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Le gibet

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Notes sur John Brown, son procès et ses derniers moments

Nous puisons à diverses sources les détails suivants, relatifs à Brown, que le mouvement du drame nous a forcés d’abréger dans notre récit.



«Le 23 octobre, la Cour spéciale se réunit à Charlestown, sous la présidence du colonel Davenport. Les sept juges choisis pour assesseurs du colonel étaient MM. le docteur Alexandre, John Lock, John Smith, Thomas Willis, George Eichelberger, Charles Lewis, Moser Burr.



À dix heures, le shériff se présente à la barre avec les cinq prisonniers, escortés d’une garde de quatre-vingts hommes. Toutes les issues de la salle sont occupées par des sentinelles, et les baïonnettes reluisent de tous côtés, soit dans l’enceinte, soit dans les corridors extérieurs.



M. Charles Harding occupe le fauteuil du ministère public (attorney) pour l’État de Virginie, et M. André Hunter pour le Gouverneur fédéral.



Brown est à moitié défiguré; c’est à peine s’il peut ouvrir les yeux, Coppie marche avec peine; Stevens a l’œil hagard; sa respiration est oppressée, et il porte souvent la main sur son côté droit, déchiré de deux profondes blessures.



Le shériff Campbell prend la parole, et déclare que les cinq prisonniers présents sont accusés d’avoir voulu soulever des esclaves, conspiré contre l’État, commis les crimes de haute trahison, de meurtre et de pillage.



M. Harding demande que la Cour donne des défenseurs aux accusés, s’ils n’en sont déjà munis.



Brown se lève et, s’adressant à la Cour:



– Virginiens, dit-il, je n’ai pas demandé quartier, quand on m’a pris, et je n’ai rien à dire pour moi en particulier. Mais le gouverneur de cet État m’a promis un procès en forme, et j’ai compté sur sa parole. Je n’ai encore vu aucun avocat, aucun conseil. Est-ce là la légalité dont on m’a parlé?



Si vous avez soif de mon sang et de ma vie, prenez-les; mais qu’avez-vous besoin d’un semblant de procès? Vous pouvez les prendre à l’instant même. J’ignore absolument ce que pensent les autres prisonniers, et je ne suis pas en état de me défendre. Ma mémoire me fait défaut; ma santé, bien qu’elle se rétablisse, est encore trop mauvaise. Il y a des circonstances que je pourrais plaider dans un procès en forme, mais, si l’on tient à faire aboutir un semblant de procès à des condamnations capitales, vous pouvez vous épargner cette peine: je suis prêt à mourir. Mais ce que je ne veux pas, c’est assister des débats à de pure forme et de simple moquerie, tels que ceux qui ont lieu chez les nations lâches et barbares qui traitent avec des raffinements de cruauté ceux qui tombent entre leurs mains. Encore une fois, je repousse une semblable moquerie. Pourquoi cet interrogatoire? en quoi intéresse-t-il la société?..».



La Cour désigne d’office M. Charles Faulkner pour avocat des accusés; mais celui-ci refuse cette mission, en alléguant qu’il est convaincu d’avance que la défense ne sera pas libre, et que la procédure ne sera qu’une indécente jonglerie.



M. Lawson Botts accepte le mandat, sous toutes réserves, déclarant qu’il se retirera s’il juge qu’on viole envers ses clients les lois de la justice et de l’humanité.



Stevens accepte le défenseur nommé par la Cour.



Brown demande, mais en vain, du temps pour faire venir un avocat de son choix.



Le shériff appelle les témoins.



Le premier entendu est M. Lewis Washington, descendant collatéral de l’illustre fondateur de l’Union. Le témoin rapporte qu’il a été arrêté dans son lit par Stevens, Coppie et six autres individus, amené à l’arsenal comme otage, et qu’il n’a été délivré que le lendemain par les soldats de marine. Les insurgés ne lui ont fait subir aucun mauvais traitement.



