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Henri IV en Gascogne (1553-1589)

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CHAPITRE VII

Négociation entre les deux rois. – Le rôle de Rosny et celui de Du Plessis-Mornay. – Opposition et intrigues de Morosini, légat du pape. – Prise de Châtellerault et de l'Ile-Bouchard. – Tergiversations de Henri III. – Ferme attitude du roi de Navarre. – Le «moyen de servir». – L'accord s'établit. – Le manifeste de Châtellerault.

Le roi de France, connaissant la bonne volonté du roi de Navarre, et conseillé par quelques personnages influents, tels que le duc d'Epernon et la duchesse d'Angoulême, qui lui offrirent leur entremise, fit tenir des paroles conciliantes à son beau-frère, et Henri lui envoya d'abord secrètement Rosny, comme l'attestent les Economies royales. Les bases d'un accord furent verbalement établies, mais Henri III, toujours craintif et se défiant de son entourage, ne voulut pas que les conventions fussent formulées par écrit: Rosny dut se contenter de la parole royale, avec laquelle il revint auprès du roi de Navarre. Ce prince, raconte Bury, après avoir écouté avec attention le récit que lui faisait le baron de Rosny, ayant de la peine à résister à la défiance que le passé lui avait inspirée, lui demanda plusieurs fois, d'un ton inquiet, si le roi, pour cette fois, agissait sincèrement. «Il m'a parlé, dit Rosny, avec tant de fermeté, il m'a donné sa parole avec tant d'assurance, que je n'en doute plus, et j'y joins le témoignage de Rambouillet, qui me l'a confirmé. – Puisqu'il traite avec moi de bonne foi, dit Henri, je ne veux donc plus prendre de villes.» – Il venait de prendre, ce jour-là même, Châtellerault. – «Retournez, continua le roi, lui porter mes lettres; car je ne crains ni Morosini, ni Nevers.» Rosny reprit la poste, et se rendit à Montrichard, où le roi s'était avancé avec toute sa suite, pour recevoir plus promptement la réponse du roi de Navarre. L'impatience qu'il en avait était si grande, qu'aussitôt que Rosny fut arrivé, il approuva toutes les demandes du roi de Navarre, même le passage sur la Loire, et voulut que Rosny repartît sur-le-champ pour lui en porter la nouvelle. D'après les Economies royales, Rosny n'eut pas la satisfaction de conclure définitivement le traité, parce que, étant tombé malade dès son retour, la suite des négociations fut confiée à Du Plessis-Mornay, qui s'en acquitta avec l'habileté dont il faisait preuve dans toutes les missions dont il était chargé. Au cours de celle-ci, Morosini, légat du pape, en surprit le secret et s'efforça de la faire échouer, non seulement par ses instances auprès du roi, mais encore par des intrigues avec les ligueurs, où il franchit les bornes des convenances diplomatiques. Avant d'arriver à sa conclusion, le traité parut souvent à la veille de rester à l'état de projet. Le 8 mars, Henri écrivait à Madame de Gramont: «Dieu me continue ses bénédictions. Depuis la prise de Châtellerault, j'ai pris l'Isle-Bouchard, passage sur la Vienne et la Creuse, bonne ville et aisée à fortifier. Nous sommes à Montbazon, six lieues près de Tours, où est le roi. Son armée est logée jusques à deux lieues de la nôtre, sans que nous nous demandions rien; nos gens de guerre se rencontrent et s'embrassent, au lieu de se frapper, sans qu'il y ait trêve ni commandement exprès de ce faire. Force de ceux du roi se viennent rendre à nous, et des miens nul ne veut changer de maître. Je crois que S. M. se servira de moi; autrement il est mal, et sa perte nous est un préjugé dommageable.»

