaine, tout occupé d'acheter la corbeille de noces, qu'il veut splendide; mais, à chaque fois, il m'a répété que nos affaires allaient au mieux, que M. Delorge n'avait pas fait usage de nos lettres et qu'il était si exactement surveillé qu'on était sûr de les lui reprendre.

«J'ai donc été surpris comme par un coup de foudre lorsque, hier soir, j'ai su par mon fils que Philippe de Maillefert était arrêté.

Calme en apparence, M. Verdale devait, au fond, être fort troublé, car il était bien trop perspicace pour ne pas comprendre que le moment difficile de l'explication, loin d'être passé, n'était pas venu encore.

– Ainsi, commença Me Roberjot, vous n'êtes pour rien dans l'arrestation de M. de Maillefert?

L'ancien architecte eut un beau geste de protestation indignée.

– En douteriez-vous donc! s'écria-t-il.

– Eh! eh! fit le docteur Legris.

– C'est qu'alors je me suis mal expliqué, messieurs, oui, bien mal!.. Quoi! vous ne voyez pas qu'en toute cette déplorable aventure, après avoir été joué, je suis indignement sacrifié!..

– Cependant…

– Oui, sacrifié, car en perdant Philippe de Maillefert Combelaine risque de me perdre. Depuis que je sais cette arrestation, je suis comme fou. Elle peut avoir pour moi des suites désastreuses. Philippe est le sous-directeur de la Caisse rurale, mais j'en suis le directeur, et c'est sur moi que retombe la responsabilité de sa nomination. Je vais être appelé en garantie par les actionnaires, tracassé par le juge d'instruction; la justice va vouloir fourrer le nez dans nos affaires…

Tout cela était fort plausible.

– Et cependant, reprit Me Roberjot, comment se fait-il que M. de Maillefert, lors de son arrestation, vous ait envoyé dire, aussi bien qu'à M. de Combelaine, qu'il consent à tout?..

– C'est qu'il me suppose complice de Combelaine.

– A quoi consent-il comme cela?

– Je l'ignore.

– Oh!

– Je vous en donne ma parole d'honneur.

Puis, après un moment de silence employé à peser dans son esprit les conséquences de ce qu'il allait répondre:

– Ce qui est sûr, ajouta M. Verdale, c'est qu'il y a quatre jours le mariage tenait plus que jamais. Il tenait si bien que j'ai compté à la duchesse trente mille francs pour le trousseau de Mlle Simone. D'un autre côté, par exemple, Combelaine était si mécontent des façons de M. Philippe à son égard, que dans la soirée du même jour il me dit: «Cet idiot le prend avec moi sur un ton qui ne me convient pas du tout; je découvrirais qu'il médite quelque coup de Jarnac que je n'en serais pas étonné.» Et comme je lui représentais que, pour mater M. Philippe, il n'y avait qu'à lui refuser de l'argent: «Eh! me répondit-il, voilà le diable. Il en a, dans ce moment, et je veux être pendu si je soupçonne où il le prend!..»

Le docteur Legris, Raymond et Me Roberjot échangèrent un rapide coup d'œil.

A chacun d'eux, le même nom venait aux lèvres: Laurent Cornevin.

– J'admets toutes vos explications, cher monsieur Verdale, reprit, non sans une nuance d'ironie Me Roberjot. Seulement, comment les Maillefert peuvent-ils être si cruellement gênés que vous dites, puisque Mlle Simone s'est résignée à vendre ses propriétés?

Les yeux de l'ancien architecte vacillèrent.

– C'est que, répondit-il avec un visible embarras, c'est que…

– Mlle Simone garderait-elle l'argent?

– Je ne dis pas cela…

– Alors que devient-il? Car elle vend, nous sommes bien renseignés; nous avons un ami en Anjou, le baron de Boursonne, et c'est par lui que nous savons que l'acquéreur des biens de Maillefert, c'est vous, cher monsieur Verdale…

M. Verdale tressauta.

– Ah!.. permettez, interrompit-il, j'ai acheté des terres, c'est vrai, mais ce n'est pas en mon nom, c'est au nom de la Caisse rurale, que je veux faire bénéficier d'une bonne et sûre opération…

– C'est généreux de votre part… mais que les achats soient faits à votre nom ou à celui de la Caisse rurale, vous payez, j'imagine. Que deviennent les fonds?..

Pour n'être pas fort apparent, le trouble de M. Verdale n'en était pas moins réel.

– Rien n'a été payé encore, balbutiait-il; comme toujours j'ai eu la main forcée. Combelaine voulait garder sur M. Philippe un pouvoir qu'il eût perdu, si le déficit eût été comblé…

De la tête, et de l'air le plus débonnaire, Me Roberjot semblait approuver.

Mais en lui-même:

– Ceci, pensait-il, doit cacher quelque nouvelle infamie.

Telle fut peut-être la pensée de M. Lucien Verdale, car se dressant tout à coup:

– M. de Combelaine est un misérable, prononça-t-il, mais vous, mon père, il faut que demain vous ayez versé à la Caisse rurale ce qu'y a pris M. de Maillefert.

– Trois millions cinq cent mille francs!

– Eh!.. qu'importe la somme!

De nouveau M. Verdale était devenu livide.

– Deviens-tu fou!.. s'écria-t-il. Cela n'arrangerait rien. Ce sont les titres volés qu'il faudrait… D'ailleurs, où veux-tu que je prenne trois millions cinq cent mille francs?..

– Vous êtes riche, mon père, et dût votre fortune y passer, il faut que le déficit soit comblé; il le faut, entendez-vous. Sinon, moi, votre fils, je me lèverais pour témoigner contre vous, pour vous accuser. Je puis être le fils d'un malhonnête homme, je ne serai pas son complice…

– C'est qu'il le ferait comme il le dit, balbutia l'ancien architecte éperdu, oui, il le ferait, je le connais…

Puis soudain, prenant son parti:

– Ah… tu es comme les autres, Lucien, s'écria-t-il, avec une violence inouïe, tu me crois riche à millions! Pauvre fou! Est-ce que jamais un millionnaire eût joué la partie désespérée que je joue, et qui se terminera peut-être en cour d'assises!.. Millionnaire! oui, je l'ai été un instant, aujourd'hui je n'ai plus rien. Ah! tu me regardes, tu me demandes comment cela se fait! Est-ce que je le sais moi-même! Ce qui est venu par la flûte s'en est allé par le tambour. Mes liquidations, qui étaient superbes, sont devenues désastreuses, je me suis entêté, et tout a été dit. Et c'est notre histoire à tous, qu'on appelle les hommes de l'Empire. Vois ceux que nous connaissons, et dont la prospérité a été éblouissante. Combelaine vole à main armée, Maumussy a dix millions de dettes, la princesse d'Eljonsen demande à on ne sait quels ténébreux trafics de quoi garder les apparences de son luxe passé. Si je suis encore debout, c'est qu'on ignore ma situation. Ouvre la fenêtre et proclame-la, et demain je n'ai plus qu'à faire mes malles et à filer rejoindre en Belgique les millionnaires d'un jour que la spéculation a trahis. Nous croulons, et ce n'est pas l'Empire qui nous tirera de là!.. L'Empire!.. il a donné tout ce qu'il pouvait donner, et maintenant que les caisses sont vides, il ne sait plus où prendre de l'argent pour remplir ces mains insatiables incessamment tendues vers lui… L'Empire!.. il est comme nous, il périt par l'argent, il dégringole, et il n'y a plus à l'ignorer que les ministres, le préfet de police et l'empereur!..