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Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 3

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XIV 403

Tout semblait aller d’abord selon les souhaits de Mahdî. Le peuple de Cordoue l’avait porté sur le trône, les Berbers l’avaient reconnu, et cinq jours ne s’étaient pas encore écoulés depuis la mort de l’Amiride, qu’il recevait une lettre où Wâdhih, le plus puissant parmi les Slaves et le gouverneur de la Frontière inférieure, l’assurait de son obéissance, en disant que la nouvelle de l’exécution de l’usurpateur lui avait causé une grande joie. Comme Wâdhih devait sa fortune à Almanzor, Mahdî ne s’était pas attendu de sa part à une soumission aussi prompte. Aussi s’empressa-t-il de lui donner des preuves de sa reconnaissance: il lui envoya beaucoup d’argent, un vêtement d’honneur, un cheval richement caparaçonné, et le diplôme de gouverneur de toutes les frontières.

Tous les partis s’étaient donc groupés autour du gouvernement. C’était du moins l’apparence, le mouvement spontané de la première heure; mais cette unanimité était moins réelle et moins profonde qu’elle ne le paraissait. La révolution s’était accomplie sous l’empire d’une espèce de fièvre générale qui n’avait pas permis au bon sens de se faire jour; mais la réflexion venue, on commençait à s’apercevoir que la chute des Amirides n’avait pas tout terminé, tout rétabli, tout réparé, qu’il pouvait encore y avoir de quoi blâmer et se plaindre sous un autre régime. Mahdî n’avait ni talents ni vertus. C’était un homme dissolu, cruel, sanguinaire, et tellement maladroit qu’il s’aliéna successivement tous les partis. Il commença par licencier sept mille ouvriers qui s’étaient enrôlés. Comme il ne pouvait laisser Cordoue à la merci des basses classes, cette mesure était sans doute nécessaire; mais elle mécontenta le peuple, qui, tout fier d’avoir fait la révolution, s’accommodait fort bien de recevoir une grosse solde sans rien faire. Ensuite il exila de la capitale un grand nombre de Slaves amirides, et ôta leurs emplois à d’autres Slaves qui servaient dans le palais. C’était les jeter dans le parti de l’opposition, tandis qu’avec un peu d’adresse il les aurait peut-être gagnés. En même temps il irrita contre lui les dévots. Ne sortant plus du palais, il ne songea qu’à s’amuser, et les pieux musulmans se racontaient avec horreur qu’il donnait des festins où une centaine de luths et autant de flûtes se faisaient entendre. «Il fait ce que faisait Sanchol,» disait-on. On l’appelait le buveur; on l’accusait de troubler la paix de bien des ménages; on le chansonnait comme naguère on avait chansonné son rival. Sa cruauté acheva de le perdre dans l’opinion publique. Wâdhih lui ayant envoyé les têtes de plusieurs habitants des frontières qui avaient refusé de le reconnaître, il avait ordonné d’y planter des fleurs et de les placer sur les bords de la rivière, vis-à-vis de son palais. Il se plaisait à contempler cet étrange jardin, et il engageait ses poètes, parmi lesquels on remarquait Çâid qui, après avoir flatté les Amirides, adulait maintenant leur ennemi, à composer des vers sur ce sujet404.

