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Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4)

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On publie aussi, dans les journaux légitimistes, des fragments de journal, ou plutôt des Mémoires de Mme de Feuchères; c'est d'une fausseté évidente pour moi qui n'ai pas ignoré les relations qui ont existé entre elle et la Famille Royale, et qui étaient fort différentes de ce que ces fragments les représentent. Sa famille et ses exécuteurs testamentaires ont fait publier une dénégation absolue de l'existence de ces prétendus Mémoires. Eh bien! les journaux légitimistes vont toujours leur train et continuent cette ridicule publication, et il y a des imbéciles ou des méchants qui veulent encore y croire.

Rochecotte, 15 février 1841.– On m'a demandé quelle espèce de personne est Mme de Salvandy, qui correspond avec le ministre d'Autriche aux États-Unis. Elle s'appelle Mlle Ferey de son nom, elle est nièce des Oberkampf: cela tient aux toiles peintes de Jouy5; ce n'est pas une personne distinguée, cependant elle n'est pas vulgaire; elle n'est pas jolie, mais elle n'est pas laide; elle n'est pas aimable, mais elle n'est pas mal élevée; elle n'est pas spirituelle, mais elle n'est pas sotte; il me semble qu'après cela, on peut être bien convaincu qu'elle n'est pas une négation. Il est juste d'ajouter qu'elle est bonne fille, bonne femme et bonne mère; qu'elle ennuie son mari et qu'elle fatigue ses enfants, le tout à force d'être correcte; pour achever, c'est une protestante exacte au prêche, et qui ne se lasse pas de semer de petites Bibles françaises, en cachette de son mari, qui, lui, est très bon catholique.

Voici le bulletin de ma correspondance, que j'ai trouvé ici hier en arrivant de Tours, où j'avais été passer quelques heures pour une loterie de charité:

Mme de Lieven: «La passion des Tuileries pour les fortifications de Paris remonte, dit-on, à Dumouriez. On les veut, on les aura, car la Chambre des Pairs donnera, à ce qu'on croit, la majorité, malgré la conspiration Pasquier-Molé-Légitimiste. L'Angleterre va être obligée de faire des avances à la France, car le Parlement l'y pousse, et l'Autriche aussi. Malgré les succès extérieurs du Cabinet anglais, le Ministère s'affaiblit; on va jusqu'à dire qu'il croulera. Lord Palmerston seul est plein de confiance en sa fortune. Toute l'Europe montre une grande confiance à M. Guizot, surtout M. de Metternich qui ne lui demande qu'une chose, c'est de durer. Je le crois aussi solide qu'on peut l'être en France. Je crois que le projet sur Jérusalem ne tombera pas dans l'eau.»

La duchesse de Montmorency: «Je vous ai mandé, il y a quelques jours, que Mgr Affre avait, dans un moment de mauvaise humeur, défendu au Chapitre de se rassembler, et qu'alors, celui-ci, pour suivre ses ordres dans toute leur rigueur, n'avait pas été lui souhaiter la bonne année, puisque, pour cela, il fallait se réunir. Tout cela a jeté dans le clergé un désordre qui, aujourd'hui, est au comble. Et voilà qu'aux Tuileries même, on commence à se repentir du triste choix qu'on a fait de M. Affre, car il a fait une scène violente à M. Guillon, évêque de Maroc, premier aumônier de la Reine et fort aimé au Château. Celui-ci, quoiqu'il eût été grand ennemi de Mgr de Quélen, a été se plaindre au Roi de Mgr Affre. Malheureusement, on ne peut le destituer. Il a fait quitter à M. de Courtier, curé très populaire des Missions étrangères, sa paroisse; celui-ci ne vit plus que de ses messes. Les chanoines de Notre-Dame ne disent plus la messe au maître-autel, parce que ce serait une façon de se rassembler; de même à matines et aux autres offices. C'est comme si la Cathédrale était en interdit. Mgr Affre est si violent, qu'ayant dicté d'étranges lettres à son secrétaire, jeune et innocent abbé, celui-ci s'est permis une observation; aussitôt il a été mis à la porte avec le bâton blanc. Comme c'est chrétien, pastoral, évangélique!

«M. Demidoff a renvoyé le secrétaire, le maître d'hôtel et les domestiques qu'il avait ici. On ne le sait point encore arrivé en Russie, ni si l'Empereur Nicolas permettra à sa femme d'y entrer avec lui: on en doute.

