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Robinson Crusoe. II

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LES TARTARES-MONGOLS

Bref les Tartares arrivèrent en foule: impossible à nous de dire leur nombre, mais nous pensâmes qu'ils étaient dix mille tout au moins. Ils détachèrent d'abord un parti pour examiner notre attitude, en traversant le terrain sur le front de notre ligne. Comme nous le tenions à portée de fusil, notre commandant ordonna aux deux ailes d'avancer en toute hâte et de lui envoyer simultanément une salve de mousqueterie, ce qui fut fait. Sur ce, il prit la fuite, pour rendre compte, je présume, de la réception qui attendait nos Tartares. Et il paraîtrait que ce salut ne les mit pas en goût, car ils firent halte immédiatement. Après quelques instants de délibération, faisant un demi-tour à gauche, ils rengaînèrent leur compliment et ne nous en dirent pas davantage pour cette fois, ce qui, vu les circonstances, ne fut pas très-désagréable: nous ne brûlions pas excessivement de donner bataille à une pareille multitude.

Deux jours après ceci nous atteignîmes la ville de Naum ou Nauma. Nous remerciâmes le gouverneur de ses soins pour nous, et nous fîmes une collecte qui s'éleva à une centaine de crowns que nous donnâmes aux soldats envoyés pour notre escorte. Nous y restâmes un jour. Naum est tout de bon une ville de garnison; il y avait bien neuf cents soldats, et la raison en est qu'autrefois les frontières moscovites étaient beaucoup plus voisines qu'elles ne le sont aujourd'hui, les Moscovites ayant abandonné toute cette portion du pays (laquelle, à l'Ouest de la ville, s'étend jusqu'à deux cents milles environ), comme stérile et indéfrichable, et plus encore à cause de son éloignement et de la difficulté qu'il y a d'y entretenir des troupes pour sa défense, car nous étions encore à deux mille milles de la Moscovie proprement dite.

Après cette étape nous eûmes à passer plusieurs grandes rivières et deux terribles déserts, dont l'un nous coûta seize jours de marche: c'est à juste titre, comme je l'ai dit, qu'ils pourraient se nommer No Man's Land, la Terre de Personne; et le 13 avril nous arrivâmes aux frontières des États moscovites. Si je me souviens bien la première cité, ville ou forteresse, comme il vous plaira, qui appartient au Czar de Moscovie, s'appelle Argun, située qu'elle est sur la rive occidentale de la rivière de ce nom.

Je ne pus m'empêcher de faire paraître une vive satisfaction en entrant dans ce que j'appelais un pays chrétien, ou du moins dans un pays gouverné par des Chrétiens; car, quoiqu'à mon sens les Moscovites ne méritent que tout juste le nom de Chrétiens, cependant ils se prétendent tels et sont très-dévots à leur manière. Tout homme à coup sûr qui voyage par le monde comme je l'ai fait, s'il n'est pas incapable de réflexion, tout homme, à coup sûr, dis-je, en arrivera à se bien pénétrer que c'est une bénédiction d'être né dans une contrée où le nom de Dieu et d'un Rédempteur est connu, révéré, adoré, et non pas dans un pays où le peuple, abandonné par le Ciel à de grossières impostures, adore le démon, se prosterne devant le bois et la pierre, et rend un culte aux monstres, aux éléments, à des animaux de forme horrible, à des statues ou à des images monstrueuses. Pas une ville, pas un bourg par où nous venions de passer qui n'eût ses pagodes, ses idoles, ses temples, et dont la population ignorante n'adorât jusqu'aux ouvrages de ses mains!

Alors du moins nous étions arrivés en un lieu où tout respirait le culte chrétien, où, mêlée d'ignorance ou non, la religion chrétienne était professée et le nom du vrai Dieu invoqué et adoré. J'en étais réjoui jusqu'au fond de l'âme. Je saluai le brave marchand écossais dont j'ai parlé plus haut à la première nouvelle que j'en eus, et, lui prenant la main, je lui dis: – «Béni soit Dieu! nous voici encore une fois revenus parmi les Chrétiens!» – Il sourit, et me répondit: – «Compatriote, ne vous réjouissez pas trop tôt: ces Moscovites sont une étrange sorte de Chrétiens; ils en portent le nom, et voilà tout; vous ne verrez pas grand'chose de réel avant quelques mois de plus de notre voyage.»