Déjà brouillé avec le peuple, les Slaves, les dévots et les honnêtes gens en général, Mahdî ne fit rien pour s’attacher les Berbers, qui cependant s’étaient donnés à lui de leur propre mouvement. Il est vrai que ces rudes troupiers étaient fort haïs dans la capitale. Le peuple ne leur pardonnait pas d’avoir été les fauteurs et les appuis du despotisme des Amirides, et si Mahdî les eût pris ouvertement sous sa protection, il eût perdu le peu de popularité qui lui restait encore. Cependant, comme il ne lui était pas possible de les renvoyer en Afrique, il aurait dû les ménager. Il ne le fit pas. A chaque occasion il leur témoignait son mépris et sa haine; il leur défendit même de monter à cheval, de porter des armes ou d’entrer dans le palais. C’était une grande imprudence. Accoutumés à être respectés, honorés, choyés par la cour, les Berbers avaient le sentiment de leur dignité et de leur force. Aussi ne se résignèrent-ils pas à n’être plus rien dans l’Etat, et un jour que plusieurs de leurs hôtels avaient été pillés par la populace sans que la police s’y fût opposée, Zâwî et deux autres de leurs chefs vinrent trouver le calife et exigèrent impérieusement la punition des coupables. Intimidé par leur attitude ferme et résolue, Mahdî s’excusa de son mieux, et, voulant les apaiser, il fit couper la tête aux instigateurs des désordres qui avaient été commis. Mais il se remit bientôt de sa frayeur, et alors il recommença à vexer les Berbers.

Cependant, si étourdi qu’il fût, il ne s’aveuglait pas entièrement sur le danger de sa position, et ce qu’il craignait avant tout, c’est que le nom de Hichâm II ne devînt un jour un point de ralliement pour tous les partis qu’il avait offensés. Il résolut donc, non pas de tuer son auguste prisonnier, mais de le faire passer pour mort. Un chrétien qui ressemblait beaucoup à Hichâm, venait justement de mourir (avril 1009). Mahdî fit porter secrètement son cadavre au palais, où il le montra à des personnes qui avaient connu Hichâm. Soit que la ressemblance fût réellement très-frappante, soit que les personnes en question eussent été gagnées, toujours est-il qu’elles déclarèrent que ce cadavre était celui du dernier calife. Mahdî fit venir alors des ministres de la religion, des notables et des hommes du peuple, et les prières des morts ayant été récitées, le chrétien fut enseveli dans le cimetière musulman avec tous les honneurs dus à la royauté. Quant au véritable Hichâm, Mahdî le fit enfermer dans le palais d’un de ses vizirs.

Rassuré de ce côté-là, l’imprudent calife crut que dorénavant il pouvait tout se permettre. Dans le mois de mai, il fit jeter en prison, on ne sait pourquoi, un fils d’Abdérame III, qui s’appelait Solaimân et qu’il avait nommé, peu de temps auparavant, héritier du trône. En outre, il laissa percer l’intention de faire périr dix chefs berbers. Il n’en fallait pas tant pour faire prendre les armes aux Africains, et de son côté, Hichâm, un fils de Solaimân, travailla activement à se former un parti405. Il y réussit sans difficulté; les sept mille ouvriers que Mahdî avait licenciés, étaient une armée toute prête pour l’émeute. Le 2 juin, ces hommes se réunirent devant le palais de Hichâm et le proclamèrent calife. Hichâm les conduisit alors dans une plaine hors de la ville, et les Berbers s’étant réunis à lui, il marcha contre le palais de Mahdî.

Arraché brusquement à ses plaisirs, le calife fit demander à la foule ce qu’elle voulait. «Tu as fait jeter mon père en prison, lui fit répondre Hichâm, et j’ignore ce qu’il est devenu.» Mahdî rendit alors la liberté à Solaimân; mais s’il croyait que cette mesure suffirait pour engager la foule à se disperser, il se trompait, car Hichâm lui fit dire qu’il devait lui céder la couronne. Voulant gagner du temps, Mahdî feignit d’entrer en pourparlers avec lui; mais comme la négociation traînait en longueur, les ouvriers et les Berbers, qui s’ennuyaient de leur inaction, allèrent piller et incendier les boutiques sur le marché des selliers. Alors les Cordouans prirent les armes, non pas pour soutenir Mahdî, mais pour préserver leurs maisons du pillage, et bientôt les soldats que le calife avait eu le temps de rassembler, vinrent à leur secours. Le combat dura sans interruption un jour et une nuit; mais dans la matinée du vendredi, 3 juin, les Berbers furent obligés de prendre la fuite dans le plus grand désordre. Une partie des Cordouans les poursuivit jusque sur les bords du Guadalmellato; d’autres pillèrent leurs maisons et s’emparèrent de leurs femmes, et l’on promit une prime à quiconque apporterait la tête d’un Berber. Quant à l’anti-calife Hichâm, il avait été fait prisonnier de même que son père, et Mahdî le fit décapiter.

