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La fille Elisa

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LII

Ce qui, dans un condamné, demeure haineusement debout contre la société, ce qui en son apparente soumission se soulève contre l'autorité, ce qui se rebelle en son silence, un jour, toute cette révolte intime et latente s'affaissa chez Élisa. Il y eut chez elle, comme la démission de cette attitude hautaine et contemptrice qu'affiche tout d'abord le Crime enfermé. La détenue était à bout de force. Elle se sentait vaincue. Elle s'avouait brisée par la force toute-puissante et toute destructive de la prison, par la compression de fer qui pesait sur elle en l'écrasant un peu plus tous les jours. Il n'y avait plus en elle l'étoffe d'une résistance morale. La bête, autrefois toute prête à se cabrer et à hennir, avait été lentement amenée à l'heure où, réduite et matée, elle cache, à l'approche du maître, sa tête entre ses quatre jambes qui tremblent. Élisa ne connaissait plus ces furieux moments, pendant lesquels elle était obsédée de la tentation d'enfoncer ses ciseaux dans la poitrine de la prévôté qui lui en voulait. Une punition injuste, d'où qu'elle vînt, n'avait plus le pouvoir de faire monter à sa bouche l'ébauche de mots de colère, crevant sur ses lèvres muettes. On entendait maintenant, quand le directeur ou l'inspecteur lui faisaient une observation, sa parole prendre la note menteusement pleurarde d'une voix qui implore, on voyait se baisser son oeil dans un regard humble et faux, et toute sa tremblante personne s'envelopper de soumission vile et de bassesse abjecte. Cette hypocrisie qui, dans les premiers temps avait si fort révolté la prisonnière, cette hypocrisie qu'une inspectrice appelle «la plaie des prisons,» Élisa, elle aussi, y était venue comme les autres, mendiant aujourd'hui, dans la mort de tout orgueil humain, avec le mensonge de sa voix, de son regard, de sa tournure, l'adoucissement de son sort. Et comme c'est par la religion que vient cet adoucissement le plus souvent et que le plus souvent se produisent les grâces, Élisa simulait la dévotion, se confessait à l'aumônier, communiait, cherchait à se bien faire venir des soeurs, tentait de s'approcher de la supérieure.

LIII

La supérieure de la prison était une religieuse de quatre-vingts ans, au visage de cire, au front sillonné de rides rouges de sang extravasé et qui paraissait comme un front sanglant. Sa pâle personne, son lent parler, son regard grisâtre et lointain, ses gestes découragés semblaient en faire une froide et tragique figure de la Déception. Il y avait eu en effet, dans sa longue vie, tant de pertes d'illusions, tant d'avortements d'espérances, tant d'écroulements de rêves, tant de détenues converties ramenées en prison quinze jours après leur sortie, que la vieille et sainte femme commençait à désespérer de la conversion de ce monde qu'elle avait cependant le devoir de sauver. Elle ne croyait plus du tout à l'amendement des correctionnelles qu'elle appelait avec un mépris indéfinissable «des traînardes», et n'avait guère gardé qu'un rien de confiance dans le repentir possible des criminelles, des grandes criminelles, de celles «qui avaient tué,» ne redoutait pas de dire sa douce bouche. Pour elle l'éternité de la réclusion, mêlée à l'action religieuse pendant un nombre infini d'années, avait seule quelque chance de ramener sincèrement ces femmes à Dieu. Élisa avait tué. Elle était condamnée à perpétuité. Elle réunissait donc toutes les conditions qui pouvaient intéresser, faire travailler la supérieure à son salut. Mais Élisa était une prostituée. Elle appartenait à une classe de femmes pour laquelle la supérieure, malgré ses efforts chrétiens, n'avait jamais pu surmonter un dégoût, une aversion, une répugnance, pour ainsi dire physique, qui se refusait presque à se laisser approcher de ces malheureuses.