– «Soit, dis-je; mais toujours est-il que cela vaut mieux que le paganisme et l'adoration des démons.» – «Attendez, reprit-il, je vous dirai qu'excepté les soldats russiens des garnisons et quelques habitants des villes sur la route, tout le reste du pays jusqu'à plus de mille milles au-delà est habité par des payens exécrables et stupides;» – comme en effet nous le vîmes.

Nous étions alors, si je comprends quelque chose à la surface du globe, lancés à travers la plus grande pièce de terre solide qui se puisse trouver dans l'univers. Nous avions au moins douze cents milles jusqu'à la mer, à l'Est; nous en avions au moins deux mille jusqu'au fond de la mer Baltique, du côté de l'Ouest, et au moins trois mille si nous laissions cette mer pour aller chercher au couchant le canal de la Manche entre la France et l'Angleterre; nous avions cinq mille milles pleins jusqu'à la mer des Indes ou de Perse, vers le Sud, et environ huit cents milles au Nord jusqu'à la mer Glaciale. Si l'on en croit même certaines gens, il ne se trouve point de mer du côté du Nord-Est jusqu'au pôle, et conséquemment dans tout le Nord-Ouest: un continent irait donc joindre l'Amérique, nul mortel ne sait où! mais d'excellentes raisons que je pourrais donner me portent à croire que c'est une erreur.

Quand nous fûmes entrés dans les possessions moscovites, avant d'arriver à quelque ville considérable, nous n'eûmes rien à observer, sinon que toutes les rivières coulent à l'Est. Ainsi que je le reconnus sur les cartes que quelques personnes de la caravane avaient avec elles, il est clair qu'elles affluent toutes dans le grand fleuve Yamour ou Gammour. Ce fleuve, d'après son cours naturel, doit se jeter dans la mer ou Océan chinois. On nous raconta que ses bouches sont obstruées par des joncs d'une crue monstrueuse, de trois pieds de tour et de vingt ou trente pieds de haut. Qu'il me soit permis de dire que je n'en crois rien. Comme on ne navigue pas sur ce fleuve, parce qu'il ne se fait point de commerce de ce côté, les Tartares qui, seuls, en sont les maîtres, s'adonnant tout entier à leurs troupeaux, personne donc, que je sache, n'a été assez curieux pour le descendre en bateaux jusqu'à son embouchure, ou pour le remonter avec des navires. Chose positive, c'est que courant vers l'Est par une latitude de 60 degrés, il emporte un nombre infini de rivières, et qu'il trouve dans cette latitude un Océan pour verser ses eaux. Aussi est-on sûrs qu'il y a une mer par là.

À quelques lieues au Nord de ce fleuve il se trouve plusieurs rivières considérables qui courent aussi directement au Nord que le Yamour court à l'Est. On sait qu'elles vont toutes se décharger dans le grand fleuve Tartarus, tirant son nom des nations les plus septentrionales d'entre les Tartares-Mongols, qui, au sentiment des Chinois, seraient les plus anciens Tartares du monde, et, selon nos géographes, les Gogs et Magogs dont il est fait mention dans l'histoire sacrée.