Quand les Berbers se furent enfin ralliés, ils firent le serment de se venger d’une manière éclatante; mais comme ils avaient peu d’habilité, ils ne savaient comment s’y prendre. Heureusement pour eux, Zâwî était là. Issu de la dynastie cinhédjite qui régnait sur cette partie de l’Afrique dont Cairawân était la capitale, il était plus civilisé et plus intelligent que la plupart de ses frères d’armes, et il comprit qu’il fallait avant tout opposer un compétiteur à Mahdî. Il avait un Omaiyade sous la main: c’était Solaimân, un neveu de Hichâm, qui, après avoir pris part à l’échauffourée de son oncle, avait suivi les Berbers dans leur fuite. Zâwî proposa à ses camarades de le reconnaître pour calife. Quelques-uns s’y refusèrent en déclarant que Solaimân était un honnête homme, mais qu’il n’avait ni assez d’énergie pour être le chef d’un parti, ni assez d’expérience pour commander une armée. D’autres ne voulaient pas d’un chef arabe quelconque. Pour faire adopter son plan, Zâwî eut alors recours à un moyen qui, nouveau sans doute pour les Berbers, ne le serait pas pour nous. Il prit cinq lances, et en ayant fait un faisceau, il les donna au soldat qui passait pour le plus fort, en lui disant: «Essaie de les briser!» Le soldat n’ayant pu en venir à bout: «Détache maintenant la corde, continua-t-il, et brise-les une à une.» En un instant le Berber les rompit toutes. «Que ceci vous serve d’exemple, Berbers, reprit alors Zâwî; unis, vous êtes invincibles; désunis, vous allez périr, car vous êtes entourés d’ennemis implacables. Songez au péril et dites-moi vite ce que vous pensez. – Nous sommes prêts à suivre vos sages conseils, cria-t-on de toutes parts, et si nous devons succomber, ce ne sera pas du moins par notre propre faute. – Eh bien! continua Zâwî en prenant Solaimân par la main, jurez donc d’être fidèles à ce Coraichite! Personne alors ne pourra vous accuser d’aspirer au gouvernement de ce pays, et comme il est Arabe lui-même, plusieurs de sa nation se déclareront pour lui et pour vous.»

 

Quand on eut prêté serment à Solaimân et que ce prince eut déclaré qu’il prenait le surnom de Mostaîn, Zâwî parla encore une fois. «Les circonstances sont graves, dit-il; il faut avant tout que personne ne tâche de satisfaire son ambition en s’arrogeant un pouvoir auquel il n’a pas de droits. Que chaque tribu se choisisse donc un chef, et que ce chef réponde sur sa tête de la fidélité de son régiment au calife.» C’est ce qui eut lieu, et naturellement Zâwî fut élu par sa tribu, celle de Cinhédja406. Dès le principe, Solaimân n’eut donc aucune autorité sur les Berbers, qui avaient élu leurs capitaines sans le consulter; il n’était qu’un prête-nom, et jamais, dans la suite, il n’a été autre chose.

Puis les Africains marchèrent vers Guadalaxara, et, s’étant emparés de cette ville, ils proposèrent à Wâdhih de faire cause commune avec eux, en le priant de leur ouvrir les portes de Medinaceli. Mais Wâdhih n’écouta pas leurs ouvertures, et ayant reçu des renforts de Mahdî, il les attaqua. Il fut battu; mais les Berbers n’eurent pas à se féliciter de la victoire qu’ils avaient remportée, car Wâdhih leur coupa les vivres, de sorte que durant quinze jours ils n’eurent que des herbes pour toute nourriture. Pour sortir de cette détresse, ils envoyèrent quelques-uns d’entre eux vers Sancho, comte de Castille. Ces messagers devaient solliciter l’intervention du comte, et lui proposer une alliance au cas où Mahdî et Wâdhih ne voudraient pas de la paix.

