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Récits d'une tante (Vol. 3 de 4)

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CHAPITRE V

Insurrections militaires. – Congrès de Troppau. – Habileté du prince de Metternich. – Il se raccommode avec l'empereur Alexandre. – Conduite du vieux roi de Naples. – La «Paüra». – Description qu'il en fait. – Insurrection du Piémont. – Le prince de Carignan. – Conduite du général Bubna à Milan. – Mort de l'empereur Napoléon.

L'épidémie des insurrections militaires gagnait de plus en plus. Elle avait éclaté d'abord à Cadix; une tentative avait eu lieu chez nous. Naples en fut attaquée, et bientôt après le Piémont.

L'insurrection à Naples était devenue une révolution; notre cabinet se refusait à l'intervention armée des autrichiens. Il espérait, par des négociations, amener les napolitains eux-mêmes à renoncer à une partie des concessions arrachées aux terreurs de leur vieux Roi et à se contenter de sacrifices qui laissassent du moins la possibilité d'un gouvernement monarchique. En d'autres termes, il désirait faire remplacer la constitution espagnole de 1812 par la charte française de 1814. Les puissances absolutistes se souciaient peu d'un pareil exemple. Il y eut un congrès assemblé à Troppau.

Je n'écris pas l'histoire et ne prétends point donner le journal de ce congrès ni de ceux qui le suivirent. Je n'en parle que pour citer une anecdote peu connue; je la tiens de bonne source et elle ne laissa pas d'influer sur le destin du monde.

L'empereur Alexandre, dont le libéralisme commençait à se calmer beaucoup, se trouvant à un grand dîner chez l'empereur d'Autriche, s'exprima en termes fort chauds contre les fauteurs de révolutions. Il assura que les gouvernements militaires étaient seuls à l'abri des bouleversements, ajouta qu'à la vérité la moindre insurrection des troupes y serait mortelle, puis affirma que les armées autrichiennes, russes et prussiennes étaient complètement…

Le prince de Metternich lui coupa la parole en parlant d'autre chose. L'Empereur parut surpris et choqué. Tout le monde fut étonné, et le dîner s'acheva dans le silence. À peine levé de table, le prince s'approcha de l'Empereur et lui demanda pardon de son impertinence; il avait cru remarquer dans ses paroles l'ignorance de ce qui se passait en Russie et avait voulu l'empêcher de les prononcer.

Il apprit à l'Empereur l'insurrection de la garnison de Pétersbourg: elle avait déposé ses officiers et quitté la ville pour marcher sur les colonies militaires. L'Empereur protesta de l'impossibilité d'un pareil fait. Monsieur de Metternich le supplia d'attendre avant de se prononcer hautement, promettant de garder le secret le plus absolu, et de laisser Sa Majesté Impériale être le premier à répandre la nouvelle dans les termes qui lui conviendraient le mieux.

Quarante-huit heures s'écoulèrent. Enfin, le troisième jour arriva le courrier de Pétersbourg. Il apportait la confirmation de l'insurrection et du départ des troupes.

Leur présence dans les colonies militaires aurait pu entraîner les suites les plus graves, mais elles avaient été poursuivies et ramenées, moitié par force moitié par persuasion. Le danger était conjuré, et c'était pour pouvoir en donner l'assurance à l'Empereur qu'on avait retardé jusque-là le départ du courrier.

Il fut très mécontent d'avoir appris des événements de cette importance par une voie étrangère et tança vertement son monde; mais il conçut une grande idée de la manière dont le prince de Metternich était instruit par ses agents et beaucoup de reconnaissance du secret qu'il avait fidèlement gardé, même vis-à-vis de l'Empereur son maître. C'est à dater de ce moment que l'empereur Alexandre commença à se livrer, d'une part, aux terreurs qui ont empoisonné le reste de sa vie et, de l'autre, à une confiance pour le prince de Metternich qui bientôt ne connut plus de borne.

