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Aux glaces polaires

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L’évêque anglican Bompas (Low Church of England), dont les efforts de zèle et les avanies, il faut le reconnaître, ne furent dépassés, ni égalés peut-être, par personne, croyant tenir enfin un Flanc-de-Chien, infidèle et polygame obstiné, lui dit:

– J’ai appris que le prêtre ne voulait pas prier pour toi. Viens chez moi, et je te recevrai. En attendant, tiens voilà une casquette.

– Garde ta casquette, priant anglais. Quand j’en voudrai une, je l’achèterai avec mes fourrures. Mais sache que le père ne m’a pas rejeté; c’est moi qui n’ai pas voulu me bien conduire. Pour te montrer que la prière catholique et française est la bonne, je vais obéir maintenant.

Le converti du ministre renvoya aussitôt ses femmes illégitimes, se fit baptiser et vécut en bon chrétien.

Tous les sauvages formés par nos missionnaires, et qui n’ont le bonheur de passer que peu de jours à la mission, observent dans leur vie nomade les enseignements et les préceptes de la sainte Eglise. A Noël, «lorsque la grande ourse marque minuit», chaque dimanche et chaque fête (jours indiqués par une croix, dans leur petit calendrier), lorsque le soleil l’été, ou la lune l’hiver, sont à la hauteur choisie par le père pour célébrer la messe, ils se réunissent, par campement, dans la loge de l’un d’eux, à tour de rôle, pour l’office divin. Cantiques, chapelet, sermon du chef, ou du plus ancien, communion spirituelle à l’Hostie immolée, loin de là, dans la petite chapelle: toute la cérémonie se déroule dans une piété, digne des moines du désert. La part de Dieu faite, chacun met au chaudron commun le morceau qu’il a apporté. Le calumet et les projets de chasse achèvent les agapes. Les Indiens observent scrupuleusement le repos dominical; ils considèrent comme une faute de tirer un coup de fusil, le jour du Seigneur, à moins qu’ils se trouvent en extrême besoin. Les prières du matin et du soir, le chapelet quotidien ne sont jamais omis.

La fidélité des Flancs-de-Chiens, en particulier, à ces dévotions frappa un jeune protestant, lauréat d’universités anglaises, que la spécialité de ses études conduisit au fort Rae. Il l’exprima dans son livre:

Les Flancs-de-Chiens observent strictement les pratiques de l’Eglise Catholique. Pas un repas n’a été pris, en ma présence, durant les deux mois que j’ai résidé chez eux, sans être accompagné des grâces, en commun; et quelquefois il fallait un grand effort de l’imagination pour voir de quoi ils pouvaient bien être reconnaissants. Les services du dimanche étaient des cérémonies très soignées. Une réjouissance les suivait toujours, lorsqu’on était en lieu de campement. En cours de voyage, ces prières étaient faites avant la marche du jour. Ils déployaient une foi surhumaine à rester à genoux dans les neiges des terres stériles, (barren ground), pour réciter leurs prières, les dents claquantes de froid, et égrener leurs rosaires de leurs doigts demi-gelés54.

Le Pape Pie X aima les Plats-Côtés-de-Chiens, dont il se fit raconter la vie par le Père Roure.

Le Père Roure avait passé 35 ans avec eux, sans les quitter d’un jour, quand il leur annonça qu’il avait reçu la permission d’aller revoir son pays de France, «par delà les grandes terres et le grand lac salé». Emotion de la tribu, grand conseil des vétérans qui décident de demander au Père de se rendre jusqu’au Très Grand Chef de la Prière, pour lui présenter tous les cœurs contents des Lintchanrè. Ils apportent au missionnaire cent paires de mocassins, «vu qu’il usera bien cela, pour faire un si long voyage». Au Pape, ils envoient un morceau de pemmican fait exprès pour lui par la sauvagesse la plus pieuse, une grasse langue fumée de caribou et une paire de souliers fins en peau de renne, damassés en poil de porc-épic.

– Avec cela, le Chef des Grands Chefs de la prière sera content, je pense, dit le chef des Plats-Côtés-de-Chiens.