Arrivés à la résidence du comte, les Africains y trouvèrent une ambassade de Mahdî. Elle avait offert à Sancho des chevaux, des mulets, de l’argent, des habits, des pierres précieuses et d’autres présents, et elle lui avait promis beaucoup de villes et de forteresses pour le cas où il voudrait venir au secours du calife de Cordoue. Tout était bien changé en peu de mois! Ce n’étaient plus les musulmans qui dictaient la loi aux princes chrétiens: c’était au contraire le comte de Castille qui allait décider du sort de l’Espagne arabe.

Bien renseigné sur l’état des affaires chez ses voisins et sachant que le pouvoir de Mahdî ne tenait qu’à un fil, le comte promit aux Berbers de se déclarer pour eux dès qu’ils se seraient engagés à lui céder les forteresses que les messagers de Mahdî lui offraient, et quand ils y eurent consenti, il congédia les autres ambassadeurs et envoya au camp berber mille bœufs, cinq mille moutons et mille chariots chargés de vivres. Les Berbers furent donc bientôt en état de se mettre en campagne, et le comte s’étant réuni à eux avec ses troupes, ils prirent la route de Medinaceli.

Arrivés près de cette ville, ils firent de nouvelles tentatives pour gagner Wâdhih à leur cause. Ils n’y réussirent pas plus qu’auparavant, et jugeant avec raison qu’il ne fallait pas perdre du temps, ils marchèrent directement sur Cordoue (juillet 1009). Wâdhih les suivit avec sa cavalerie et les attaqua; mais après avoir perdu beaucoup des siens, il fut forcé de prendre la fuite, et il arriva avec quatre cents cavaliers à Cordoue, où un de ses lieutenants le rejoignit bientôt après avec deux cents autres cavaliers, qui avaient eu aussi le bonheur d’échapper au carnage.

En apprenant que les Berbers marchaient contre la capitale, Mahdî, après avoir fait donner des armes à tous ceux qui étaient en état d’en porter, s’était retranché dans une plaine à l’est de Cordoue. Mais au lieu d’y attendre l’ennemi, il eut l’imprudence d’aller à sa rencontre. Les deux armées se heurtèrent à Cantich (5 novembre 1009), et un escadron de trente Berbers suffit pour jeter le désordre dans les rangs de la masse indisciplinée de leurs adversaires. Dans leur fuite précipitée, ces bourgeois, ces ouvriers et ces faquis se renversaient l’un l’autre. Les Berbers et les Castillans les sabraient par centaines, et il y en eut aussi beaucoup qui trouvèrent la mort dans les flots du Guadalquivir. On évalue à dix mille407 le nombre de ceux qui périrent dans cette horrible boucherie.

Wâdhih avait vu bien vite que tout était perdu, et, accompagné de ses six cents cavaliers, il s’était porté au galop vers le nord. De son côté, Mahdî avait cherché un asile dans son palais, où il se vit bientôt assiégé par les Berbers. Il crut se sauver en rendant le trône à Hichâm II. L’ayant donc fait tirer de sa prison, il le plaça de manière que les Berbers pouvaient le voir; puis il leur envoya le cadi Ibn-Dhacwân pour leur dire que Hichâm vivait encore, qu’il le regardait comme son maître, et que lui-même n’était que son premier ministre. Les Berbers ne firent que rire de ce message. «Hier Hichâm était mort, répondirent-ils au cadi, et vous avez récité sur son cadavre les prières des morts, toi et ton émir; comment donc vivrait-il aujourd’hui? Au reste, si tu dis la vérité, nous remercions Dieu de ce que Hichâm vit encore; mais nous n’avons pas besoin de lui, nous ne voulons d’autre calife que Solaimân.» Le cadi tâcha en vain d’excuser son maître, et il parlait encore lorsque les Cordouans, qui tremblaient à l’aspect du prince qui menaçait leurs murs, allèrent à sa rencontre et le reconnurent pour leur souverain.

