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L'île de sable

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X. RETOUR DU CASTOR

Une semaine après, le vicomte Jean de Ganay était complètement rétabli. Par une belle après-midi, il proposa à Guyonne une partie de pêche. La jeune fille s'empressa d'accepter. S'étant munis de lignes, ils montèrent dans un grand canot fait avec les débris de l'Érable et partirent accompagnés du Maléficieux, qui devait remplir l'office de rameur.

Les deux jeunes gens s'assirent à la poupe de l'embarcation, et Philippe, se doutant bien qu'ils songeraient plus à s'entretenir de leur amour qu'à faire la guerre aux habitants des eaux, se plaça de façon à leur tourner le dos. Pour les moins gêner par sa présence, le brave matelot se mit à entonner une vieille chanson guerrière.

Aussi préoccupé de leur avenir qu'ils l'étaient eux-mêmes de leur mutuelle tendresse, Francoeur ne prit garde, ni au temps qui fuyait avec la rapidité de l'aigle, ni à un cercle de petits nuages qui cernait l'orbe du soleil couchant.

Subjugués par les effluves de ce fluide magnétique que l'amour communique et reçoit en même temps par la présence des amants, Guyonne et Jean rêvaient bien plus encore qu'ils ne causaient. Mais cette rêverie était le langage harmonieux de leurs coeurs. Ils lisaient plus aisément leurs pensées que si elles eussent été écrites, ils se comprenaient mieux que s'ils eussent parlé. Le véritable amour est si immatériel que tout effort, tout mouvement physique, pour se promener, lui répugne. C'est une fleur délicate qu'on ne reconnaît qu'à son parfum, à ses couleurs naturelles; une mélodie du soir qu'on savoure silencieusement, et dont on détruirait le charme en la voulant analyser. On peut encore comparer cette sensibilité exquise de tout notre être, quand, aimant sincèrement, nous sommes près de l'objet aimé, à la disposition dans laquelle nous nous trouvons, lorsqu'un soir d'automne, à la tombée du crépuscule, plongé dans un fauteuil, devant un bon feu, nous évoquons les gracieuses images de l'imagination. Elles accourent, nous les voyons, nous les sentons, nous respirons leur haleine, nous devisons avec elles, et nous n'appartenons plus à ce monde. Baigné dans un fleuve de délices, nous désirons nous y noyer, et nous craignons de remuer la tête, nous craignons de bouger, tant nous avons peur d'effaroucher les fantômes de notre somnolence…….

Tout à coup, Philippe Francoeur suspendit son chant et se dressa debout dans le canot.

Guyonne et Jean tressaillirent.

– Qu'y a-t-il? demanda ce dernier.

Les regards attachés à l'occident, le matelot ne répondit pas.

En ce moment, un nuage noir, aux franges rouges comme le feu, cachait le soleil.

– Le cap au nord-ouest, monseigneur! le cap au nord-ouest! s'écria Philippe, sans essayer de déguiser son émoi.

Jean de Ganay imprima au gouvernail fixé derrière lui un mouvement si brusque que la planchette se brisa. Au même instant, un mugissement sourd et lointain se fit entendre.

Le matelot se jeta sur ses avirons.

Deux rafales successives sifflèrent dans l'air.

– Mon Dieu! fit Guyonne en se serrant contre le vicomte, qui l'entoura de ses bras, par cet instinct qui nous rapproche tous pour lutter contre le danger, même lorsque la lutte est impossible.

Le ciel se marbrait de taches sombres, la mer grossissait, de lourds goélands voletaient au-dessus de l'embarcation.

– Faut-il te venir en aide, Philippe? dit l'écuyer.

Le Maléficieux n'entendit pas, une nouvelle bouffée de vent poussait contre le canot des montagnes d'eau.

– Cramponnez-vous au banc! s'écria Francoeur.

Par bonheur les lames passèrent à côté.

Dégagé de son voile, le soleil jetait un dernier regard sur l'Océan courroucé.

– Un navire! j'aperçois un navire! clama Guyonne. En effet un vaisseau était en vue.

– Ah! nous sommes sauvés! Il se dirige vers l'île de Sable, dit le vicomte, qui oubliait déjà le péril auquel ils étaient exposés.

Philippe demeura silencieux, tous ses efforts tendaient à maintenir l'esquif en équilibre.

Rapidement la nuit arriva. L'Atlantique hurlait comme une bête fauve, et mêlait sa voix formidable aux glapissements du vent.

On n'osait ouvrir la bouche, on n'osait se mouvoir sur le canot.

Soudain, comme la chaloupe arrivait à la cime d'une vague, une masse sombre se profila près d'elle.

– Au secours! vociféra Jean de Ganay, reconnaissant le navire qu'ils avaient distingué deux heures auparavant.

Enlacée à son amant, Guyonne leva la tête, et poussa un cri d'indicible effroi!

Un rayon de lune lui avait montré la figure sardonique du pilote Alexis Chedotel, accoudé à la lisse de tribord du navire……………

Le lendemain matin, il y avait grande allégresse sur l'île de Sable. Une barque de cent tonneaux se balançait coquettement à un demi-mille de la côte.

Chedotel la commandait.

Un lustre auparavant, après avoir déposé quarante individus sur l'île de Sable, prétextant des tempêtes qui le chassaient vers l'Europe, le pilote avait ramené Guillaume de la Roche en France. «Ce dernier n'y eut pas plus tôt mis le pied, dit l'historien du Canada, qu'il se trouva enveloppé dans une foule de difficultés au milieu desquelles le duc de Mercoeur, qui commandait la Bretagne, le garda prisonnier pendant quelque temps. Ce ne fut qu'au bout de cinq ans qu'il put raconter au roi, qui se trouvait à Rouen, ce qui lui était arrivé dans son voyage. Le monarque, touché du sort des malheureux abandonnés dans l'île de Sable, ordonna au pilote qui les y avait conduits d'aller les chercher. Celui-ci n'en trouva, plus que douze…

«A leur retour, Henri IV voulut les voir habillés comme on les avait trouvés. Leur barbe et leurs cheveux qu'ils avaient laissé croître pendaient en désordre sur leurs poitrines et sur leurs épaules; leur figure avait déjà pris un air fauve et sauvage, qui les faisait plutôt ressembler à des Indiens qu'à des hommes civilisés. Le roi leur fit distribuer à chacun cinquante écus et leur permit de retourner dans leur famille, sans pouvoir être recherchés de la justice pour leurs anciennes offenses.»

Ainsi finit le drame de l'île de Sable, un des plus remarquables des annales du Canada.

CONCLUSION

– Et Jean de Ganay! Jean de Ganay! le brave Jean de Ganay! s'écrie ma lectrice en froissant ce livre de désappointement.

– Et Guyonne! la divine, l'incomparable Guyonne! réclame mon lecteur avec une impatience bourrue.

– Qu'est devenu ce bon Maléficieux? mon Dieu! je voudrais pourtant bien le savoir, demande une voix enfantine.

Ne pouvant résister à cette trinité charmante qui le presse, dût-il commettre une indiscrétion pour satisfaire son auditoire, le conteur répond:

Philippe Francoeur, Guyonne de Kerskoên et Jean de Ganay, après avoir affronté mille morts, abordèrent sur les côtes de l'Acadie. Ils furent reçus par quelques familles qui s'y étaient fixées. Les deux amants se marièrent. Durant une année, ils jouirent d'un bonheur sans mélange. Mais au bout de ce temps, Guyonne mourut en donnant le jour à un garçon.

– Pardonnez-moi, mon ami, dit-elle à son époux avant de rendre l'âme; je vous avais celé le voeu que j'avais fait, le jour où j'allais périr de froid sur un glaçon, de consacrer au culte de Jésus le reste de mes jours, s'il les épargnait. A ce voeu vous savez que j'ai manqué. Le Seigneur n'a pas voulu bénir notre union; que sa sainte volonté soit faite! Puisse l'exemple de sa mère rappeler sans cesse au pauvre enfant qui vient de naître qu'il faut observer religieusement ses serments si l'on veut être heureux dans ce monde et dans l'autre!

Brisé de douleur, Jean de Ganay répondit par une explosion de sanglots.

P. S.– Mais Laure de Kerskoên? s'exclame un curieux impitoyable.

– La chronique rapporte qu'elle fut enlevée et épousée par Bertrand de Mercoeur.

– Furent-ils heureux?

FIN