M. Kittmiller a été saisi chez lui de la même façon et conduit au milieu des insurgés, qui ont eu pour lui les plus grands égards. Il n’a compté en tout que vingt-deux révoltés, il les a entendus manifester un vif désappointement quand ils ont vu que les populations noires n’accouraient pas pour leur prêter main-forte.



M. Armistead Ball reconnaît les accusés; il a été leur prisonnier et a longuement conversé avec eux. Brown lui a dit qu’il ne voulait que l’émancipation des esclaves, et qu’il n’entendait pas bouleverser la société américaine.



MM. Aldstadt Kelly et Johnson donnent des détails sur leur séjour dans l’arsenal et sur l’assaut livré par les troupes fédérales.



M. Kennedy était présent à l’arrestation du nègre Coppeland; il l’a entendu dire qu’il n’avait agi qu’en vertu d’ordres transmis de l’État de l’Ohio.



Pendant les dépositions, Stevens s’est évanoui; il a fallu apporter un matelas sur lequel il est resté étendu. Brown a dû s’appuyer sur ses gardiens, à moitié vaincu par la douleur que lui causent ses blessures.



Les témoignages sont épuisés. La Cour, séance tenante et sans quitter ses sièges, déclare qu’il y a évidence pour le crime, et qu’il y a lieu de soumettre l’affaire au grand jury.



La séance est levée; mais les accusés ne sont pas reconduits hors de la salle. Vingt minutes à peine se sont écoulées, que déjà le grand jury entre et se constitue.



Il prend connaissance des dépositions des témoins, consignées au procès-verbal, et rend immédiatement un verdict par lequel il renvoie Brown, Stevens, Coppie, Green et Coppeland devant le jury ordinaire, sous l’accusation des crimes ci-dessus désignés.



Brown se lève et dit:



– Mon état ne me permet pas de suivre un procès régulier. Blessé aux reins, je me sens très faible. Pourtant je vais mieux, et je ne demande qu’un court délai, après lequel il me semble que je pourrai suivre les débats. C’est tout ce que je voudrais obtenir. Au diable même on laisse son droit, dit un vieux proverbe. Mes blessures à la tête m’empêchent d’entendre distinctement. Tout à l’heure je n’ai pas compris les paroles du président. Je ne demande donc qu’un bref délai, et, si la Cour veut bien me l’accorder, je lui serai très reconnaissant».



La demande est repoussée. On lit aux prisonniers l’acte d’accusation (indictement). Pendant cette lecture, qui dure vingt minutes, les accusés, comme le veut la loi, se tiennent debout. Il faut soutenir Brown et Stevens. Aux questions, faites suivant l’usage relativement à chaque imputation de l’indictement, chacun des accusés répond: Non coupable. Chacun d’eux, Brown le premier, demande qu’on lui fasse un procès spécial. – «Dans deux jours, dit Brown pour justifier sa demande, j’aurai un avocat de mon choix». Le défenseur d’office se joint aux accusés, et s’écrie qu’il n’a pas eu le temps de préparer sa défense.



Vains efforts! Il faut en finir. Il s’agit bien de justice, en vérité! C’est une lutte à mort et il ne peut être question que d’achever des vaincus au plus vite.



Le lendemain, 26 octobre, à midi, la Cour entre en séance. Dans la cour qui précède la salle d’audience, deux canons chargés à mitraille montrent à la foule leurs gueules noires; des patrouilles circulent par les rues. Des rumeurs menaçantes ont couru par la ville, et justifient ces précautions nouvelles. On prétend que les esclaves s’agitent sourdement, qu’ils veulent délivrer leurs champions; on ajoute que les abolitionnistes de la Nouvelle-Angleterre sont en marche pour envahir la Virginie.



Ce qui est vrai, c’est que deux nouveaux complices de l’échauffourée du 16 octobre sont tombés entre les mains des Virginiens. La veille au soir, Cook et Hazlett, pressés par la faim, sont descendus des montagnes dans un village de Pennsylvanie. Trop faibles pour se défendre, ils ont été livrés au gouverneur Parker, qui a aussitôt avisé de l’arrestation son collègue de la Virginie.