Dans ces conjonctures, le prince Ypsilanti quitta le drapeau russe pour lever en Grèce celui de l'indépendance. À toute autre époque, le cabinet de Pétersbourg, qui préparait cette catastrophe depuis un siècle, l'aurait assurément appuyé de tous ses moyens; mais l'Empereur, effrayé de ce qui portait le caractère d'insurrection et surtout d'insurrection militaire, céda facilement aux exhortations du prince de Metternich. Celui-ci ne voulait pas de guerre en Orient. Son seul but était d'assurer la domination autrichienne en Italie.

On avait déjà vu le vieux Roi de Naples arriver à Troppau, accompagné de deux énormes lévriers seuls objets de ses sollicitudes, rapporter tous les engagements pris avec ses sujets, manquant ainsi aux serments les plus solennels au risque des dangers qu'il pouvait faire courir à son fils, resté à Naples en otage de sa bonne foi. On l'avait vu suivre les souverains alliés à Laybach, passer dans les rangs des troupes autrichiennes, prêcher la croisade contre ses propres États et, les larmes aux yeux, demander vengeance envers ceux qu'il avait juré de protéger. Ses vœux étant accomplis et son pays conquis, occupé, foulé et ruiné par l'étranger, il reprit assez de courage pour consentir à y retourner.

On le fit accompagner par des commissaires de toutes les puissances, en partie pour le soutenir contre ses propres terreurs, en partie pour donner à sa cause triomphante l'appui moral de la sanction européenne et plus encore pour modérer la cruauté des réactions que la peur dont il était encore dominé aurait pu lui inspirer. Naples se rappelait en frémissant son premier retour de Sicile, et le monde n'en avait pas perdu la mémoire.

Le prince héréditaire vint à sa rencontre jusqu'à Rome. Les commissaires assistèrent à l'entrevue de ces deux royaux personnages, et c'était la rougeur sur le front que Pozzo, pleurant d'un œil et riant de l'autre, racontait la discussion qui s'éleva entre eux sur l'excès des craintes qu'ils avaient mutuellement ressenties.

En Italie, les choses s'appellent par leur nom; on ne cherche pas de circonlocution. Et c'était de leur maladetta paüra que le père et le fils s'entretenaient librement:

«E che paüra ti! è io che ho avuto paüra.

– Oh! cara maestà no, non era niente, è dopo la sua partenza ch'è venuta la vera paüra.»

Et puis ils racontaient tous les degrés et tous les effets de cette terrible paüra avec une candeur qui pourtant ne touchait guère leurs auditeurs.

Pozzo me disait: «En sortant de cette entrevue, mes collègues et moi nous avons été vingt-quatre heures sans oser seulement nous regarder.»

Le prince de Metternich fait, au même sujet, un récit où il convient de joindre la pantomime lazaronesque au jargon du vieux Roi pour qu'il ait tout son mérite.

Ferdinand lui parlait sans cesse à Laybach di questa maladetta paüra. L'impassibilité du ministre persuadant au Roi qu'il n'appréciait pas toute l'importance de ce mobile, il lui demanda un jour s'il savait bien ce que c'était que la «paüra». Sur la réponse un peu dédaigneuse de monsieur de Metternich, le Roi reprit, avec une extrême bonhomie:

«Non … non ce n'est pas ça … ve lo dirò io… C'est une certa cosa qui vous piglia là», en mettant sa main sur le sommet de sa tête et faisant le geste de tordre; «et qui vous prend les cervelles et les fait danser fin qu'on croit qu'elles vont sortir de la tête; poi scende al stomacho … on croit qu'on va svenarepare qu'on se meurt…» Et il mettait les deux mains sur son estomac, «poi scende un po più giù», les deux mains suivaient. «On sent une dolor del diavolo, et poi … poi … brebre brebre»…; en lâchant les mains et terminant sa description physiologique par un geste expressif.