Henri était d'autant mieux fondé, en ce moment, à prévoir l'heureuse issue des négociations, qu'il avait adressé de Châtellerault, le 4 mars, aux trois Etats du royaume ce célèbre manifeste qui n'a peut-être pas d'égal dans les fastes de l'éloquence politique, et que nous allons reproduire. Mais Henri III, déterminé quant au fond du traité, ne pouvait se départir de ses habitudes de tergiversation. Dix fois, tout fut prêt, jusqu'à la signature; dix fois, elle fut tenue en suspens. La correspondance du roi de Navarre avec Du Plessis-Mornay donne une idée de ces misérables ajournements. Le 23 mars, Henri déplore tant de retards. Il avait offert une trêve de cinq mois; Henri III, après l'avoir acceptée, veut qu'elle dure toute une année. Il demandait une ville de passage, pour franchir sûrement la Loire; Henri III offrait les Ponts-de-Cé, mauvaise place à laquelle le roi de Navarre préfère Saumur. «Pour Dieu! dit enfin le roi de Navarre, que l'on ne m'ôte point le moyen de servir!»

A ce cri, qui fait vibrer le cœur français, même à trois siècles de distance, Henri III pourtant se rendit: le roi de Navarre eut à peu près licence de travailler, comme il l'entendait, au salut de son maître, de la royauté et de son pays; il devenait, à la charge d'être «toléré», lui et les siens, pendant une année, l'auxiliaire de Henri III contre la Ligue ou tout autre ennemi qui méconnaîtrait les droits de la couronne. Il avait bien mérité ce succès par sa constance, son énergie et son génie déjà mûr pour les suprêmes victoires; il en eût été digne rien que par les déclarations de Châtellerault, dans lesquelles, tout en donnant le bilan de sa conscience, comme l'a dit un historien, il faisait resplendir, pour son temps et pour la postérité, les grandioses images du roi et de la patrie. Voici quelques-unes des pensées de ce document immortel:

«S'il eût plu à Dieu tellement toucher le cœur du roi mon seigneur et les vôtres, qu'en l'assemblée que quelques-uns de vos députés ont faite à Blois, près S. M., j'eusse été appelé, comme certes il me semble qu'il se devait, et qu'il m'eût été permis librement de proposer ce que j'eusse pensé être de l'utilité de cet Etat, j'eusse fait voir comme quoi j'en avais non seulement le désir au cœur, la parole à la bouche, mais encore les effets aux mains. Puisque cela ne s'est point fait, je veux au moins vous faire entendre, à ce dernier coup, ce que j'estime nécessaire au service de Dieu, du roi mon seigneur, et au bien de ce royaume…

«On m'a souvent proposé de changer de religion; mais comment? La dague à la gorge! Quand je n'eusse point eu de respect à ma conscience, celui de mon honneur m'en eût empêché, par manière de dire… – Instruisez-moi, je ne suis point opiniâtre. Si vous me montrez une autre vérité que celle que je crois, je m'y rendrai et ferai plus, car je pense que je n'y laisserai nul de mon parti qui ne s'y rende avec moi…

«Je vous conjure tous, par cet écrit, autant catholiques serviteurs du roi mon seigneur, comme ceux qui ne le sont pas; je vous appelle comme Français; je vous somme que vous ayez pitié de cet Etat, de vous-mêmes; que, le sapant par le pied, ne vous sauverez jamais, que la ruine ne vous en accable… Je vous conjure de dépouiller, à ce coup, les misérables humeurs de guerre et de violence qui dissipent et démembrent ce bel Etat, qui nous ensanglantent du sang les uns des autres, et qui nous ont déjà tant de fois fait la risée des étrangers…

«Il faut que le roi fasse la paix, et la paix générale, avec tous ses sujets; et, à ce propos, qu'un chacun juge de mon intention. Voilà comme j'entends l'animer contre ses sujets qui ont été de cette belle Ligue! Et vous savez tous, néanmoins, que quand je le voudrais faire (comme je le ferai, s'il me le commande), je traverserai beaucoup leurs desseins et leur taillerai bien de la besogne…