Oui, le Pape fut content, si content qu’il riait, comme il n’avait sans doute ri depuis qu’il avait dit adieu à sa gondole de Venise, en apprenant ces nouvelles, et d’autres meilleures, de la bouche du Père Roure. Il prit le pemmican, la langue, les mocassins, les palpa, respira leur bonne odeur sauvage, goûta… un peu de ce qui pouvait être goûté, et mit le tout dans un rayon de sa bibliothèque privée, en bénissant les bons Indiens, et en songeant peut-être que si tous les fidèles confiés à sa houlette ressemblaient à ses enfants des forêts arctiques, il serait le radieux Pasteur d’un bercail qui connaît Jésus, et que Jésus connaît.

CHAPITRE XIV
LES ESCLAVES

Non fecit taliter omni nationi —Mission de Notre-Dame de la Providence, au fort Providence. – Le palais de Mgr Grandin. – «Plus heureux que le Schah de Perse». – Le couvent des Sœurs Grises. – Cinquante ans de leur apostolat. – Le Père Lecorre. – «Oh! qu’elle est belle, ma Bretagne!» – Le Magnificat de l’expédition 1895. – Qu’est-ce qu’un lièvre? – Mission du Sacré-Cœur, au fort Simpson. – Babel. – Le Père Brochu. – Hospice des Sœurs Grises. – Mission Saint-Raphaël, au fort des Liards. – Le fort des Poux et la danse dénée. – La Bonne Femme Houle. – Le Père de Krangué. – Champion mutilé. – Mission Saint-Paul au fort Nelson. – Le Père Lecomte. – Le Père Gourdon. – Mission Sainte-Anne, au fort Rivière-au-Foin. – Mort du Frère Hand. – Mission de N. – D. du Sacré-Cœur, au fort Wrigley.

La tribu des Esclaves peut redire l’exclamation d’Israël: «Non fecit taliter omni nationi. Dieu n’a fait pour aucune tribu dénée ce qu’il a fait pour nous».

Ils eurent la fleur et le nombre des missionnaires: Nos Seigneurs Grandin, Faraud, Clut, Grouard; les Pères Grollier, Gascon, Petitot, Genin, de Krangué, Lecorre, Ladet, Roure, Dupire, Gourdon, Audemard, Lecomte, Brochu, Ducot, Laity, Constant-Giroux, Gouy, Le Guen, Vacher, Frapsauce, Laperrière, Andurand, Bousso, Moisan, Bézannier.

Privilégiés de tant de travaux et de grâces, ont-ils répondu aux espérances?

Oui, mais faiblement.

Mgr Grouard les caractérisait, en 1871, d’un jugement qu’il n’eut jamais à modifier:

Ces Esclaves n’ont pas de grands vices; mais ils n’ont pas de grandes vertus non plus. Ils sont mous, lents et paresseux pour la prière, et diffèrent en cela des autres tribus montagnaises, où l’on trouve l’élan et la ferveur.

Leur nom français ou anglais, Esclaves, Slaves, leur vient des découvreurs qui remarquèrent leur apathie et servilité naturelles. Dans les idiomes dénés, ils sont «Ceux qu’on laisse vivre», sous-entendu: parce qu’ils ne valent pas la peine qu’on les extermine. Leur histoire tiendrait sans doute en ces mots de dédain. Avant l’époque de la religion pacificatrice, ils furent chassés du Grand Lac des Esclaves, leur domaine, par les guerriers du Sud et de l’Est. Au Nord, les Peaux-de-Lièvres et les Loucheux leur barrèrent les abords du Cercle polaire. Il resta aux Esclaves l’espace central, immense, de l’Extrême-Nord, le cœur du vicariat du Mackenzie.

Mission Notre-Dame de la Providence (Fort Providence)

L’épanchement du Grand-Lac des Esclaves sur le Nord constitue le Mackenzie proprement dit. Le fleuve géantNaotcha– commence donc sa marche par une source de 35 kilomètres de large. Une peuplade d’îles et d’îlots, les Iles Desmarais, sorties tout à coup du sein des eaux, forment à son défilé une entrée triomphale.

A la tête et au milieu de cet archipel, paraît une île à la vaste verdure, et dont les bords sont fréquentés par les migrations poissonneuses du lac et du Mackenzie. Là, fut établi le premier fort-de-traite pour les Esclaves, le fort de la Grande-Ile (Big Island).

Là aussi, fut rencontré par le Père Grollier, le 14 août 1858, le premier groupe de la tribu. Le missionnaire appela la future paroisse: Mission du Saint et Immaculé Cœur de Marie.

