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Henri IV en Gascogne (1553-1589)

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CHAPITRE VI

La politique du roi de Navarre en face de Henri III et de la Ligue. – Lettre à l'abbesse de Fontevrault. – Lettre au vicomte d'Aubeterre. – La ruine de l'Armada. – Les affaires des calvinistes en Dauphiné, en Languedoc et en Guienne. – Sage activité de Henri. – Grandes et petites négociations. – Les Etats-Généraux à Blois. – Discours de Henri III. – La Ligue amnistiée dans le passé et incriminée dans l'avenir. – Revanche des Guises. – Condamnation du roi de Navarre par les Etats. – Résistance de Henri III. – Le roi de Navarre à l'assemblée de La Rochelle. – Réclamation des députés, à Blois et à La Rochelle, contre les abus de pouvoir. – Henri reprend le harnais. – Prise de Niort. – Le coup d'Etat de Blois. – Les deux conseils donnés au roi de France. – Assassinat du duc de Guise. – Henri III ne sait pas profiter de son crime. – Négociations puériles. – Soulèvement universel contre le roi de France. – Menaces du Saint-Siège. – Débandade de l'armée royale. – Mort de Catherine de Médicis. – Son dernier conseil à Henri III. – Il se décide à négocier avec son beau-frère. – Expéditions et maladie du roi de Navarre.

Entre la convocation des Etats-Généraux, annoncée à Rouen, au mois de juillet, et leur séance d'ouverture, qui eut lieu seulement le 16 octobre 1588, le roi de Navarre, habitué de longue date à se voir anathématiser par la cour de France comme par la Ligue, eut le loisir d'étudier le nouveau terrain où les partis allaient se livrer bataille. L'édit d'union ne le surprit ni ne l'effraya; il en fut moins ému que de cette néfaste journée des Barricades qui avait vu le roi de France chassé de son palais par une démonstration populaire. Il n'avait jamais voulu, même au plus fort des perfidies de Catherine et de Henri III, se poser en adversaire de l'autorité royale, et depuis la victoire de Coutras, il comprenait, encore mieux qu'auparavant, que le salut de la couronne et du pays, et par conséquent le succès de sa juste cause dépendaient d'une sincère alliance entre Henri III et son héritier présomptif. Cette alliance, Henri III l'avait souvent désirée, mais en y mettant des conditions qui auraient rendu le roi de Navarre odieux au parti calviniste, lui eussent fait perdre brusquement son appui, et, le laissant suspect et isolé à côté du roi de France, auraient privé celui-ci du bénéfice de la réconciliation. Mettre librement son épée au service de Henri III, donner pour base à l'entente un édit de large tolérance, de sage liberté, préluder à l'action commune contre la Ligue par la pacification entre les royalistes et les calvinistes, d'où naîtrait logiquement, au profit des deux rois et pour le bien du pays, un nouveau et puissant parti de la couronne, telles avaient toujours été les vues hautement avouées du roi de Navarre. Après la journée des Barricades, il s'attacha plus que jamais à les faire prévaloir.