Tandis que Solaimân faisait son entrée dans la capitale, où les Berbers et les Castillans commirent toutes sortes d’excès, Mahdî alla se cacher dans la maison d’un certain Mohammed, de Tolède, qui lui fournit les moyens de gagner cette ville; car toutes les frontières, depuis Tortose jusqu’à Lisbonne, tenaient encore pour lui. Aussi quand Sancho rappela à Solaimân sa promesse, celui-ci se vit obligé de lui répondre que, pour le moment, il ne pouvait y satisfaire, parce qu’il ne possédait pas encore lui-même les villes dont il s’agissait; mais il s’engagea pour la seconde fois à les céder dès qu’elles seraient en son pouvoir, et alors Sancho quitta Cordoue avec ses troupes, qui s’étaient enrichies aux dépens des habitants de la ville (14 novembre 1009).

Le sort de Hichâm ne changea pas. Solaimân, après l’avoir forcé d’abdiquer en sa faveur, le fit enfermer de nouveau; mais cédant au désir des anciens serviteurs des Amirides, il fit ensevelir, avec les cérémonies ordinaires, le corps de Sanchol.

Cependant Mahdî était arrivé à Tolède, où les habitants lui avaient fait un excellent accueil. Solaimân se mit en marche pour aller l’attaquer, et envoya des ministres de la religion aux Tolédans pour les menacer de sa colère s’ils continuaient à se montrer rebelles. Mais ces menaces demeurèrent sans effet, et ne voulant pas entreprendre le siége d’une place aussi forte que Tolède, espérant d’ailleurs qu’elle se soumettrait spontanément dès que le reste de l’Etat lui en aurait donné l’exemple, il se porta contre Medinaceli. Pendant sa marche beaucoup de Slaves vinrent grossir son armée, et il s’empara de Medinaceli sans coup férir, car Wâdhih avait évacué cette ville et s’était retiré à Tortose. De là il écrivit à Solaimân pour lui dire qu’il le reconnaîtrait, pourvu toutefois qu’il lui fût permis de rester où il était. Il n’en agissait ainsi que pour échapper aux poursuites de Solaimân, et pour gagner du temps. Sa ruse lui profita: Solaimân donna dans le piége, et laissa à Wâdhih le gouvernement de toutes les frontières.