«Le duc Decazes a ses affaires dans un affreux désordre, ses gens le quittent; on le dit, du reste, fort malade.»

M. Raullin: «Nous avons eu hier, à Notre-Dame, une prédication du Révérend Père Lacordaire, qui veut rétablir ou établir en France l'ordre des Dominicains, avec leur bel habit blanc. Tout Paris y est venu: l'église était comble. On a beaucoup dit, pour et contre ce sermon; c'était une prédication à la manière de Pierre l'Ermite prêchant la Croisade aux peuples, seulement la Croisade n'était contre personne, mais pour le catholicisme. C'était Rome et la France, marchant ensemble depuis Clovis à la conquête de la vraie liberté et de la civilisation. Il y avait, dans tout cela, un mélange de papauté et de nationalité, de monarchie spirituelle et de liberté universelle, de manière à faire trembler les piliers et à remuer les fondements de toutes les églises gallicanes. Je ne voudrais pas qu'on renouvelât souvent de pareils essais, mais une fois, en passant, ce n'est pas un mal. J'ai surtout été frappé de cet immense concours de monde et de l'attention infinie avec laquelle on suivait toutes les paroles de ce résurrecteur des Dominicains. Que sera-t-il de cette tentative? J'ai peur que l'imagination seule et le pittoresque n'en fassent les frais. Je n'aime pas qu'on débute par l'extraordinaire.»

La duchesse d'Albuféra: «Mme de Rambuteau, pour se tirer de la terrible foule qui envahit les salons de l'Hôtel de Ville, a déclaré qu'elle n'inviterait, en fait de nouvelles connaissances, que ceux qui se feraient présenter chez elle les mardis matin. C'est ce qu'elle a répondu à un billet de Mme d'Istrie, qui lui demandait de lui présenter sa sœur, Mme de La Ferronnays. On a trouvé ce mot de présentation ridicule de la part de Mme de Rambuteau envers Mme de La Ferronnays; on en glose, on s'en moque, et beaucoup de personnes comme il faut ne veulent plus retourner à l'Hôtel de Ville.

«Mme de Flahaut n'est occupée qu'à attirer le faubourg Saint-Germain chez elle; cela donne beaucoup d'humeur à M. le duc d'Orléans: mais comme les Princes ne vont plus dans les salons, Mme de Flahaut dit qu'elle ne continuera pas à sacrifier ses goûts aux fantaisies de M. le duc d'Orléans. Émilie, sa fille, qui gouverne la maison, pousse dans ce sens-là. Les jeudis, on danse chez Mme de Flahaut: on disait, chez la marquise de Caraman, que c'étaient des bals de jeunes personnes; à cela, la Marquise a repris: et de jeunes femmes, car j'y suis priée. Là-dessus, on s'est souvenu de son extrait de baptême, qu'on n'a pas trouvé d'accord avec cette prétention!»

Enfin, M. de Valençay m'écrit que Mme de Saint-Elme, l'auteur des Mémoires de la contemporaine, est fort impliquée dans l'affaire des soi-disant lettres du Roi. Le Préfet de police est toujours très occupé d'arriver au fond de cette intrigue.

M. de Valençay a été entendre le Père Lacordaire qui représentait, dit-il, un beau tableau espagnol. Son discours a été très républicain, ses expressions très différentes de celles employées jusqu'à présent en chaire, mais il a beaucoup de talent et de verve.

Il ajoute que M. de Chateaubriand lit ses Mémoires chez Mme Récamier: Mme Gay s'y pâme d'admiration; Mme de Boigne y fait la grimace: ces deux sensations sont devenues évidentes à un portrait très brillant de M. le duc de Bordeaux. Mme la duchesse de Gramont-Guiche, qui y était, a été médiocrement contente d'un passage où il était question d'elle, et où M. de Chateaubriand dit: Madame de Guiche qui A ÉTÉ d'une grande beauté.

Voilà tout ce que je trouve dans mes lettres qui vaille la peine d'être extrait, et encore y a-t-il bien du fatras.