Lorsque l'insurrection militaire se déclara en Piémont, le roi Victor donna sa démission et descendit du trône plutôt que d'imiter le roi de Naples en s'humiliant devant ses sujets pour les trahir par la suite. Victor avait à la fois trop de courage et trop de loyauté pour jouer un pareil rôle. Celui qu'accepta le prince de Carignan dans cette triste affaire, si mal conçue, lui attira l'animadversion de tous les partis.

J'avoue que je me sens un assez grand fond de bienveillance envers ce prince pour être tentée de l'excuser. Il était bien jeune: nourri dans la haine des autrichiens qu'il avait raison de détester, il savait ce sentiment partagé par le Roi.

On l'avait entouré et persuadé qu'il s'agissait d'entrer dans une ligue commune à tous les peuples de la péninsule. Naples était déjà émancipée. La Lombardie, la Romagne, la Toscane devaient lever à la fois le drapeau de l'indépendance et expulser les allemands de leur sein. La nationalité italienne une fois rétablie, on diviserait ce pays en deux grands États capables de se défendre eux-mêmes contre leurs voisins, et la maison de Savoie se trouverait naturellement appelée à gouverner celui du nord.

Voilà le roman à l'aide duquel on avait fait entrer le prince de Carignan dans la conspiration, en lui assurant que le Roi lui-même y donnerait les mains avec joie, une fois le mouvement commencé.

Lorsqu'il vit le Piémont seul s'émouvoir et que, loin d'amener la réunion de l'Italie sous la protection du roi de Sardaigne, l'insurrection avait pour but de le dépouiller de son autorité, le prince de Carignan s'aperçut qu'il était joué par la faction révolutionnaire. Il voulut se retirer du complot, s'y prit maladroitement, livra ses anciens confidents et compromit sa réputation d'homme d'honneur fort au delà peut-être qu'il ne le méritait. Quoi qu'il en soit, la punition fut dure. Il fut chassé de Turin, et l'asile qu'il trouva chez son beau-père à Florence ne lui fut ouvert que sous les conditions les plus rigoureuses et les plus humiliantes.

L'habileté du général Bubna, gouverneur autrichien, avait déjoué les trames ourdies en Lombardie avec tant de bonheur, que la tranquillité y fut maintenue, sans avoir recours à de grandes sévérités. Il lui suffit de se montrer instruit des menées et d'avertir les fauteurs de troubles qu'ils devaient s'éloigner.

 

La façon dont il expulsa lord Kinnaird, un des agents les plus actifs du complot, est bien dans son caractère. Tous les jours, lord Kinnaird faisait la partie de whist du général. Un soir, au lieu de l'à demain habituel, Bubna accompagna son serrement de main quotidien de:

«Bonsoir, mon cher lord, bon voyage.

– Comment, bon voyage?

– Hélas! oui, vous nous quittez.

– Point du tout.

– Ah! si fait; j'ai visé votre passeport, vos chevaux sont commandés pour cinq heures du matin. Bon voyage, mon cher lord. Si vous teniez à avoir une escorte, elle serait à vos ordres à six heures, mais le pays est tranquille et je ne pense pas que ce soit nécessaire. Bonjour, mon cher lord, bon voyage.»

Lord Kinnaird partit en effet à cinq heures bien précises, sans attendre l'escorte que Bubna lui aurait infailliblement envoyée. Ce congé donné de cette façon, devant quarante personnes, avertit les complices qu'ils étaient découverts et qu'il fallait renoncer à une trame où la plupart des assistants étaient entrés.

Le général Bubna conseilla plus confidentiellement à quelques seigneurs de Lombardie, les plus compromis, une courte absence et surtout un voyage à Vienne. Ce ne fut qu'après sa mort que les complots se renouvelèrent et que des gouverneurs moins habiles eurent recours à des mesures plus acerbes.

Tandis que les passions révolutionnaires s'agitaient en Europe, la main puissante qui les avait domptées et fait servir à répandre son nom dans tout l'univers, cette main désarmée qui effrayait encore les nations cédait au plus terrible des vainqueurs.

