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Henri IV en Gascogne (1553-1589)

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CHAPITRE III

L'éducation du prince de Navarre. – Ses gouverneurs et son premier précepteur. – Le caractère et la méthode de La Gaucherie. – Maximes et sentences. – Le Coriolan français et le chevalier Bayard. – La première lettre connue de Henri. – Ses condisciples au collège de Navarre. – Le sentiment religieux du maître et de l'élève. – Pressentiments de La Gaucherie. – L'instruction militaire. – Le plus bel habit de Henri. – L'otage de Catherine de Médicis. – Le «petit Vendômet». – Choix d'une devise. – Les deux premiers amis du prince. – Mort de La Gaucherie.

En 1560, le prince de Navarre était entré dans sa septième année. Robuste, agile, pétillant d'esprit, mais ignorant, il fallut songer à greffer ce sauvageon royal. Tout d'abord, il passa des mains de la baronne de Miossens sous la direction d'un gouverneur. Charles de Beaumanoir-Lavardin, désigné pour remplir ces fonctions, dut bientôt, pour raison de santé, céder la place à Pons de La Caze, qui, à son tour, fut remplacé par le baron de Beauvais, que la mort seule, et une mort terrible, le jour de la Saint-Barthélemy, put séparer de son élève. Au gouverneur on adjoignit, bientôt après, un pédagogue. Le premier précepteur de Henri fut La Gaucherie, homme de mœurs pures, de grand sens, savant pour son époque, et dont la méthode, à la fois simple et sagace, ne serait pas à dédaigner de nos jours. La Gaucherie sut, avant tout, se faire aimer du jeune prince en devenant son ami. Quant à l'instruction, point de livres imposés, mais des livres désirés; des études courtes, des récréations courtes aussi, mais nombreuses et viriles, telles que le jeu de paume, où Henri excella de bonne heure et qu'il aima toute sa vie. Il apprit l'histoire et le latin comme par curiosité, à mesure que son intérêt s'éveillait sur un nom, un fait ou une idée, et il y puisa une admiration des grands caractères, des belles actions, des vertus qui ont glorifié l'humanité à toutes les époques. Le grec même ne lui fut pas étranger. Ses livres favoris étaient Plutarque, César et Tite-Live. Dans la préface latine des Œuvres de Polybe, Casaubon écrivait, après l'avènement de Henri IV, en s'adressant à son royal protecteur: «N'avez-vous pas, dans votre enfance, traduit les Commentaires de César en français? J'ai vu moi-même, oui, j'ai vu et feuilleté avec admiration le cahier contenant l'ouvrage très bien écrit de votre main…» Scaliger a fourni également son témoignage: «Il ne faudrait pas mal parler latin devant le roi: il s'en apercevrait fort bien». On a cité cent fois la devise favorite de Henri, composée, dit-on, par lui-même: Invia virtuti nulla est via. La Gaucherie lui avait dicté et fait commenter un grand nombre de maximes et de sentences parfaitement choisies. Duflos, dans son Education de Henri IV, nous en a conservé quelques-unes traduites ou imitées des anciens. Il semble, à lire celles-ci, que le grand Corneille n'en eût pas buriné d'autres pour le fils d'un des héros qu'il a fait revivre dans ses vers immortels:

«Heureux les rois qui ont des amis! Malheur à ceux qui n'ont que des favoris!»

«Il faut vaincre avec justice, ou mourir avec gloire.»

«Les rois ont sur leurs peuples une grande autorité; mais celle de Dieu sur les rois est bien plus grande encore.»

«Un héros croit n'avoir rien fait, quand il lui reste quelque chose à faire.»

«Les souverains, par leur puissance, ne se font que craindre et respecter: c'est la bienfaisance seule qui les fait aimer.»

«Le droit le plus flatteur de la royauté est de pouvoir faire du bien.»

«Le prince qui règne sur les plus vastes Etats, mais qui se laisse tyranniser par ses passions, n'est qu'un esclave couronné.»

«Par la clémence on imite la Divinité; par la vengeance on se met au-dessous de l'homme.»