Elle ne dura que trois ans.

En 1861, Mgr Grandin, trouvant la Grande-Ile trop pauvre en terre et en bois, trop en butte aux inondations et aux tempêtes du Grand Lac, résolut de chercher plus loin. Il engagea son canot dans le dédale des Iles Desmarais, traversa l’expansion du Mackenzie, dite le lac Castor, sauta un rapide, long, bruyant, mais non périlleux, et, avisant sur la rive droite un promontoire couvert d’une forêt à demi-calcinée, prête à servir de combustible et de pièces à construction, il aborda. C’était à 64 kilomètres en aval de la Grande-Ile. En face, le soleil couchant mêlait son or aux chevelures des premières îles qui élargissaient le fleuve en un lac nouveau. Au pied du cap, un tranquille remous invitait les bateaux. Dans les parages du remous, des masses de poissons attendaient les filets. Monseigneur ne pouvait hésiter.

Comme il escaladait la grève, la barque de M. Ross, chef du district du Mackenzie pour la Compagnie, le rejoignit.

Les formules de politesse échangées, le prélat ne s’exposa pas à être supplanté. Etendant un bras sur le groupe de métis dont il faisait ses témoins, et l’autre sur les hautes herbes du promontoire, il dit à M. Ross:

« – Je vous déclare, monsieur, que je prends possession de cette place, pour y fonder une mission. Je regarde comme une bonne fortune de pouvoir le faire, en présence du premier magistrat du pays.»

Le bourgeois, qui avait convoité le même endroit pour l’établissement d’une église protestante, paraissait «peu enthousiaste».

« – Monseigneur, dit-il, vous ne savez pas ce que vous faites. Comment vivrez-vous ici? Vous ne pouvez pas tenir tête aux protestants; vous n’êtes pas assez riches.

 

« – Monsieur, repartit l’évêque, les richesses ne suffisent pas. Dans ce pays, il faut surtout savoir s’en passer, en se sacrifiant.»

Le bourgeois parut surpris de cette réponse.

« – Fou de Kirby! – c’était le nom de son ministre – fou de Kirby! dit-il en anglais, à son commis, je lui avais dit cependant que c’était une excellente place.»

La nouvelle mission devait être la cellule-mère de l’Extrême-Nord, l’évêché du vicaire apostolique d’Athabaska-Mackenzie, dont Mgr Taché servait la cause à Rome, l’emplacement d’un orphelinat-hôpital pour les petits et les destitués du désert, la providence de la religion catholique. C’est pourquoi Mgr Grandin la baptisa: Mission de la Providence.

Le 16 juillet 1915, le T. R. P. Belle, O. M. I., assistant du supérieur général de la Congrégation des Oblats, et visiteur officiel du Mackenzie, voulut enrichir de la protection spéciale de Marie la chère mission, et changea le premier vocable en celui de Notre-Dame de la Providence.

La Compagnie de la Baie d’Hudson dut suivre les sauvages et le missionnaire, et se contenter de placer son fort de Big-Island à la suite de la forteresse de l’Eglise catholique.

C’était le soir du 6 août 1861, fête de la Transfiguration de Notre-Seigneur, que Mgr Grandin avait choisi le Thabor, où devait s’élever l’édifice de tant de vertus, de tant de mérites. Le lendemain, il célébra le saint sacrifice sous sa tente; il planta une grande croix, construite durant la nuit, par le Frère Kearney; et, remettant à l’eau son canot, il poursuivit sa course.

Le 9 juillet 1862, le Père Gascon et le Frère Boisramé vinrent commencer les travaux, au pied de la croix.

Le 12 août, Mgr Grandin et le Père Petitot trouvèrent les deux pionniers «sapant des arbres, arrachant des écorces de sapin, établissant une pêcherie, etc… La mission se composait d’une tente en toile, dressée sur la falaise, de la croix et d’un échafaudage.»

Le Père Gascon, dont la tâche était achevée à la Providence, partit, avec Mgr Grandin, pour le fort des Liards.

Trois semaines après, Mgr Grandin revenait, pour travailler lui-même avec le Frère Boisramé et permettre au Père Petitot de consacrer son temps à l’étude des langues sauvages.

Il y avait alors: «une baraque de 22 pieds carrés, et une chapelle y attenant de 15 pieds sur 8.»

