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La Nation canadienne

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Voilà les larges idées dont s'imprègne, dans les universités192, dans celle de Cambridge, où domine l'esprit whig, aussi bien qu'à Oxford, où règne l'esprit tory, la jeunesse anglaise, la nation de demain. La jeune école historique s'étonne de l'aveuglement des historiens anglais du commencement du siècle qui, dans l'histoire d'Angleterre au dix-huitième siècle, n'ont aperçu que les luttes politiques et qui, absorbés en entier par les débats du Parlement, ont passé sous silence l'admirable mouvement d'expansion que leur patrie commençait à cette époque.

L'expansion de l'Angleterre, la fraternité du sang, les libres colonies anglaises, ce sont là des expressions qui sont aujourd'hui dans toutes les bouches. Mais qu'on ne croie pas que cette satisfaction platonique soit le seul avantage qu'attendent les Anglais.

Certes, c'est quelque chose que cette puissance morale que donne à la patrie la présence sur tous les points du globe de nations issues d'elle, reliées à elle par des liens plus ou moins relâchés au point de vue politique, mais fort étroits encore au point de vue plus important des mœurs et des idées. Le peuple anglais en garde à bon droit une légitime fierté, mais son intérêt y trouve son compte en même temps que son orgueil. Les relations commerciales survivent au relâchement et même à la rupture du lien colonial. Bien qu'elles soient depuis longtemps absolument émancipées au point de vue économique, bien que toutes elles soient libres de régler elles-mêmes et leur régime commercial et leurs tarifs douaniers, les colonies anglaises demeurent, en fait, en étroites relations d'affaires avec la métropole.

Pour les États-Unis eux-mêmes, c'est encore avec l'Angleterre que se fait la moitié de leur commerce total193.

En même temps qu'une augmentation de puissance morale, en même temps qu'une augmentation de richesses, ces colonies indépendantes ne procurent-elles pas à l'Angleterre une augmentation de puissance matérielle, leurs intérêts commerciaux se confondant avec les siens, ne demeureront-elles pas nécessairement des alliées naturelles dans tous les conflits qui pourraient se produire?

Le principe de l'indépendance coloniale n'est plus contesté par personne en Angleterre, et ceux que leurs tendances entraîneraient le plus à des idées de centralisation, les partisans eux-mêmes du projet un peu chimérique de Fédération impériale ne vont pas au delà, dans leurs plans les plus audacieux, de réclamer la formation, entre toutes les colonies, d'une sorte de ligue qui ne restreindrait en rien l'autonomie particulière de chacune d'elles, et n'ajouterait pas grand chose au lien moral, mais indiscutable, qui existe déjà.

Quelle différence avec les idées qui ont cours en France! et quel est celui de nos publicistes ou de nos hommes politiques qui oserait, comme le font chaque jour pour leurs colonies les publicistes et les hommes d'État anglais les plus autorisés, émettre seulement la possibilité de l'indépendance future des colonies françaises?

Entre deux conceptions si opposées de l'expansion coloniale, l'histoire tout entière, la puissance de l'Angleterre, son influence dans le monde, nous disent quelle est la bonne.

Le Français qui aime son pays et voudrait le voir grand parmi les nations s'afflige, en parcourant des yeux la carte de l'univers, d'y trouver trop peu de ces «libres colonies du peuple français», par lesquelles se propage «notre langue, nos mœurs, nos institutions et notre religion, jusqu'aux extrémités de la terre», de ces libres nations que les Anglais, eux, ont semées tout autour du globe et dont ils sont si fiers.

Sur quelques points pourtant le patriote français peut, lui aussi, arrêter avec fierté son regard. La France elle-même a donné naissance à de jeunes nations qui comptent parmi les plus avancées, les plus actives, et qu'elle peut revendiquer avec orgueil. La plus belle, la plus grande et la plus prospère d'entre elles, c'est ce Canada français qu'a méprisé Voltaire, mais que nous retrouvons aujourd'hui grand, glorieux, et toujours fier de son ancienne patrie. Séparé d'elle à jamais par les liens politiques, il lui demeure uni par les liens bien plus forts de l'histoire et du patriotisme. Si l'on peut relever dans une partie de la presse canadienne des attaques à l'adresse des institutions gouvernementales qu'à tort ou à raison il nous a plu de nous donner, ces polémiques ne diffèrent en rien de celles dont la moitié de notre presse elle-même accable ces institutions. Pouvons-nous faire un reproche aux Canadiens de dire de nous ce que nous en disons nous-mêmes? Jusque dans leurs attaques ils demeurent Français. Leurs divisions, leurs luttes, leurs inimitiés ne sont pas autres que les nôtres; vous pouvez, près de beaucoup d'entre eux, dire tout le mal que vous voudrez du gouvernement français, mais auprès d'aucun ne dites de mal de la France!

«Notre destinée, dit M. Chauveau, séparée depuis si longtemps de la sienne, s'y rattache encore par des liens mystérieux et invisibles; que nous le voulions ou que nous ne le voulions pas, nous ne pouvons nous empêcher de nous réjouir avec elle, de nous affliger avec elle, de nous humilier avec elle, et, s'il nous échappe quelques paroles amères à son adresse, elles sont dues à notre amour qui nous fait sentir, comme si elles étaient faites à nous-mêmes, les mutilations qu'elle s'inflige dans le délire des révolutions.»

Ces sentiments, rien ne les déracinera du cœur des Canadiens; vouons donc à leur patrie un amour égal à celui qu'ils conservent à la nôtre. Ces deux patries d'ailleurs ne sont-elles pas communes, et le Canada français n'est-il pas resté, malgré la conquête, la plus belle, non pas des possessions françaises, mais des «libres colonies du peuple français»?

Une terre où résonne notre langue, où le culte de la France est si pieusement gardé, n'est-elle pas une terre française bien plus que celles que nous conquérons et que nous gouvernons sans y implanter notre race et y propager notre sang?

Tâchons de nous pénétrer des larges idées de nos voisins; cessons de croire que là où est l'hôtel du gouverneur et la caserne, où sont la direction des douanes, les bureaux et les administrations, là est la colonie. Non: la colonie est là où est le peuple, là où sont les colons. Si le peuple est français, quels que soient les liens de protectorat politique qui l'attachent à une nation étrangère, c'est là, dans le vrai sens du mot, une colonie française. A ce titre, réjouissons-nous de la formation de la jeune nation canadienne; elle fait partie de la patrie française, applaudissons à ses progrès et efforçons-nous de les encourager.

192M. Seeley, professeur à l'Université de Cambridge, a publié sur le même sujet et dans les mêmes idées un intéressant ouvrage sous le titre: Expansion of England.
193Reclus, Géographie universelle. États-Unis, p. 744.