Ces rivières courant toutes au Nord aussi bien que celles dont j'ai encore à parler, démontrent évidemment que l'Océan septentrional borne aussi la terre de ce côté, de sorte qu'il ne semble nullement rationnel de penser que le continent puisse se prolonger dans cette région pour aller joindre l'Amérique, ni qu'il n'y ait point de communication entre l'Océan septentrional et oriental; mais je n'en dirai pas davantage là-dessus: c'est une observation que je lis alors, voilà pourquoi je l'ai consignée ici. De la rivière Arguna nous poussâmes en avant à notre aise et à petites journées, et nous fûmes sensiblement obligés du soin que le Czar de Moscovie a pris de bâtir autant de cités et de villes que possible, où ses soldats tiennent garnison à peu près comme ces colonies militaires postées par les Romains dans les contrées les plus reculées de leur Empire, et dont quelques-unes, entre autres, à ce que j'ai lu, étaient placées en Bretagne pour la sûreté du commerce et pour l'hébergement des voyageurs. C'était de même ici; car partout où nous passâmes, bien que, en ces villes et en ces stations, la garnison et les gouverneurs fussent Russiens et professassent le Christianisme, les habitants du pays n'étaient que de vrais payens, sacrifiant aux idoles et adorant le soleil, la lune, les étoiles et toutes les armées du Ciel. Je dirai même que de toutes les idolâtries, de touts les payens que je rencontrai jamais, c'étaient bien les plus barbares; seulement ces misérables ne mangeaient pas de chair humaine, comme font nos Sauvages de l'Amérique.

Nous en vîmes quelques exemples dans le pays entre Arguna, par où nous entrâmes dans les États moscovites, et une ville habitée par des Tartares et des Moscovites appelée Nertzinskoy, où se trouve un désert, une forêt continue qui nous demanda vingt-deux jours de marche. Dans un village près la dernière de ces places, j'eus la curiosité d'aller observer la manière de vivre des gens du pays, qui est bien la plus brute et la plus insoutenable. Ce jour-là il y avait sans doute grand sacrifice, car on avait dressé sur un vieux tronc d'arbre une idole de bois aussi effroyable que le diable, du moins à peu près comme nous nous figurons qu'il doit être représenté: elle avait une tête qui assurément ne ressemblait à celle d'aucune créature que le monde ait vue; des oreilles aussi grosses que cornes d'un bouc et aussi longues; des yeux de la taille d'un écu; un nez bossu comme une corne de bélier, et une gueule carrée et béante comme celle d'un lion, avec des dents horribles, crochues comme le bec d'un perroquet. Elle était habillée de la plus sale manière qu'on puisse s'imaginer: son vêtement supérieur se composait de peaux de mouton, la laine tournée en dehors, et d'un grand bonnet tartare planté sur sa tête avec deux cornes passant au travers. Elle pouvait avoir huit pieds du haut; mais elle n'avait ni pieds ni jambes, ni aucune espèce de proportions.

 

Cet épouvantail était érigé hors du village et quand j'en approchai il y avait là seize ou dix-sept créatures, hommes ou femmes, je ne sais, – car ils ne font point de distinction ni dans leurs habits ni dans leurs coiffures, – toutes couchées par terre à plat ventre, autour de ce formidable et informe bloc de bois. Je n'appercevais pas le moindre mouvement parmi elles, pas plus que si elles eussent été des souches comme leur idole. Je le croyais d'abord tout de bon; mais quand je fus un peu plus près, elles se dressèrent sur leurs pieds et poussèrent un hurlement, à belle gueule, comme l'eût fait une meute de chiens, puis elles se retirèrent, vexées sans doute de ce que nous les troublions. À une petite distance du monstre, à l'entrée d'une tente ou hutte toute faite de peaux de mouton et de peaux de vache séchées, étaient postés trois hommes que je pris pour des bouchers parce qu'en approchant je vis de longs couteaux dans leurs mains et au milieu de la tente trois moutons tués et un jeune bœuf ou bouvillon. Selon toute apparence ces victimes étaient pour cette bûche d'idole, à laquelle appartenaient les trois prêtres, et les dix-sept imbécilles prosternés avaient fourni l'offrande et adressaient leurs prières à la bûche.

Je confesse que je fus plus révolté de leur stupidité et de cette brutale adoration d'un hobgoblin, d'un fantôme, que du tout ce qui m'avait frappé dans le cours de ma vie. Oh! qu'il m'était douloureux de voir la plus glorieuse, la meilleure créature de Dieu, à laquelle, par la création même, il a octroyé tant d'avantages, préférablement à touts les autres ouvrages de ses mains, à laquelle il a donné une âme raisonnable, douée de facultés et de capacités, afin qu'elle honorât son Créateur et qu'elle en fût honorée! oh! qu'il m'était douloureux de la voir, dis-je, tombée et dégénérée jusque là d'être assez stupide pour se prosterner devant un rien hideux, un objet purement imaginaire, dressé par elle-même, rendu terrible à ses yeux par sa propre fantaisie, orné seulement de torchons et de guenilles, et de songer que c'était là l'effet d'une pure ignorance transformée en dévotion infernale par le diable lui-même, qui, enviant à son créateur l'hommage et l'adoration de ses créatures, les avait plongées dans des erreurs si grossières, si dégoûtantes, si honteuses, si bestiales, qu'elles semblaient devoir choquer la nature elle-même!

CHAM-CHI-THAUNGU

Mais que signifiaient cet ébahissement et ces réflexions? C'était ainsi; je le voyais devant mes yeux; impossible à moi d'en douter. Tout mon étonnement tournant en rage, je galopai vers l'image ou monstre, comme il vous plaira, et avec mon épée je pourfendis le bonnet qu'il avait sur la tête, au beau milieu, tellement qu'il pendait par une des cornes. Un de nos hommes qui se trouvait avec moi saisit alors la peau de mouton qui couvrait l'idole et l'arrachait, quand tout-à-coup une horrible clameur parcourut le village, et deux ou trois cents drôles me tombèrent sur les bras, si bien que je me sauvai sans demander mon reste, et d'autant plus volontiers que quelques-uns avaient des arcs et des flèches; mais je fis serment de leur rendre une nouvelle visite.

Notre caravane demeura trois nuits dans la ville, distante de ce lieu de quatre ou cinq milles environ, afin de se pourvoir de quelques montures dont elle avait besoin, plusieurs de nos chevaux ayant été surmenés et estropiés par le mauvais chemin et notre longue marche à travers le dernier désert; ce qui nous donna le loisir de mettre mon dessein à exécution. – Je communiquai mon projet au marchand écossais de Moscou, dont le courage m'était bien connu. Je lui contai ce que j'avais vu et de quelle indignation j'avais été rempli en pensant que la nature humaine pût dégénérer jusque là. Je lui dis que si je pouvais trouver quatre ou cinq hommes bien armés qui voulussent me suivre, j'étais résolu à aller détruire cette immonde, cette abominable idole, pour faire voir à ses adorateurs que ce n'était qu'un objet indigne de leur culte et de leurs prières, incapable de se défendre lui-même, bien loin de pouvoir assister ceux qui lui offraient des sacrifices.

Il se prit à rire. – «Votre zèle peut être bon, me dit-il; mais que vous proposez-vous par là?» – «Ce que je me propose! m'écriai-je, c'est de venger l'honneur de Dieu qui est insulté par cette adoration satanique.» – «Mais comment cela vengerait-il l'honneur de Dieu, reprit-il, puisque ces gens ne seront pas à même de comprendre votre intention, à moins que vous ne leur parliez et ne la leur expliquiez, et, alors, ils vous battront, je vous l'assure, car ce sont d'enragés coquins, et surtout quand il s'agit de la défense de leur idolâtrie.» – «Ne pourrions-nous pas le faire de nuit, dis-je, et leur en laisser les raisons par écrit, dans leur propre langage?» – «Par écrit! répéta-t-il; peste! Mais dans cinq de leurs nations il n'y a pas un seul homme qui sache ce que c'est qu'une lettre, qui sache lire un mot dans aucune langue même dans la leur.» – «Misérable ignorance!..» m'écriai-je. «J'ai pourtant grande envie d'accomplir mon dessein; peut-être la nature les amènera-t-elle à en tirer des inductions, et à reconnaître combien ils sont stupides d'adorer ces hideuses machines.» – «Cela vous regarde, sir, reprit-il; si votre zèle vous y pousse si impérieusement, faites-le; mais auparavant qu'il vous plaise de considérer que ces peuples sauvages sont assujétis par la force à la domination du Czar de Moscovie; que si vous faites le coup, il y a dix contre un à parier qu'ils viendront par milliers se plaindre au gouverneur de Nertzinskoy et demander satisfaction, et que si on ne peut leur donner satisfaction, il y a dix contre un à parier qu'ils révolteront et que ce sera là l'occasion d'une nouvelle guerre avec touts les tartares de ce pays.»

Ceci, je l'avoue, me mit pour un moment de nouvelles pensées en tête; mais j'en revenais toujours à ma première idée et toute cette journée l'exécution de mon projet me tourmenta28. Vers le soir le marchand écossais m'ayant rencontré par hasard dans notre promenade autour de la ville, me demanda à s'entretenir avec moi. – «Je crains, me dit-il, de vous avoir détourné de votre bon dessein: j'en ai été un peu préoccupé depuis, car j'abhorre les idoles et l'idolâtrie tout autant que vous pouvez le faire.» – «Franchement, lui répondis-je, vous m'avez quelque peu déconcerté quant à son exécution, mais vous ne l'avez point entièrement chassé de mon esprit, et je crois fort que je l'accomplirai avant de quitter ce lieu, dussé-je leur être livré en satisfaction.» – «Non, non, dit-il, à Dieu ne plaise qu'on vous livre à une pareille engeance de montres! On ne le fera pas; ce serait vous assassiner.» – «Oui-dà, fis-je, eh! comment me traiteraient-ils donc?» – «Comment ils vous traiteraient! s'écria-t-il; écoutez, que je vous conte comment ils ont accommodé un pauvre Russien qui, les ayant insultés dans leur culte, juste comme vous avez fait, tomba entre leurs mains. Après l'avoir estropié avec un dard pour qu'il ne pût s'enfuir, ils le prirent, le mirent tout nu, le posèrent sur le haut de leur idole-monstre, se rangèrent tout autour et lui tirèrent autant de flèches qu'il s'en put ficher dans son corps; puis ils le brûlèrent lui et toutes les flèches dont il était hérissé, comme pour l'offrir en sacrifice à leur idole.» – «Était-ce la même idole?» fis-je. – «Oui, dit-il, justement la même.» – «Eh! bien,» repris-je, «à mon tour, que je vous conte une histoire;» – Là-dessus je lui rapportai l'aventure de nos Anglais à Madagascar, et comment ils avaient incendié et mis à sac un village et tué hommes, femmes et enfants pour venger le meurtre de nos compagnons, ainsi que cela a été relaté précédemment; puis, quand j'eus finis, j'ajoutai que je pensais que nous devions faire de même à ce village.

Il écouta très-attentivement toute l'histoire, mais quand je parlai de faire de même à ce village, il me dit: – «Vous vous trompez fort, ce n'est pas ce village, c'est au moins à cent milles plus loin; mais c'était bien la même idole, car on la charrie en procession dans tout le pays.» – «Eh! bien, alors,» dis-je, «que l'idole soit punie! et elle le sera, que je vive jusqu'à cette nuit!»

Bref, me voyant résolu, l'aventure le séduisit, et il me dit que je n'irais pas seul, qu'il irait avec moi et qu'il m'amènerait pour nous accompagner un de ses compatriotes, un drille, disait-il, aussi fameux que qui que ce soit pour son zèle contre toutes pratiques diaboliques. Bref, il m'amena ce camarade, cet Écossais qu'il appelait capitaine Richardson. Je lui fis au long le récit de ce que j'avais vu et de ce que je projetais, et sur-le-champ il me dit qu'il voulait me suivre, dût-il lui en coûter la vie. Nous convînmes de partir seulement nous trois. J'en avais bien fait la proposition à mon partner, mais il s'en était excusé. Il m'avait dit que pour ma défense il était prêt à m'assister de toutes ses forces et en toute occasion; mais que c'était une entreprise tout-à-fait en dehors de sa voie: ainsi, dis-je, nous résolûmes de nous mettre en campagne seulement nous trois et mon serviteur, et d'exécuter le coup cette nuit même sur le minuit, avec tout le secret imaginable.

Cependant, toute réflexion faite, nous jugeâmes bon de renvoyer la partie à la nuit suivante, parce que la caravane devant se mettre en route dans la matinée du surlendemain, nous pensâmes que le gouverneur ne pourrait prétendre donner satisfaction à ces barbares à nos dépens quand nous serions hors de son pouvoir. Le marchand écossais, aussi ferme dans ses résolutions que hardi dans l'exécution, m'apporta une robe de Tartare ou gonelle de peau de mouton, un bonnet avec un arc et des flèches, et s'en pourvut lui-même ainsi que son compatriote, afin que si nous venions à être apperçus on ne pût savoir qui nous étions.

Nous passâmes toute la première nuit à mixtionner quelques matières combustibles avec de l'aqua-vitæ, de la poudre à canon et autres drogues que nous avions pu nous procurer, et le lendemain, ayant une bonne quantité de goudron dans un petit pot, environ une heure après le soleil couché nous partîmes pour notre expédition.

Quand nous arrivâmes, il était à peu près onze heures du soir: nous ne remarquâmes pas que le peuple eût le moindre soupçon du danger qui menaçait son idole. La nuit était sombre, le ciel était couvert de nuages; cependant la lune donnait assez de lumière pour laisser voir que l'idole était juste dans les mêmes posture et place qu'auparavant. Les habitants semblaient tout entiers à leur repos; seulement dans la grande hutte ou tente, comme nous l'appelions, où nous avions vu les trois prêtres que nous avions pris pour des bouchers, nous apperçûmes une lueur, et en nous glissant près de la porte, nous entendîmes parler, comme s'il y avait cinq ou six personnes. Il nous parut donc de toute évidence que si nous mettions le feu à l'idole, ces gens sortiraient immédiatement et s'élanceraient sur nous pour la sauver de la destruction que nous préméditions; mais comment faire? nous étions fort embarrassés. Il nous passa bien par l'esprit de l'emporter et de la brûler plus loin; mais quand nous vînmes à y mettre la main, nous la trouvâmes trop pesante pour nos forces et nous retombâmes dans la même perplexité. Le second Écossais était d'avis de mettre le feu à la hutte et d'assommer les drôles qui s'y trouvaient à mesure qu'ils montreraient le nez; mais je m'y opposai, je n'entendais point qu'on tuât personne, s'il était possible de l'éviter. – «Eh bien, alors, dit le marchand écossais, voilà ce qu'il nous faut faire: tâchons de nous emparer d'eux, lions-leur les mains, et forçons-les à assister à la destruction de leur idole.»

Comme il se trouvait que nous n'avions pas mal de cordes et de ficelles qui nous avaient servi à lier nos pièces d'artifice, nous nous déterminâmes à attaquer d'abord les gens de la cabane, et avec aussi peu de bruit que possible. Nous commençâmes par heurter à la porte, et quand un des prêtres se présenta, nous nous en saisîmes brusquement, nous lui bouchâmes la bouche, nous lui liâmes les mains sur le dos et le conduisîmes vers l'idole, où nous le baillonnâmes pour qu'il ne pût jeter des cris: nous lui attachâmes aussi les pieds et le laissâmes par terre.

 

Deux d'entre nous guettèrent alors à la porte, comptant que quelque autre sortirait pour voir de quoi il était question. Nous attendîmes jusqu'à ce que notre troisième compagnon nous eût rejoint; mais personne ne se montrant, nous heurtâmes de nouveau tout doucement. Aussitôt sortirent deux autres individus que nous accommodâmes juste de la même manière; mais nous fûmes obligés de nous mettre touts après eux pour les coucher par terre près de l'idole, à quelque distance l'un de l'autre. Quand nous revînmes nous en vîmes deux autres à l'entrée de la hutte et un troisième se tenant derrière en dedans de la porte. Nous empoignâmes les deux premiers et les liâmes sur-le-champ. Le troisième se prit alors à crier en se reculant; mais mon Écossais le suivit, et prenant une composition que nous avions faite, une mixtion propre à répandre seulement de la fumée et de la puanteur, il y mit le feu et la jeta au beau milieu de la hutte. Dans l'entrefaite l'autre Écossais et mon serviteur s'occupant des deux hommes déjà liés, les attachèrent ensemble par le bras, les menèrent auprès de l'idole; puis, pour qu'ils vissent si elle les secourerait, ils les laissèrent là, ayant grande hâte de venir vers nous.

Quand l'artifice que nous avions jeté eut tellement rempli la hutte de fumée qu'on y était presque suffoqué, nous y lançâmes un sachet de cuir d'une autre espèce qui flambait comme une chandelle; nous le suivîmes, et nous n'apperçûmes que quatre personnes, deux hommes et deux femmes à ce que nous crûmes, venus sans doute pour quelque sacrifice diabolique. Ils nous parurent dans une frayeur mortelle, ou du moins tremblants, stupéfiés, et à cause de la fumée incapables de proférer une parole. DESTRUCTION DE CHAM-CHI-THAUNGU.

En un mot, nous les prîmes, nous les garrottâmes comme les autres, et le tout sans aucun bruit. J'aurais dû dire que nous les emmenâmes hors de la hutte d'abord, car tout comme à eux la fumée nous fut insupportable. Ceci fait nous les conduisîmes touts ensemble vers l'idole, et arrivés là nous nous mîmes à la travailler: d'abord nous la barbouillâmes du haut en bas, ainsi que son accoutrement, avec du goudron, et certaine autre matière que nous avions, composée de suif et de soufre; nous lui bourrâmes ensuite les yeux, les oreilles et la gueule de poudre à canon; puis nous entortillâmes dans son bonnet une grande pièce d'artifice, et quand nous l'eûmes couverte de touts les combustibles que nous avions apportés nous regardâmes autour de nous pour voir si nous pourrions trouver quelque chose pour son embrasement. Tout-à-coup mon serviteur se souvint que près de la hutte il y avait un tas de fourrage sec, de la paille ou du foin, je ne me rappelle pas: il y courut avec un des Écossais et ils en apportèrent plein leurs bras. Quand nous eûmes achevé cette besogne nous prîmes touts nos prisonniers, nous les rapprochâmes, ayant les pieds déliés et la bouche débaillonnée nous les fîmes tenir debout et les plantâmes juste devant leur monstrueuse idole, puis nous y mîmes feu de tout côté.

Nous demeurâmes là un quart d'heure ou environ avant que la poudre des yeux, de la bouche et des oreilles de l'idole sautât; cette explosion, comme il nous fut facile de le voir, la fendit et la défigura toute; en un mot, nous demeurâmes là jusqu'à ce que nous la vîmes s'embraser et ne former plus qu'une souche, qu'un bloc de bois. Après l'avoir entourée de fourrage sec, ne doutant pas qu'elle ne fût bientôt entièrement consumée, nous nous disposions à nous retirer, mais l'Écossais nous dit: – «Ne partons pas, car ces pauvres misérables dupes seraient capables de se jeter dans le feu pour se faire rôtir avec leur idole.» – Nous consentîmes donc à rester jusqu'à ce que le fourrage fût brûlé, puis, nous fîmes volte-face, et les quittâmes.

Le matin nous parûmes parmi nos compagnons de voyage excessivement occupés à nos préparatifs de départ: personne ne se serait imaginé que nous étions allés ailleurs que dans nos lits, comme raisonnablement tout voyageur doit faire, pour se préparer aux fatigues d'une journée de marche.

Mais ce n'était pas fini, le lendemain une grande multitude de gens du pays, non-seulement de ce village mais de cent autres, se présenta aux portes de la ville, et d'une façon fort insolente, demanda satisfaction au gouverneur de l'outrage fait à leurs prêtres et à leur grand Cham-Chi-Thaungu; c'était là le nom féroce qu'il donnait à la monstrueuse créature qu'ils adoraient. Les habitants de Nertzinskoy furent d'abord dans une grande consternation: ils disaient que les Tartares étaient trente mille pour le moins, et qu'avant peu de jours ils seraient cent mille et au-delà.

Le gouverneur russien leur envoya des messagers pour les appaiser et leur donner toutes les bonnes paroles imaginables. Il les assura qu'il ne savait rien de l'affaire; que pas un homme de la garnison n'ayant mis le pied dehors, le coupable ne pouvait être parmi eux; mais que s'ils voulaient le lui faire connaître il serait exemplairement puni. Ils répondirent hautainement que toute la contrée révérait le grand Cham-Chi-Thaungu qui demeurait dans le soleil, et que nul mortel n'eût osé outrager son image, hors quelque chrétien mécréant (ce fut là leur expression, je crois), et qu'ainsi ils lui déclaraient la guerre à lui et à touts les Russiens, qui, disaient-ils, étaient des infidèles, des chrétiens.

Le gouverneur, toujours patient, ne voulant point de rupture, ni qu'on pût en rien l'accuser d'avoir provoqué la guerre, le Czar lui ayant étroitement enjoint de traiter le pays conquis avec bénignité et courtoisie, leur donna encore toutes les bonnes paroles possibles; à la fin il leur dit qu'une caravane était partie pour la Russie le matin même, que quelqu'un peut-être des voyageurs leur avait fait cette injure, et que, s'ils voulaient en avoir l'assurance, il enverrait après eux pour en informer. Ceci parut les appaiser un peu, et le gouverneur nous dépêcha donc un courrier pour nous exposer l'état des choses, en nous intimant que si quelques hommes de notre caravane avaient fait le coup, ils feraient bien de se sauver, et, coupables ou non, que nous ferions bien de nous avancer en toute hâte, tandis qu'il les amuserait aussi long-temps qu'il pourrait.

C'était très-obligeant de la part du gouverneur. Toutefois lorsque la caravane fut instruite de ce message, personne n'y comprit rien, et quant à nous qui étions les coupables, nous fûmes les moins soupçonnés de touts: on ne nous fit pas seulement une question. Néanmoins le capitaine qui pour le moment commandait la caravane, profita de l'avis que le gouverneur nous donnait, et nous marchâmes ou voyageâmes deux jours et deux nuits, presque sans nous arrêter. Enfin nous nous reposâmes à un village nommé Plothus, nous n'y fîmes pas non plus une longue station, voulant gagner au plus tôt Jarawena, autre colonie du Czar de Moscovie où nous espérions être en sûreté. Une chose à remarquer, c'est qu'après deux ou trois jours de marche, au-delà de cette ville, nous commençâmes à entrer dans un vaste désert sans nom dont je parlerai plus au long en son lieu, et que si alors nous nous y fussions trouvés, il est plus que probable que nous aurions été touts détruits. Ce fut le lendemain de notre départ de Plothus, que des nuages de poussière qui s'élevaient derrière nous à une grande distance firent soupçonner à quelques-uns des nôtres que nous étions poursuivis. Nous étions entrés dans le désert, et nous avions longé un grand lac, appelé Shanks-Oser, quand nous apperçûmes un corps nombreux de cavaliers de l'autre côté du lac vers le Nord. Nous remarquâmes qu'ils se dirigeaient ainsi que nous vers l'Ouest, mais fort heureusement ils avaient supposé que nous avions pris la rive Nord, tandis que nous avions pris la rive Sud. Deux jours après nous ne les vîmes plus, car pensant que nous étions toujours devant eux ils poussèrent jusqu'à la rivière Udda: plus loin, vers le Nord, c'est un courant considérable, mais à l'endroit où nous la passâmes, elle est étroite et guéable.

28Nous avions promis de ne plus faire de notes; cependant, il ne nous est guère possible de ne pas dire qu'ici, dans la traduction contemporaine, indigne du beau nom de MADAME TASTU, on a passé sous silence CINQ pages et DEMIE du texte original, à partir de Vers le soir… jusqu'à Le matin…: c'est vraiment commode. P. B.