Tandis que le Frère Boisramé faisait les cheminées, les fenêtres, les toits de la baraque, Mgr Grandin, n’ayant même pas une truelle pour outil, pétrissait de ses mains les torchis et la fange dont il bousillait et crépissait ensuite les murailles.

A force de travailler, ils réussirent à se donner le bonheur de «loger Notre-Seigneur», en la fête de la Toussaint55.

Le 8 décembre suivant, le Père Petitot et le Frère Boisramé partaient pour le Grand Lac des Esclaves, laissant Mgr Grandin seul, à la Providence, avec un enfant de 13 ans (Baptiste Pépin) et deux sauvages engagés, «fort exigeants et paresseux». Cette solitude dura huit mois, pendant lesquels l’évêque prépara le développement de la mission. Le temps que lui laissait le service des âmes se passait à abattre des arbres, qu’il faisait équarrir par les engagés, et à les charrier ensuite lui-même sur la neige. Il n’y avait non plus d’autre blanchisseur ni raccommodeur de linge que lui. Au dégel, il bêcha et ensemença un petit jardin.

Enfin, le 18 août 1863, à 3 heures du matin, lui arrivèrent deux valeureux compagnons: le Père Grouard et le Frère Alexis.

Mgr Grandin raconte la vie intime de la communauté ainsi formée, durant l’hiver 1863-1864:

Nous n’avons encore dans tout mon palais ni lit, ni chaise; nous couchons au grenier, dans un lit aussi grand que le grenier lui-même: nous y sommes quatre à l’aise. Si nous manquons de quelque chose, ce n’est certes pas de pauvreté. Bien des objets que nous attendions de Saint-Boniface ne nous sont point arrivés. Nous manquons par conséquent d’outils pour travailler, de papier pour écrire, d’hosties pour dire la sainte messe (nous tâcherons d’en faire), et moi d’habillements pour me vêtir. Entre tous, nous n’avons ni montre ni horloge; nous sommes tous réglementaires; nous mangeons quand nous avons faim, nous mesurons nos oraisons et nos méditations à l’horloge de notre ferveur, ou plutôt de ma ferveur, car c’est moi qui donne le signal: aussi, jugez comme tout se fait bien. Notre grand embarras est pour nous lever. Si le frère voit les étoiles, il est assez sûr de son coup; mais les étoiles sont souvent voilées, et encore, quand elles paraissent, faut-il ouvrir les yeux pour les voir, et même sortir, ce qui n’est pas commode quand on couche au grenier et qu’il faut descendre par une mauvaise échelle. Nous nous levons, je pense, assez régulièrement entre deux et six heures. Nous ne brûlons qu’une chandelle à la sainte messe; nous employons l’huile de poisson dans nos longues veillées: nous espérons ainsi avoir de la chandelle pour tout l’hiver.

« – Jamais, répète Mgr Grouard dans ses conversations, à soixante ans de distance, jamais de notre vie nous n’avons eu tant de plaisir qu’en cet hiver de la Providence. Il fallait nous voir grimper à notre grenier, avec notre échelle en bouts de cordes, et aller, à quatre pattes, chercher, l’un par-dessus l’autre, notre place, sur la natte de peau, étendue entre le toit de terre et le plafond. Nous y dormions tous quatre, en rang, Mgr Grandin, le Frère Alexis, Baptiste Pépin, petit serviteur de Monseigneur, et moi… Quelquefois le pied, la jambe, et encore plus, d’un maladroit passait à travers le plafond: c’était une planche ou des perches qui dégringolaient – nous n’avions pas de clous. – Ah! là, on s’en donnait de rire! On mangeait du chien, du corbeau, du putois, des fois rien du tout; mais pas un de nous, je vous le promets, n’aurait changé de place avec le Schah de Perse…»

Les journées de ce même hiver 1863-1864 se passèrent dans un redoublement d’activité. Il s’agissait de construire, à l’aide d’une scie de long, d’une hache et de chevilles de bois, l’orphelinat-hôpital des Sœurs Grises.

Toujours sur le même ton, Mgr Grouard rappelle le fervet opus:

– Mgr Grandin abattait les arbres, dans une île, et les charriait avec les chiens sur le Mackenzie: c’était sa part. Je sciais en long les billots avec le Frère Alexis: c’était la nôtre. Puis, tous, avec le coup de main des engagés que nous prêtait la Compagnie, nous élevions la bâtisse. Quand le corps du couvent fut debout, nous, les bâtisseurs, en étions stupéfaits! Pensez-y donc: une maison à un étage, dans ce fond du Nord! Et les sauvages, quand ils virent l’escalier du dehors qui menait à l’étage, ce qu’ils en furent effrayés! Après de longues hésitations, ils se décidaient à monter sur leurs mains et leurs genoux. Monter allait encore: mais descendre! Réflexion faite, ils descendaient sur le fond… de leur pantalon, ceux qui en avaient. Ils prenaient le vertige là-haut. Et nous, à monter et descendre cela avec nos pieds seulement, nous grandissions dans leur estime de cent coudées au moins!»

Les Sœurs Grises – Sœurs de la Charité de l’Hôpital général de Montréal – arrivèrent à leur maison de l’Extrême-Nord, le 28 août 1867.

Le 30 novembre, le Père Grouard écrivait à Mgr Taché:

Permettez-moi de vous dire ce que j’ai à l’idée, touchant la venue de ces bonnes chrétiennes à la Providence. Sans mentir, je ne suis pas sûr de ne point faire un rêve, quand je vois ce couvent et les sœurs logées dedans. Je n’en reviens pas de la sainte audace, de la divine folie qu’ont eue ceux qui ont donné l’impulsion, et ceux qui ont exécuté l’entreprise. Jamais je n’avais cru la chose faisable; et, bien que je susse que Monseigneur Faraud était allé les chercher au lac la Biche, je n’osais compter sur la réalisation de ce projet. Encore à présent, bien qu’il y ait trois mois qu’elles sont ici, en personne, je me frotte les yeux pour me convaincre que je suis bien éveillé, et je crains d’être sous l’impression d’une illusion qui me captive. Quand j’y réfléchis, je crois que, si j’étais athée, je serais forcé de reconnaître un Dieu; si je me défiais de la Providence, je serais forcé de me jeter entre les bras de la souveraine bonté, en voyant le courage et le dévouement de ces quelques femmes. Car vraiment leur venue est un martyre dans le sens propre du mot, un témoignage irrécusable de notre sainte foi et de toutes les vérités de la religion.

Un couvent de religieuses sur les bords du Mackenzie! Encore une fois, Monseigneur, je n’en reviens pas. C’est la fin du monde, ou plutôt c’est une création, une ère nouvelle pour nos pays barbares!

La création a subsisté; elle s’est multipliée – plus de cinquante ans le proclament aujourd’hui; – et les pays abordés, en 1867, par les Sœurs Grises, ont cessé d’être barbares.

Cinquante ans de la même bonté souriante, du même dévouement sans calcul, passant du cœur de celles qui tombent au cœur de celles qui arrivent, ont sauvé de la mort, dans leur berceau de neige, des légions de petits enfants: grâce aux Sœurs Grises, ils furent baptisés, enseignés, élevés, ils ont vu Dieu. Cinquante ans de baume et de tendresse, versés sur toutes les plaies des corps et des âmes, ont changé les solitudes de glace, où la barbarie condamnait à mourir les malades, les délaissés, les vieillards, en asiles du bonheur. Cinquante ans d’isolement volontaire, de pauvreté, d’abnégation totale, ont formé à la Congrégation des Sœurs de la Charité sa parure apostolique la plus belle. Cinquante ans de mérites continus sont descendus de l’Extrême-Nord, en fontaines de grâces, en afflux de vocations religieuses, sur Montréal, sur Ottawa, sur Québec, sur Saint-Hyacinthe, sur Nicolet, maisons-mères des Sœurs Grises, pépinières vivaces, immortelles, plantées par la Vénérable d’Youville, la Canadienne et la Charitable du XVIIIe siècle. Quelle fierté pour le Canada d’avoir donné – de donner toujours – aux membres souffrants du Christ de telles puretés, de telles vaillances! Quelle gloire attend ces vierges-missionnaires dans les parvis réservés du Ciel, où fleuriront les pieds qui portent au pays des rapides et des glaces, avec la même foi, avec le même amour qu’au pays des fleurs et du soleil, l’Evangile de la paix, l’Evangile de la charité! Quam speciosi pedes evangelizantium pacem, evangelizantium bona!

L’Oblat qui demeura le plus longtemps à la mission de la Providence – ange tutélaire des Sœurs Grises et de leurs orphelins – fut le Père Lecorre. Il y reçut l’onction sacerdotale des mains de Mgr Clut, en 1870; il y prononça ses vœux de religion, en 1876; il y remplit, de 1876 à 1901, la charge de supérieur. Il est maintenant à Saint-Albert, maison de retraite pour nos vétérans, sevré du monde par une cécité qu’il contracta dans les neiges du Nord, mais jouissant encore des vives qualités de son âme, et les consacrant toujours à l’apostolat par les œuvres en prose et en vers qu’il ne se lasse pas d’écrire. A ses orphelins de la Providence, il conserve le meilleur de ses pensées et de ses prières.

Les vicariats d’Athabaska-Mackenzie doivent au Père Lecorre, quêteur éloquent et recruteur entraînant, outre les ressources d’aumônes considérables, une phalange d’ouvriers, dont il sera difficile de trouver les pareils, lorsqu’ils seront tombés. Le tiers des pères de l’Extrême-Nord et la moitié des frères sont de ses conquêtes. Ainsi les Frères Lecreff, Louis et Jean-Marie Beaudet, Josso, Corfmat, Barbier, Carrour, Hémon, Lorfeuvre, Leborgne, Rio, pour ne nommer que des frères. Arrivés de leur village, imberbes jouvenceaux, ils sont devenus des patriarches à barbe grise, et les piliers de base de nos missions. Nous les retrouverons.

 

C’est en Bretagne, de préférence, où «le sol est dur et le cœur est fort», que le Père Lecorre, Breton de Vannes lui-même, tendait ses appâts. Et les petits Bretons de mordre à belles dents de foi et d’enthousiasme. Sitôt pris, sitôt emmenés par le maître-pêcheur, et jetés aux fleuves et aux lacs polaires.

Caravanes sur caravanes sautaient les rapides de l’Athabaska, traversaient les grands lacs, et descendaient le Mackenzie, en chantant des airs bretons. La terre de leur mission en vue, ils lançaient à leurs amis qui, en agitant leur mouchoir, les attendaient sur la grève:

Nous venons encorDu pays d’Arvor…

C’est toujours leurs délices, en fendant les «flots harmonieux» des soirs tranquilles, de répéter aux échos sauvages, à la cadence des rames, les strophes de leur poète:

Oh! qu’elle est belle, ma Bretagne!

Sous son ciel gris, il faut la voir:

Elle est plus belle que l’Espagne,

Qui ne s’éveille que le soir!

Elle est plus belle que Venise,

Qui mire son front dans les eaux…

La dernière des expéditions conduites par le Père Lecorre sur le Grand Lac des Esclaves, en juillet 1895, oublia toutefois ses chansons, ou mieux elle acheva ses 38 heures d’épouvante par un cantique plus beau que les chants de Bretagne, par le Magnificat des actions de grâces, ainsi qu’après les miracles de Lourdes.

Il y avait, avec le Père Lecorre, cinq Bretons, aspirants Oblats: le Père Vacher, les Frères Corfmat, Rio, Barbier, Le Moël; deux Bretonnes, postulantes Sœurs Grises du Canada – aujourd’hui Sœurs Didace et Denise – ; quatre orphelines trouvées en chemin et cinq rameurs indiens. L’embarcation était la barge grossière, sans voile et sans quille, que nous savons. Toutes les pièces de ravitaillement de l’orphelinat de la Providence, pour l’année suivante, formaient la cargaison.

Depuis le fort Résolution jusqu’aux Iles Brûlées, lieu du dernier campement sur le Grand Lac, tout allait au mieux.

Dès trois heures du matin, raconte le Père Lecorre, notre guide Alphonse Mandeville nous donna l’éveil; une brise favorable s’était levée dans la nuit et on partit gaîment à la voile, pointant vers l’île aux Morts, au nord-ouest. Déjà elle apparaissait à l’horizon; une demi-heure du train dont nous filions, et nous allions allumer un bon feu pour nous réchauffer, un feu du Père Vacher.