«Un roi doit préférer la patrie à ses propres enfants.»

«Que devient la vertu qui n'a rien à souffrir?»

«Un roi que la prospérité rend orgueilleux est toujours lâche et faible dans l'adversité.»

«Un souverain qui aime la flatterie et craint la vérité n'a que des esclaves autour de son trône.»

«Un roi prouve qu'il a du mérite et de la vertu quand il récompense ceux qui en ont.»

«Il vaut mieux conserver un seul citoyen que de faire périr mille ennemis.»

«Un roi qui n'aime point le travail dépend de ceux qui travaillent à sa place.»

L'histoire, que Henri devait enrichir de lui-même, le passionnait; il était fasciné par les hommes de Plutarque et par les capitaines qui ont illustré nos annales. La Gaucherie applaudissait à son enthousiasme, mais lui en demandait la raison. Un jour que l'entretien roulait sur Coriolan et Camille, Henri marqua hautement sa préférence pour celui-ci et s'éleva contre l'allié des Volsques. Le précepteur l'approuva, mais, pour aller au fond de son cœur, il lui raconta les aventures d'un Coriolan français, la défection du connétable de Bourbon. Ce fut un des premiers chagrins de Henri, obligé de reconnaître qu'il y avait eu un mauvais Français dans sa famille. Honteux et indigné, il s'élance vers une carte généalogique toujours à sa portée, et, à la place du nom du connétable, inscrit celui de Bayard.

On rapporte qu'il avait du goût pour les arts et de l'élégance dans l'écriture. La Bibliothèque royale posséda jadis le dessin à la plume d'un vase antique au-dessous duquel il avait écrit: Opus principis otiosi. Quant à son écriture d'enfant, elle est venue jusqu'à nous, et l'on peut voir, dans le recueil des Lettres missives, le fac-simile du billet suivant, qu'à l'âge de huit ou neuf ans, il adressait au roi de Navarre, absent de la cour: «Mon père, quand j'ai su que Fallesche (Falaische, maître d'hôtel d'Antoine de Bourbon) vous allait trouver, incontinent, je me suis mis à écrire la présente, et vous mander la bonne santé de ma mère, de ma sœur et la mienne. Je prie Dieu que la vôtre soit encore meilleure. – Votre très humble et très obéissant fils. Henry.»

A l'époque où il écrivait ces lignes (1562), Henri était l'enfant vigoureux et alerte dont la statuaire a si heureusement popularisé l'image. On aime à se le représenter traversant les salles du Louvre ou les rues de Paris, la plume au vent, le jarret tendu, la main à la garde de sa petite épée, la tête pleine de ces rêves d'enfant royal que dépassèrent, quels qu'ils fussent, les réalités de son règne. Son esprit mûrissait vite, bien que, grâce à son âge et selon les ordres de Jeanne d'Albret, il fût tenu autant que possible dans l'ignorance des choses de la cour et de la politique. Ses relations d'écolier au collège de Navarre, dont il suivit les classes, tout en restant sous la direction de La Gaucherie et de Beauvais, contribuèrent beaucoup à son développement intellectuel. Il s'y rencontra avec le duc d'Anjou, plus tard Henri III, et avec Henri de Guise. Déjà, pour exciter son émulation, La Gaucherie avait associé à ses études Agrippa d'Aubigné, plus âgé que lui de trois ans et d'une intelligence précoce. Le prince de Navarre fut ce qu'il fallait être dans cette compagnie: il n'y oublia pas sa première existence, mais il en retira de nouveaux avantages par le contact, par l'exemple, par les inspirations d'un amour-propre sagement réglé.