Vers la fin du mois de mai, répondant à une lettre pressante d'Eléonore de Bourbon-Vendôme, sœur du feu roi Antoine et abbesse de Fontevrault, qui le priait de se soumettre à la fois à l'Eglise et au roi de France, il découvrait sa pensée discrètement, tout en dénonçant l'hypocrisie des meneurs de la Ligue. Cette confidence d'un roi politique et guerrier à une femme vénérable est d'une beauté d'expression que nul commentaire ne saurait rendre: «Ma tante, disait Henri, il ne saurait rien venir de votre part que je ne reçoive comme de ma propre mère. Je sais que les avertissements que me donnez procèdent d'une entière et parfaite amitié que me portez; mais vous savez quelle est ma résolution, de laquelle il me semble que je ne dois me départir, et que vous-même ne me le devez conseiller; connaissant (comme je vous ai toujours dit) que ce n'est à la religion qu'on en veut, mais à l'Etat, ainsi que vous peut assez témoigner ce qui est naguère advenu à Paris, et l'entreprise que la Ligue a voulu, ces jours passés, faire sur le roi, qui est plus catholique que pas un d'icelle. Toutefois vous voyez si on a laissé de le traiter en huguenot. Croyez, ma tante, que ceux qui ont les armes à la main ne manquent jamais de prétexte; et quant à moi aussi, je ne m'arrête point là, mais je me remets en la bonté de Dieu, qui connaît la justice de ma cause et qui la saura discerner des pernicieux desseins des méchants. Celui qui donne et conserve les couronnes, conservera, s'il lui plaît, à notre roi celle qu'il lui a donnée. Il faut se résoudre à sa volonté et obéir à ses jugements…» Et dans une lettre d'un tout autre caractère, mais sur le même sujet, adressée, le mois suivant, au vicomte d'Aubeterre, officier au service de Henri III, le roi de Navarre indiquait avec une incomparable droiture de sens le but où devaient tendre, selon lui, et sa politique et celle de Henri III: «…Encore il y a remède (à la situation), pourvu que le roi soit fidèlement servi de ses bons sujets et qu'ils fassent leur devoir. C'est maintenant la saison où on connaîtra les bons Français. De ma part, je n'ai autre désir que d'employer tout ce qui est en mon pouvoir et ma personne…»

Ce n'étaient ni la crainte ni le désarroi de ses affaires qui dictaient des déclarations semblables au roi de Navarre; car les démêlés survenus entre les royalistes et la Ligue avaient donné une nouvelle vigueur aux revendications de son parti et démontré à beaucoup de «bons Français» le danger qu'il y avait à seconder les entreprises des princes de la Maison de Lorraine. A la vérité, Henri III n'avait pas encore signé l'édit d'union ni confié le commandement général de son armée au duc de Guise; et la sentence de proscription contre le roi de Navarre ne fut rendue par les Etats de Blois que quatre mois plus tard; mais que Henri prévît ou non ces conséquences, – et il pouvait sans beaucoup de peine les prévoir, connaissant ses adversaires, – il devait compter sur la logique des choses, sur la lumière qui se dégagerait des faits, sur le sentiment de la conservation, qui, tôt ou tard, jetterait le roi de France dans ses bras, pourvu qu'ils fussent bien armés et capables de dompter la Ligue. Il lui fallait à la fois prouver sa force et attester, avec une inébranlable constance, son dessein de faire cause commune avec Henri III.

Sa ligne de conduite ainsi tracée conformément au devoir et à l'intérêt bien entendu, aucun événement ne put l'en faire dévier, et plus d'un vint lui démontrer la sagesse de ses résolutions. Telle fut, par exemple, au mois d'août, la destruction de «l'invincible Armada», cette flotte immense sous l'effort de laquelle Philippe II avait rêvé d'anéantir la puissance de l'Angleterre, et que la Ligue accompagnait de ses vœux, attendant les plus heureux contre-coups de sa victoire. Ce désastre, en paralysant pour quelque temps l'Espagne, privait les ligueurs du seul point d'appui important qu'ils eussent à l'étranger. L'aspect général des affaires du parti calviniste inspirait, du reste, à ses chefs plus de confiance qu'elle ne leur causait d'inquiétude. Au moment où l'édit d'union les menaçait d'une nouvelle et implacable guerre, presque à l'heure où périssait l'Armada, Lesdiguières, chef des calvinistes en Dauphiné, signait avec La Valette, frère aîné du duc d'Epernon et lieutenant du roi, un traité d'alliance défensive et offensive contre tous ceux qui entreraient en armes dans cette province, convention qui réduisait à l'impuissance l'armée dont Mayenne avait reçu le commandement. Le duc d'Epernon, qui ne fut pas étranger à ce traité, était entré lui-même en lutte contre la Ligue, à propos de son gouvernement d'Angoulême, dont le roi, sollicité par les Guises, l'avait dépouillé, mais dont il n'entendait pas se dessaisir, et cet incident pouvait déconcerter plus d'une entreprise des ligueurs dans l'Angoumois et les provinces voisines. La Guienne, la Gascogne et le Béarn n'étaient pas des pays où la Ligue, mal vue de Matignon, pût aisément s'étendre. Dans le Languedoc, Henri pouvait compter sur Montmorency. Enfin il tenait lui-même la Saintonge et ne manquait pas de ressources en Poitou. Accroître ces ressources, grossir ses troupes de façon à contenir l'armée du duc de Nevers qu'il allait avoir sur les bras, se donner ainsi le loisir d'attendre que Henri III lui revînt, éclairé par les événements et pressé par la nécessité, c'était l'œuvre à laquelle il devait s'employer avant tout. Il l'entreprit avec son activité habituelle.