Mais la brise fraîchissait de plus en plus et changeait de direction. Notre bateau dérivait insensiblement vers le large, sous l’effort du vent de côté; les lames devenaient houleuses. Nous commencions à être anxieux, car nous voyions la terre, au lieu de se rapprocher, s’éloigner insensiblement. Le soleil se couvrait de gros nuages, et la tempête se déchaînait.

Plus de soleil, bientôt plus de terre; une espèce de brume nous enferme dans un cercle infranchissable. Alors nos gens de s’écrier:

– Malheur à nous! Nous sommes perdus!

Je ne le sentais que trop; mais je craignais de le dire, pour ne décourager personne:

– Si on essayait du côté de terre, à force de rame?

– Inutile, Père, la rame ne peut rien contre cette bourrasque! Regarde ces montagnes de vagues! Dans quelques instants, si Dieu ne nous sauve, nous allons être engloutis!

Oh! quel morne silence succède à ces paroles! Les pleurs des quatre petites filles font seuls écho aux mugissements du lac déchaîné; notre bateau, disloqué par ces furieux assauts, menace à chaque moment de s’entr’ouvrir.

Notre suprême espoir est en Dieu et en sa sainte Mère. Nous récitons le chapelet, et faisons vœu de réciter un rosaire devant Notre-Dame de Lourdes. Pour ma part, je fais vœu de faire, par l’entremise de mon frère Joseph, un pèlerinage à Sainte-Anne d’Auray; et, le chapelet en main, je continue à prier tout le jour, toute la nuit, car notre bateau file, ballotté d’une façon affreuse. Le Père Vacher est bien malade du mal de mer, ainsi que nos filles et nos enfants. Cela fait diversion en quelque sorte à leurs angoisses. Quant à moi, je suis, par instants, comme au désespoir de nous voir mourir, au moment d’arriver au port. Alphonse tient toujours le gouvernail, aidé par un des nôtres; mais il est épuisé de fatigue. J’ai une petite boussole; je la pose près de lui afin qu’il puisse toujours diriger vers le nord-ouest. Oh! quelle nuit d’anxiété! Au matin, la brume de tempête se dégage peu à peu, mais le vent souffle toujours avec violence, et nos regards ont beau fouiller l’horizon dans tous les sens: pas de trace d’île ou de continent. On pompe avec activité, car l’embarcation fait eau continuellement. Nos hommes sont transis de froid… Je n’avais pas dormi beaucoup depuis plusieurs nuits: la fatigue et l’angoisse finirent pas m’accabler, et je m’assoupis quelques instants. Il me semblait longer de vertes allées! La terre était belle!.. Puis je revenais à la triste réalité… Pas de terre… Où étions-nous?.. Enfin, vers midi, quelqu’un distingua comme un rivage derrière un rideau de brume. Comme tous les yeux se fixèrent sur ce point!.. Que d’opinions contradictoires!.. Et cependant c’était bien la terre, le salut. Marie avait exaucé nos vœux. A six heures du soir, nous récitions encore en commun le chapelet; mais, cette fois, devant un bon feu; et toutes les branches d’alentour étaient chamarrées d’étoffes, pour y sécher… Comme nous nous étions écartés de notre chemin! Nous avions traversé le lac dans toute sa largeur, et c’est vraiment providentiel que nous ayons pu échapper à la mort, vu la fragilité de notre embarcation, dont quelques clous de deux pouces retenaient seulement les principales pièces…

Le mardi, 16, fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, nous arrivâmes à la Providence.

Coïncidence remarquable, nos bonnes sœurs, voyant la tempête, avaient allumé un cierge devant Notre-Dame de Lourdes, le jour même où nous pensions périr!

Nous renonçons à dire les longues épreuves communes des missionnaires et des Sœurs Grises, à la Providence. Cette courte lettre, de Mgr Faraud à Mgr Taché, le 12 novembre 1869, en indique le commencement:

…Trois fois, dans deux mois, la mission a été menacée d’être détruite par le feu: la première et la seconde on n’avait eu guère que l’effroi; mais la troisième a failli nous mettre tous, non pas sur la rue, mais sur la grève. Avant qu’on eût le temps de s’en apercevoir, 1.800 planches ou madriers en pile, à 30 mètres de la maison, étaient en feu, et un vent violent projetait la flamme sur la couverture et la maison elle-même. C’est un vrai miracle qu’elle n’ait pas été réduite en cendres.