On avait trouvé sur Cook un brevet de capitaine signé Brown, et un document sur parchemin établissant l’origine et la propriété d’un pistolet donné par La Fayette à Washington, et transmis par le fondateur de l’Union au colonel Lewis Washington. Quant au pistolet, Cook l’avait laissé dans un sac de nuit, abandonné dans la montagne.



À l’ouverture de l’audience, Brown renouvelle sa demande d’un délai, fondée sur l’impossibilité physique où il est de suivre le procès.



M. Hunter, attorney du district, répond qu’il n’est pas convenable, dans son opinion, de différer les débats d’un seul jour; il y a danger dans tout délai, et surcroît de frais pour la communauté. Brown se fonde, pour demander un sursis, sur l’arrivée prochaine d’un défenseur venu du Nord, mais il est fort douteux que l’avocat attendu se rende à son appel. Il est inutile, ajoute l’attorney, d’accorder aux accusés le bénéfice d’un procès séparé, comme aussi de leur permettre une trop grande latitude de langage.



Ceci répond au désir manifesté par Brown de faire une confession complète de ses vues et des motifs de sa tentative, à la condition que ce récit serait livré aux journaux. On a redouté l’effet de cette publication dans un État à esclaves, comme on redoute la lenteur et le retentissement prolongé d’un semblable procès.



M. Green, avocat, qui s’est présenté pour Brown, insiste pour un délai; M. Harding demande qu’il soit passé outre aux débats.



Deux médecins et deux geôliers sont entendus. Ils déclarent que les blessures de Brown ne l’empêchent ni d’entendre, ni de comprendre, ni même de converser dans sa prison.



La Cour rend un arrêt portant qu’il sera passé outre aux débats.



Il est formé un jury ordinaire de douze citoyens, qui déclarent sur la Bible qu’ils n’ont aucune opinion préconçue sur l’affaire soumise à leur examen.



Le 27 octobre, il faut dresser, pour Brown, un lit de sangle dans la salle d’audience. Son état paraît s’aggraver de jour en jour. Deux officiers de police l’apportent dans leurs bras.



À l’ouverture de la séance, M. Botts demande à la Cour la permission de lui donner lecture d’une dépêche télégraphique qu’il vient de recevoir. Cette pièce est ainsi conçue:



«Aaron (Ohio) 26 octobre 1859.

 



Aux défenseurs de Brown.



John Brown, le chef de l’insurrection Harper’s Ferry, et plusieurs membres de sa famille ont résidé dans ce comté pendant bien des années. La folie est héréditaire dans cette famille. La sœur de sa mère est morte folle, et une fille de cette sœur a été pendant deux ans dans une maison d’aliénés. Un fils et une fille du frère de sa mère ont été également enfermés dans le même asile. Enfin un autre de ses oncles est maintenant fou et tenu sous une stricte surveillance. Ces faits peuvent être prouvés de la manière la plus concluante, par témoins résidant ici, et prêts à se rendre devant le tribunal, si on le désire.



A. H. Lewis».



En entendant cette lecture, Brown se dresse sur son lit et dit: – «Je n’aime pas cette manière de plaider, je ne me crois pas fou, et je suis humilié qu’on s’abaisse à de tels moyens pour me sauver». – Il avoue, au reste, avec son ordinaire sincérité, que les faits mentionnés dans la dépêche sont rigoureusement vrais, et que les cas de folie sont nombreux dans sa famille.



Plusieurs témoins sont entendus: ce sont des gardiens de l’arsenal, des conducteurs de convois de chemins de fer. Ils déposent de ce que l’on sait, de ce qu’aucun des accusés ne nie.



Pendant ces dépositions, arrive le défenseur attendu par Brown, M. Hogt, avocat du barreau de Boston.