Il entretenait une correspondance suivie avec ses négociateurs auprès de la reine d'Angleterre et des princes protestants d'Allemagne, dont il espérait obtenir de nouveaux secours en hommes et en argent. En même temps, il convoquait, de toutes parts, ses partisans disséminés, et les priait, avec une héroïque gaîté, comme dans la lettre suivante adressée au baron d'Entraigues, de venir se mettre, eux et leur fortune, au service de sa cause: «Dieu aidant, j'espère que vous êtes, à l'heure qu'il est, rétabli de la blessure que vous reçûtes à Coutras… Sans doute, vous n'aurez manqué, ainsi que vous l'avez annoncé à Mornay, de vendre vos bois, et ils auront produit quelques mille pistoles. Si ce est, ne faites faute de m'en apporter tout ce que vous pourrez. Je ne sais quand, ni d'où, si jamais je pourrai vous les rendre, mais je vous promets force honneur et gloire, et argent n'est pas pâture pour des gentilshommes comme vous et moi.»

A travers ces grandes ou petites négociations, il se tenait constamment en haleine, lui et ses troupes, courant de place en place, reprenant, au mois de juillet, ce délicieux Marans si éloquemment vanté à la comtesse de Gramont et qu'il n'avait pu ressaisir pendant l'hiver, et gagnant, d'une chevauchée à l'autre, nombre de forts et de villettes, surtout Beauvoir-sur-Mer, château puissamment fortifié par le duc de Mercœur.