Le doute morne et désolé de la supérieure était, chez l'aumônier, un doute jovial incarné dans la verdissante vieillesse d'un prêtre bourguignon, qui depuis longtemps, tout digne homme du Seigneur qu'il était, avait fait gaillardement son deuil de la conversion des correctionnelles et des criminelles, «toutes pécheresses, affirmait-il, nées et condamnées à mourir dans la peau de la perversité innée.» Pour ses ouailles qu'il déclarait ainsi prédestinées à la damnation, l'aumônier n'avait au fond aucune répulsion, lui! il s'en entretenait même, avec un peu de cette parole paterne, qu'ont les magistrats pour les notables gredins qu'ils envoient aux galères. Élisa tombait mal avec le clairvoyant bonhomme. Plusieurs fois, pendant ses petits sermons du dimanche, l'aumônier avait remarqué Élisa faisant, sur le visage un moment attendri d'une compagne, rebrousser la contrition avec l'incrédulité d'un regard gouailleur.

Ne se sentant ni aidée ni encouragée par la supérieure et l'aumônier, Élisa se rabattait sur les soeurs avec lesquelles les habitudes de la prison la mettaient le plus souvent en rapport. Et peut-être, il faut le dire, cette comédie de religiosité jouée dans un intérêt tout humain, serait-elle devenue une dévotion vraie si, en ce moment d'amollissement, Élisa avait trouvé autour d'elle un peu de tendresse spirituelle.

Élisa n'avait jamais été impie. Elle avait toujours conservé, même dans son métier, des pratiques religieuses ou au moins superstitieuses, et le greffe de Noirlieu gardait la petite médaille de la Vierge qu'elle avait au cou, lorsqu'elle avait été écrouée. Au fond, l'apparente affectation irréligieuse qu'avait surprise l'aumônier, ne s'était témoignée chez Élisa que dans la maison de détention, et seulement parce que l'insoumise prisonnière trouvait là, dans la religion, l'auxiliaire de l'autorité. Cette tendresse qu'elle appelait, Élisa ne la rencontra pas chez les soeurs. Vraiment! on ne peut demander à ces femmes d'élection de s'abandonner tout entières au Crime, ainsi qu'elles s'abandonnent à la Misère, à la Maladie, à la Douleur. Ce serait trop exiger de ces êtres purs, aux petits péchés véniels, de se rapprocher et de se confondre dans une intimité d'âme avec l'assassine, avec la voleuse, avec toutes les scélérates amenées en leur compagnie par les verdicts des tribunaux. Les soeurs peuvent bien donner à la garde, au soulagement matériel de ces créatures, leurs forces, leur santé, leur vie, mais cela d'ému, d'attendri, de caressant à la manière d'une soeur en Dieu, cela qu'elles accordent à l'Honnêteté pauvre et au Malheur immérité, non! Il y a là quelque chose de défendu à la perfection terrestre de la religieuse.

Supérieure, soeurs, aumônier, sans repousser absolument Élisa, lui faisaient sentir qu'on la savait dévotieuse dans le seul but d'être portée au Tableau des grâces.

LIV

Alors Élisa éprouva comme une espèce d'endurcissement de son corps que semblait quitter la sensibilité. De tout temps très-frileuse, souvent au dortoir par les nuits fraîches, elle avait un sentiment de froid. Elle n'eut plus froid. Puis les sensations produites par le contact brutal des choses et qui font mal, ne lui parurent plus immédiates, mais lui firent l'effet de venir de loin et de la toucher à peine.

Bientôt l'indifférence de son corps pour tout, Élisa la retrouvait dans les mouvements de son âme. L'emprisonnement n'était plus guère pour la détenue une expiation. Sa cervelle perdait l'habitude de forger ces hasards impossibles qui promettent, pendant une heure, à l'imagination des prisonniers l'abréviation de leur temps de prison. Sa peine flottait dans sa pensée diffuse, sans que maintenant sa mémoire s'effrayât, se souvînt peut-être de son éternité. Enfin ce régime du silence, ce régime suppliciant, elle commençait à s'y trouver comme dans le repos d'une vie, où il était permis à ses idées de paresser dans du vague, dans du trouble, dans une sorte de lâche évanouissement, sans que sa parole ou celle des autres l'en retirât. C'était même pour elle un choc presque douloureux qu'une question adressée à l'improviste par le directeur, et une gêne angoisseuse que la nécessité d'y répondre de suite. Aussi Élisa avait-elle pris à la fin l'habitude de répondre par un marmottage, par un bruit de la gorge et des lèvres qui ne disait rien. Dans le bienheureux et noir vide de sa tête, elle n'essayait même plus de faire remonter la lueur d'un souvenir… Se rappeler, était pour Élisa un effort, une fatigue!

La prison avait de grands escaliers à tournants rapides, que les détenues en sabots descendaient, quatre par quatre, dans une dégringolade accélérée. Depuis quelque temps, Élisa avait à la fois peur du vide de l'escalier sous ses pieds et du tourbillonnement féminin dans son dos. En même temps que cette appréhension bizarre se déclarait, il lui venait aux doigts une maladresse qui lui faisait tomber fréquemment les objets des mains. Élisa s'étonnait aussi un peu – elle, un estomac capricieux et dégoûté, qui bien des fois avait laissé, sans y toucher, sa pitance, – de se voir manger tout ce qu'elle trouvait à manger avec une voracité animale.

LV

Le carreau du réfectoire encore un peu humide du lavage du matin luisait rouge, et la lumière aigre d'une froide journée de printemps jouait crûment sur l'ocre frais des murailles et le blanc de chaux du plafond, tout récemment repeints. C'était jusqu'au fond de la salle éclairée, en écharpe, par de très-grandes fenêtres, une double rangée de tables étroites, dans la menuiserie desquelles entraient, se confondaient deux bancs très-bas, pouvant contenir chacun cinq détenues.

Sur les tables, on voyait posées dix écuelles de terre vernissée d'où s'échappait une vapeur tournoyante. Au milieu s'élevait la cruche pansue des intérieurs laborieux et pauvres de Chardin, la cruche en terre, à la couverte rose de brique, à la paillette de jour carrée. Çà et là, brillaient, à un certain nombre de places, de petits ronds de fer-blanc avec un numéro au milieu. Ces ronds de fer-blanc étaient les bons de cantine, les bons qui permettaient à ces femmes nourries seulement de légumes toute la semaine et ne mangeant de la viande qu'une seule fois le dimanche, leur permettaient, sur l'argent de leur pécule, d'ajouter à leur ordinaire, les mangeailles figurant sur un tableau accroché au fond du réfectoire.

 

Ce tableau portait:

Beurre frais 10 c.

Lait »

Fromage de Dumeux »

Gruyère »

Hollande »

Bondon »

Réglisse »

Gomme »

Hareng saur »

Ragoût de mouton 20 c.

Composition du ragoût.

Viande

Pommes de terre épluchées

Carotte

Navets

Oignons

Graisse

Farine

Sel et poivre nécessaire.

Au coup de neuf heures, les femmes annoncées d'avance par le claquement de leurs sabots dans les escaliers, firent leur entrée tumultueusement dans une bousculade, qui se pressait et se hâtait vers la nourriture avec la bruyance de mâchoires mâchant à vide.

Dix par dix, elles allèrent se placer à des tables qui avaient, placardés à leur tête, les numéros d'écrous et les noms des attablées.

Dans la confusion de la prise de possession des places et l'enjambement des bancs, la soeur vit la main crochue d'Élisa retirer le bon de cantine d'une voisine, le placer devant elle.

– Gourmande, dit la soeur, je vous ai vue et je crois que ce n'est pas la première fois. Vous êtes notée… je vous surveillerai dorénavant.

La main d'Élisa, avec la mauvaise humeur d'une main d'enfant obligée de lâcher une chose chipée, repoussa le numéro de cantine devant sa voisine.

LVI

– Numéro 7999, approchez.

La détenue ne bougea pas.

– Êtes-vous sourde, eh là-bas?

Élisa se décida à se lever et se vautra à demi sur la barre, avec un air indifférent et ennuyé.

La prisonnière se trouvait dans la salle appelée le Prétoire de la justice, où avaient lieu tous les samedis les garanties: c'est-à-dire la confirmation au milieu d'un débat contradictoire des punitions demandées par la soeur dénonçante, transmises à la supérieure, prononcées par le directeur.

Sur une estrade, le directeur, dans son fauteuil de président, avait à sa droite la supérieure et la soeur dénonçante, à sa gauche l'inspecteur et l'aumônier.

Derrière les juges, les rideaux en calicot blanc, complètement fermés, de trois grandes fenêtres, faisaient ténébreuse la salle, rendaient sévères les figures de ces femmes et de ces hommes assis à contre-jour. Les murs étaient tout nus, sans un tableau, sans une sculpture, sans un symbole de miséricorde qui fît espérer la coupable.