M. Hunter. – Je ne connais pas M. Hogt; je suppose qu’il peut fournir la preuve qu’il exerce la profession d’avocat.



M. Hogt répond qu’il n’a aucune preuve en mains, et qu’il est parti à la hâte de Boston, sans se munir d’aucun papier.



M. l’attorney Hunter soutient que la Cour ne peut admettre un défenseur inconnu. Mais un des assistants s’avance à la barre, et déclare connaître personnellement M. Hogt comme un homme de talent et de probité, appartenant, depuis plusieurs années, au barreau de Boston, où il jouit de l’estime publique. Le témoin spontané qui fait cette déclaration est M. le sénateur Mason; ses paroles sont accueillies avec des murmures d’approbation par tous les avocats présents, et M. Hunter déclare qu’il n’insiste plus sur son observation.



Quelques témoins sont encore entendus. M. l’attorney Hunter donne lecture d’un grand nombre de documents, entre autres de la constitution élaborée par Brown. De cette pièce, et de lettres qu’il lit aux jurés, résultent les preuves de la triple accusation portée contre les prisonniers.



M. Green, l’un des défenseurs, prend la parole. Il fait remarquer aux jurés qu’ils sont, à la fois, juges du fait et de la loi, et que le doute doit profiter aux accusés. On doit prouver qu’il y a eu complot contre la sûreté de l’État, on doit dire quel était le but des insurgés. Leurs aveux ne sauraient être invoqués contre eux dès l’instant qu’ils n’ont pas été faits devant la Cour: la loi est positive à cet égard. Mais où a été tramée la conspiration? L’accusation doit prouver que c’est dans la Virginie. Car si le complot a été conçu dans le Maryland ou dans les limites de l’arsenal fédéral, le tribunal virginien est frappé d’incapacité légale, et la cause doit être portée devant la juridiction du Maryland ou devant une Cour fédérale.



À l’appui de cette argumentation, le défenseur donne lecture d’une décision de l’attorney général, M. Cushing, dans un cas entièrement identique.



M. Botts, second défenseur, fait appel à l’impartialité absolue du jury, qui ne doit se décider que sur des preuves matérielles, et mettre de côté la conviction intime que quelques-uns de ses membres pourraient avoir d’une culpabilité dont des preuves absolues ne seraient pas produites. Il fait observer encore que John Brown était, en principe, mû par les sentiments les plus élevés et les plus nobles qui aient jamais animé un cœur humain, que ses intentions n’étaient de détruire ni propriétés ni existences. Il peut y avoir eu des victimes; mais, pour entraîner la peine de mort, le meurtre doit être prémédité, sinon, il ne donne lieu qu’à une pénalité de second degré, l’emprisonnement. Tous les prisonniers délivrés à l’arsenal ne déclarent-ils pas qu’ils ont été l’objet de tous les égards possibles, sauvés de tout danger inutile, de toute violence?



John Brown se lève, à son tour, et, se soutenant avec peine, parle ainsi:



– Malgré les assurances les plus formelles qui m’avaient été données, je vois que mon procès n’est qu’une ignoble comédie. Je remercie les défenseurs que vous venez d’entendre, et je n’attendais rien moins de leur loyauté. Mais, quand on m’a arrêté, j’avais 260 dollars en or dans ma poche; aujourd’hui je n’ai pas un cent. Sans argent, il m’est impossible de faire assigner mes témoins et d’obliger les shériffs à les amener au pied de la Cour. Au surplus, le nouvel avocat que Boston m’a envoyé, et que je n’ai jamais vu, a besoin de s’entendre avec moi sur quelques points de ma défense. Je demande donc, comme une faveur toute spéciale, que la cause soit renvoyée à demain midi».



M. Hunter s’oppose à tout délai quelconque.



M. Hogt demande à faire entendre lui-même quelques explications. Il n’a aucune connaissance des lois criminelles de la Virginie; il n’a pas même l’acte d’accusation. Il n’a pas conféré avec son client, il n’a encore aucune idée du système de défense qu’il pourra adopter. Le jeune avocat bostonien ajoute qu’il attend dans la soirée un magistrat éminent de l’Ohio, qui vient lui prêter le concours de son expérience. Pour tous ces motifs, ce serait inhumanité, ce serait insulte à la loi, de refuser le sursis.