«J'appelle notre noblesse, notre clergé, nos villes, notre peuple: qu'ils considèrent où nous allons entrer, ce que deviendra la France, quelle sera la face de cet Etat, si ce mal continue. Que fera la noblesse si notre gouvernement se change, comme il le fera indubitablement, et vous le voyez déjà. Que deviendront les villes, quand, sous une apparence vaine de liberté, elles auront renversé l'ancien ordre de ce bel Etat?.. Et toi, peuple, quand ta noblesse et tes villes seront divisées, quel repos auras-tu? Peuple, le grenier du royaume, le champ fertile de cet Etat, de qui le travail nourrit les princes, la sueur les abreuve, les métiers les entretiennent, l'industrie leur donne les délices à rechange, à qui auras-tu recours, quand la noblesse te foulera, quand les villes te feront contribuer? Au roi, qui ne commandera ni aux uns, ni aux autres? Aux officiers de la justice? où seront-ils? A ses lieutenants? quelle sera leur puissance? Au maire d'une ville? quel droit aura-t-il sur la noblesse? Au chef de la noblesse? quel ordre parmi eux? Pitié, confusion, désordre, misères partout! Et voilà le fait de la guerre…

«On m'a mis les armes en main par force. Contre qui les emploierai-je à cette heure? Contre mon roi? Dieu lui a touché le cœur: il a pris la querelle pour moi. Contre ceux de la Ligue? Pourquoi les mettrais-je au désespoir? Pourquoi, moi, qui prêche la paix en France, aigrirais-je le roi contre eux et ôterais-je, par l'appréhension de mes forces, à lui l'envie, à eux l'espérance de réconciliation? Et voyez ma peine: car si je demeure oisif, ou ils feront encore leur accord, et à mes dépens, comme j'ai vu deux ou trois fois advenir; ou ils affaibliront tellement le roi et se rendront si forts, que moi, après sa ruine, n'aurai guère de force ni de volonté pour empêcher la mienne…

«Nous sommes dans une maison qui va fondre, dans un bateau qui se perd, et n'y a nul remède que la paix… – Pour conclusion donc, moi, meilleur (je le puis dire) et plus intéressé en ceci que vous tous, je la demande, au nom de tous, au roi mon seigneur. Je la demande pour moi, pour ceux de la Ligue, pour tous les Français, pour la France. Qui la fera autrement, elle n'est pas bien faite. Je proteste de me rendre mille fois plus traitable que je ne le fus jamais, si jamais j'ai été difficile. Je veux servir d'exemple aux autres par l'obéissance que je montre à mon roi…

«Et cependant, jusqu'à ce qu'il ait plu à Dieu de donner au roi mon seigneur le loisir de pourvoir aux affaires de son Etat, y remettant la paix, qui y est si nécessaire, je ferai, aux lieux où j'aurai plus de pouvoir, reconnaître son autorité. Et, pour cet effet, je prends en ma protection et sauvegarde tous ceux, de quelques condition et qualité qu'ils soient, tant de la noblesse, de l'Eglise, que des villes, que le peuple, qui se voudront unir avec moi en cette bonne résolution, sans permettre qu'à leurs personnes et biens il soit touché en manière quelconque… Je proteste devant Dieu que, tout ainsi que je n'ai pu souffrir que l'on m'ait contraint en ma conscience, aussi ne souffrirai-je ni ne permettrai jamais que les catholiques soient contraints en la leur ni en leur libre exercice de la religion…»

 

CHAPITRE VIII

La trêve de Tours. – Passage de la Loire. – Nouvelle déclaration. – Henri III veut recevoir le roi de Navarre. – Méfiance et murmures des vieux huguenots. – Henri va au rendez-vous. – Entrevue de Plessis-lès-Tours. – Paroles du roi de Navarre. – Heureux effets de la réconciliation. – Henri se remet en campagne. – Attaque de Tours par l'armée de Mayenne. – Conseils salutaires du roi de Navarre à Henri III. – Succès des royalistes. – La grande armée royale. – Monitoire de Sixte-Quint contre Henri III. – Siège de Pontoise. – Les deux rois devant Paris. – Assassinat de Henri III à Saint-Cloud. – Sa mort. – Henri IV en Gascogne et Henri IV en France.