Rochecotte, 23 février 1841.– On m'avait conseillé, il y a quelque temps, de lire un roman de M. de Sainte-Beuve, sans m'effrayer du titre: Volupté. J'en ai lu la moitié hier: malgré un peu de divagation plus métaphysique que religieuse, une certaine afféterie et le raboteux du style de Sainte-Beuve, je suis touchée de cet ouvrage, dans lequel il y a une connaissance profonde du cœur humain, un sentiment vrai du bien et du mal, et, en général, une élévation délicate de la pensée, rare chez nos auteurs modernes.

On mande de Paris à mon gendre que la Chambre des Députés a été émue du rapport de M. Jouffroy sur les fonds secrets. Il paraît que la Chambre vivait dans une quiétude profonde et que ce rapport l'a troublée: il ranime toutes les querelles, met tous les Ministères passés sur la sellette; il fait de la politique du Cabinet actuel des définitions inacceptables pour beaucoup de ceux qui le soutiennent. Enfin, c'est un incident malheureux, qui a de la portée, en donnant de la force à cette fraction importante de la Chambre qu'on appelle Dufaure-Passy.

Rochecotte, 24 février 1841.– J'ai trouvé dans l'Ami de la religion, petit journal que je reçois pour le prêter à mon curé, un long extrait du fameux sermon de M. Lacordaire, qui a fait dernièrement tant de bruit à Paris, et qui, heureusement, parait y avoir été fort désapprouvé. En effet, ce que j'y ai lu est inimaginable, quoique semé de passages pleins de verve et de talent. Mais ils sont noyés dans des choses étranges jusqu'au scandale et au danger. Il a pris pour texte le devoir des enfants à l'égard des parents, et il part de là pour faire de la démocratie avec enivrement. Il dit que Jésus-Christ était un bourgeois, classe moyenne avant tout, et que la France est protégée de Dieu parce qu'elle respire la démocratie. Feu Mgr de Quélen avait bien raison de ne jamais permettre à M. Lacordaire de prêcher, à moins qu'il n'y assistât pour le surveiller: il se défiait de ces étranges doctrines, puisées jadis dans son commerce avec M. de Lamennais, et, quoiqu'il soit resté catholique, il est resté aussi imbu du mauvais lait sucé dans sa jeunesse.

 

Le prince Pierre d'Aremberg m'écrit que, le jour de la quête à Notre-Dame, Mgr Affre s'est fait nommer les dames quêteuses à la sacristie; qu'il ne leur a pas dit un mot, qu'il ne les a pas remerciées, à quoi elles s'attendaient, y ayant toujours été habituées par Mgr de Quélen, qui le faisait toujours avec une grâce parfaite, et qu'il les a fait entrer dans l'église par un: Allons, marchons, des plus militaires, ce qui, à la lettre, a été accueilli par des murmures de la part de ces dames!

M. de Valençay m'écrit savoir de bonne source qu'on attend toujours une ouverture de la part du Cabinet anglais, et que, pour le coup, on croit qu'elle va venir. Il avait rencontré Mme de Lieven qui l'avait chargé de me le mander, et d'ajouter que M. Guizot est au mieux avec les Cours allemandes. Il paraît que cette semaine va se décider le sort du Cabinet anglais, qui sera fort attaqué.

Les fortifications ne seront votées ou rejetées par la Chambre des Pairs que dans quinze jours: elles seront rudement attaquées par M. Molé, par le Chancelier et les légitimistes. La Cour est fort en colère contre les deux premiers. On ne sait vraiment pas encore quel pourra être le sort de cette loi.

Mme de Nesselrode a quitté Paris, pleine d'engouement pour la vie qu'on y mène, pour les choses et pour les personnes. Je continue à rendre justice à son bon cœur, à son âme généreuse, mais je n'ai plus aucune considération pour son jugement.

Rochecotte, 26 février 1841.– On m'écrit, de Paris, qu'il y a eu chez Mme Le Hon un bal très bien composé; qu'à présent, elle et Mme de Flahaut cherchent à épurer leur salon et à y attirer le faubourg Saint-Germain; qu'on espère, à cet égard, une sorte de réaction, que l'on veut absolument être du grand monde, qu'on dédaigne ceux qu'on recherchait et qu'on courtise ceux qu'on dédaignait.