M. Hunter persiste dans ses conclusions, et repousse tout délai comme inutile et dangereux. L’évidence est pour la culpabilité, et la Cour ne peut admettre comme excuse la prétendue ignorance d’un avocat, qui doit connaître les lois d’un État où il va plaider.



MM. Green et Botts déclarent qu’ils se retirent immédiatement s’il n’est fait droit à la demande de Brown. Rester, ce serait se rendre complices d’une monstrueuse iniquité judiciaire, qui souillerait à jamais la réputation de caractère chevaleresque que les Virginiens ont méritée jusqu’à ce jour. Ce procès s’instruit à la face du monde; il ne faut pas que les hommes calmes et impartiaux aient le droit d’appliquer aux juges le nom de bourreaux.



En présence de ces protestations, un sentiment de pudeur pousse la Cour à prononcer le renvoi au lendemain, dix heures; mais, pour calmer les terreurs que ce délai va inspirer à la multitude, le juge-président donne, à voix haute, aux policemen et aux geôliers, l’ordre de tuer sans pitié tous les prisonniers, si quelque tentative était faite pour leur délivrance!



Le 28 octobre, deux nouveaux avocats se sont présentés pour donner à Brown l’appui de leur talent et de leurs lumières; ce sont MM. Samuel Chilton, du barreau de Washington, et Henry Griswoold, de Cleveland. Les nouveaux venus élèvent également la prétention d’obtenir un sursis; mais la cour repousse toute idée d’un délai nouveau.



On entend les témoins à décharge, c’est-à-dire les citoyens qui ont à déclarer que les insurgés ont eu pour eux les plus grands égards.



Le juge-président se prépare à faire son résumé, et à soumettre les questions au jury. Mais Brown, se soulevant sur l’épaule, demande qu’on entende ses défenseurs. Il soutient que l’accusation a produit contre lui des pièces fausses et mutilées, et qu’il sera facile de les réduire à néant. La Cour doit oublier qu’il s’agit de lui dans cette affaire, et elle ne doit pas permettre que la suppression des débats, en empêchant la vérité de se produire, laisse planer sur des hommes honorables du Nord, des soupçons de complicité que rien ne justifie.



Ceci répond au bruit qui a couru, dès le premier jour du procès; que l’instruction avait découvert des papiers compromettants pour des chefs distingués du parti abolitionniste, MM. Seward, Sumner, Hale, Lawrence, Chase, Fletcher, colonel Fortier.



Malgré les vives protestations de l’attorney du district, la Cour accorde aux défenseurs vingt-quatre heures pour se préparer, et s’ajourne au 30 octobre».



Ce jour-là, la Cour entre en séance à neuf heures.



«MM. Chilton et Griswoold prennent tour à tour la parole pour l’accusé principal, et font valoir en sa faveur les circonstances atténuantes les plus capables d’émouvoir les jurés. Une folle échauffourée, sans racines, sans soutiens, accueillie par l’indifférence de la population noire; voilà quelle a été, en réalité, cette affaire d’Harper’s Ferry. Faut-il lui donner des proportions exagérées, et montrer la mort de Brown comme indispensable à la sécurité des États du Sud?



M. Hunter se hâte de répondre que le crime est évident, qu’un exemple est nécessaire. Que Brown et ses complices soient timidement punis, et chaque jour verra se renouveler ces folies scélérates enfantées par des utopies sanglantes. Le jury virginien fera son devoir. L’avocat de la loi n’a pas même cherché à donner le change sur la signification de ce procès. «Je ne vise pas seulement, a-t-il dit, à obtenir la tête des misérables qui sont devant la Cour; mais j’espère atteindre un gibier plus élevé et plus coupable».



Le juge-président déclare aux jurés qu’il croit inutile de leur rappeler les incidents de la cause. À quatre heures, les jurés se retirent dans la salle de leurs délibérations. Trois quarts d’heure après ils en sortent. Le verdict va être prononcé. Deux agents de police s’approchent de Brown, qui, bien que moins abattu, est toujours couché sur un lit de sangle; ils l’aident à se tenir debout.



Le juge-président. – Messieurs les jurés sont-ils unanimes dans leur vote?



Le président du jury. – Unanimes.



Le juge-président. – John Brown, ici présent, est-il coupable ou non coupable?



Le président du jury. – Coupable de trahison, de complot contre la sûreté de l’État, de conspiration, de tentative d’insurrection parmi les nègres, de meurtre au premier degré.



Brown a entendu sans émotion apparente ces réponses dont une seule entraînerait la mort; il ramène froidement sur son épaule les plis de son manteau, et s’assied.



M. Griswoold déclare qu’il a à déposer une motion pour suspendre l’exécution du jugement, et la Cour en renvoie l’examen au lendemain matin.



Le lendemain, 1er novembre, l’arrêt de mort fut porté, la condamnation ne fut rendue publique que le 2 novembre. Le jour de l’exécution fut fixé au 2 décembre.



Les jours suivants, les compagnons de Brown furent jugés à leur tour, condamnés à mort comme lui, et leur exécution fut indiquée pour le 16 décembre.



Brown attendit la mort avec calme. La curiosité américaine est cruellement cynique; elle ne connaît ni réserve ni respect: Brown la souffrit avec douceur, tout en disant quelquefois qu’il n’aimait pas à être montré comme un singe. Il ne reçut pas seulement, il est vrai, des visites d’ennemis. Madame Lydie-Marie Wild, célèbre abolitionniste de Boston, demanda un sauf-conduit pour Charlestown et fut introduite dans le cachot. Elle apportait à Brown un bouquet de fleurs d’automne, Brown la pria de le suspendre aux barreaux de la fenêtre. La dame prit place à côté du blessé, et, tout en tricotant, causa longuement avec lui. Elle a dit depuis que jamais homme n’avait montré un esprit plus calme et plus lucide. Comme elle lui demandait s’il ne craignait pas de perdre le courage avec ses forces:



– La mort est peu de chose, répondit-il; le plus triste pour un homme actif c’est d’être couché sur le dos estropié. Je ne pourrais jurer qu’il ne m’arrivera pas quelque faiblesse; mais je ne crois pas qu’on m’entende jamais renier mon seigneur et maître Jésus-Christ, comme je le ferais en reniant mes principes».



Les hurlements de la populace mirent fin à cet entretien. Elle avait appris qu’un abolitionniste visitait Brown dans sa prison. Il fallut faire partir la dame au plus vite.



À d’autres visiteurs Brown exprimait ses regrets de n’avoir pas fortifié le pont: cela seul, disait-il, méritait la mort. Une de ses opinions doit être remarquée. On l’interrogeait sur la doctrine de l’amalgamation, doctrine timidement soutenue par quelques hommes qui, aux États-Unis, osent prêcher l’union par mariage des blancs et des noirs.



– Je ne suis pas pour l’amalgamation, répondit Brown, cependant, à la rigueur, je préférerais de beaucoup qu’une de mes filles épousât un nègre industrieux et honnête, qu’un blanc paresseux et mauvais sujet».



On proposa au condamné les secours des pasteurs esclavagistes; il montra sa Bible, qu’il n’avait pas quittée un seul instant. – «Dites-leur, ajouta-t-il, de retourner chez eux lire leur Bible. Je les estime comme gentlemen, mais comme gentlemen païens».



Brown était congrégationaliste, une des mille sectes exclusives et indépendantes de l’Union.



Quelques lettres du condamné, écrites à ce moment, feront mieux connaître son individualité si fortement accusée..

 



On verra qu’il n’oublie rien, qu’aucun des moindres détails de ses affaires temporelles ne lui échappe, qu’il songe à tout ce qui peut profiter à sa famille. Il se rappelle même que les habits d’un de ses fils sont usés, et consacre une somme d’argent pour qu’il s’en achète de neufs.



Il ne témoigne aucune inquiétude sur les souffrances qu’il pourra endurer lors de sa strangulation; sa fin prochaine, loin de lui paraître terrible, lui apparaît pleine de douceur. De même qu’un bon serviteur, qui, après avoir bien et fidèlement servi son maître s’attend à une récompense et enfin à se reposer de ses travaux, John Brown, qui a combattu et pour son Dieu et pour l’humanité, aspire après le moment de recevoir le prix dû aux saintes actions et de jouir du repos éternel des justes.



Dans toute sa correspondance, il s’applaudit de ce qu’il a fait; il est convaincu que sa vie ne pouvait être mieux employée qu’à soulager l’infortune, à combattre l’injustice, à défendre l’opprimé, à punir l’oppresseur, et croit qu’il aurait été coupable envers Dieu et envers l’humanité s’il l’eût consacrée autrement qu’en travaillant à la destruction de l’esclavage».



Tous ces mots italiques dans les lettres qui suivent, ont été soulignés par John Brown lui-même.



Charlestown, comté de Jefferson.



12 novembre 1859.



«Cher frère Jérémie,



J’ai reçu votre bonne lettre du 9 courant, et vous en ai de grandes obligations. Vous me demandez: Puis-je quelque chose pour vous et pour votre famille?



J’ai à répondre à cela que ma femme, mes fils et ma fille sont dans le besoin, et que je désire qu’on leur remette, comme je tâcherai de vous l’expliquer tout à l’heure, sans formalités légales, qui absorberaient le tout, l’argent qui doit me revenir sur la succession de mon père. Les vêtements d’un de mes fils sont tellement usés qu’il aura besoin d’un bon habit pour l’hiver. Grâces aux bontés d’un ami, j’ai cinquante dollars que j’enverrai sous peu à mon fils. Si vous pouvez le trouver, je vous prie de lui avancer cette somme que je vous ferai remettre ensuite par une voie sûre. Si j’avais les comptes de M. Thompson, relativement à la succession de mon père, je saurais peut-être ce qu’il m’est possible de faire; mais je ne possède pas la moindre note pour me guider. Si M. Thompson veut me donner ces détails et garder mon dividende en dédommagement de sa peine, je lui en aurai de grandes obligations. Dans ce cas, envoyez-moi quelques notes de votre main. Je me rétablis lentement et vois venir ma fin avec le plus vif plaisir, et suis bien persuadé que je suis plus propre à être pendu qu’à toute autre chose.



Que le Dieu tout-puissant vous bénisse et vous sauve tous!



Votre affectionné frère,



John brown.



P. S. Dites à mes pauvres enfants de ne pas s’affliger un seul instant à mon sujet. Quelques-uns d’entre vous vivront peut-être assez longtemps pour voir le jour où ils n’auront point à rougir de leur parenté avec le vieux Brown. Cela serait-il plus étrange que bien d’autres choses qui sont arrivées? Je sens mille fois davantage le chagrin de mes amis que le mien propre. Pour ce qui me concerne, je le regarde comme un bonheur. J’ai combattu pour la bonne cause, et j’ai, il me semble, terminé ma carrière. Veuillez montrer cette lettre à tous ceux de ma famille que vous rencontrerez.



Mon amour à tous. Puisse Dieu, dans sa miséricorde, vous bénir et vous sauver tous!



J. B».



Au révérend i. waill.



«Charlestown, 15 novembre.



Cher et fidèle ami,



Votre lettre si bonne et tant bien venue du 8 courant m’est parvenue à temps.



Je vous suis très reconnaissant pour tous vos bons sentiments à mon égard, pour les conseils que vous me donnez et les prières que vous faites à mon intention. Permettez-moi de vous dire ici que bien que mon âme soit parmi les lions, je crois que Dieu est avec moi dans tout ce que je fais. Ne soyez donc pas surpris quand je vous dis que je suis plein de joie dans toutes mes tribulations, et que je ne me sens condamné ni par Celui dont le jugement est juste, ni par ma propre conscience. Je ne me crois déshonoré ni par l’emprisonnement, ni par les chaînes, ni par la perspective du gibet. Il m’a été permis, quoique indigne, non seulement de souffrir l’affliction avec le peuple de Dieu, mais d’avoir en outre de nombreuses et magnifiques occasions de prêcher la justice dans la grande assemblée. Je suis fermement convaincu que mes travaux ne seront pas tout à fait perdus. Mon geôlier, sa femme et ses employés ont été extrêmement bons pour moi, et quoiqu’il se soit montré un des plus braves parmi ceux qui m’ont combattu, maintenant on lui dit des injures à cause de son humanité. Autant que j’ai pu l’observer, il n’y a que les braves qui puissent être humains pour un ennemi abattu. Les lâches prouvent leur courage par leur férocité, preuve qu’on peut fournir sans le moindre risque. Je regrette de ne pouvoir vous raconter les visites intéressantes que j’ai reçues de diverses sortes de personnes, surtout de membres du clergé. Le Christ, ce grand capitaine de la Liberté aussi bien que du Salut, qui a commencé sa mission en la proclamant, a jugé convenable de m’ôter l’épée d’acier qu’il m’a confiée pendant quelque temps, pour m’en mettre une autre dans la main, l’épée de l’esprit. Aussi je prie Dieu de faire de moi un soldat fidèle en tout lieu où il lui plaira de m’envoyer, non moins sur l’échafaud, qu’au milieu de mes plus chauds partisans.



Mon cher vieil ami, je puis vous assurer que je n’ai pas oublié notre dernière entrevue, non plus que notre vue rétrospective de la route par laquelle Dieu nous conduisait alors, et je bénis son nom de ce qu’il m’a rendu digne d’entendre une seconde fois vos paroles d’espérance et de consolation dans un moment où je suis au moins sur le bord du Jourdain. Voyez le Pèlerin de Bunyan. Puisse Dieu, dans sa miséricorde infinie, nous permettre de nous réunir encore une fois sur l’autre bord! J’ai souvent passé sous la verge de Celui que j’appelle mon Père, et certes jamais fils n’en a eu plus besoin; j’ai pourtant joui de la vie, parce qu’il m’a été donné de découvrir son secret d’assez bonne heure. Ce secret a consisté à faire de la prospérité et du bonheur d’autrui les miens propres, en sorte que j’ai eu réellement beaucoup de prospérité. Aujourd’hui encore, je me réjouis à la pensée des jours prochains où la paix sur la terre et aux hommes de bonne volonté dominera en tous lieux. Aucune idée de murmure ou d’envie ne trouble ma sérénité. Je louerai mon Créateur avec mon souffle. Je suis l’indigne neveu du doyen John. Je l’ai beaucoup aimé, et, à cause des chers amis que j’ai eus, je puis adresser ces mots à Dieu: Ne confonds pas mon âme avec celle des impies. L’assurance que vous me donnez des vives sympathies de mes compatriotes est bien douce à mon cœur et m’engage à leur adresser une parole de consolation.



Aussi vrai que je crois fermement au règne de Dieu, je ne puis croire qu’aucune des choses que j’ai souffertes ou que je suis appelé à souffrir encore, soit perdue pour la cause de Dieu et de l’humanité. Avant de commencer mon œuvre à Harper’s Ferry j’avais l’assurance que, même au milieu de la plus mauvaise fortune, elle porterait des fruits. J’ai souvent exprimé cette croyance, et, même aujourd’hui, je ne puis imaginer aucune cause probable qui puisse me faire abandonner mon espoir. Je ne suis en aucune manière désappointé pour la chose principale. Je l’ai été grandement pour ce qui me concerne moi-même en ne voyant point se réaliser mes