En face du tribunal, la salle était coupée par une petite barrière en bois, et, passé la barrière, les prisonnières, notées pour être punies, se tenaient dans des poses bien sages sur un grand banc.

Le directeur reprit:

– Vol de bons de cantine, refus de travail, c'est tous les samedis la même chanson… Hé! qu'est-ce que vous dites?

Élisa ne disait rien.

– Interdiction du préau, privation du régime gras le dimanche… c'est comme si on fouettait des hannetons à six liards le mille… rien n'a de prise sur madame… té!.. mais au fait, si on vous mettait à la demi-ration de pain sec?.. Ne serait-ce point votre avis, ma mère? fit le directeur en s'adressant à la supérieure.

À cet appel du directeur, il y eut chez la supérieure un acquiescement insensible de son visage pâle, de son front sanglant.

– La demi-ration de pain sec, répéta le directeur en revenant à Élisa, vous entendez, vous qu'on dit une grosse mangeuse… la demi-ration de pain sec, ça fait-il votre affaire?

Pas de réponse d'Élisa.

– Ainsi, c'est bien entendu, n'est-ce pas, il y a chez vous la volonté de résister à votre directeur?

Pas de réponse d'Élisa.

– Voyons, tête de bois, parlez, défendez-vous. Je veux, que vous parliez! s'écria d'une voix rageuse le directeur.

Pas de réponse d'Élisa.

«La perversité innée!» soupira le bien portant aumônier en faisant tourner ses pouces.

– Alors c'est un défi, pas vrai, numéro 7999?

Pas de réponse d'Élisa.

– Dites au moins que vous ne recommencerez pas… vous verrez que la mâtine ne le dira pas!

Élisa ne répondit pas plus que les autres fois. Ses yeux s'élevèrent seulement vers le directeur. Sa bouche se contracta dans une résolution de ne rien dire. Un nuage haineux passa sur son visage, et dans la femme que le tribunal avait sous les yeux, sembla se glisser un être stupide et méchant.

«Moi, vous le savez, je suis pour les châtiments moraux, jeta dans l'oreille de l'inspecteur le directeur exaspéré, mais il y a vraiment des moments où il faut reconnaître que les coups de fouet sur les épaules d'Auburn ont du bon.»

LVII

Le directeur de la prison était un Méridional d'une petitesse comique, un homuncule tout en barbe et en poils noirs, avec un crâne dénudé, fumant et suant et qui ne pouvait supporter le contact d'un chapeau.

Du lever du jour à la nuit, on rencontrait, nu-tête, l'infatigable petit homme dans les endroits, où se préparaient les choses destinées à vêtir, à changer, à nourrir les détenues, surveillant, inspectant, contrôlant, soupesant, revendiquant avec une paternité rageuse et des jurons de la Cannebière, ce qui était, d'après le règlement, le bien et le droit de chaque prisonnière; tout prêt à révolutionner la prison, à faire chasser l'entrepreneur pour un décilitre de légumes secs qui aurait manqué à la pitance d'une femme. Un directeur dont les pensées de la journée, les insomnies de la nuit appartenaient à la détention, dont la vie tout entière était une revendication du bien-être matériel de ses détenues, dont la direction avait presque le caractère d'un apostolat laïque, et cependant, à certains moments, un directeur bien inhumain: un directeur doué de la férocité qui se développe chez un bourgeois systématique, pour peu qu'on contrarie l'unique idée logeant en son crâne conique.