On m'écrit de Vienne que la fille du ministre de Prusse Maltzan, jeune et jolie personne de vingt-quatre ans, épouse lord Beauvale, ambassadeur d'Angleterre: il pourrait être grandement son père; il a été fort libertin, il est rongé de goutte; cependant, elle l'a préféré à plusieurs autres partis, parce qu'il est Pair d'Angleterre, Ambassadeur et frère du Premier Ministre. Elle était décidée à faire un brillant mariage.

Rochecotte, 27 février 1841.– Ma fille a reçu hier une longue lettre de la jeune lady Holland, qu'elle a beaucoup connue à Florence. Cette petite Lady est maintenant à Londres. J'ai demandé à ma fille la permission d'extraire de cette épître ce qui en est intéressant. Les fautes de français sont dans l'original, je les y laisse pour conserver la couleur locale, si respectée aujourd'hui: «Je crois qu'en cherchant bien, on ne trouverait pas une position plus pénible que la nôtre, parce que je crois qu'il n'existe pas, peut-être, une femme comme lady Holland, ma belle-mère. C'est quelque chose qui surpasse tout ce qu'on pourrait imaginer de plus extraordinaire, de plus rapace, de plus égoïste: c'est un caractère que, dans un roman, on trouverait exagéré, impossible. Elle a, vous l'avez su, tout, tout au monde, dans la succession de mon beau-père; mais cela ne lui suffit pas; elle veut détruire Holland-House où elle a passé quarante ans de sa vie; elle veut bâtir, elle veut vendre, Dieu sait ce qu'elle ne veut pas, car elle voulait, l'autre jour, par un arrangement avec son fils, nous enlever notre petite rente fixée à notre mariage, de sorte que si le Ministère changeait demain (chose fort possible) et que nous quittions, comme de raison, notre poste, nous serions réduits à vivre sur les intérêts de ma dot. Heureusement, elle ne peut détruire Holland-House sans le consentement de mon mari, et il a dit qu'on lui couperait plutôt la main que de le faire consentir à sacrifier la plus petite partie, même du parc. De même, elle ne peut vendre l'autre propriété d'Ampthill sans son consentement: il le donnerait volontiers, pour lever les hypothèques considérables dont elle a chargé des biens qui étaient immenses et sans une dette à l'avènement de son mariage avec lord Holland, si elle, de son côté, voulait faire quelque chose. Elle a tant dans son pouvoir, tant, dont malheureusement elle peut disposer, qu'on a conseillé à mon mari de demander quelque chose d'équivalent pour ce consentement; il ne lui demandait que de conserver la maison telle qu'elle était du vivant de son père, de ce père qu'il adorait, dont la mémoire lui est si chère; que la bibliothèque, les papiers qu'il a laissés, toutes ces choses lui tiennent plus au cœur cent fois que le solide, que l'argent dont elle peut disposer. Eh bien! elle ne veut pas, elle ne veut rien faire. Elle a consulté tous ses amis, qui tous lui ont démontré la vérité, l'ont priée de faire ce qu'elle doit faire. Non, ce sont des scènes, des injustices; et il faut tout voir, tout entendre, et ne pas se plaindre! La position est difficile, et quelquefois je sens mon sang bouillir dans mes veines; mais pour mon mari, je me retiens, et je fais comme ses fils, comme sa fille, qui sont des anges pour elle, et qui se conduisent avec une délicatesse, une tendresse, une réserve dont elle n'est, parfois, sûrement pas digne. Enfin, il faut espérer qu'un jour viendra où nous pourrons vivre tranquilles et rentrer dans cette chère maison qu'il ne nous a pas été permis d'approcher depuis notre arrivée. Pour le moment, il faut partir sitôt que nous le pourrons et retourner à Florence en passant par Paris.

«Fanny Cowper n'épouse pas Charles Gore; elle ne peut encore se fixer, ni se décider; elle est toujours fort jolie6. La beauté par excellence, c'est lady Douro. Le duc de Wellington est de nouveau rétabli, mais il fait de telles imprudences qu'on ne peut jamais être en sûreté sur lui. On siffle lord Cardigan au théâtre, ce qui est fort ennuyeux pour ceux qui y vont. J'ai été à son jugement, qui m'a fort intéressée7. Il est bel homme, et il était pâle et intéressant; aussi, avons-nous été, nous Pairesses, contentes de sa libération. Mais c'était un peu théâtral, et je crains que, dans ces temps de réforme et de mécontentement, cela ne donne des griefs contre la Chambre des Pairs. Mon mari a prononcé bien les paroles: Pas coupable, sur mon honneur, mais celui qui les a prononcées mieux que personne était mon cousin, lord Essex. Du reste, vers le soir, les robes des Pairs, les tapisseries rouges, la présence des dames, etc., tout cela faisait un effet frappant. Les dames les plus admirées étaient lady Douro, lady Seymour, lady Mahon, ma cousine Caroline Essex.