La trêve de Tours fut signée le 3 avril. Elle n'accordait au roi de Navarre, pour assurer le passage de son armée sur la Loire, que les Ponts-de-Cé; mais des difficultés pour la prise de possession de cette place y firent substituer la ville de Saumur, dont Du Plessis-Mornay fut nommé gouverneur. Saumur devint la base d'opérations du roi de Navarre. Il passa la Loire, le 21 avril, et distribua aussitôt son armée dans de nouveaux quartiers. L'avant-veille, il avait fait paraître une déclaration sur les motifs de cette démarche décisive, qui annonçait publiquement sa prochaine réunion avec le roi de France. Ce nouveau manifeste, rédigé par Du Plessis-Mornay, contient un tableau saisissant des désordres provoqués par la Ligue et un jugement plein de force sur la situation politique de la Maison de Lorraine52. C'est, dans l'ensemble, un résumé du manifeste de Châtellerault; en voici la conclusion: «Nous protestons que l'ambition ne nous met point aux armes; assez avons-nous montré que nous la méprisons; assez avons-nous aussi d'honneur d'être ce que nous sommes, et l'honneur de cet Etat ne peut périr que n'en périssions. Aussi peu, et Dieu nous est témoin, nous mène la vengeance. Nul n'a plus reçu de torts et d'injures que nous, nul jusques ici n'en a moins poursuivi, et nul ne sera plus libéral de les donner (remettre) aux ennemis, s'ils veulent s'amender, en tout cas, à la tranquillité, à la paix de la France.»

Il ne restait plus aux deux rois qu'à sceller leur réconciliation sur le cœur l'un de l'autre, en présence de leurs amis et à la face du pays tout entier, afin que leurs deux armées apprissent d'eux à n'en faire qu'une pour la défense de la même cause. Le 28 avril, le roi de Navarre prit son gîte à Maillé, à deux lieues de Tours. Henri III, qui était à Plessis-lès-Tours, lui fit savoir qu'il aurait, le 30 avril, sa visite pour agréable. Il y eut là, pour les vieux capitaines huguenots, quelques heures de terrible anxiété et de défiance trop légitime. Les souvenirs de la Saint-Barthélemy et la récente exécution de Blois obsédaient leur esprit et leur dictaient des remontrances qui allèrent jusqu'au blâme et jusqu'à l'exaspération, lorsque, sur le désir exprimé par Henri III, le roi de Navarre, au lieu de s'arrêter au pont de Lamotte, comme il l'avait d'abord projeté, résolut de traverser la Loire pour aller saluer son beau-frère à Plessis-lès-Tours. Aux discours et aux murmures qui tendaient à le dissuader de se fier à Henri III, le roi de Navarre répondit: «Dieu me dit que je passe et que je voie, il n'est en la puissance de l'homme de m'en garder, car Dieu me guide et passe avec moi, je suis assuré de cela, et me fera voir mon roi avec contentement, et trouverai grâce devant lui.» Il passa donc, avec une escorte de gentilshommes et de gardes, auxquels il recommanda de se tenir à l'écart.

«De toute sa troupe, dit Cayet, nul n'avait de manteau et de panache que lui; tous avaient l'écharpe blanche; et lui, vêtu en soldat, le pourpoint tout usé, sur les épaules et aux côtés, de porter la cuirasse, le haut-de-chausses de velours de feuille morte, le manteau d'écarlate, le chapeau gris avec un grand panache blanc, où il y avait une très belle médaille, étant accompagné du duc de Montbazon et du maréchal d'Aumont, qui l'étaient venus trouver de la part du roi, arriva au château du Plessis. Le roi y était venu une heure auparavant avec tous les princes et toute sa noblesse, et, en attendant l'arrivée dudit roi de Navarre, il alla aux Bons-Hommes. Toute la noblesse était dans le parc avec une multitude de peuple curieux de voir cette entrevue. Incontinent que le roi de Navarre fut entré dans le château, on alla avertir le roi, lequel s'achemina le long du jeu de Paillemail, cependant que le roi de Navarre et les siens descendaient l'escalier par lequel on sortait du château pour entrer dans le parc. Au pied des degrés, M. le comte d'Auvergne, assisté de Messieurs de Sourdis, de Liancourt et autres chevaliers des ordres du roi, le reçurent et l'accompagnèrent pour aller vers Sa Majesté. Au bruit que les archers firent, criant: Place! place! voici le roi! la presse se fendit, et sitôt que le roi de Navarre vit Sa Majesté, il s'inclina, et le roi vint l'embrasser.»