Ayant dès lors les mains libres, Wâdhih se hâta de conclure une alliance avec les deux comtes catalans, Raymond de Barcelone et Ermengaud d’Urgel, auxquels il promit tout ce qu’ils voulaient, après quoi il marcha vers Tolède, accompagné d’une armée catalane et de la sienne, et opéra sa jonction avec les troupes de Mahdî. Solaimân somma alors les Cordouans de prendre les armes; mais comme ils n’obéissaient qu’à contre-cœur aux Africains, ils s’excusèrent en disant qu’ils étaient hors d’état de combattre. A Cantich ils l’avaient montré du reste, et les Berbers, qui préféraient ne pas avoir dans l’armée des soldats de leur trempe, prièrent Solaimân de s’en remettre à eux du soin de lui procurer la victoire. Solaimân se laissa persuader, et, s’étant avancé jusqu’à Acaba al-bacar, endroit qui se trouvait à environ quatre lieues de Cordoue408, il rencontra l’armée de son adversaire, qui se composait de trente mille musulmans et de neuf mille chrétiens (première moîtié de juin 1010). Ses généraux le placèrent à l’arrière-garde, en lui enjoignant de ne point quitter son poste, lors même que les ennemis le fouleraient aux pieds. Puis ils attaquèrent les troupes catalanes; mais se conformant aux règles de la stratégie orientale, ils tournèrent bientôt le dos à l’ennemi pour revenir ensuite impétueusement à la charge. Malheureusement Solaimân, qui recevait des ordres de ses capitaines, ne comprenait pas même leur tactique. Voyant l’avant-garde retourner en arrière, il ne douta point qu’elle n’eût été battue, et, croyant que tout était perdu, il se mit à fuir de toute la vitesse de son cheval; les cavaliers qui l’entouraient suivirent son exemple. Cependant les Berbers revenaient à la charge, et ils attaquèrent l’ennemi avec une telle fureur qu’ils tuèrent soixante chefs catalans, parmi lesquels se trouvait le comte Ermengaud d’Urgel; mais quand ils virent que Solaimân avait quitté son poste, ils se retirèrent sur Zahrâ, de sorte que les Catalans restèrent maîtres du champ de bataille. C’est ainsi que Solaimân perdit, par son ignorance et sa lâcheté, la bataille d’Acaba al-bacar; bataille dont il serait peut-être sorti vainqueur, s’il avait compris la tactique de ses capitaines, ou s’il avait bien voulu obéir à leurs ordres. Au reste, la victoire fut remportée par les Catalans, car les troupes de Mahdî et de Wâdhih ne semblent pas avoir pris une part bien active au combat.

Mahdî rentra dans Cordoue, et cette malheureuse ville, qui avait déjà été pillée, six mois auparavant, par les Castillans et les Berbers, fut pillée de nouveau, cette fois par les Catalans. Puis Mahdî se mit à la poursuite des Berbers, qui marchaient vers Algéziras, en tuant tous ceux qu’ils rencontraient et pillant les villages, mais qui retournèrent sur leurs pas quand ils apprirent que leurs adversaires les cherchaient. Le 21 juin409, les deux armées ennemies en vinrent aux mains près de l’endroit où le Guadaira se jette dans le Guadalquivir. Cette fois les Africains tirèrent une éclatante vengeance de l’échec qu’ils avaient essuyé à Acaba al-bacar. L’armée de Mahdî fut mise en déroute; beaucoup de capitaines slaves et plus de trois mille Catalans restèrent sur le champ de bataille, et d’ailleurs un grand nombre de soldats avaient trouvé la mort dans les flots du Guadalquivir410.

 

Deux jours après, les vaincus rentrèrent dans Cordoue, et les Catalans, furieux de leur défaite, s’y conduisirent avec une cruauté inouïe. Ils massacrèrent notamment tous ceux qui offraient quelque ressemblance avec les Berbers; mais quand Mahdî les pria de marcher encore une fois contre l’ennemi, ils s’y refusèrent en disant que les pertes qu’ils avaient subies ne le leur permettaient pas. Ils quittèrent donc Cordoue (8 juillet), et malgré tout le mal qu’ils y avaient fait, les habitants les virent partir à regret, car les hordes berbères, contre lesquelles les Catalans auraient pu les défendre, leur inspiraient encore plus d’effroi. «Après le départ des Catalans, dit un auteur arabe, les habitants de Cordoue, quand ils se rencontraient dans les rues, se faisaient réciproquement des compliments de condoléance, comme l’on en fait à ceux qui ont perdu leur fortune et leur famille.»

Cependant Mahdî, qui avait imposé à la ville une contribution extraordinaire afin de pouvoir payer ses troupes, se mit en marche contre l’ennemi. Mais après le départ des Catalans, son armée avait perdu le courage, et à peine eut-elle fait sept lieues qu’une terreur panique, l’idée seule de devoir combattre sous peu les terribles Berbers, la fit retourner à Cordoue. Mahdî dut donc se résigner à attendre les ennemis dans la capitale, qu’il fit entourer d’un fossé et d’une muraille; mais la destinée voulait qu’au lieu de tomber par les Berbers, il tombât par les Slaves.