La perte de toutes ces planches ramassées avec beaucoup de peines et de dépenses, durant deux hivers, pour achever la maison et commencer la chapelle, nous jeta en arrière pour plusieurs années.

Au feu est venue se joindre la disette. Durant tout l’été, nous avons vécu au jour le jour, attendant le poisson, d’un repas à l’autre. Le bon Frère Boisramé a réellement été notre sauveur. Comme le poisson est excessivement rare ici, en été, il a constamment tenu de 18 à 20 rets à l’eau; et, à force de courir la nuit et le jour, il a, comme il dit, sauvé la nation…

Les rets du Frère Boisramé étaient tendus, alors, dans le remous, au pied de la mission. Mais, le remous s’épuisa bientôt, et il fallut retourner, chaque année, à la Grande-Ile, au bord du Grand Lac des Esclaves, à 64 kilomètres de la Providence, pour la pêche des 25.000 poissons nécessaires.

Sur les accidents de ces pêches lointaines et sur leurs conséquences, le lecteur est renseigné.

Deux fois, entre autres, le poisson fit défaut: la première, en 1885; la seconde, en 1904.

En 1885, on dut prendre 3.000 lièvres pour ne pas mourir, et 8.000 en 1904. Une telle montagne de peaux fut jetée au Mackenzie, le dégel venu, que le fleuve en était couvert.

Huit mille lièvres en un hiver, allez-vous dire! Et des lièvres! Mais quelle Capoue de délices est donc ce Mackenzie!

Considérez.

On entend par lièvre, au Mackenzie, un animal qui, gris l’été et blanc l’hiver, ne ressemble au lièvre des gras tirés de l’Europe que par ses formes organiques. Il a en propre la petitesse, la maigreur extrême, l’insipidité de la chair, s’il est permis d’appeler chair deux filasses de fibres sèches collées au derme autant qu’aux os. Rossinante de lièvre, il pèse une plume. Ecorché, bouilli, il fournit un ragoût raccorni, odorant le sapin, et dont un chien de France se détournerait. Manger du lièvre signifie, chez nous, la misère vivante.

Et béni soit cependant notre lièvre! Si minime soit-elle, sa valeur nutritive empêche de succomber. Huit mille lièvres ont sauvé la vie à cent personnes. Et même serait-il impossible de mourir de faim, au Mackenzie, s’il y avait toujours des lièvres.

Mais le lièvre n’est pas toujours là. Il ne rôde dans les bois que par époques. Chaque sept ans, il disparaît. Se cache-t-il pour mourir? Emigre-t-il? L’un et l’autre, dit-on. Ce que l’on sait, c’est que de millions d’individus il passe au dépeuplement complet, et qu’alors le chasseur ne peut plus se risquer au loin; que pour trois ou quatre ans il n’y aura plus de lièvres; et qu’après ce temps ils reviendront peu à peu, jusqu’au nombre d’autrefois, pour disparaître encore tout à coup.

Qu’adviendrait-il des missionnaires, des Sœurs de Charité, des orphelins, des malades et des vieillards recueillis, si, la même année, le renne, le poisson et le lièvre venaient à manquer ensemble?

54Explorations in the far North, by F. Russell, Cambridge, Mass.
55Mgr Grandin consigna ainsi, sur le registre des baptêmes, l’heureux événement: Le premier novembre 1862, nous, soussigné, avons eu la consolation de bénir et de dédier à la divine Providence, en présence du R. P. Petitot, m. O. M. I., et du F. Boisramé O. M. I. et d’un bon nombre de sauvages réunis, une petite chapelle en bois attenant à la maison qu’habitent les missionnaires. Daigne le Divin Sauveur qui va maintenant partager leur pauvreté les consoler et les fortifier dans les nombreuses épreuves qu’ils ont encore à supporter. Depuis quatre mois qu’ils sont ici, ils ont dû sans exception travailler de leurs mains, du matin au soir, souffrant avec cela de la chaleur, des moustiques, d’une nourriture peu substantielle, et, plus tard, des pluies d’automne et des premiers froids de l’hiver. Aujourd’hui ils n’ont cessé de souffrir; mais leurs souffrances auront un adoucissement dans la présence de Jésus-Christ qui veut bien habiter en personne sous leur pauvre toit. (Signé): Vital J., Ev. de Satala, O. M. I.;E. Petitot, prêtre, O. M, I.; Boisramé