«Monseigneur, dit le roi de Navarre, embrassez votre cousin; servez-vous, pour votre défense, de celui que vous avez offensé par la guerre… Ma foi vous clame roi, et votre résolution me fait ami du roi. Les peuples à venir ne passeront ceci sous silence. Les étrangers sont assis au trône royal et vous fuyez vos sujets jusqu'aux frontières de votre royaume. Vous ne perdriez pas votre couronne tout seul: votre royauté et ma vie prendraient fin au même jour; ou, si je vous survis, Votre Majesté vivra en moi, et jamais personne ne régnera par-dessus les rois53.» Henri III le serra plusieurs fois dans ses bras, l'appelant son frère et manifestant la joie la plus vive. «Le roi pensait avec le roi de Navarre faire un tour de promenade dans le parc; il lui fut impossible, pour la multitude du peuple, dont les arbres mêmes étaient tout chargés. L'on n'entendait partout que ces cris d'allégresse de Vive le roi! Quelques-uns criaient aussi: Vivent les rois! Ainsi Leurs Majestés, ne pouvant aller de part ni d'autre, rentrèrent dans le château, où se tint le conseil, et y demeurèrent l'espace de deux heures. Au sortir du conseil, ils montèrent à cheval, et le roi de Navarre reconduisit le roi jusques au pont Sainte-Anne, à mi-chemin du faubourg de la Riche; et prenant congé de S. M., il s'en retourna passer la rivière de Loire et alla loger au faubourg Saint-Symphorien, en une maison vis-à-vis du pont de Tours.»

Le soir même, Henri adressait à Du Plessis-Mornay le bulletin de cette heureuse journée: «La glace a été rompue, non sans nombre d'avertissements que si j'y allais, j'étais mort. J'ai passé l'eau en me recommandant à Dieu, lequel par sa bonté ne m'a pas seulement préservé, mais fait paraître au visage du roi une joie extrême, au peuple, un applaudissement non pareil, même criant: Vivent les rois! de quoi j'étais bien marri. Il y a eu mille particularités que l'on peut dire remarquables. Envoyez-moi mon bagage et faites avancer toutes nos troupes.»

Le lendemain, dès la première heure, le roi de Navarre, à pied et suivi d'un seul page, entra dans la ville pour donner le bonjour à Henri III. «Toute cette matinée, ajoute Palma Cayet, fut employée en conseil et délibération d'affaires, jusque sur les dix heures que le roi alla à la messe, et fut accompagné jusqu'à la porte de l'église Saint-Gatien par le roi de Navarre, qui de là s'en alla visiter les princesses de Condé et de Conti. L'après-dînée se passa à courir la bague, le long des murs du parc du Plessis, où le roi de Navarre et tous les princes et grands seigneurs s'exercèrent cependant que le roi était à vêpres aux Bons-Hommes. Deux jours se passèrent en cette entrevue, durant lesquels le roi résolut de faire une armée forte et puissante pour aller assiéger Paris.»

Les éléments de cette puissante armée qu'il importait de former sans délai, pour arrêter les progrès de la Ligue, étaient fort disséminés. L'entrevue de Plessis-lès-Tours équivalait à la publication du ban et de l'arrière-ban pour tous les royalistes de France sans distinction de culte; mais il fallait se hâter. Les deux rois expédièrent des ordres et des convocations de tous côtés, sans oublier les levées d'auxiliaires en Allemagne et en Suisse. Mais l'activité de Henri III avait grand besoin du concours de son nouvel allié. Il y eut encore, de la part du roi de France et de ses lieutenants, des hésitations, des ajournements que le roi de Navarre était incapable de subir dans l'inaction. Aussi avait-il repris la campagne, superbe de vigueur et d'entrain. Pendant qu'il était éloigné de Tours, Mayenne, par une marche forcée, vint surprendre les faubourgs de cette ville, faillit enlever Henri III, et eût emporté la ville, où il avait des intelligences, si quelques troupes du roi de Navarre, qui le précédaient de peu, n'eussent arrêté l'élan du chef de la Ligue. Le danger auquel Henri III venait d'échapper fut un argument dont le roi de Navarre se servit pour presser, de part et d'autre, la réunion des forces et la jonction des deux armées. A cheval jour et nuit, ou occupé à dicter des messages pour ses capitaines, ses gouverneurs et ses villes les plus éloignées, il trouva le loisir d'adresser à Henri III les plus salutaires et les plus pressants avis. «Le bruit courait, lui écrit-il, qu'alliez en Bretagne: j'en étais enragé, car pour regagner votre royaume, il faut passer sur les ponts de Paris. Qui vous conseillera de passer par ailleurs n'est pas bon guide.» Et, dans une autre lettre, il trace le plan de l'action avec une précision et une autorité où s'affirment le grand capitaine et le grand politique. «Mon avis est que, tant que vous ferez de diverses armées, il ne faut douter que ne soyez sujet à tels accidents. Je dirai donc que Votre Majesté doit avoir un chef aux provinces où il n'y en a point, avec ce qu'il lui faut seulement pour conserver ce que vos serviteurs tiennent, et faire que ce qu'il y aura de plus vienne tout à vous. Car, rabattant l'autorité du chef, les membres ne sont rien. Ceux que vous envoyez aux provinces veulent tous vous acquérir quelque chose, et par là se rendre recommandables. C'est un juste désir, mais non propre pour votre service à cette heure. Trois mois de défensive par vos serviteurs, et vous employer ce temps à assaillir, vous mettent non du tout hors de peine, mais vos affaires en splendeur et celles de vos ennemis en mépris, grand chemin de leur ruine. Je puis vous donner ce conseil plus hardiment que personne; nul n'a tant d'intérêt à votre grandeur et conservation que moi, nul ne vous peut aimer tant que moi, nul n'a plus expérimenté ceci que moi, à mon grand regret. Lorsque nous oyions dire: «Le roi fait diverses armées», nous louions Dieu et disions: Nous voilà hors de danger d'avoir du mal. Quand nous entendions: «Le roi assemble ses forces et vient en personne, et ne fait qu'une armée», nous nous estimions, selon le monde, ruinés. Mon maître, gardez cette lettre pour, si vous me croyez et qu'il vous en arrive mal, me le reprocher; aussi qu'elle me serve d'acte de ma fidélité, si vous ne me croyez et que vous vous en trouviez mal. Montrez cet avis à qui il vous plaira. Je voudrais avoir donné beaucoup et être près de Votre Majesté, pour alléguer mille raisons, qui seraient trop longues à écrire. Voici un coup de partie: résolvez mûrement et exécutez diligemment.»

Ces conseils étaient donnés dans les premiers jours du mois de juin. A ce moment, l'union des deux rois avait déjà produit d'heureux fruits. Leurs armées infligeaient partout des échecs à la Ligue; les gentilshommes arrivaient avec des renforts, de tous les pays de France; un corps de dix mille Suisses, à la solde de Henri III, était sur le point de franchir la frontière. Enfin le mouvement de concentration et la marche sur Paris commencèrent. Il n'y eut bientôt qu'une seule armée royale, dont le roi de Navarre commanda l'avant-garde. Tout plia sous l'effort de cette armée, excepté Orléans, qui parut en état de l'arrêter assez longtemps pour compromettre le succès du plan général: on passa outre. Le roi de Navarre se jetait dans le péril avec la fougue des premières armes; catholiques et protestants rivalisaient de bravoure; Henri III lui-même semblait avoir ressaisi l'épée de Jarnac et de Moncontour: c'était bien la monarchie française reconstituée sur le champ de bataille. A Etampes, Henri III reçut le monitoire par lequel Sixte-Quint le frappait d'excommunication, si, dans dix jours, le cardinal de Bourbon et l'archevêque de Lyon, prisonniers depuis le coup d'Etat de Blois, n'étaient pas remis en liberté. «Le roi, dit le Père Daniel, en fut consterné, et quelques remontrances qu'on lui fît pour le convaincre des nullités de cet acte, il ne pouvait revenir des inquiétudes de conscience qu'il lui causait, jusqu'à ce que le roi de Navarre, l'ayant entretenu là-dessus pour lever ses scrupules, lui dit qu'il y avait un remède à ce mal, qui était d'assiéger Paris au plus tôt. «Vainquons, ajouta-t-il, et nous aurons l'absolution; mais si nous sommes battus, nous serons excommuniés, aggravés et réaggravés.» Henri reproduisait, dans cette boutade, l'avis récemment envoyé au roi par le cardinal de Joyeuse, instruit des sentiments de la cour de Rome.

 

Pontoise résista quelques jours. Le roi de Navarre, «qui voulait être présent à tout, y courut grand risque de la vie, car il était appuyé sur les épaules du mestre-de-camp Charbonnières, quand une arquebusade lui brisa les deux bras; pareille chose était déjà arrivée à ce prince, au siège de Jargeau, où Philippe de Montcassin-Houeillets, autre mestre-de-camp, fut tué à ses pieds». Le 24 juillet, Pontoise était aux mains de l'armée royale; le 25, les auxiliaires suisses arrivaient; deux jours après, le siège de Paris était résolu; le 30 juillet, les deux rois, après avoir chassé les ligueurs de Saint-Cloud, établissaient leur quartier-général, Henri III, dans le bourg même, et le roi de Navarre, à Meudon. La Ligue, depuis trois mois partagée entre le découragement et la fureur, vit s'étendre, autour des murailles où l'ambition et le fanatisme avaient établi son règne, une armée de quarante mille hommes, ayant à sa tête, sous le roi de France et son héritier présomptif, plus de cent capitaines, princes, grands seigneurs, officiers de fortune, habitués à vaincre depuis longtemps, et sûrs de vaincre une fois de plus. Aucune force humaine, sortant de Paris, n'aurait pu, par le glaive, détourner ou suspendre les coups de cette armée. Paris vomit sur le camp de Henri III un assassin fanatique, et le meurtrier du duc de Guise, l'instigateur de la Saint-Barthélemy, tomba, le 1er août, sous le couteau de Jacques Clément.

Pendant quelques heures, sur l'avis du premier chirurgien Du Portal, tout le monde crut que la blessure n'était pas mortelle. Le roi de Navarre, mandé en toute hâte, reçut le plus affectueux accueil de Henri III, qui, s'exprimant comme si la succession à la couronne était ouverte, fit entendre de magnanimes et prophétiques paroles, plus roi sur son lit de mort qu'il ne l'avait jamais été pendant sa vie. L'espérance de le sauver ne dura pas longtemps. Vers minuit, il entrait dans une agonie qui se prolongea jusqu'aux premières heures du jour. Avec lui s'éteignit une race qui avait eu sa part de gloire, mais dont les vertus et le génie, dégénérant de règne en règne, en étaient arrivés, sous le sien, à un complet épuisement. Presque épuisé aussi, le pays avait besoin de se refaire autour d'un chef capable de guérir ses plaies, de rallier ses forces et de lui ouvrir de nouvelles et larges voies dans le conflit des nations, des dogmes et des idées. En sortant de la chambre mortuaire de Henri III, Henri IV était ce chef, et s'il avait rencontré une fidélité unanime chez les anciens serviteurs du dernier des Valois, il aurait pu, d'un seul élan, relever à la fois le trône et la patrie. Mais il trouva devant lui, avec la Ligue et l'étranger faisant cause commune, ces déserteurs et ces trafiquants du droit qui ont, dans tous les temps, perdu tant de grandes causes. Cette vaste conspiration ne troubla jamais ni son courage ni sa foi dans l'avenir: par le génie autant que par les armes, par le cœur non moins que par le génie, il sut vaincre et sauver les Français. Nous le laissons au seuil de cette mémorable lutte. Il y a deux cycles dans sa glorieuse vie. Pendant la durée du premier, fermé sur le cercueil de Henri III, nous l'avons vu naître et s'élever jusqu'à la hauteur de son incomparable destinée: c'est Henri IV en Gascogne. Dès que s'ouvre le second cycle, Henri de Bourbon entre de plain-pied dans l'histoire de France, où la gloire le couronnera, parce qu'il a su apprendre, sur une terre fertile en héros, à devenir Henri le Grand.

52Appendice:
53Appendice: .