«Notre chère tante, miss Fox, que nous aimons tant, puisqu'elle a été une vraie mère pour mon mari, nous a mis dans la peine; elle a été bien malade, mais j'espère qu'elle est sauvée; elle pleure son frère qu'elle aimait pour lui, pour lui seul; ni vanité, ni regrets d'importance ou d'ambition n'entrent dans sa douleur, et tout ce qu'elle a vu ou entendu depuis sa mort l'a choquée, peinée. Nous avons été aussi en alarme pour ma pauvre cousine lady Melbourne: elle a été à la mort, d'une fausse couche de cinq mois; elle est sauvée, je crois et j'espère, mais ce sont des scènes qui font mal et restent empreintes sur le cœur. Elle croyait mourir, et quittait tout ce qu'elle aimait avec tranquillité, soumission et tendresse, n'oubliant rien de ce qui pouvait conduire au bonheur de son mari qu'elle laissait.

«Nous passâmes une semaine, le premier de l'An, à Windsor; un tableau de bonheur parfait; notre chère petite Reine, le beau Prince Albert et la petite Princesse, bel enfant de bonne humeur, se laissant tout faire avec un sourire, signe certain de bonne santé. On dit que la Reine est encore grosse. Nous y dînâmes il y a quatre ou cinq jours, elle me parut un peu souffrante, mais deux soirs après, elle dansa beaucoup; mais, au reste, elle est si forte qu'on ne peut juger sur les apparences.»

Rochecotte, 1er mars 1841.– Voici mon dernier mois de Rochecotte qui commence. Je l'envisage à regret. Je me suis trouvée ici aussi bien que je puis être à présent; j'y vis exemptée de fatigue, d'agitations, de blessures et de contrainte; je retrouverai tout cela à Paris, mais comme il y aurait une certaine affectation à n'y pas aller du tout, et qu'avant de partir pour l'Allemagne, j'ai pas mal de petits arrangements à prendre, de préparatifs à faire, qui ne peuvent s'accomplir qu'à Paris, j'en prends, quoiqu'en grommelant, mon parti pour le mois d'avril.