Les délibérations des Etats-Généraux réunis à Blois, le 16 octobre, ne tardèrent pas à prouver au roi de Navarre, comme à tous les esprits attentifs, que l'accord était précaire entre le roi de France et le duc de Guise. Nous n'avons à retenir de ces assises que deux faits principaux. Dans la séance royale, Henri III prononça un discours qui tout à la fois amnistiait la Ligue dans le passé et la condamnait dans l'avenir. Il se déclarait prêt à jurer l'édit d'union et entendait que les Etats le jurassent avec lui, mais il proclamait que dorénavant les associations, pratiques, menées, levées d'hommes et d'argent seraient considérées par lui comme autant de crimes de lèse-majesté: c'était incriminer et interdire l'existence même de la Ligue. Les Guises sentirent le coup, et s'efforcèrent de prendre leur revanche dans les délibérations suivantes. Ils l'obtinrent des Etats, au mois de novembre, par la proclamation de la déchéance du roi de Navarre, en tant qu'héritier présomptif de la couronne de France. Cette résolution, à laquelle les Etats eussent logiquement abouti en suivant la pente des choses, sous l'influence des Guises qui les dominaient, fut provoquée par une requête des députés calvinistes réunis à La Rochelle, sous la présidence du roi de Navarre, et par laquelle ils demandaient qu'on leur accordât la liberté de conscience, selon l'édit de janvier 1562, la restitution de leurs biens saisis et la réunion d'un concile général libre, promettant de se soumettre à ses décisions. Les calvinistes déclaraient que si leur requête était repoussée, ils ne reconnaîtraient pas la légitimité de l'assemblée des Etats. «La demande du concile, dit Mézeray, était mise en avant, à l'instance du roi de Navarre, qui désirait, par cet expédient, faire connaître aux catholiques qu'il n'était point ennemi mortel de leur religion, ni si opiniâtre dans la sienne qu'on leur avait persuadé: ce qu'il tâcha d'insinuer dans les esprits, par un livre, en forme d'avertissement aux Etats, dont les termes étaient fort recherchés et tout le discours conduit avec beaucoup de circonspection. Mais, en des matières si chatouilleuses, le milieu étant bien souvent plus dangereux que les extrémités, d'autant qu'en tâchant de complaire à l'un et l'autre des deux partis, on les offense tous les deux, ce moyen redoubla plus fort les soupçons des consistoriaux et donna sujet à la Ligue de procéder avec plus d'animosité contre lui.» Le Père Daniel, parlant du même écrit, donne la raison de son insuccès parmi les députés des Etats: «Le roi de Navarre avait affaire à des gens qui, pour la plupart, appréhendaient plus sa conversion qu'ils ne la souhaitaient». Henri avait donc contre lui dans cette circonstance tous les ligueurs de parti pris et tous les protestants fanatiques. Ce fut à vaincre et à conquérir ces deux sortes d'adversaires qu'il employa ses efforts et son génie, et mérita une gloire immortelle.

 

«La condamnation du roi de Navarre, dit Palma Cayet, se traita par toutes les trois chambres (clergé, noblesse, tiers-état). Douze de chacune chambre furent députés vers S. M. pour lui faire entendre leur résolution et lui dire qu'ils avaient avisé que le roi de Navarre serait déclaré hérétique, chef d'iceux, relaps, excommunié, indigne de toute succession, couronne, royauté et gouvernement.» Il faut rendre cette justice à Henri III, qu'il opposa une vive résistance à l'exorbitante prétention de la Ligue. Il voulut, en présence des députés, faire discuter leur requête par son procureur général Jacques de La Guesle, «lequel, ajoute Favyn, par une grave et judicieuse remontrance, montra l'impertinence de cette proposition». En définitive, le roi sacrifia ou parut sacrifier son beau-frère.

Pendant que les Etats de Blois disposaient de l'autorité royale, pour le présent et pour l'avenir, le roi de Navarre était obligé, de son côté, de livrer bataille à ses partisans, dans cette assemblée de La Rochelle dont nous venons de parler. Au milieu de leurs revendications factieuses, les Etats de Blois eurent de légitimes velléités de réforme politique et administrative, et, par une remarquable coïncidence, les députés calvinistes réunis à La Rochelle firent entendre des réclamations et des critiques analogues à celles dont les Etats eurent à s'occuper. Il y avait dans les esprits, à ce moment, comme une vague tendance à contrôler et limiter les actes du pouvoir royal, et à regagner le terrain perdu, pour les libertés anciennes, pendant quarante ans d'arbitraire, de favoritisme et de guerre civile. Mézeray, dans sa grande Histoire, nous a laissé sur cette crise une page d'autant meilleure à reproduire ici, qu'elle donne la physionomie de l'assemblée de La Rochelle.

«Ce n'était pas seulement la Ligue qui remuait toutes choses pour embarrasser l'esprit du roi, mais avec elle était joint encore le désir unanime de tous les peuples, qui, voyant les affaires sur le point d'une entière révolution, étaient poussés ou par je ne sais quel instinct, ou par les raisonnements des plus avisés politiques qui s'étaient répandus parmi eux, à faire leur profit de ce changement. Et ils le désiraient avec d'autant plus d'ardeur, qu'ils avaient sous les règnes derniers ressenti de plus grandes oppressions.

«Cette passion régnait dans les esprits des religionnaires aussi bien que parmi les catholiques, et au même temps qu'elle faisait tant de peine au roi dans les Etats de Blois, elle n'en donnait guère moins au roi de Navarre dans ceux de La Rochelle. Ce prince avait convoqué les Etats de son parti en cette ville; les députés de leurs dix-huit provinces auxquelles ils avaient réglé leurs Eglises s'y étant rendus, et y ayant été reçus selon l'ordre qu'ils ont accoutumé d'observer en leurs synodes, il en avait fait l'ouverture le quatorzième de novembre. Or, il avait procuré cette assemblée, tant pour réunir à soi la créance et l'affection de tous les religionnaires, dont plusieurs n'avaient pas bonne opinion de lui, que pour se servir de leurs forces à défendre son droit à la succession de la couronne; mais il pensa bien y trouver tout le contraire de ce qu'il en avait espéré. Elle le contraignit d'en défendre l'entrée à quelques-uns des siens qui lui étaient suspects; il fallut qu'il y souffrît de sévères reproches, et même des calomnies contre sa conduite; les ministres ne lui celèrent aucune de ses fautes; ils firent une rude censure de toute sa vie, n'épargnèrent pas ses amours, et le blâmèrent de tiédeur au fait de la religion. Quand on en fut sur le premier point des contributions, les députés du Languedoc, animés par leur instigation, se bandèrent directement contre ses officiers pour les impôts des passages, se plaignant que ces derniers se convertissaient au profit de quelques personnes particulières… Ils proposèrent de choisir des protecteurs de leur religion, parce qu'ils s'imaginaient que cette considération retiendrait le roi qu'il ne se fît catholique, comme ils appréhendaient, ou du moins que s'il les abandonnait, il ne pût pas les ruiner.

«A tous leurs reproches, ce prince ne répondit qu'avec une merveilleuse patience et une discrétion qui faisait violence à son courage. Pour leurs autres entreprises, il tâcha de les dissiper en gagnant doucement les uns, divisant les autres, et recherchant soigneusement tous ceux qu'il savait les plus animés. L'adresse et les soins de Du Plessis-Mornay, dont il employait heureusement la plume et le crédit dans ses plus épineuses affaires, le servirent utilement en cette occasion.

«Enfin, après diverses propositions fort rudes qu'ils faisaient pour se prémunir contre la tyrannie, c'étaient leurs termes, lesquelles il sut adroitement détourner ou arrêter, il en fut quitte pour leur accorder l'établissement de quelques chambres particulières, à Saint-Jean-d'Angély, Bergerac, Montauban, Nérac, Foix et Gap en Dauphiné, qui, recevant les plaintes de chacun et leur rendant justice, contiendraient ses officiers en leur devoir, selon les règlements qui se feraient en cette assemblée. Après que les Etats selon leur opinion eurent ainsi pourvu à leur liberté contre les entreprises du dedans, ils travaillèrent avec une parfaite union à chercher les moyens de soutenir le grand effort que la Ligue leur allait jeter sur les bras, et pendant un mois que cette assemblée dura, ils firent de si beaux règlements pour la levée et distribution des deniers, pour les ordres qu'il fallait tenir, tant pour attaquer que pour se défendre, pour la discipline militaire et pour l'étroite observance des lois, que l'on jugea par là qu'ils n'étaient pas si faciles à vaincre, comme la Ligue le publiait.»

Au sortir de l'assemblée de La Rochelle, Henri écrivait à la comtesse de Gramont: «Vous me pensiez soulagé pour être retiré en nos garnisons. Vraiment, s'il se refaisait encore une assemblée, je deviendrais fol! Tout est achevé, et bien, Dieu merci! Je m'en vais à Saint-Jean-d'Angély assembler mes troupes pour visiter M. de Nevers, et peut-être lui faire un signalé déplaisir, non en sa personne, mais en sa charge.» En somme, il se remettait à l'œuvre, fortifié et plus déterminé que jamais. Dans la campagne précédente, il avait refoulé en Bretagne et attaqué jusque dans ses foyers le duc de Mercœur, gouverneur de cette province. Il avait pris dix ou douze places, entre autres Beauvoir-sur-Mer. Présentement, il courait à Niort, qu'il comptait enlever d'un coup de main et qu'il prit, en effet, par escalade, à la fin du mois. Mais pendant qu'il s'y acheminait, et que, de toutes parts, ses amis convoqués se dirigeaient vers la Saintonge et le Poitou, pour lui faire une armée capable non seulement de tenir tête à celle du duc de Nevers, mais de dominer sur la Loire, dans le voisinage même de Henri III, le château de Blois était le théâtre d'un événement tragique, qui allait changer la face des choses. Les Etats, dans la main du duc de Guise, faisaient, depuis deux mois, le siège de l'autorité royale; de quelque côté que se tournât Henri III, il rencontrait une humiliation ou un danger. On lui imposait la publication des décisions du concile de Trente, dans lesquelles il pouvait lire, la Ligue aidant, une menace de déchéance à bref délai; le duc de Savoie venait de mettre la main sur le marquisat de Saluces; le roi d'Espagne, l'allié, le patron étranger de la Ligue, avait, au moins indirectement, coopéré à cette victoire frauduleuse, et les Etats, excepté la noblesse, refusaient au roi de France les moyens de venger un tel affront: il lui fallait subir le démembrement. Au même instant, les avis, les révélations lui arrivaient de tous côtés sur d'anciennes menées du duc de Guise dont il n'avait eu jusqu'alors que le soupçon, et sur de nouveaux projets qui tendaient directement à mettre le roi dans l'absolue dépendance du sujet. Henri III hésita quelques jours entre l'abdication, que lui conseillait le dégoût, et un coup de force, que lui suggéraient son amour-propre blessé et ce qu'il croyait être l'intérêt de la couronne elle-même. Il se décida enfin pour la répression violente, et prit conseil. Il avait à choisir entre deux modes d'exécution: la justice et l'arbitraire. Les uns lui conseillaient les voies légales; les autres, objectant la popularité de Guise et son ascendant sur les Etats, le portaient à se défier d'un procès et à se faire justice lui-même. L'arrêt prononcé, le duc dédaigna tous les avertissements qu'un assez long délai lui permit de recevoir, et, avec une force d'âme incroyable, pendant que les terreurs anticipées de la catastrophe assombrissaient tous les visages, il s'en tint au mot superbe: «On n'oserait». Il se précipita, pour ainsi dire, au devant de la mort, qui le frappa dans la matinée du 23 décembre 1588.

On attribue à Catherine de Médicis mourante51 ce mot sur l'exécution de Blois: «C'est bien coupé, mon fils, mais il faut recoudre». Henri III ne sut pas profiter de l'assassinat du duc de Guise: il se jeta dans les finesses pour gagner les Etats, presque en entier dévoués à la Ligue; il entama des négociations avec les factieux, sans en excepter les Seize; il voulut attirer Mayenne lui-même, le frère de la principale victime; il se priva du bénéfice de sa criminelle énergie en perdant un temps précieux et en laissant au parti décapité le loisir de se reconnaître et de se réorganiser pour de nouvelles luttes. Le sang du Balafré, qui devait, dans la pensée de Henri III, éteindre la guerre civile, en aviva le foyer dans la France entière. La chute de ce vassal formidable, sur laquelle le roi prisonnier avait compté pour redevenir un roi libre, laissa la couronne dans un isolement qui parut comme l'agonie du pouvoir. Henri III n'eut gain de cause nulle part: les Etats s'inclinèrent devant lui, et s'en allèrent souffler la vengeance et la rébellion dans toute les provinces. Rome fut inflexible, et sa réponse au meurtre du cardinal de Guise et à l'emprisonnement du cardinal de Bourbon fit prévoir une prochaine excommunication. Les Seize, déjà maîtres de Paris, l'accablaient d'une honteuse dictature, en attendant la lieutenance-générale de Mayenne, qui fut proclamée le 17 février 1589; en quelques semaines, plus de cent villes de premier ordre se déclarèrent pour la Ligue, et plusieurs d'entre elles traînèrent dans la boue l'effigie royale; enfin, le roi vit la plupart de ses régiments se débander sous les ordres de leurs officiers et passer du côté des factieux. Blois n'était plus sûr; Henri III vint à Tours, dans les premiers jours de mars, avec les débris de son armée. Ce fut à ce moment qu'il songea, trop tard pour son honneur, à l'unique appui qui lui restait, à cet héritier présomptif qu'il avait sacrifié à la Ligue, à ce Bourbon hérétique, seul capable, s'il était honnête homme, de relever la fortune du dernier Valois.

 

A la nouvelle de l'assassinat du duc de Guise, le roi de Navarre dit: «Tout autre que moi rirait du malheur de la Maison de Lorraine, et serait bien aise de voir l'indignation, les déclarations et les armes du roi tournées contre eux; moi, certes, je ne le puis faire ni ne le fais, sinon en tant que, de deux maux, je suis contraint de prendre le moindre.»

C'était là un sentiment humain et politique; mais il fut aisé à Henri de prévoir les conséquences que devait entraîner pour ses propres affaires le coup d'Etat de Blois. Il jugea qu'après cet événement l'entente n'était plus possible entre le roi de France et la Ligue, et se tint prêt à répondre à l'appel de Henri III. A vrai dire, les négociations entre les deux princes avaient été plutôt suspendues que rompues, et Rosny, s'il faut en croire son récit, les avait secrètement renouées, peu de temps après la catastrophe. Tout conspirait pour les faire aboutir à un salutaire accord; on y exhortait, de toutes parts, Henri III et le roi de Navarre; au dire de quelques historiens, Catherine de Médicis elle-même, à son lit de mort, avait fait entendre des paroles de paix sincère et durable, des conseils qui démentaient toute sa vie politique; mais la nécessité parlait encore plus haut que tous les conseillers. Néanmoins, tout en négociant avec son beau-frère, le roi de Navarre tenait la campagne avec autant de succès que d'activité. A la fin du mois de décembre, il avait pris Niort; le 1er janvier, Saint-Maixent et Maillezais recevaient ses garnisons; le 9 janvier, il allait au secours de La Garnache, qu'assiégeaient les troupes du duc de Nevers, lorsqu'il tomba malade d'une forte pleurésie qui le mit en un tel danger qu'on fit courir le bruit de sa mort. «Certes, écrivait-il à la comtesse de Gramont, j'ai vu les cieux ouverts, mais je n'ai été assez homme de bien pour y entrer. Dieu veut se servir de moi encore. En deux fois vingt-quatre heures, je fus réduit à être tourné avec le linceul. Je vous eusse fait pitié. Si ma crise eût demeuré deux heures à venir, les vers auraient fait grand'chère de moi.» Le 18, il était en pleine convalescence, et au mois de février, il reprenait le harnais pour préparer le coup qu'il méditait sur Châtellerault, l'Ile-Bouchard et d'autres places. Il y entra avant le mois de mars. Pendant qu'il faisait toute cette besogne, il ne négligeait pas ses projets à longue vue. Il déférait à La Noue le commandement des mercenaires qu'on levait, pour son compte, en Allemagne; il trouvait même le temps de continuer sa correspondance religieuse avec les princes protestants, et surtout il suivait avec une extrême vigilance les phases de sa négociation avec Henri III, négociation capitale et dont l'historique demande quelques détails.

51Appendice: