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Le chasseur noir

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VIII. BANDITS ET TRAPPEURS

Le combat avait cessé.

Les deux antagonistes suivirent leur chef, l’oreille basse, en emportant le paquet de pelleteries qu’ils avaient volé à la victime.

Huit jours après le crime, ils partirent tous deux de la Ville hantée et se dirigèrent vers la hutte de Nick Whiffles.

Le trappeur était sorti et Sébastien. Delaunay gardait la cabane.

Les scélérats entrèrent brusquement et demandèrent au jeune garçon un verre de whiskey.

En les voyant, il se sentit frissonner. Néanmoins, il tâcha de faire bonne contenance et leur donna ça qu’ils désiraient.

Il servit une outre pleine d’alcool.

Ben et Zene se mirent à boire, tandis que la pauvre Sébastien se tenait tremblant en un coin du foyer.

Ben Joice avala une gorgée, puis une autre, une troisième et il but ainsi coup sur coup jusqu’à ce que l’ivresse l’eût gagné.

Inutile de dire que Zene, qui avait suivi son exemple, se trouvait à peu près dans la même position.

Ils se mirent alors à jaser, à raconter leurs ignobles prouesses et à tenir d’horribles propos, bien capables d’effrayer Sébastien.

Ben Joice se distinguait surtout par son irritation.

Cependant les chiens de Nick Whiffles semblaient le gêner passablement.

Infortune paraissait sa bête noire.

Il jetait sur l’animal des regards étincelants de colère et parfois se levait à demi, comme s’il eût voulu aller le frapper. Mais Infortune exerçait un prestige d’une certaine valeur.

Chaque fois que Ben Joice faisait un mouvement le chien: ouvrait sa gueule et montrait une double rangée de dents, longues, blanches, tranchantes et aiguës qui eussent donné la chair de poule aux plus téméraires.

Pensant donc qu’il était moins dangereux de se servir de sa langue que de ses membres, Ben se répandit bravement en invectives contre les deux chiens.

D’abord, ceux-ci n’eurent pas l’air de s’en soucier. Mais, comme Ben Joice continuait, Maraudeur poussa un grondement auquel Infortune répondit par des hurlements très-significatifs.

– Ne les provoquez pas, si vous tenez à la vie, dit Sébastien.

Joice leva sa face rougie par l’ivresse.

Les chiens aboyèrent à nouveau et avec ua redoublement de fureur.

– Donne-moi les pistolets, Zene, et je m’en vais les expédier plus vite qu’un Indien n’enlève une chevelure, dit Ben à son camarade.

– Je les ai laissés au camp; Bill Brace en avait besoin, répliqua l’autre.

– Malédiction! j’ai aussi laissé les miens, c’est toujours comme ça! Mais j’ai envie de tuer ces cagnes et je les tuerai, c’est moi qui le dis. Il y a longtemps que c’est mon idée, vois-tu, Ben. En voici un que je connais, d’ailleurs. C’est le chien que ce grand brigand de Nick appelait, il y a quelque temps, Calamité, un monstre d’animal, plein de vices, je parie deux charges de pelleteries! Oui, il m’a déjà mordu les jambes. Diable, où peut être mon couteau?

Il cherchait dans ses mitasses son arme favorite, mais ne la trouvait pas.

S’adressant à Sébastien:

– Petit serpent, moitié blanc, moitié rouge, où est mon bowie? tu dois le savoir, hein?

Assis derrière ses chiens, le jeune garçon ne répondit point. Mais sa main s’arma d’un grand couteau de chasse laissé dans la hutte par Nicolas.

Les bandits se reprirent à boire et à rapporter des histoires criminelles plus ou moins vraies, où ils prétendaient avoir été acteurs. Pas n’est besoin d’ajouter qu’ils renchérissaient à qui mieux mieux sur leurs abominables récits.

La conversation tomba naturellement sur le malheureux qu’ils avaient abattu dans le canon.

– Nous avions une fameuse chance pour le larder, si le capitaine n’était venu se mêler de nos affaires. Un diable d’homme que le capitaine Dick! Il faut toujours qu’il fasse son chemin… coûte que coûte!

– Ne parlons plus de ça, Ben; j’ai du chagrin parfois. André Jeanjean est un bon trappeur. Je le connaissais depuis pas mal d’années. Il avait commandé une brigade à laquelle j’appartenais et il y avait bien des gens qui l’aimaient. Une fois seulement, nous avons eu une petite querelle parce qu’il m’accusait d’avoir pris des castors et des loutres à ses trappes, ce qui était certainement pure vérité. Mais on n’aime pas à s’entendre dire de ces choses-là, tu sais? Et je lui répondis qu’il mentait. Alors il m’allongea quelque part un coup de pied qui m’est toujours resté sur le coeur. S’il ne m’avait pas donné ce coup de pied, il ne dormirait pas maintenant dans le canon.

– Bah! tu as toujours été une poule mouillée. Est-ce que nous ne sommes point les seigneurs du pays? Bien bêtes, si nous ne levions pas un tribut quand nous le pouvons faire. La conscience vois-tu, Ben, ça ne se voit pas, donc ça ne sert à rien.

– Mais ça se sent! murmura Beck, tandis que Ben poursuivait sans remarquer l’exclamation.

– Si tu m’en crois, tu vas sortir et creuser une fosse pour y jeter ce gringalet.

Le gringalet, c’était Sébastien.

Quoique très-pâle il conservait son sang-froid et faisait aussi bonne contenance que possible.

– Pauvre Jeanjean, reprit Ben, j’ai rêvé de lui la nuit dernière. Mais, comme tu dis, ça ne sert de rien. Les affaires sont les affaires. Notre destinée est de faire la guerre aux hommes et aux bêtes, nous la ferons, voilà tout. A ta santé!

– A ta santé! répéta Ben en avalant une nouvelle gorgée de whiskey.

Il déposa l’outre sur la table, se tourna du côté de Sébastien, fit une affreuse grimace et poussa un cri terrible.

L’enfant frémit.

– Ouah! ouah! vociféra Ben de toute la force de ses poumons.

Sébastien serra plus fortement le manche de son couteau.

Il s’attendait à une attaque, quand un craquement de branches sèches sous un pied lourd se fit entendre.

Les trois acteurs de cette scène jetèrent instinctivement les yeux sur la porte de la hutte, et, tout aussitôt, les traits des deux scélérats devinrent livides d’horreur.

Sur le seuil de la cabane on voyait un homme pâle ensanglanté.

Ses yeux étaient larges, fixes, sans expression appréciable. Un bandeau qu’il portait au front s’était dérangé et laissait apercevoir, à la naissance des cheveux, une blessure, d’un rouge vif.

C’était Jeanjean, le trappeur.

Un instant glacés d’épouvanté, Ben et Zene recouvrèrent vite leurs facultés; mais ce fut pour se précipiter contre la frêle enveloppe de la tente qu’ils enfoncèrent en se précipitant au dehors comme s’ils redoutaient la poursuite d’un ange vengeur.

Le blessé n’avait pas changé d’attitude, et Sébastien demeurait encore accroupi derrière ses chiens.

Quelques minutes s’écoulèrent dans un morne silence.

Puis, tout à coup, Jeanjean fit un pas vers Sébastien. On eût dit qu’il était mu par un ressort, tant ses mouvements étaient automatiques.

Contrairement à leur habitude, Infortune et Maraudeur ne donnèrent aucun signe de colère.

Le trappeur marcha encore trois pas et vint s’asseoir à côté de Maraudeur, dont il caressa la robe velue, avec la curiosité et la satisfaction d’un enfant.

L’animal se laissa faire, malgré son aversion pour les étrangers. On voyait même qu’il prenait plaisir à l’attention dont il était l’objet.

De temps à autre, le blessé cessait de lui passer la main sur le dos, comme si un rayon indécis de lumière venait mourir à la porte de son intelligence, et parfois aussi il chantait des lambeaux d’une complainte, intitulée la Fille du trappeur.

Peu à peu, Sébastien revint de l’émoi que lui avaient causé ces divers incidents: il regarda anxieusement à travers la porte pour voir si Nick ne paraissait pas dans le lointain.

Peine perdue, le brave homme ne se montrait point.

– Il n’est pas encore l’heure, murmura Sébastien.

La vallée du Trappeur est à un bon bout de chemin d’ici.

Puis il ajouta d’un ton triste:

– Aurai-je toujours devant les yeux ces hommes farouches? Je les vois passer devant moi comme des spectres. Leur apparition me rappelle des souvenirs qui me remplissent de terreur. Mais il faut reprendre courage. Nick va venir. Sa présence me rassurera tout à fait. Lui, il me rend content – presque heureux. Et pourquoi pas tout à fait heureux? continua-t-il d’un air souriant.

Sebastien s’arrêta, comme pour trouver une réponse à cette question. N’y parvenant sans doute pas, il poursuivit son monologue:

– Et ce jeune homme, ce Pathaway? qu’est-il encore?

Sebastien était troublé.

Sa dernière interrogation l’embarrassait évidemment plus que les premières. Pendant près d’une heure, il se tint contre la porte, la tête penchée sur sa poitrine et les mains jointes.

– Eh bien, qu’y a-t-il, petit? quelle maudite difficulté? cria tout à coup à son oreille une voix forte mais douce.

Sébastien tressaillit et leva les yeux.

Son cher Nick était là, accompagné de Pathaway et d’un autre personnage qui se traînait difficilement près d’un gros chien.

– C’est Portneuf, le voyageur canadien fit Whiffles, en entrant dans la cabane.

Et apercevant le trou qu’avaient fait les deux bandits:

– Quoi? qu’est-ce que ça?

– J’ai eu des visiteurs. Nicolas, et de bien incommodes, je vous assure: Ben Joice et Zene Beck…….

– Oui, je comprends, petit; ils t’ont menacé? interrompit le trappeur en fronçant le sourcil. Mais qu’est-ce qu’ils voulaient les misérables! t’ont-ils touché, dis-moi: ah! je voudrais bien – non je ne voudrais pas qu’ils t’eussent touché, oui bien, je le jure, votre serviteur! Bande de chenapans! J’en délivrerai le pays, c’est moi qui vous le dis, ô Dieu, oui! Mais où était Maraudeur? par Dieu, où était Infortune?

– Ici et fidèles. Ah! ce sont deux bonnes bêtes. Voyez donc!

Le blessé s’était, durant cet intervalle, glissé sous une peau de bison.

Nick ne le remarqua pas.

 

– Viens ici Maraudeur, et viens aussi toi, Infortune, dit-il doucement et d’un air qui témoignait de son admiration pour ses chiens.

– J’observe, dit Pathaway, que vous faites preuve d’un goût singulier pour les noms de vos chiens et de vos chevaux.

Quoique le chasseur noir envoyât ces paroles à Nick, son attention était fixée sur Sébastien avec une intensité qui fit, rougir l’adolescent.

– Oui, répondit Whiffles. J’ai des idées à moi. Chacun a ses idées à soi. Il m’arrive, à moi, de changer les noms de mes animaux, comme les Indiens changent les noms de leurs braves. Cette créature-là s’appelait d’abord Calamité; mais depuis qu’on m’a mis sur les journaux, je l’ai appelée Infortune[22].

A ce moment Portneuf qui s’était approché de la peau de bison pour s’y étendre, découvrit le trappeur blessé.

– Que vois-je, mon Dieu? s’écria-t-il tout émerveillé. Mais c’est bien Jeanjean, mon excellent ami Jeanjean. Que lui est-il arrivé?

– Les brigands de la vallée du Trappeur ont tenté de l’assassiner, répliqua Pathaway. Mais qu’est ce que Jeanjean?

– Lui? un franc-trappeur, jadis bourgeois[23]. Je le connais bien.

Puis à Jeanjean:

 
– Comment vas-tu, mon pauvre vieux camarade?
Bon Dieu, qu’il est pâle!
Oh! belle était la fille du trappeur!
Oh! belle était la fille du trappeur!
 

répliqua Jeanjean d’un ton plaintif.

– Mais qu’a-t-il, encore une fois? Serait-il écarté[24]? demanda Portneuf stupéfait des manières de Jeanjean.

– Il est tombé dans une diablesse de petite difficulté, et pas si petite, après tout; car elle a tourné à l’envers toutes ses facultés et presque éteint la chandelle de son existence, ô Dieu oui! répondit emphatiquement Nick Whiffles. Vous voyez là un homme qui a été tué, assassiné, ressuscité, et rendu aux difficultés de la vie, tout cela dans un lieu qui n’est pas éloigné de la vallée du Trappeur. C’est là l’homme qui a fait le coup…

–Il montrait Pathaway: mais se reprenant aussitôt:

– Non pas, je me trompe; je veux dire que c’est lui qui l’a sauvé; et d’autres qui lui ont planté une balle dans la tête. Mais je sens mon estomac qui crie famine. Sébastien, il nous faut quelque chose à manger. Apprête les chaudières du camp, mais prends garde à tes jambes, car il n’y a pas ici de docteur Whiffles, pour raccomoder les os.. C’était un vrai remmancheur d’os que mon frère, le docteur Whiffles. Allons! vite, mon garçon! Ça sonne le creux sous nos chemises de chasse. Et la famille augmente tous les jours, comme tu vois. Avec le temps nous aurons un hôpital, le jure, oui bien, votre serviteur! j’ai passé une fois un an à l’hôpital, quand j’étais tout petit, à l’age d’un an, je m’en souviens. Les médecines du docteur ne me valurent pas grand’chose. Ça m’a gâté le goût. L’hôpital ou j’étais s’appelait aussi une Infirmité…

– Infirmerie, observa, en souriant Sébastien.

– Bien obligé, petiot; mais je me rappelle bien la tête de l’établissement.

– Enseigne, voulez-vous dire…

– Enseigne, Infirmité, Tête, Infirmerie, tout ça ne fait rien, ô Dieu non!

Pathaway, qui s’occupait à placer commodément Portneuf sur un lit de branchages, recouverts de peaux, ne put réprimer un franc éclat de rire.

Jeanjean s’était glissé silencieusement hors de la hutte, et Sebastien vaquait, avec activité, aux apprêts du repas.

Curieuse scène, vraiment curieuse et digne de la palette d’un grand peintre que celle-là, qui sa passait au milieu même du désert, si loin de toute trace de civilisation!

Nick alluma gravement sa pipe et continua la relation de son histoire d’hôpital, avec la jovialité qu’on lui connaît.

Le menu du festin fut bientôt arrangé: – Quelques bosses de bison, langues de daim, de la graisse d’ours et du poisson fumé. Whiffles et ses hôtes y firent largement honneur, en l’assaisonnant d’anecdotes.

Néanmoins, Pathaway paraissait plus préoccupé qu’affamé.

Ses regards s’attachaient souvent sur Sébastien, avec une sorte d’admiration mystérieuse, qui colorait d’un vif incarnat les joues de l’adolescent.

Comme ils finissaient de manger, Infortune et Maraudeur dressèrent subitement les oreilles et s’élancèrent vers la porte en se récriant.

IX. LE BLESSÉ

Nous devons revenir à Pathaway, que nous avons laissé caché derrière un buisson et témoin de l’assassinat du pauvre trappeur.

Quoique son coeur battît violemment et que de nobles élans le poussassent à se précipiter sur les malfaiteurs, la prudence le retint.

Mais dès qu’ils se furent éloignés, Pathaway s’élança vers le lieu où gisait leur victime; la saisit dans ses bras et courut à un petit ruisseau qui coulait non loin de là.

Alors, le chasseur noir posa sa main sur le coeur du trappeur.

Il sentit des battements. L’homme vivait encore. Pathaway lui lava soigneusement le visage.

La fraîcheur de l’eau fit tressaillir le moribond. A la tête il avait une blessure, heureusement la balle avait frappé l’os occipital et glissé le long du crâne. Un étourdissement et la suspension momentanée dea fonctions de la vie en étaient résultés.

Mais, quoiqu’on pût craindre une commotion cérébrale plus ou moins longue, il était hors de doute que cette blessure ne causerait pas la mort.

Tout en le pansant, le chasseur noir se prit à l’examiner.

C’était un homme à la barbe longue, épaisse, mais plus jeune que l’on n’aurait cru, à première vue.

Il pouvait avoir de vingt-cinq à vingt-huit ans. Ses traits étaient bien accentués et la vigueur virile se lisait sur toute sa personne.

Plus Pathaway le dévisageait, plus il s’applaudissait de ce qu’il faisait; car la physionomie du trappeur était franche, ouverte, et vraiment distinguée.

Après avoir bandé la tête avec un mouchoir assujetti par sa ceinture, Pathaway versa quelques gouttes d’alcool sur les lèvres du blessé. La chaleur du tonique opéra magiquement. La poitrine de cet homme se souleva; il agita ses membres et ouvrit les yeux.

– Comment vous sentez-vous? ça va-t-il mieux? demanda doucement Pathaway. Le trappeur répondit en promenant autour de lui un regard vide, atone. Il n’y avait ni âme, ni langage dans ses yeux.

– Le coup lui a affecté le cerveau; son esprit est absent, murmura instinctivement Pathaway en portant la main à son front comme s’il y eût reçu la blessure.

Il commença ensuite ses lotions.

Cependant, quoique le jeune trappeur reprît évidemment des forces, nulle lueur d’intelligence ne revenait illuminer son visage morne. Ôtant son propre capot, Pathaway l’en couvrit et l’aida à se levât. Le blessé réussit à se mettre debout, à marcher même; mais il manquait de la raison nécessaire pour guider ses pas à travers les montagnes et les prairies.

A ce spectacle, une douleur poignante s’empara du chasseur noir. Il employa tous les artifices possibles afin de réveiller la mémoire endormie de l’infortuné. Ce fut inutile.

Un sourire stupide, voilà tout ce qu’il en put obtenir.

– Pauvre diable! pauvre diable! J’espère que ce ne sera que passager. Que faire pour lui? La Providence m’en a confié la charge, je remplirai mon devoir.

Pathaway, après ce monologue in petto, réfléchit quelques moments.

Puis, faisant un lit de mousse et de branchages, il y étendit le blessé, sur lequel il jeta sa couverte. Celui-ci ne tarda point à s’endormir. Pathaway demeura assis près de lui. Au bout de deux heures il se leva.

Le trappeur avait un peu de fièvre; mais sa constitution n’était pas fortement altérée. Son bienfaiteur tua une poule de prairie, la fit rôtir, et lui servit la partie la plus délicate, en l’engageant à manger.

Il obéit avec la docilité d’un enfant; mais il ne paraissait pas que sa raison se fût améliorée.

Pathaway enleva l’appareil qu’il avait mis sur la blessure, pour la panser de nouveau. L’hémorrhagie avait été légère; cependant, à la place que la balle avait touchée on voyait une indentation assez profonde, qui expliquait le trouble de l’esprit et ne pouvait être guérie sans le secours de l’art.

La nuit approchait.

Pathaway dressa, avec quelques jeunes arbres, un abri passager au-dessus de leurs têtes et se coucha à côté du malade, qui retomba dans un profond sommeil.

Le lendemain matin, la fièvre avait presque entièrement disparu.

Pathaway se détermina à conduire son malade à la hutte de Nick Whiffles.

Le blessé était assez bien physiquement. Il marchait avec aisance.

Les beautés du soleil levant le réjouissaient. Il prêtait une oreille charmée aux gazouillements des chantres de l’air. Il causait seul, parlait montagnes, lacs, rivières, chasses, trappes et pelleteries; mais ses pensées étaient incohérentes.

Dans l’après-midi, ils arrivèrent à une cabane élevée sous le couvert d’un bosquet de tamariniers; Pathaway fit entrer son protégé pour se reposer.

Au milieu de cette cabane le chasseur noir trouva un morceau d’écorce de bouleau, sur lequel une main inhabile avait tracé l’avis suivant: «ICI, PRAN GARD DE TOMBÉ DANS EUNE MODITE PETITT DIFFFICULTER».

Les caractères, l’orthographe, le style sentaient leur Nick Whiffles à une lieue à la ronde.

Pathaway sourit; mais connaissant l’expérience du montagnard, il allait profiter de son conseil quand les abois d’un chien le firent courir à la porte.

Jugez de son agréable surprise en voyant Nick qui s’approchait à travers les arbres.

Il était à cheval et suivi de Maraudeur.

– Est-ce vous, jeune homme?

– Moi-même.

– Que faites-vous, ici? mauvaise place, mauvaise! Ô Dieu, oui; tout près de la Vallée du trappeur!

– Mais vous?

– Oh! moi, c’est différent. Nick Whiffles peut rôder partout. Il ne craint rien, lui, rien que le maître de toutes choses.

Ce disant, il mettait pied à terre et entrait dans la hutte, après avoir échangé une poignée de main avec Pathaway.

– Tiens, un nouveau venu! s’écria-t-il en apercevant le blessé. Salut, mon brave. Nous voilà trois, ça vaut mieux; car quoique Nick Whiffles ne craigne rien, il ne déteste pas la compagnie. Mais il y a gros de dangers ici, oui bien, je le jure, votre serviteur! L’homme blanc et l’homme rouge… hum! je sais ce que je sais…..

– Montagnes, castors et trappes! s’exclama le trappeur avec un coup d’oeil hagard.

– C’est ça, frère, ça même! C’est de l’indien tout pur, et pas si pur après tout. Mais que diable a-t-il à me regarder de cette façon-là?

– Il a été surpris par les voleurs et dépouillé, répondit Pathaway.

– Dépouillé!

– Même blessé, comme vous voyez.

Et le chasseur noir raconta brièvement l’affaire à laquelle il avait assisté.

– C’est cruel, dit Nick en secouant la tête, bien cruel, de se voir enlever comme ça un bien gagné avec tant de peines; mais avoir failli être assassiné, ça dépasse tout. Ainsi donc le pauvre homme bat la campagne. N’est-ce pas que c’est bien triste que d’être idiot? ce n’est pas le terme juste, mais vous savez ce que je veux dire. Les honnêtes gens s’entendent toujours, quoique les mots puissent ne pas être toujours mis à leur place convenable comme les briques d’une maison. Je me souviens que j’ai eu un parent qui était fou. Ah! c’en était un fou, celui-là! ô Dieu, oui! Ne voulait-il pas attraper la lune avec ses dents? Mais je vous demande un peu ce qu’il en voulait faire de cette lune? Peut-être bien s’imaginait-il que c’était une bosse de bison. – Je crois – ajouta Nick comme un homme qui réfléchit – je crois que le pauvre insensé pensait que c’était bon à manger. Un idiot, vous le savez, aime mieux manger qu’un homme de bon sens n’aime sa maîtresse, ô Dieu, oui!

Le blessé tressaillit, sourit tristement et se mit à chanter d’une voix indiciblement plaintive une strophe de la Fille du trappeur.

– C’est ça, de la musique douce, dit Nick d’un ton ému; mais il n’a pas encore sa caboche à lui. On dirait que l’amour lui a aussi un peu serré le coeur. Le docteur Whiffles eut une fois à soigner un cas mâle de ce genre, mais il y perdit tout son latin, ô Dieu, oui! C’était une femme, et la maladie avait bien trois ans de date, ce qui faisait que c’était une maladie chronique, comme disait mon oncle l’historien, c’est-à-dire mon frère le médecin. Elle perdit sa graisse – par la maladie vous comprenez bien – que c’était à arracher des larmes à un caillou. Et elle pleurait tant toute la sainte journée, elle vous suait qu’il fallait la tordre chaque matin pour la faire sécher au soleil. Et ses sanglots, donc! on aurait dit les hurlements du vent à travers les défilés des montagnes quand il souffle en tempête. Pour en terminer, le docteur fut obligé de l’épouser lui-même. Fallait voir, comme elle se refit après la noce. Une belle noce, ma foi! Elle pesait deux cent une livres la dernière fois que je la vis. On n’aurait jamais dit qu’elle avait eu le coeur serré par l’amour, ô Dieu, non!

 

Le blessé laissa tomber le refrain de sa complainte:

 
Oh! belle était la fille du trappeur!
Oh! belle était la fille du trappeur!
 

– Les scélérats! s’écria Nick essuyant une larme avec la manche de sa chemise.

Et s’adressant à Pathaway:

– Ça ne peut durer plus longtemps comme ça. Ces brigands-là nous tueraient comme des buffles à la première rencontre.

– Vous avez raison répondit chaleureusement Pathaway, il faut en finir. Le sort de cet homme crie vengeance. Traquons les bandits de la vallée du Trappeur perdu et expulsons-les de leur repaire.

– Oui, répliqua Nick, j’y songe. Mais le plus pressé est de mettre ce malheureux en sûreté. Plaçons-le sur l’Hérissé et en avant!

– L’Hérissé! qu’est-ce que c’est que ça?

– Un bon et beau cheval, reprit Whiffles. Il a la force d’un bison, les jambes d’un daim et l’oeil d’un carcajou, rien que ça, ô Dieu, oui!

Le blessé fut hissé sur le quadrupède, et la petite troupe se mit en marche.

Comme ils longeaient une gorge profonde au milieu des montagnes, Pathaway distingua subitement un gros ours gris, planté sur son train de derrière et qui le regardait venir du haut d’un pic escarpé.

Maraudeur leva la tête et voulut aboyer, mais Nick lui lit un signe et le chien se tut.

Le chasseur noir arma son fusil.

– Un moment, lui dit son compagnon; cet ours-là est de mes amis, n’allons pas nous mettre mal avec lui!

Pathaway fit un geste d’étonnement; mais, déjà habitué aux façons singulières de Nicolas, il écouta sans répliquer à cette observation.

L’ours les suivait à la crête des rochers.

Dans la soirée, ils arrivèrent enfin à la cabane de Whiffles, où Sébastien prit aussitôt soin du blessé avec la délicatesse et l’intelligence d’une femme.

– Demain, nous ferons une excursion à la vallée du Trappeur perdu? demanda en se couchant Pathaway, qui, plein de cette audacieuse curiosité, un des plus beaux apanages de la jeunesse, brûlait de percer le mystère.

– A la vallée du Trappeur perdu, si le coeur vous en dit, ô Dieu, oui! répliqua insoucieusement Nick.