Quelques-uns de ces derniers, parmi lesquels Wâdhih occupait le premier rang, servaient sous ses drapeaux; mais d’autres, tels que Khairân et Anbar, suivaient le parti opposé. Tous sentirent enfin que, pour parvenir au but de leur ambition, c’est-à-dire au pouvoir, leur union était nécessaire, et ils résolurent de replacer Hichâm II sur le trône. Ce plan arrêté, Wâdhih prit grand soin de fomenter le mécontentement des habitants de la capitale. Il fit répandre les bruits les plus exagérés sur la vie déréglée du buveur, et tout en improuvant en public les désordres que les soldats se permettaient, il les favorisa en secret. Puis, lorsque ces menées eurent ôté au calife le peu de popularité qu’il possédait encore, Khairân, Anbar et les autres généraux slaves de l’armée de Solaimân, offrirent leurs services à Mahdî. Celui accepta leur offre avec empressement; mais ces soi-disant auxiliaires étant entrés dans Cordoue, il ne tarda pas à s’apercevoir qu’ils complotaient sa perte, et comme il n’était pas en état de leur résister, il résolut d’aller chercher, pour la seconde fois, un asile à Tolède. Les Slaves le prévinrent. Le dimanche 25 juillet 1010, ils parcoururent les rues à cheval, en criant: «Vive Hichâm II!» et ayant tiré ce prince de sa prison, ils le placèrent sur le trône revêtu des vêtements royaux.

Mahdî se trouvait en ce moment dans le bain. Informé de ce qui se passait, il vole à la grande salle et va s’asseoir à côté de Hichâm; mais Anbar le prend rudement par le bras, le jette du haut du trône, et le force à s’asseoir en face de Hichâm. Celui-ci lui reproche, dans les termes les plus cruels, les maux qu’il lui a fait souffrir. Puis Anbar le prend encore une fois par le bras, le traîne sur la plate-forme, et tire l’épée pour lui couper la tête. Mahdî le prend à bras le corps; mais au même instant les glaives des autres Slaves s’abaissent sur lui. Peu de temps après, son cadavre gisait à l’endroit où il avait fait jeter, dix-sept mois auparavant, celui d’Ibn-Ascalédja. Porté au trône par une conspiration, une autre conspiration l’avait privé du trône et de la vie.

403Voyez Nowairî, p. 479-484; Ibn-Khaldoun, fol. 19 r. et v.; Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 7 v., 8 r. et v. (Ibn-Bassâm semble avoir fort abrégé ce passage); Abd-al-wâhid, p. 28-30; Ibn-al-Abbâr, p. 159, 160; Ibn-al-Athîr, sous l’année 366; Maccarî, t. I, p. 278; Rodrigue de Tolède, Hist. Arabum, c. 32-35. Sur les dates on peut comparer un article dans mes Recherches, t. I, p. 238 et suiv., 710 de la 1re édition. Sur l’épitaphe d’Otton, évêque de Girone, voyez aussi Esp. sagr., t. XLIII, p. 157 et suiv.
404Voyez Abbad., t. I, p. 244.
405Dans son Traité sur l’amour (fol. 121 r.), Ibn-Hazm parle incidemment de la révolte de ce Hichâm, qui prit le surnom de Rachîd.
406Ibn-al-Khatîb, article sur Zâwî, man. G., fol. 133 v.
407Ce nombre se trouve chez l’historien le plus ancien et le plus digne de foi, à savoir Ibn-Haiyân (apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 8 r.). D’autres donnent vingt mille, ou même trente-six mille.
408Voyez Edrisi, t. II, p. 64, 65. Aujourd’hui Castillo del Bacar.
409Cette date est donnée par Nowairî. Elle se trouve aussi dans un document latin, publié dans l’Esp. sagr., t. XLIII, p. 156.
410«Dans les flots de la mer,» dit Nowairî. On sait que le flux va jusqu’à l’endroit où la bataille s’était livrée.