Criminaliste de l'école américaine, disciple d'Auburn, le directeur de Noirlieu croyait à l'amendement des détenues par le silence. Les assez tristes résultats qu'il avait obtenus dans sa direction personnelle et la constatation par la statistique criminelle de l'accroissement de la récidive depuis une vingtaine d'années, tout aussi bien chez les femmes que chez les hommes, n'avaient pu ébranler sa foi entêtée, l'amener à reconnaître les cruautés inutiles du moyen. Qu'une prisonnière n'eût pas sur le dos une bonne robe de droguet ou de laine beige, n'eût pas dans le ventre la ration de pain et de soupe maigre: voilà seulement ce dont, à ses yeux, une prisonnière pouvait souffrir, tout le reste était de la coyonnade, selon son expression. Quant à la débilitation intellectuelle, incontestablement produite par cette pénalité, il déclarait, au milieu de beaucoup de boun diou, que c'était une invention des médecins modernes, ajoutant que le silence continu était un bon petit recueillement hygiénique à l'âme et au corps. Mais le plus souvent, avec les dédains et les haut-le-corps superbes d'une conviction d'économiste qui avait quelque chose d'absolu, de fanatique, il ne souffrait pas la discussion sur ce sujet qui, pour lui, était un véritable article de foi. Il y avait même des jours où ce fantasque petit homme était disposé à voir, dans les infractions involontaires des détenues, une rébellion en règle contre ses idées personnelles, mélangée d'un rien d'irrespect pour l'exiguïté de son susceptible individu. Alors le directeur de Noirlieu arrivait inconsciemment dans sa lutte avec une nature réfractaire au silence, à des sévérités, à des duretés, à des implacabilités qui, dans l'adoucissement de la pénalité moderne, faisaient remonter un peu de la torture des temps anciens, et donnaient à la drolatique colère du petit philanthrope, monté sur ses ergots, la silhouette d'un polichinelle vampire.

LVIII

À plusieurs mois de là, dans la même salle et devant les mêmes juges, Élisa était encore à la barre, en son enfermement farouche et son mutisme indompté.

Le directeur disait de sa petite voix musicale que la colère rendait plus marseillaise que d'ordinaire:

– Toujours la même… et pis que jamais, et plus mauvaise diablesse chaque semaine… oh! moi je ne vous ferai pas parler, la belle, je le sais!.. Mais avant d'employer les grands moyens, voyons si quelqu'un ne sera pas plus chanceux que moi.

À cet appel, la supérieure avec un accent sévère s'adressa à Élisa:

– Vous avez entendu le directeur, vous commettriez le dernier et le plus punissable des actes de désobéissance, si, à l'instant même, vous ne témoigniez, par quelques paroles repentantes, le regret des fautes commises par vous en même temps que la volonté de ne plus en commettre à l'avenir…

Ici la supérieure s'arrêta court en voyant le peu d'effet que l'exorde de son homélie produisait sur la détenue.

Pendant que la supérieure parlait, l'inspecteur à la face nacrée de la nacre d'un hareng – un signe auquel se reconnaît une origine hollandaise et un placide descendant de la race primitive du Waterland, – aplatissait à plusieurs fois, de ses deux mains, l'envolée rêche de ses cheveux roux. La supérieure se taisant, notre Hollandais, de sa bonne rude voix caressante, jeta à la femme en train d'être jugée:

– Allons, mon enfant, assez de mauvaise tête comme cela… autrefois on était gentille… l'administration obtenait à peu près ce qu'elle désirait de toi… Qu'y a-t-il aujourd'hui dans ta fichue caboche?.. Que diable, tu sais bien qu'ici on ne punit pas pour le plaisir de punir… Voyons, Élisa, il faut qu'aujourd'hui nous vidions notre sac… que, tout de suite, tu nous racontes pourquoi tu ne veux plus…

– «Je veux, mais je ne peux pas,» s'écria soudain, dans le déchirement d'une voix désespérée, Élisa, dont le corps était agité des pieds à la tête par une trépidation étrange, depuis que s'adressait à elle cette parole familière, amicale, et qui lui avait rappelé son nom.

– Oh si souvent, monsieur l'inspecteur, je vous le promets, oui je veux, mais je ne peux pas.

Longtemps Élisa répéta plaintivement: «Oui je veux, mais je ne peux pas.»

Et cela jusqu'au moment où la femme fondit en larmes, et où sa litanie désolée s'éteignit dans l'étouffement de longs sanglots spasmodiques.

– Hé, là bas, est-ce bientôt fini? – reprit le directeur, mis de mauvaise humeur par la visite d'un criminaliste anglais préparant une brochure contre le système Auburn. – Qu'est ce que vous nous débitez là… On peut tout ce qu'on veut… Ne jouons pas plus longtemps le drame, s'il vous plaît… Et assez de pleurnicheries comme cela… nous verrons bien si un peu de réclusion solitaire– le directeur ne prononçait jamais le mot de cachot – vous rendra cette volonté si bien perdue.

À une autre, au numéro 9007.