J'ai reçu, hier, une lettre de Mme Mollien, qui me paraît assez amusante d'un bout à l'autre: «Il faut donc vous parler de ce bal costumé, vrai bal de carnaval et qui fera époque dans les annales des Tuileries pour avoir, pendant quelques heures, ramené dans ses murs, d'ordinaire assez tristes, la folle, franche et vive gaieté qui ne se voit guère que dans de plus simples salons: c'est au Prince de Joinville qu'est dû le succès de cette soirée. Rien ne peut résister à son entrain. Les costumes étaient variés, en général assez riches et de bon goût, à quelques exceptions près; il y a des exceptions partout. La Reine, les vieilles Princesses et les vieilles dames non costumées s'étaient rendues successivement dans la galerie Louis-Philippe; tous les costumes, hommes et femmes, se réunissaient dans une autre partie du Château, pour faire une entrée solennelle, qui eut lieu vers huit heures et demie, au bruit d'une musique infernale, composée de toutes sortes d'instruments plus ou moins barbares, que le Prince de Joinville a rapportés de ses voyages. Lui-même, en vrai costume turc, portait devant lui un immense tambour, oriental s'il en fut, dont il faisait un très bruyant usage. Un magicien, en guise de héraut, précédait le cortège, qui était conduit par la Duchesse d'Orléans: elle était superbe et avait le plus grand air. Son costume était celui de Marie de Bourgogne, velours noir, richement brodé d'or et garni d'hermine; le grand bonnet pointu, qui fait partie de ce costume, était orné par devant d'une barbe de velours, bordée tout autour par d'énormes chatons; le susdit bonnet était lui-même en drap d'or, surmonté à son extrémité d'un voile de tulle brodé en or. Deux dames et deux hommes, également en costume du temps de Louis XI, escortaient la Princesse: les deux femmes, dont le costume était pareil au sien, mais seulement moins riche, étaient Mmes de Chanaleilles et Olivia de Chabot; les hommes étaient M. Asseline, son secrétaire des commandements, et M. de Praslin, qui était à merveille dans un vêtement long, tout de velours brun et en martre, et qui s'appelait Philippe de Commines. Ma pauvre Princesse Clémentine n'était pas bien: elle portait un costume turc, rapporté par le Prince de Joinville, lors de son voyage en Syrie; c'était riche, mais lourd, peu gracieux, et sa mobile et charmante figure n'a retrouvé tous ses avantages qu'après souper, lorsque, pour danser plus à son aise, elle s'est débarrassée de son énorme coiffure qui l'écrasait. La Duchesse de Nemours, au contraire, était ravissante: elle avait copié un portrait de la femme du Régent, à qui on prétend qu'elle ressemble; une robe de dessus en velours, rouge, très courte, bouffante, relevée tout autour par des rubans et des diamants, sur une jupe de satin blanc, garnie de deux rangs de grosses franges chenilles et perles posées en guirlandes; un petit toquet de velours, avec une seule petite plume droite, posé en biais et bordant le front, en le dégageant extrêmement d'un côté; des cheveux très blonds, légèrement poudrés, frisés, mousseux, relevés de côté, tombant de l'autre, tout cela avait un certain air coquet, et, en même temps, négligemment abandonné qui était charmant; je ne l'ai jamais vue si jolie: ce n'était qu'un cri. Le reste ne vaut pas la peine d'être nommé. Cependant, il y avait de très belles toilettes. Des dames du temps de la Ligue, de la Fronde, de Louis XIII, de Louis XIV, quelques Espagnoles, et, entre autres, une vivandière du temps de Louis XV, qui faisait fureur. Mme de Montalivet et Mme de Praslin s'appelaient, à l'envi l'une de l'autre, Mlle de Hautefort. Beaucoup de dames poudrées. Le Duc d'Orléans n'était pas revenu de Saint-Omer, comme il l'avait fait espérer, au grand chagrin de la Princesse, pour qui, je crois, cela a beaucoup gâté la soirée. Le Prince de Joinville s'est promptement délivré de son costume turc. Ses deux jeunes frères étaient d'abord apparus en costumes militaires des derniers siècles. Après la première contredanse, tous trois s'en allèrent et revinrent bientôt, le Prince de Joinville et le Duc d'Aumale, en débardeurs, et le Duc de Montpensier en fifi du temps de la Régence. Si vous avez près de vous quelque habitué des bals masqués (je ne pense pas que ce soit M. de Castellane), faites-vous expliquer ce que sont ces costumes. Leur principal mérite, et qui, probablement, les avait fait choisir, est de seconder merveilleusement les projets de gaieté, car ils en autorisent et même en exigent l'allure. Les contredanses ne se formaient que sur deux rangs; comme on avait beaucoup de place, on se mettait à l'aise. Comme les couples des deux bouts auraient eu trop d'espace à parcourir, chaque figure n'était répétée que deux fois au lieu de l'être quatre; ainsi, toujours en mouvement, sans repos, sans relâche, chaque contredanse se terminait par un galop général, sur l'air final joué seulement sur une mesure beaucoup plus vive. Cela a duré ainsi jusqu'à trois heures et demie du matin, dans une progression de mouvements et d'ardeur de danse à laquelle je ne croyais plus. La Reine s'est fort amusée; le Roi lui-même a paru prendre plaisir à toutes ces gaietés: il est resté jusqu'au souper, qui a été servi dans la galerie de Diane, sur de petites tables rondes, comme aux petits bals. Les Infants et Infantes d'Espagne étaient tous costumés, excepté cependant père et mère: celle-ci n'a dansé que l'anglaise qui a terminé le bal; elle avait pour cavalier un Incroyable de la Révolution. C'était… incroyable! Elle s'est cependant dispensée du dernier galop qui a mis fin à l'anglaise et qui a surpassé tous les autres. Le Prince de Joinville avait pour page le Duc de Nemours, qui a pris, toute la soirée, une part très joyeuse à toutes ces gaietés; il tâchait bien un peu d'imiter son frère, mais ce Prince de Joinville, si fou, en même temps si grave et si beau de figure, si plein de verve et d'originalité, est, de tous points, inimitable. J'ai oublié de vous citer M. et Mme de Chabannes; elle, en dame de la Cour de Charles IX; son costume, dessiné, disait-elle, par Paul Delaroche, était parfaitement exact et rigoureux, et la rendait parfaitement laide; lui, s'était enveloppé de la tête aux pieds de ces flots de mousseline blanche dont se revêtent les Arabes; ce n'était pas une imitation: costume, poignard, pistolet, de plus un énorme fusil, pris par lui à Blidah, Milianah, etc… tout cela venait d'Alger. Il était de service, et c'est dans cet équipage qu'il a précédé le Roi et la Reine, lorsqu'ils ont passé de leur appartement dans la salle de bal. J'ai trouvé que ce n'était pas celle de ses campagnes où il avait montré le moins de courage.