Le 5 mai 1821, Napoléon Bonaparte exhalait son dernier soupir sur un rocher au milieu de l'Atlantique. La destinée lui avait ainsi préparé le plus poétique des tombeaux. Placée à l'extrémité des deux mondes, et n'appartenant qu'au nom de Bonaparte, Sainte-Hélène est devenue le colossal mausolée de cette colossale gloire; mais l'ère de sa popularité posthume n'avait pas encore, commencé pour la France.

J'ai entendu crier par les colporteurs des rues: La mort de Napoléon Bonaparte, pour deux sols; son discours au général Bertrand, pour deux sols; les désespoirs de madame Bertrand, pour deux sols, pour deux sols, sans que cela fît plus d'effet dans les rues que l'annonce d'un chien perdu.

Je me rappelle encore combien nous fûmes frappées, quelques personnes un peu plus réfléchissantes, de cette singulière indifférence; combien nous répétâmes: «Vanité des vanités et tout est vanité!» Et pourtant la gloire est quelque chose, car elle a repris son niveau, et des siècles d'admiration vengeront l'empereur Napoléon de ce moment d'oubli.

Je ne puis donner des détails particuliers sur les temps de son exil. Ils ne me sont arrivés que par des séides ou des détracteurs. J'ai connu quelques-unes des personnes qui l'ont accompagné, mais elles voulaient tirer parti de leurs paroles. Gourgaud prétendait vendre ses révélations, Bertrand exploiter sa fidélité. Ni l'un ni l'autre ne méritaient de confiance dans leurs récits. Encore moins pouvait-on se fier à ceux de sir Hudson Lowe qui, accablé du poids de sa responsabilité, avait compris sa mission fort gauchement. Il tracassait l'Empereur dans les détails et lui cédait dans les choses essentielles.

S'il était possible de se faire une idée un peu juste sur l'ensemble de son existence à Sainte-Hélène, il me semble qu'elle a été composée de grandeur dans les souvenirs dont ses belles dictées font foi, et de petitesses dans les actions dont la correspondance avec sir Hudson Lowe fait aussi témoignage.

Au surplus, l'Empereur avait ce caractère de l'omnipotence que, même au sommet de sa gloire et occupé à culbuter les empires, il trouvait encore le temps d'entrer avec chaleur dans des détails qu'un simple particulier aurait négligés sans scrupule. La puissance de Dieu soigne l'aile du moucheron. Peut-être ce que notre malveillance qualifiait de petitesse était-il l'excès de la force.

Lord Castlereagh, en entrant dans le cabinet de George IV, lui dit:

«Sire, je viens apprendre à Votre Majesté qu'Elle a perdu son plus mortel ennemi.

– Quoi, s'écria-t-il, est-il possible! elle est morte!»

Lord Castlereagh dut calmer la joie du monarque en lui expliquant qu'il ne s'agissait pas de la Reine, sa femme, mais de Bonaparte. Peu de mois après, les espérances conçues par le Roi furent accomplies. Il faut convenir que, si jamais de pareils sentiments peuvent être justifiés, c'était assurément par la conduite de la reine Caroline. Sa mort fut un soulagement pour tout le monde, et surtout pour le parti qui avait entrepris la tâche impossible de l'honorer. Elle périt victime de ses excès.

CHAPITRE VI

Intrigues contre le ministère. – Madame du Cayla. – Retraite du ministère. – Formation du nouveau ministère dont monsieur de Villèle est le chef. – Son caractère. – La Congrégation. – Ses projets.

Le cabinet, à la tête duquel se trouvait placé le duc de Richelieu, s'occupait activement des affaires. La France reprenait son rang parmi les nations; on commençait à compter avec elle. La question d'Orient s'entamait et elle prétendait [avoir] place au banquet. La prospérité intérieure s'établissait avec la tranquillité. La Chambre des pairs avait montré une grande indulgence envers les conspirateurs du mois d'août 1820; mais la sagesse du gouvernement maintenait les artisans de trouble dans le respect et cette longanimité n'avait pas eu de grands inconvénients. Des lois sages se préparaient. Tout enfin annonçait la session comme devant être calme et utile pour le pays.

Le ministère, occupé de ses travaux et composé de gens éloignés des intrigues de la Cour, ignorait ou attachait trop peu d'importance à ce qui s'y tramait.

Le roi Louis XVIII avait besoin d'un favori. L'éloignement de monsieur Decazes le laissait dans un isolement qu'il lui fallait combler. Si un des ministres avait voulu prendre ce rôle, le Roi s'y serait prêté volontiers, mais aucun n'était propre à le remplir.

Le hasard conduisit madame du Cayla dans le cabinet du monarque. Elle avait des restes de beauté, était spirituelle, intrigante et possédait surtout un fond de bassesse que rien n'épouvantait. Les tristes séductions employées auprès du vieux Roi ne le cédaient qu'à l'ignoble salaire qu'elle en recevait. Si le ministère avait été plus éclairé sur ses manœuvres, on aurait pu la retenir dans une situation subalterne et mercenaire: l'or aurait suffi à son âpreté; mais il la méprisa trop. Elle eut le temps d'établir son influence et voulut l'exercer politiquement.

Je ne sais si elle conçut l'idée d'allier sa fortune à celle de monsieur de Villèle ou si monsieur de Villèle pensa le premier à se servir de ce vil instrument, mais, ce dont je suis sûre, c'est que Sosthène de La Rochefoucauld, depuis de longues années le soupirant plus ou moins heureux de madame du Cayla, devint l'intermédiaire de cette alliance encore très secrète. Une fois conclue, on y fit facilement entrer Monsieur, et la chute du ministère Richelieu fut décidée dans ce petit conseil, sous le patronage de la Congrégation.

L'intrigue éclata dès l'ouverture de la session. On proposa dans l'adresse, en réponse au discours du Roi, une phrase qui se pouvait interpréter comme un blâme aux ministres, et il fut bientôt évident qu'elle serait soutenue par les deux oppositions, de droite et de gauche, réunies pour attaquer le ministère dans cette conjoncture.

Les doctrinaires, sous l'influence de leur chef monsieur Royer-Collard, firent l'appoint de cette majorité factice, bien persuadés qu'ils étaient devoir tomber en trois mois un ministère ultra et d'être appelés à le remplacer.

Monsieur Royer-Collard possède une de ces ambitions occultes qui prétend tout obtenir en ayant l'air de tout dédaigner. Il n'en est pas de plus dangereuses ni de plus amère. Il s'était fait une grande existence avec un peu de talent et beaucoup d'emphase. On peut citer de lui deux ou trois discours remarquables et un grand nombre de mots, plus creux que profonds, mais qui ont eu grande vogue pendant un certain temps.

L'alliance précaire des partis était le résultat des manœuvres de monsieur de Villèle. Si le ministère avait méprisé cette union contre nature, elle ne pouvait durer huit jours; mais monsieur de Villèle s'était bien flatté de trouver monsieur de Richelieu trop honorablement susceptible pour s'obstiner à garder une place où il semblait atteint par la désapprobation d'un des organes de la nation. Son espérance fut justifiée. Ce fut une faute, car la Chambre des députés parlait au nom de l'intrigue; mais ces genres de fautes n'appartiennent qu'aux plus nobles caractères. D'ailleurs le Roi, déjà gagné par les blandices de madame du Cayla, loin de solliciter ses ministres de braver une situation évidemment transitoire, les encouragea à faire du vote de l'adresse une question de cabinet.

Lorsqu'il fut constaté que tout le parti ultra, dont Monsieur était le chef, travaillait aussi activement que lui-même au renversement du ministère, monsieur de Richelieu alla trouver le prince et lui demanda compte de cette parole de gentilhomme donnée, avec tant de solennité, l'année précédente.

Monsieur ne se déconcerta nullement: «Oh! je vous en aurais dit bien d'autres pour vous faire accepter alors; les temps étaient si mauvais que nous étions encore heureux de n'être réduits qu'à vous et de pouvoir nous arrêter aux gens de votre nuance d'opinion; mais vous comprenez bien, mon cher duc, que cela ne pouvait durer.»

Monsieur de Richelieu lui tourna le dos, avec plus d'indignation que de respect. Il rassembla ses collègues et, après une longue conférence, ils conclurent que, s'il était facile de résister à la coalition improvisée des deux oppositions et à sa majorité factice, il était impossible, en revanche, de gouverner utilement avec l'hostilité de Monsieur. Rien n'aurait été plus aisé que de le rendre odieux au pays en démasquant ses intrigues, ses intentions et de le reléguer à n'être qu'un chef de faction; mais le cabinet était composé de gens trop consciencieux et trop royalistes pour vouloir achever de dépopulariser un prince, héritier de la couronne, que la santé du Roi plaçait sur l'estrade même du trône.

En conséquence, les ministres décidèrent de se retirer en masse et le duc de Richelieu fut chargé d'en prévenir le Roi. Celui-ci, arrivé au dénouement, fut fort troublé: «Mon Dieu, dit-il, en mettant sa tête entre ses mains, que vais-je devenir? Que veulent-ils faire? Que va-t-on m'imposer?»

Monsieur de Richelieu l'engagea à voir Monsieur et à se concerter avec lui. Peu d'heures après, il reçut un billet du Roi qui le mandait en toute hâte. Il le trouva seul dans son cabinet, le visage radieux: «Venez vite, mon cher Richelieu, votre conseil était excellent. J'ai vu mon frère; j'en suis parfaitement content: il est très sage, tout est arrangé; vous pouvez vous en aller quand vous voudrez.»

Voilà quelles furent les expressions de la reconnaissance royale pour tous les services et tout le dévouement du duc de Richelieu. Je l'ai vu lui-même sourire en les répétant, mais ce sourire avait quelque chose de triste qui marquait un cœur profondément ulcéré.

Monsieur de Richelieu avait, aux yeux de toute la famille royale, un tort indélébile que rien ne pouvait effacer. Pendant l'émigration et au moment où la fondation d'Odessa l'occupait le plus activement, l'année de son service de premier gentilhomme de la chambre auprès de Louis XVIII vint à sonner. Le duc pria le duc de Fleury, son camarade, établi à Mittau chez le Roi, de le remplacer et négligea de venir prendre son poste dans une antichambre d'émigration. Pour les princes de la maison de Bourbon, le service auprès de leur personne est toujours le principal devoir. Jamais ils n'ont pardonné ce premier grief au duc de Richelieu. Il avait, de plus, pour leur déplaire, les titres qu'y donnaient un esprit droit et sage et une noble indépendance de caractère.

L'empressement du Roi pour obtenir la retraite de ses ministres était devenu si grand qu'il fit réclamer jusqu'à trois fois dans la soirée, leur démission. La difficulté de se réunir tous, à une heure insolite, pour la rédiger en commun, en avait retardé l'envoi. On sut depuis qu'il avait promis à madame du Cayla qu'elle lui serait remise avant l'heure de son coucher. En effet, elle la reçut à minuit.

Ici se termine le règne de Louis XVIII; il n'a plus été qu'un instrument entre les mains des agents de Monsieur qui, lui-même, obéissait à la Congrégation. Lorsque monsieur de Villèle a cherché à s'en affranchir, il est tombé comme les autres.

 

J'ai dit que Sosthène de La Rochefoucauld était depuis nombre d'années dans des relations intimes avec madame du Cayla. Sa femme en témoignait du chagrin, et son beau-père et sa belle-mère une humeur qu'ils ne manquaient pas une occasion de faire éclater.

Mais, depuis la faveur de madame du Cayla, ils avaient changé d'allure. Ils s'étaient graduellement rapprochés, et monsieur et madame Mathieu de Montmorency passaient leur vie chez elle. Ce raccommodement obtint pour salaire le ministère des affaires étrangères pour Mathieu. Sosthène racontait qu'il avait d'abord pensé à le prendre lui-même, mais il avait trouvé plus romain de l'abandonner à son beau-père: «J'ai fait des rois, seigneur, et n'ai pas voulu l'être.»

Il n'y eut pas de président du conseil. Monsieur de Villèle n'osait pas encore y prétendre pour lui et ne voulait pas en reconnaître un autre. Monsieur de Corbière suivit le sort de son ami et patron et prit le portefeuille de l'intérieur. Monsieur de Peyronnet, qui s'était fait remarquer par sa furibonde faconde pendant le dernier procès à la Chambre des pairs, fut appelé aux sceaux. Sa réputation était tellement honteuse à Bordeaux, sa patrie, qu'il y eut des paris ouverts contre cette nomination, traitée d'apocryphe. Le Moniteur confondit les incrédules.

Le maréchal Victor, duc de Bellune, était un choix selon les cœurs des plus purs ultras. On le reconnaissait pour un vieil imbécile entouré d'une famille d'escrocs, mais il pensait si bien que ce mérite l'emportait sur tous les inconvénients possibles.

Afin que ce pitoyable cabinet reçut le scel du cachet de Sosthène, le duc de Doudeauville, son père, grand seigneur nécessiteux, fut nommé directeur des postes. Sa dignité ne lui permit pas d'abandonner son hôtel pour aller habiter celui de la rue Coq-Héron; mais il en fit enlever les meubles, les pendules, les ornements, le linge, les surtouts et jusqu'au billard qu'il fit apporter chez lui.

Cette nomination donna lieu au dernier joli mot aristocratique de notre temps. Lorsqu'on annonça que le duc de Doudeauville était directeur des postes, quelqu'un demanda: «Et qui est-ce qui sera duc de Doudeauville?»

Le marquis de Lauriston se sépara seul de ses anciens collègues et resta ministre de la maison du Roi. Ses talents et son caractère le rendaient bien plus digne de figurer dans la nouvelle administration que de rester avec l'ancienne. Il avait déjà donné des gages de sa servilité à madame du Cayla.

J'insiste sur cette crise ministérielle parce que c'est là, selon moi, l'écueil où la Restauration s'est perdue. Ainsi que les vaisseaux poussés par la tempête sur les Goodwin Sands, on a vu petit à petit la Congrégation l'attirer sous les eaux jusqu'à ce qu'elle ait été engloutie aux yeux de tous, chacun ayant prévu son sort sans pouvoir lui porter d'assistance efficace.

Si monsieur de Villèle était parvenu au pouvoir par des voies souterraines qui lui valurent, même parmi ses plus féaux, le surnom de la taupe, il serait pourtant injuste de lui refuser un rare degré de sagacité.

Entré dans la marine au commencement de la Révolution, il avait passé sa jeunesse à l'île Bourbon où il s'était marié. De retour en France, il s'était établi dans son manoir paternel, aux environs de Toulouse, et y avait vécu, pendant les années de l'Empire, sous l'influence de tous les petits préjugés de la gentilhommerie de province.

Il était maire de la ville en 1814, et publia une brochure sur la convenance de rentrer dans les voies du pouvoir absolu, sans garrotter la volonté du Roi par la Charte. Elle resta aussi obscure que son auteur et ne fut exhumée que lorsqu'il devint un personnage politique; mais elle a probablement servi de fondation à là confiance que Monsieur lui a promptement témoignée.

Les précédents de monsieur de Villèle n'avaient pas été de nature à le qualifier pour jouer un rôle dans l'État, et la vie d'intrigue avait absorbé tout son temps depuis son entrée aux Chambres où il prit rapidement une grande influence. Dès 1816, il était le chef de l'opposition ultra royaliste. Il se trouvait ainsi dans une profonde ignorance des affaires lorsqu'il y arriva; mais il les apprit, en les faisant, avec autant de facilité que de perspicacité et aurait fini par administrer très bien s'il avait été maître de ses actions.

Il comprenait moins les finances, et pas du tout la diplomatie. Non seulement il n'avait pas la moindre connaissance des rapports des nations entre elles, des caractères des souverains et des ministres qui les gouvernaient, mais, sachant à peine l'histoire en homme du monde, chaque traité, chaque engagement qui liait les pays entre eux lui semblait une révélation.

J'ai entendu dire, à des diplomates, qu'il fallait lui tenir classe, comme à un écolier, avant de pouvoir causer des affaires avec lui et, sur ces sujets il ne montrait pas autant de perspicacité que d'ordinaire. Mais ce n'est pas un tort aux yeux des souverains. Tous les rois veulent faire la politique étrangère à leur gré; c'est le commérage de leur intimité, et le ministre des affaires étrangères n'est jamais trop ignorant, selon eux, pourvu qu'ils se croient obéis.

Le vicomte Mathieu de Montmorency, avec des données un peu plus larges sur les rapports diplomatiques, avait un si petit esprit et une dévotion si ambitieusement puérile qu'il n'était que le serviteur des Jésuites. Au reste, pendant le ministère de monsieur de Villèle, hors monsieur de Chateaubriand un instant, tous ses collègues lui ont été soumis et il n'a eu à lutter qu'avec la Congrégation.

Monsieur de Villèle excellait dans l'art de gouverner une Chambre. Il avait réussi, par toutes les ruses électorales permises ou non permises, à se procurer une majorité selon sa volonté, et il la soignait admirablement. Il avait constamment une oreille aux ordres de tous les imbéciles qui voulaient y déposer des sornettes ou lui raconter leurs puériles affaires. Il écoutait avec l'air de l'intérêt, sans aucun signe d'impatience, s'engageait à profiter de renseignements si utiles, et congédiait un homme dévoué qui s'en allait persuadé qu'il gouvernait Villèle et le proclamait un ministre incomparable.

Je suis loin de faire un tort à monsieur de Villèle de cette conduite. La faculté de se laisser patiemment ennuyer, sans trop le témoigner, est une vraie qualité d'homme d'État, surtout dans un gouvernement représentatif.

Le plus grand obstacle de monsieur de Villèle aux affaires c'est d'avoir été trop pressé d'y arriver. Son mérite incontesté et son influence dans son parti l'y auraient amené un peu plus tard; mais, pour nouer l'intrigue qui l'y avait poussé, il lui avait fallu prendre des engagements qui le livraient pieds et poings liés à la Congrégation.

L'esprit prêtre et l'esprit émigré, relevant tous deux de Monsieur, voulaient diriger les affaires en dehors des intérêts nationaux. Monsieur de Villèle le sentait mieux que personne, mais, pris dans ses propres filets, il n'osait pas même chercher à s'en affranchir.

Deux de ses collègues, messieurs de Montmorency et de Clermont Tonnerre, se trouvaient les agents directs de la Congrégation. Messieurs de Lavau et Franchet lui obéissaient et l'inspiraient tour à tour, et monsieur de Rainneville, sous le titre de secrétaire général des finances, devint son espion près de monsieur de Villèle.

Homme d'esprit, monsieur de Rainneville ne tarda pas à s'apercevoir des dangers où l'on précipitait la monarchie; il conçut des inquiétudes, mais ne put s'arrêter.

On va me dire, vous parlez sans cesse de la Congrégation; qu'était-ce donc? Je pourrais répondre: le mauvais génie de la Restauration, mais cela ne satisferait pas. Pour nous, qui l'avons vue à l'œuvre, nous ne pouvons douter de son existence, et pourtant je ne saurais dire, à l'heure qu'il est, quels étaient les chefs réels de cette association qui réglait le destin du pays. On a désigné un certain père Ronsin, jésuite. Je ne voudrais pas l'affirmer.