La Gaucherie était un calviniste convaincu, non un sectaire. Il avait reçu de Jeanne d'Albret la mission d'élever son fils dans les principes de la Réforme, qu'elle avait embrassés elle-même, quoique sans éclat, depuis son départ de Pau, après la mort de François II. Nous aurons à raconter cet incident et quelques autres non moins graves. La Gaucherie tournait donc l'esprit de son élève vers le calvinisme, mais aucun témoignage historique ne l'accuse d'avoir cherché à le fanatiser: le sentiment religieux, tel que le doivent honorer toutes les communions, fut fortement imprimé par La Gaucherie dans le cœur du prince. L'austère précepteur ayant surpris, un jour, l'écolier dans un accès d'ambition enfantine, lui dit: «Vous vous proposez de faire, dans l'avenir, aussi bien et mieux que beaucoup d'autres princes; mais comment justifiez-vous cette prétention?» Henri invoqua son désir, sa volonté, son courage. « – Cela n'est rien, repartit La Gaucherie, si Dieu n'y met sa main toute-puissante.» Cette main, Henri, enfant ou roi, la sentit et la révéra toujours dans les événements de sa vie. Il eut ses défauts et ses vices; jamais on ne put lui reprocher un acte d'impiété. Il avait appris de La Gaucherie, homme scrupuleux, à remplacer les jurements à la mode par l'innocent juron de «Ventre-saint-gris!» Ses discours, ses lettres, même ses billets galants, sont d'un homme qui croit et prie. Bien longtemps après que les préceptes de La Gaucherie ne lui rappelaient plus son devoir, il se laissa aller aux habitudes de libertinage de la cour; mais cette faiblesse, dont il ne sut pas se corriger, même dans l'âge mûr, amoindrit l'homme, non le souverain. Tempérament déréglé, âme saine, sa vie privée fut un mélange surprenant de fautes scandaleuses et de traits admirables, entre lesquels la balance reste en suspens. Ce qui l'incline irrésistiblement du côté de la sympathie et de la gloire, ce sont les royales vertus que rappellera toujours le nom de Henri IV.

La Gaucherie semble avoir eu le pressentiment du rôle historique destiné à son élève: il l'instruisait moins en prince qui doit régner qu'en prince qui doit conquérir son royaume. L'esprit d'ordre dominait le système d'éducation: les heures réglées, chaque instant mis à profit, le temps multiplié par son emploi. La Gaucherie, voyant les Valois se flétrir sur leurs dernières tiges, pouvait bien prévoir, en effet, que Henri aurait, plus tard, besoin de savoir ce que vaut une heure dans la lutte des partis et les accidents de la politique. Instinctivement, il dota le prince de Navarre de deux de ses qualités maîtresses, la ponctualité et l'activité, qui lui valurent, dans la suite, tant de ressources et de victoires. Bien plus, Henri garda, dans une juste mesure, les habitudes de frugalité de Coarraze, le mépris du luxe et des douceurs de la vie, sans en excepter le doux sommeil lui-même.

 

Vers la douzième année, La Gaucherie, content de ses progrès intellectuels, redoubla de sollicitude pour son développement physique, d'autant plus que le temps de l'instruction militaire était venu. Ce furent alors de rudes chevauchées, des chasses obligatoires, à heure fixe et par tous les temps, des nuits passées dans quelque chaumière, sur une paillasse et sous un manteau, le mouvement jusqu'à la fatigue, la fatigue vaincue. Aussi, lorsque La Coste, lieutenant aux gardes de Charles IX, le reçut au milieu d'un groupe de jeunes gentilshommes confiés à ses soins, Henri n'eut aucune répugnance à passer sous le niveau égalitaire. En peu de temps, il devint un petit soldat modèle. Il s'amouracha de l'uniforme au point que Charles IX lui reprochant d'avoir répudié ses habits de gala, il répondit: «Sire, mon plus bel habit, et qui me plaît le mieux, est celui qui me rappelle que je suis au service du roi». Il eut, plus d'une fois, la tentation de faire ses premières armes avec quelques-uns de ces gentilshommes précoces qui, au XVIe siècle, allaient au feu avant même l'adolescence.

Pendant son séjour à la cour de Charles IX, Henri eut à subir plusieurs épreuves pénibles, dont nous parlerons en reprenant le récit des faits politiques. Le jeune roi, quoique violent et capricieux, lui montrait de la cordialité; mais on assure que la reine-mère finit par laisser percer, à son égard, des sentiments empreints de peu de sympathie. A vrai dire, les relations souvent hostiles de la cour de France avec la cour de Navarre devaient le faire considérer comme un otage par Catherine de Médicis. D'un autre côté, il n'est pas déraisonnable de croire qu'elle voyait d'un œil jaloux et inquiet cet enfant, à qui pouvait échoir le trône des Valois, si leur sang appauvri venait à se tarir. Il faut ajouter que le caractère du fils de Jeanne d'Albret se marquait, en mainte circonstance, par des traits qu'il était impossible de ne pas retenir. Il connaissait son rang et le gardait; au besoin, il tenait tête à Charles IX, quand le jeune roi jouait au tyran; les princes et les grands seigneurs qu'il coudoyait n'auraient pas impunément traité sans conséquence le «petit Vendômet», comme l'appelaient les ennemis des Maisons de Bourbon et d'Albret. Henri pensait, et parfois un mot, un regard, un éclair de fierté ou d'enthousiasme, trahissait sa pensée. Ce fut ainsi que, dans une loterie de cour où chacun fournissait une devise, il choisit celle-ci, écrite en grec: «Vaincre ou mourir». Catherine de Médicis lui en ayant demandé la traduction, il refusa de satisfaire sa curiosité. Etonnée de ce caprice, la reine-mère voulut en avoir le cœur net, et quand on lui eut traduit la devise, elle en parut mécontente, disant que de telles pensées n'étaient bonnes qu'à faire du jeune prince «un enfant opiniâtre». Elle prévoyait peut-être, non l'opiniâtreté, mais la constance dans les desseins, qui fut, en effet, une des grandes qualités de Henri.

Outre les chagrins de famille qui l'affligèrent en certaines circonstances, pendant qu'il vivait à la cour, il eut à souffrir de l'isolement où le tenait l'absence de sa mère: on lui parlait d'elle, il lui écrivait et recevait ses lettres, mais ne la voyait point; et comme elle avait prescrit à La Gaucherie une extrême prudence touchant les dangereuses amitiés de cour, Henri avait des compagnons d'étude, de chasse et d'armes, mais pas un ami. Un jour, il en souhaita deux, dont l'affection fut une de ses joies jusqu'au massacre de la Saint-Barthélemy: c'étaient Ségur et La Rochefoucauld. Il venait de les acquérir, quand l'ami par excellence, l'honnête précepteur, quitta la vie. En le présentant au prince, Jeanne d'Albret avait dit: « – Mon fils, je vous donne un bon maître, revêtu de toute mon autorité. Il faudra l'aimer comme moi-même. – Je le veux bien, avait répondu l'enfant, s'il veut bien m'aimer aussi.» Ils s'étaient tenu parole, et La Gaucherie fut sincèrement pleuré par le prince de Navarre. Un autre homme de sens, Florent Chrestien, fut attaché, dans la suite, à la personne de Henri, et, une fois encore, Jeanne d'Albret eut la main heureuse. Nous dirons, plus tard, quelques mots de ce complément d'éducation. Il faut reprendre maintenant l'historique des faits à travers lesquels La Gaucherie avait accompli la tâche que nous venons de résumer.

CHAPITRE IV

Catherine de Médicis entre les catholiques et les protestants. – Antoine de Bourbon retourne au catholicisme. – Ses querelles avec Jeanne d'Albret, résolûment calviniste. – Henri entre la messe et le prêche. – Réponse de la reine de Navarre à Catherine de Médicis. – Jeanne quitte la cour de France. – Lettre de Henri. – La guerre civile. – Le siège de Rouen. – Mort d'Antoine de Bourbon. – Jeanne d'Albret zélatrice de la Réforme. – Le monitoire de Pie IV contre la reine de Navarre, dont Charles IX prend la défense. – Jeanne ramène son fils en Béarn. – Le complot franco-espagnol contre Jeanne et ses enfants. – Catherine de Médicis ressaisit son «otage». – Voyage de la cour en France. – Charles IX dans le midi. – La prédiction de Nostradamus. – L'entrevue de Bayonne. – Le prince de Navarre devant l'ennemi héréditaire. – La cour à Nérac. – L'assemblée de Moulins. – Retour de Jeanne et de Henri en Béarn.

Antoine de Bourbon ayant accepté la lieutenance-générale du royaume, en échange de la régence, à laquelle il avait droit, fit venir à la cour sa femme et ses enfants. Le roi de Navarre et le prince de Condé passaient alors pour être les chefs du parti huguenot, et il pouvait sembler étrange que la reine mère, naguère inféodée aux Guises, chefs incontestés du parti catholique, se tournât ostensiblement du côté opposé. Elle révélait de la sorte son système de gouvernement, qui consista toujours, non seulement à diviser pour régner, comme on l'a dit si souvent, mais encore à réagir contre l'influence de ceux sur qui elle s'était appuyée, aussitôt que cette influence lui donnait de l'ombrage. Durant le règne de dix-huit mois de François II, elle avait senti et subi le joug mal dissimulé des Guises, et s'il n'entrait pas dans ses desseins de les frapper de disgrâce, elle jugea, du moins, que son intérêt lui commandait de relever quelque peu la fortune de leurs adversaires naturels, sans toutefois se livrer à ceux-ci. C'est ce qui explique l'espèce de faveur dont les réformés parurent jouir dès les premiers mois de sa régence. Elle avait, du reste, une arrière-pensée, qui se manifesta par la suite: c'était, au cas où les réformés ne s'amenderaient pas, de les priver de leurs chefs par la séduction ou par quelque mesure de rigueur arbitraire. La reine-mère ne manqua jamais de vues ni de finesses; seulement, ses vues étaient courtes, ses finesses trop multipliées, et, quoique travaillant toujours à concilier les partis qui assiégèrent si longtemps le pouvoir, elle ne réussit qu'à les précipiter tour à tour et tous ensemble sur le trône.

En appelant Jeanne d'Albret et ses enfants à la cour de France, Catherine comptait qu'il lui serait aisé, par quelques flatteries ou, au besoin, par quelques menaces, d'arrêter l'élan de la reine de Navarre vers la Réforme. Antoine, esprit flottant et circonvenu par des galanteries diplomatiques, semblait déjà prêt à combattre ses coreligionnaires de la veille; mais la reine de Navarre n'était pas une âme facile à pétrir: lentement gagnée aux doctrines de la Réforme, rien ne put l'en détacher. Dans son voyage de Pau à Paris, elle se montra ouvertement favorable aux calvinistes, partout où ils invoquèrent sa protection; en passant à Nérac, elle leur donna le couvent des Cordeliers; à Périgueux et en plusieurs autres villes, ils reçurent des marques de sa munificence et de sa sympathie. Quand elle arriva à la cour, elle était huguenote sans réserve et sans esprit de retour.

Une lutte pénible, qui eut ses jours de scandale et de funestes contre-coups dans l'esprit public, commença bientôt entre la reine de Navarre et son mari, manié par Catherine de Médicis et par les princes lorrains. On fut sur le point de décider Antoine à répudier sa femme pour épouser Marie Stuart, veuve de François II. Ce projet abandonné, on lui fit proposer, par les Espagnols, la cession de la Sardaigne, en échange de ses prétentions sur la Haute-Navarre, proposition qu'il finit par décliner aussi. On cherchait moins à le gagner qu'à le paralyser. On lui dicta tout un système de persécutions contre sa femme, qu'il s'efforça de ramener au catholicisme avec ses enfants, déjà calvinistes, sinon de cœur, du moins d'éducation. Le prince de Navarre, mêlé à ces querelles de famille, dont le sens politique lui échappait, reçut de son père l'ordre d'aller à la messe, et de sa mère, celui de s'en abstenir. A mesure que de nouveaux troubles éclataient dans les provinces au nom de la religion, cette lutte, qui était, au fond, celle de deux factions, arrivait à des éclats dont retentissait l'Europe entière. Assiégée de toutes parts, la reine de Navarre eut à défendre sa nouvelle foi contre Catherine de Médicis en personne. Un jour que la reine-mère s'évertuait à la convertir par des raisons tirées de l'intérêt politique: « – Madame, répondit Jeanne, si j'avais mon fils et tous les royaumes du monde dans la main, je les jetterais au fond de la mer plutôt que d'aller à la messe6!» Enfin, fatiguée des combats de toute sorte qu'on lui livrait, ne pouvant plus douter du parti pris d'Antoine de devenir l'épée des catholiques, après avoir été le champion des protestants, blessée, d'ailleurs, dans sa double dignité d'épouse et de mère, par le spectacle des dérèglements de son mari, la reine de Navarre reprit le chemin de ses Etats, laissant auprès de son fils le précepteur dont nous avons raconté la tâche heureusement accomplie. De cette séparation, qui devait être éternelle pour les deux époux, il existe un touchant souvenir: c'est la lettre suivante, écrite par le prince de Navarre, quelques jours après le départ de sa mère, et adressée à Nicolas de Grémonville, seigneur de Larchant, qui accompagnait la reine dans son voyage: «Larchant, écrivez-moi pour me mettre hors de peine de la reine ma mère; car j'ai si grande peur qu'il lui advienne mal de ce voyage où vous êtes, que le plus grand plaisir que l'on me puisse faire, c'est m'en mander souvent des nouvelles. Dieu vous veuille bien conduire en toute sûreté. Priant Dieu vous conserver. – De Paris, le vingt-deuxième jour de septembre (1562).»

Le départ de Jeanne ressembla fort à une fuite: la reine crut, non sans raison, qu'il y allait, pour elle, de la perte de sa couronne et de la ruine de ses enfants. «Je fermai mon cœur à la tendresse que je portais à mon mari, dit-elle dans une de ses lettres, pour l'ouvrir tout entier à mon devoir.» Sa résolution prise, elle se mit en route dans l'été de 1562, avec une suite nombreuse de gentilshommes protestants ou catholiques, à laquelle se joignit, en Guienne, une escorte béarnaise. On a prétendu, sans preuves, que ce déploiement de forces fut nécessité par les desseins hostiles d'Antoine de Bourbon: c'est une accusation que ne justifie pas la correspondance récemment publiée du roi et de la reine de Navarre. Il suffisait, d'ailleurs, pour motiver les précautions dont s'entoura cette princesse, des difficultés habituelles d'un long voyage, à cette époque de troubles et de violences. Arrivée en Guienne, elle trouva cette province en pleine guerre civile. Montluc, lieutenant d'Antoine de Bourbon, était aux prises avec les réformés. Jeanne séjourna quelque temps au château de Duras, puis au château de Caumont, où elle tomba malade. De là, elle se rendit en Béarn, après avoir vainement tenté de pacifier la Guienne et la Gascogne, à travers lesquelles Montluc promenait son impitoyable épée. Vers la fin du mois de novembre, Jeanne, devenue l'ennemie de la religion catholique, s'était déjà mise à l'œuvre pour la détruire au moins dans ses pays souverains, lorsqu'elle reçut la nouvelle de la mort d'Antoine de Bourbon.

Pendant que la reine de Navarre s'éloignait de la cour de France, les événements avaient suivi un cours rapide, l'ère des guerres civiles s'était rouverte au nord et au midi: l'armée royale dut reprendre Poitiers et Bourges aux protestants, vainqueurs à Saint-Gilles, dans le Bas-Languedoc, au moment où se concluait l'alliance de Condé et de Coligny avec l'Angleterre. Maîtres de Rouen depuis le 15 avril, les réformés s'y étaient fortifiés de deux mille mercenaires anglais. Assiégés par l'armée royale sous le commandement d'Antoine de Bourbon, de François de Guise et du connétable de Montmorency, ils ne furent forcés qu'après une vive résistance. Le roi de Navarre, blessé dans la tranchée, rendit sa blessure mortelle par toutes sortes d'imprudences, dont l'une, du moins, fut héroïque: il voulut entrer dans Rouen par la brèche, porté dans sa litière. Un mois après, il rendait le dernier soupir. C'était le 17 novembre 1562, deux jours avant la bataille de Dreux, et trois mois avant la mort de François de Guise, assassiné au siège d'Orléans. Brave et affable, mais d'un faible caractère, Antoine n'avait presque aucune des qualités nécessaires à un prince dans le temps où il vivait; il fut loin, toutefois, de mériter les injures dont le parti calviniste poursuivit sa mémoire7.

 

Après la mort de son mari, Jeanne d'Albret laissa encore quelque temps le prince de Navarre à la cour de France. Henri assista, le 17 août 1563, à la déclaration de majorité de Charles IX, faite à Rouen, en lit de justice. La reine de Navarre avait apparemment de graves motifs pour ajourner le retour de son fils: l'histoire ne les a pas pénétrés. Peut-être fut-elle obligée de s'incliner devant quelque refus de Charles IX ou de Catherine de Médicis; peut-être aussi ne voulut-elle pas que Henri assistât à la révolution qu'elle méditait: Jeanne s'était mise en tête de protestantiser son petit royaume. L'auteur du Château de Pau a résumé avec une parfaite mesure le rôle de réformatrice assumé par la reine de Navarre8.

Aussitôt après la mort de son mari, elle fit connaître son inflexible volonté de répandre partout les nouvelles doctrines. Son hostilité contre le catholicisme se manifestait jusque dans les actes de sa vie privée, jusque dans ses plaisirs: on la vit accueillir des œuvres de théâtre qui tournaient en dérision les prêtres et les sacrements. Elle assistait régulièrement au prêche, où, par une étrange tolérance des ministres, rapporte Pierre Mathieu, elle travaillait à des ouvrages de tapisserie, sans perdre, pour cela, un mot du sermon. Le jour de Pâques de l'année 1563, elle fit son abjuration à Pau, dans une cérémonie publique, et communia selon le rite calviniste. Enflammée de zèle, comme la plupart des néophytes, elle commença par interdire la procession de la Fête-Dieu. Cette atteinte portée à de pieux usages causa une irritation profonde parmi les catholiques béarnais; malgré la défense royale, ils firent leur procession traditionnelle dans les rues de Pau, et les huguenots s'étant ameutés, il s'ensuivit une sanglante mêlée. De réformatrice qu'elle s'était montrée dans l'origine, elle devint bientôt persécutrice, soit gratuitement, soit par représailles. En 1566, en 1569 et en 1571, elle rendit des ordonnances qui dépassaient de beaucoup l'intolérance reprochée par les calvinistes aux édits royaux. Dans le préambule de l'ordonnance de 1571, par exemple, Jeanne d'Albret déclare «que les rois sont tenus, non seulement d'établir parmi leurs sujets le fondement et la perfection de la doctrine du salut», mais «qu'ils doivent encore bannir du milieu d'eux le mensonge, l'erreur, la superstition et les autres abus…» Elle ajoute: «En quoi la reine désirant se prêter, satisfaisant, en même temps, aux vœux de son cœur et à ceux de ses sujets exprimés dans la supplication que viennent de lui présenter les Etats de son pays légitimement assemblés, voulant, en conséquence, procéder à l'extirpation des idolâtries et semblables abus qui ont régné dans son présent pays, pour y planter et rétablir la véritable religion chrétienne et réformée, déclare, veut, ordonne que tous ses sujets, de quelque qualité qu'ils soient, fassent profession publique de la confession solennelle de foi qu'elle présente». Les pénalités qu'édictait l'ordonnance étaient excessives: l'amende, la prison, le bannissement.