 

«Le bal a eu un lendemain. Tous les costumés dansants et de bonne volonté se sont réunis chez M. de Lasalle, officier d'ordonnance du Roi, l'Incroyable de l'Infante, dont la femme avait un très riche costume dit Mademoiselle de Montpensier. Le Duc de Nemours, le Prince de Joinville et le Duc d'Aumale ont été à cette réunion improvisée, qui s'est prolongée jusqu'à cinq heures du matin, et qui a été, dit-on, prodigieusement gaie. C'était le Mardi-Gras: tout est permis ce jour-là. La matinée avait aussi voulu être amusante: Madame Adélaïde avait, comme de coutume, son déjeuner d'enfants. Le Roi et la Reine y vont toujours, ainsi que les Princesses. C'est au Palais-Royal, dans les appartements mêmes de Madame, que cela se passe. Plusieurs tables sont dressées dans trois pièces; la famille royale s'établit à une de ces tables, qui sont servies de toutes sortes de choses recherchées. C'est là, le grand divertissement. Madame y avait ajouté, cette année, un petit spectacle pour amuser le Roi: on jouait une pièce du théâtre des Variétés, le Chevalier du guet, qui a peut-être amusé le Roi, mais les enfants pas du tout; j'en suis garant: j'avais mes deux neveux, que Madame avait invités avec une obligeance qui ne m'avait pas permis de refuser; je suis restée là depuis trois heures jusqu'à sept, puis je suis encore retournée passer la soirée aux Tuileries, parce que j'étais de service, ce qui fait que, le mercredi des Cendres, j'étais morte de fatigue.

«Pas un mot aujourd'hui des fortifications, ni des fonds secrets, quoiqu'à vrai dire, certains hommes d'État pourraient ne pas se trouver tout à fait déplacés au milieu des déguisements du Carnaval.»

Rochecotte, 2 mars 1841.– M. de Valençay me mande qu'il a dîné hier jeudi chez le maréchal Soult, un grand dîner de quarante couverts. Les Ailesbury, les Seaford, lady Aldborough, les Brignole et Durazzo, les Francis Baring y assistaient. Mon fils était assis à table à côté de Francis Baring, homme d'un esprit agréable qu'il avait beaucoup vu chez M. de Talleyrand, surtout en Angleterre et qui semble avoir conservé de l'attachement pour sa mémoire. Ils ont beaucoup causé. Sir Francis lui a dit qu'un grand nombre de lettres de M. de Talleyrand lui avaient dernièrement passé par les mains, car il venait de parcourir et de mettre en ordre toute la correspondance de son beau-père, le duc de Bassano. Il a ajouté que son impression, après cette lecture, était de donner toute raison à mon oncle dans les différends qu'il a eus avec le duc de Bassano sur la politique de l'Empereur Napoléon. Dans le courant de cette conversation, Francis Baring a dit, comme un avis qui pourrait nous être utile, qu'un de ses amis est venu chez lui, il y a peu de temps, et lui a dit: «Vous ne savez pas que Thiers se vante d'avoir trouvé, en fouillant dans des papiers, des choses qui compromettent M. de Talleyrand dans l'affaire du duc d'Enghien.» Mon fils est entré alors dans quelques détails, pour démontrer à Baring que les renseignements prétendus trouvés par M. Thiers ne pouvaient être qu'erronés; que son oncle avait toujours ignoré les projets de l'Empereur, sa pensée secrète sur le duc d'Enghien, et tous ceux qui ont connu Napoléon ne s'en sont point étonnés.

Je suis bien aise de savoir ce que M. Thiers se plaît à répandre, pour donner crédit à l'Histoire du Consulat et de l'Empire qu'il écrit en ce moment.

Quand vous serez revenu de votre exil8, je vous prierai de demander à Francis Baring communication des lettres dont il a parlé à mon fils; ces pièces figureraient bien, ce me semble, dans notre grand ouvrage9.

La discussion sur les fonds secrets s'est prolongée beaucoup plus qu'on ne s'y attendait. Le vote, du reste, n'est pas douteux.

La nouvelle d'hier était la faible majorité du Ministère anglais sur le bill de lord Morpeth. Le chiffre de cinq est bien faible10. Indiquerait-il la chute prochaine du Cabinet?

On ne peut pas dire encore quel sera le sort des fortifications de Paris à la Chambre des Pairs. Le duc de Broglie se montre des plus violents en faveur de cette loi.

Les journaux apprennent le mariage du vieux Roi des Pays-Bas avec la comtesse d'Oultremont11. La tante du Roi de Prusse, la vieille électrice de Hesse, vient de mourir. La pauvre femme a eu une triste existence semée de bien d'épreuves et de traverses! Son vilain mari épouse cette dame avec laquelle je l'ai souvent rencontré à Bade.

Rochecotte, 3 mars 1841.– Le duc de Noailles m'écrit que M. de Flahaut fait une cour assidue à M. Guizot, partout, et surtout chaque soir, chez Mme de Lieven, où ses prévenances commencent dès la porte. Bref, il lui paraît dévoué comme il l'était à M. Thiers; cependant, il n'aura Vienne que si Sainte-Aulaire va à Londres, et pour cela, il faut que M. de Broglie, qu'on presse d'accepter Londres, continue de s'y refuser.

Le Duc mande encore que le Roi regarde la question des fortifications comme une question de paix et dit qu'il faut rendre les guerres plus difficiles pour les rendre plus rares; qu'il est bon que l'Allemagne se fortifie chez elle, et que nous nous fortifiions chez nous, parce qu'il faut arrêter notre fougue et élever mutuellement des obstacles qui empêchent de s'attaquer. Le duc d'Orléans, au contraire, prend la chose du côté révolutionnaire. Il dit que l'Europe ne s'arrangera jamais de sa dynastie, ni du principe de gouvernement qui a triomphé en 1830; qu'un jour ou l'autre, elle l'attaquera, et qu'il faut, dès aujourd'hui, préparer sa défense. Quant au duc de Noailles, il me paraît, lui, préparer un discours, auquel il met beaucoup de prétention.

5Allusion à la manufacture de toiles peintes fondée au dix-huitième siècle par Oberkampf, à Jouy-en-Josas, en Seine-et-Oise, non loin de Versailles.
6Fille d'un premier mariage de lady Palmerston, et nièce de lord Melbourne, lady Fanny devait épouser, quelques mois plus tard, lord Jocelyn.
7Le jeune colonel Cardigan avait eu plusieurs démêlés avec les officiers de son régiment, et, à la suite d'un duel avec le capitaine Harvey-Tuckett, qu'il blessa, il fut, en février 1841, traduit devant la Chambre des Lords constituée en Cour de justice. Un verdict d'acquittement y fut rendu en sa faveur: son accusation n'était qu'un hommage nécessaire rendu aux lois du pays contre le duel.
8M. de Bacourt, à qui s'adressait cette lettre, était toujours ministre de France à Washington. On trouve ici l'explication du refroidissement qui est survenu dans les relations de la duchesse de Talleyrand et de M. Thiers.
9Ce grand ouvrage consistait en la copie et le classement des papiers réunis sous le titre: Mémoires du prince de Talleyrand.
10Le bill de l'inscription des électeurs en Irlande avait été proposé par lord Morpeth à la Chambre des Communes, où il trouvait une très considérable opposition.
11Le 16 février 1841, le Roi Guillaume Ier des Pays-Bas avait épousé, morganatiquement, la comtesse d'Oultremont-Vegimont, après avoir abdiqué, en 1840, en faveur de son fils, le Roi Guillaume II.