La reine de Navarre n'en était pas encore arrivée, en 1563, à ces violentes manifestations de l'esprit de secte, mais elle s'y acheminait, quand la cour de Rome, inquiète des bouleversements religieux qui s'accomplissaient en Béarn, la cita, au mois de septembre, devant le tribunal de l'inquisition. Jeanne devait comparaître dans un délai de six mois, sous peine, disait le monitoire, d'être déclarée «convaincue du crime d'hérésie, privée de la dignité royale, et son royaume et ses Etats adjugés au premier qui s'en saisirait». La cour de France ne pouvait arguer contre l'accusation d'hérésie formulée par le monitoire; «mais le roi très chrétien, dit Mézeray, jugeant de la conséquence, comme il le devait, en montra un très grand ressentiment…» Les ambassadeurs français à Rome reçurent l'ordre de faire au Pape des remontrances dont le texte offre de l'interêt, sous plusieurs rapports9. Ce document se terminait par une protestation formelle et une supplication au Saint-Père de vouloir bien, par acte public, révoquer la sentence fulminée contre la reine de Navarre. Pie IV, qui, au moment de son élévation, avait dit: «Il me faut la paix!» usa de prudence et de modération: la sentence fut annulée. Ce résultat produisit quelque attiédissement dans l'esprit de l'ardente Navarraise. Elle se rendit à la cour de France pour remercier Charles IX de l'avoir défendue, elle et ses Etats, contre les décrets pontificaux et les arrêts de déchéance des parlements de Toulouse et de Bordeaux. Elle retrouva son fils entre les mains dévouées de La Gaucherie, et, avec l'agrément du roi, le ramena avec elle en Béarn.

Lorsque Jeanne rentra dans ses Etats, le comte de Gramont, son lieutenant-général, était aux prises avec les mécontents catholiques, dont il eut raison. Elle réprima ce soulèvement, provoqué par ses hostilités contre la religion traditionnelle, mais sans la passion qu'elle devait apporter plus tard à la défense de ses droits ou de ses prétentions abusives. Cet orage passé, Jeanne paraît avoir gouverné avec sagesse. Ses actes sont inspirés par une vive sollicitude pour les intérêts du pays. Elle diminue les impôts, publie de bons règlements, établit une police bien entendue, reprend la tâche paternelle de Henri d'Albret. Quoique vouée, corps et âme, à la Réforme, qu'elle favorise publiquement, elle impose des bornes aux empiétements des ministres du nouveau culte: ses lettres-patentes du 28 mai 1564 refrènent leur zèle oppressif et interdisent toute espèce de contrainte pour le choix d'une religion. En même temps, elle s'occupait sans relâche de l'éducation de Henri et de sa sœur Catherine, noble devoir qui domina toujours ses préoccupations. Il y eut là, enfin, pour les membres de la famille royale et pour les Etats de Jeanne, une courte période de paix et de prospérité. Et, cependant, une étrange conspiration s'ourdissait, au loin, contre elle, sa Maison et son pays.

On a voulu faire remonter l'idée première de cette conspiration, niée par plusieurs historiens, aux jours qui suivirent la mort d'Antoine de Bourbon. A ce moment, a-t-on prétendu, les ennemis des Maisons de Bourbon et d'Albret, d'accord avec Philippe II et inspirés par François de Guise, auraient préparé un projet d'enlèvement de Jeanne d'Albret et de ses enfants, jugeant que, ce coup fait, il serait plus aisé de venir à bout des partisans français de la Réforme. On va même jusqu'à parler d'une armée rassemblée par Philippe II à Barcelone, et dont un corps léger, transporté secrètement à Tarragone, devait arriver à Pau par les montagnes. Là, aidés, au besoin, de Montluc et de quelques hauts affidés, les Espagnols eussent enlevé la famille royale pour la mettre au pouvoir de Philippe II. Un capitaine béarnais, nommé Dimanche, servait d'entremetteur aux conjurés. Tout était prêt, et il ne restait plus qu'à échanger les dernières instructions, lorsque François de Guise fut assassiné. Il y eut un temps d'arrêt. Reprise en 1563, la ténébreuse affaire échoua par un remarquable concours de circonstances: le capitaine Dimanche, tombé malade en Espagne, confia son secret à un valet de chambre de la reine Elisabeth, qui fit agir l'ambassadeur de France et prévenir la reine de Navarre10.

6Appendice:
7Appendice:
8Appendice:
9Appendice:
10Appendice: