Kostenlos

Récits d'une tante (Vol. 2 de 4)

Text
0
Kritiken
iOSAndroidWindows Phone
Wohin soll der Link zur App geschickt werden?
Schließen Sie dieses Fenster erst, wenn Sie den Code auf Ihrem Mobilgerät eingegeben haben
Erneut versuchenLink gesendet

Auf Wunsch des Urheberrechtsinhabers steht dieses Buch nicht als Datei zum Download zur Verfügung.

Sie können es jedoch in unseren mobilen Anwendungen (auch ohne Verbindung zum Internet) und online auf der LitRes-Website lesen.

Als gelesen kennzeichnen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

CHAPITRE VII

Négociations pour un emprunt. – Ouvrard va en Angleterre. – Il amène monsieur Baring chez mon père. – Conférence avec lord Castlereagh. – Arrivée de messieurs Baring et Labouchère à Paris. – Espérances trompées. – Dîner chez la maréchale Moreau. – Brochure de Salvandy. – Influence du général Pozzo sur le duc de Wellington. – Soirée chez la duchesse d'Escars. – Monsieur Rubichon. – L'emprunt étant conclu, l'opposition s'en plaint.

J'ai déjà dit que toutes les sollicitudes du gouvernement portaient sur la libération du territoire et que cette négociation se trouvait ramenée à une question d'argent. Ouvrard, le plus intelligent s'il n'est le plus honnête des hommes de finance, s'offrit à la traiter. Il proposa plusieurs plans.

Les capitalistes français, consultés, déclarèrent unanimement qu'il n'y avait aucun fond à faire sur le crédit. Monsieur Laffite, entre autres, se moqua hautement de la pensée d'un emprunt et dit textuellement à Pozzo, dont il était le banquier et qui s'était chargé de le sonder, que la France ne trouverait pas un petit écu à emprunter sur aucune place de l'Europe.

Cet esprit de la Bourse de Paris désolait notre cabinet plus encore comme symptôme que comme résultat. Car les puissances, et surtout la Prusse, n'acceptaient pas la garantie de capitalistes français et voulaient que l'emprunt fût consenti par des étrangers. Si donc les banquiers français s'étaient présentés, il y aurait eu une difficulté d'un autre genre à les éconduire.

Ouvrard seul persistait à soutenir la possibilité de rétablir le crédit. On lui donna mission pour s'en occuper et il partit pour Londres. Il se mit en rapport avec mon père qu'il séduisit par des aperçus les plus spécieux et, en apparence, les plus clairs. Il ne doutait jamais de rien. Au bout de peu de semaines, Ouvrard l'avertit que l'emprunt était fait à des conditions fort avantageuses dont il envoyait le détail à monsieur Corvetto. Les maisons Baring et Labouchère s'en chargeaient; il ne restait plus qu'une difficulté; elle n'était pas de sa compétence.

Messieurs Baring et Labouchère ne demandaient en aucune façon la garantie de l'Échiquier, mais seulement l'assurance qu'en se chargeant de l'opération ils ne feraient rien de contraire aux intentions du gouvernement et qui pût nuire aux intérêts anglais. Ils désiraient s'en expliquer avec mon père.

La conférence eut lieu. Monsieur Baring y fut conduit par Ouvrard. Il se déclara prêt à traiter dès que lord Castlereagh l'y aurait autorisé. Mon père se rendit chez le ministre; ils tombèrent d'accord de ce qu'il convenait de faire pour ménager les autres puissances, et principalement les susceptibilités du duc de Wellington. Le lendemain, mon père conduisit messieurs Baring et Labouchère chez lord Castlereagh; il les y laissa.

Peu de temps après, ces messieurs revinrent lui demander leurs passeports. Non seulement le ministre avait autorisé mais il avait approuvé et avait été jusqu'à dire que «ces messieurs feraient un acte de bon citoyen anglais en se chargeant de cette transaction, qu'ils rendraient un service éminent à l'Europe entière.» Ils étaient enchantés.

Monsieur Baring ajouta que lord Castlereagh lui avait recommandé, en souriant, de débarquer chez le duc de Wellington et de prendre ses conseils, attendu que Sa Grâce avait des prétentions toutes particulières à l'habileté en matière de finances et y attachait infiniment plus de prix qu'à ses talents militaires. Ils partirent le soir même en compagnie d'Ouvrard qui les devança et arriva en courrier.

Quoique le secret fût essentiel, j'étais au courant de ce qui se passait et bien heureuse comme on peut croire, d'autant que Pozzo m'annonçait les dispositions du duc excellentes et qu'on ne semblait avoir aucun autre obstacle à vaincre. Aussi c'était avec une satisfaction que je dissimulais de mon mieux, que j'entendais chaque jour [discuter] sur l'absurde crédulité du cabinet qui avait eu la folle idée de pouvoir faire un emprunt. Chacun avait connaissance d'un banquier, ou d'un agent de change, qui lui avait démontré la vanité d'un tel projet. Il est vrai qu'on en riait à la Bourse.

Deux heures après son arrivée à Paris, Ouvrard était chez moi. Il avait vu nos ministres; il avait vu le duc de Wellington; il avait vu Pozzo: il était radieux. Ce dernier ne tarda pas à nous rejoindre, enchanté de sa propre visite au duc. Je me rappelle que nous dînions en très petit comité chez monsieur Decazes; je laisse à penser si nous étions joyeux.

Le lendemain matin, je reçus un billet de Pozzo qui me disait de l'attendre afin de pouvoir écrire à Londres après l'avoir vu. Le duc l'avait envoyé chercher. Il entra chez moi la figure toute décomposée. Messieurs Baring et Labouchère étaient arrivés; rien n'était conclu; Ouvrard avait pris ses vœux pour des faits accomplis: ou il s'était trompé, ou il avait voulu tromper pour faire un coup de Bourse, ce dont il était bien capable. Mais enfin, loin que ces messieurs eussent consenti les arrangements qu'il avait apportés comme conclus, ils déclaraient n'avoir ni accepté, ni même discuté aucune proposition. Ils ne venaient que pour écouter ce qu'on leur demanderait. Ils avaient au moment même une conférence avec monsieur Corvetto; mais, d'après ce qu'ils avaient laissé entendre au duc des bases sur lesquelles ils consentiraient à traiter, elles étaient toutes différentes des paroles portées par Ouvrard et tellement onéreuses qu'il était presque aussi impossible de les accepter que de se passer d'un emprunt. La chute était profonde de notre joie de la veille. Je la sentis doublement et pour Paris et pour Londres.

C'était un grand déboire pour mon père qui semblait pris pour dupe. Je crois bien qu'Ouvrard avait joué tout le monde en réussissant avec beaucoup d'adresse à éviter des paroles explicites sur l'état de la négociation; mais, lui-même, je pense, s'était trompé dans ses propres finesses et avait espéré que ces messieurs, après leur démarche vis-à-vis du cabinet anglais et leur voyage à Paris, se trouveraient trop engagés pour reculer et accepteraient, ou à peu près, ses plans sur l'emprunt.

Je crois aussi que monsieur Baring, avec lequel il s'était principalement abouché à Londres et qui était bien plus facile en affaires que monsieur Labouchère, s'était montré plus disposé à la transaction telle qu'elle était offerte. Il est assez probable que, pendant le voyage qu'ils firent dans la même voiture, monsieur Labouchère n'avait pas employé inutilement son éloquence à engager son collègue à profiter des nécessités de la France pour lui imposer de plus rudes conditions.

Ce qu'il y a de sûr, c'est que les trois conférences que mon père avait eues avec ces messieurs, en présence d'Ouvrard à la vérité, lui avaient laissé l'impression que les bases de la transaction étaient arrêtées. Cela était si peu exact que, lorsqu'ils sortirent du cabinet de monsieur Corvetto, le jour de leur arrivée à Paris, tout était rompu.

Je ne suivrai pas le détail de la manière dont la négociation fut renouée. Le duc de Wellington ne s'y épargna pas. Quand une fois on lui avait fait adopter une idée et qu'on parvenait à la lui persuader sienne, il la suivait avec persévérance. Pozzo excellait dans cet art, et c'est un des grands services qu'il a rendus à la France dans ces temps de douloureuse mémoire où notre sort dépendait des caprices d'un vieil enfant gâté.

Je me rappelle une circonstance où ce jeu eut lieu devant nous d'une façon assez plaisante. Monsieur de Barante, parlant à la tribune comme commissaire du Roi dans je ne sais quelle occasion, désigna l'armée d'occupation par l'épithète de cent cinquante mille garnisaires. L'expression était juste, mais le duc de Wellington fut courroucé à l'excès et on eut grand'peine à l'apaiser.

Peu de jours après, je dînai chez la maréchale Moreau avec une partie de nos ministres. Ils arrivèrent désolés. Il avait paru le matin une petite brochure intitulée La France et la Coalition, c'était le premier ouvrage d'un très jeune homme, Salvandy. Il était écrit avec un patriotisme plein de cœur et de talent, et tout franchement il appelait la nation aux armes contre les cent cinquante mille garnisaires.

On était en pleine négociation pour l'emprunt et pour la réduction de l'armée d'occupation. Pour réussir, il fallait maintenir la bonne humeur du duc et on redoutait l'effet que cette brochure allait produire sur lui. Le duc de Richelieu était consterné; monsieur Decazes partageait son inquiétude. Il avait la brochure dans sa poche; il en montra quelques phrases à Pozzo: elles lui parurent bien violentes.

«Cependant, dit-il, si le duc n'en a pas encore entendu parler, nous nous en tirerons.»

Après s'être fait attendre une heure, suivant son usage, le duc arriva avec son sourire impassible sur son ci-devant beau visage, et son: «Ah! oui! Ah! oui!» au service de tout le monde; c'était signe de bonne humeur.

Pozzo me dit: «Le duc ne sait rien.»

Puis, s'adressant au duc de Richelieu qui était à côté de moi:

«Soyez tranquille; je me charge de votre affaire.»

Il s'éloigna des ministres avec une sorte d'affectation, prit l'air très grognon, dit à peine un mot pendant le dîner et eut soin de laisser remarquer sa maussaderie.

À peine le café pris, il entraîna le duc sur un canapé et lui parla avec fureur de cette affreuse brochure et de la nécessité de se réunir pour en porter les plaintes les plus amères. Il n'y avait plus moyen de supporter de pareilles insolences, etc.

Le duc, tout épouffé de cette sortie, lui demanda des détails sur la brochure. Il lui en rapporta des phrases dont il eut soin d'envenimer les expressions. Le duc s'occupa à calmer les violences de l'ambassadeur, le pria de ne faire aucune démarche sans être entendu avec lui, promit de lire la brochure et lui donna rendez-vous pour le lendemain matin.

 

Pozzo vint reprendre son chapeau qui se trouvait près de moi et me dit:

«Prévenez-les que tout est accommodé», et partit sans avoir échangé une parole avec nos ministres.

Le duc, en revanche, se rapprocha d'eux et fit mille frais pour compenser la mauvaise humeur de son collègue de Russie. Le lendemain matin, Pozzo se rendit chez le duc. Celui-ci avait lu la brochure; sans doute elle était inconvenante, mais moins que le général Pozzo ne l'avait annoncé. Les phrases répétées la veille étaient moins offensantes, l'épithète la plus insultante ne s'y trouvait pas; puis c'était l'œuvre d'un tout jeune homme qui n'avait aucune importance personnelle; enfin la lecture n'avait pas excité la colère du duc autant que celle de Pozzo.

Celle-ci s'était un peu apaisée pendant la nuit. Il se laissa persuader par l'éloquence du duc et consentit à ne point faire d'éclat, d'autant qu'il avait appris que le gouvernement français était indigné et désolé de cette intempestive publication. Il fut donc convenu qu'on la tiendrait pour non avenue; tout au plus en ferait-on mention amiablement pour témoigner en avoir connaissance et n'en tenir aucun compte.

Nous nous amusâmes fort de cette espèce de proverbe. On comprend que Pozzo n'abusait pas de ces formes et qu'il en usait assez sobrement pour que le duc ne pût jamais se douter de l'empire qu'il exerçait sur lui.

Il ne faut pourtant pas croire que le duc de Wellington fût un homme nul. D'abord, il avait l'instinct de la guerre à un haut degré quoiqu'il en sût mal la théorie, et le jugement sain dans les grandes affaires quoique dépourvu de connaissances acquises. Avec peu de moralité dans quelques parties de sa conduite, il était éminemment loyal et franc, c'est-à-dire qu'il ne cherchait jamais à dissimuler sa pensée du jour, ni son engagement de la veille; mais une fantaisie suffisait pour faire changer sa volonté du tout au tout. C'était à combattre ses fréquents caprices, à empêcher qu'ils ne dirigeassent ses actions, que le général Pozzo s'employait habilement, et souvent avec succès. Le duc l'écoutait d'autant plus volontiers qu'il le savait dans sa dépendance par l'événement de 1815 dont j'ai déjà rendu compte.

Les négociations pour l'emprunt avaient été reprises et tout était conclu; on devait signer le lendemain. J'allai passer la soirée chez la duchesse d'Escars, aux Tuileries (son mari était premier maître d'hôtel). Je fus frappée, en arrivant, de voir un groupe nombreux au milieu du salon. Un homme y pérorait.

C'était un certain Rubichon, espèce de mauvais fou, qui avait fait des banqueroutes à peu près frauduleuses dans plusieurs contrées, mais qui n'en était pas moins l'oracle du parti ultra et le financier du pavillon de Marsan. Pour se mieux faire entendre, il était monté sur les barreaux d'une chaise et dominait la foule de la moitié de sa longue et maigre personne. Il prophétisait malheur au gouvernement du Roi, accumulait argument sur argument pour prouver le désordre des finances, l'impossibilité de payer l'impôt et la banqueroute immanquable avant quinze jours. Pour compléter le scandale de cette parade, dans le palais même du Roi et à la clarté des bougies qu'il payait, monsieur Rubichon avait pour auditeurs monsieur Baring et monsieur Labouchère.

Je remarquai en cette occasion l'attitude différente de ces deux hommes. Baring haussait les épaules et, au bout de peu d'instants, s'éloigna. Monsieur Labouchère écoutait avec une grande attention, hochait la tête, sa physionomie se rembrunissait et il éprouvait ou feignait de l'anxiété. Je sus que le lendemain, lorsqu'il s'agit de signer, il voulut faire valoir les inquiétudes de Rubichon pour aggraver les conditions; mais la franche loyauté de Baring s'y opposa, et il combattit lui-même les arguments de son associé.

Il n'en restait pas moins vrai que les plus intimes serviteurs du Roi avaient fait tout ce qui dépendait d'eux pour augmenter les embarras de la position. Ils continuèrent leurs manœuvres. Ils avaient, la veille, déclaré l'emprunt impossible à aucun taux; le lendemain, ils le trouvèrent trop onéreux; et, après avoir proclamé l'augmentation imminente de l'armée d'occupation qui devait, selon eux, s'emparer de nos places fortes, ils se plaignirent amèrement que la conclusion de l'emprunt n'amenât qu'une réduction de trente mille hommes. Voilà le langage des soi-disant amis.

L'opposition, de son côté, faisait des phrases sur ce qu'on ne devait pas expulser les étrangers avec de l'or mais avec du fer. C'étaient autant de nouveaux Camilles. Cela était assurément d'un fort beau patriotisme; mais, hélas! il y avait autour de nos frontières un million de Brennus tout prêts à leur répondre: Malheur aux vaincus!

À la Bourse, les mêmes gens, qui se riaient de pitié quand monsieur Corvetto avait annoncé le désir de faire un emprunt et le déclaraient impossible à aucun prix, se plaignaient de n'en être pas chargés et protestaient qu'ils l'auraient pris à des termes moins onéreux, de manière que ce succès inespéré fut tellement atténué par les haines de parti qu'il n'en resta presque rien au gouvernement du Roi.

J'en fus aussi surprise que désappointée. Depuis plusieurs mois, je voyais négocier cette affaire; je l'avais sue faite et manquée plusieurs fois. J'avais suivi les craintes et les espérances de tous ces bons esprits, de tous ces cœurs patriotiques. Je savais les insomnies qu'ils avaient éprouvées, les anxiétés avec lesquelles on avait attendu un courrier de Berlin… un assentiment de Vienne… Je voyais l'emprunt fait à un taux supportable par des capitalistes étrangers inspirant assez de confiance aux puissances pour qu'elles consentissent à des termes de payements qui le rendaient possible. Elles nous donnaient un témoignage immédiat de leur bonne foi en retirant trente mille hommes de l'armée d'occupation. Il était présumable, dès lors, que l'évacuation complète du territoire suivrait prochainement, et la suite l'a prouvé.

C'était assurément le plus beau succès qu'une administration, placée dans une position aussi difficile, pût obtenir; mais il lui fallait interroger sa propre conscience pour en jouir, car, amis et ennemis, tout le monde l'avait si bien escompté par avance que l'effet en fut fort atténué.

Le duc de Richelieu était un des hommes qui pouvait le mieux se replier sur son noble cœur et se trouver suffisamment payé par les services qu'il rendait. Je dis lui, particulièrement, parce que la confiance inspirée par sa loyauté avait contribué plus qu'aucune autre chose au succès de la négociation; mais ses collègues avaient partagé ses veilles et ses travaux; ils méritaient une part de reconnaissance si les nations savaient en avoir quand elles souffrent.

Pour moi, qui ne me piquais pas d'autant de philosophie, je fus indignée de cette ingratitude; Pozzo en rugissait.

CHAPITRE VIII

Madame la duchesse de Berry. – La duchesse de Reggio. – Le mariage de mon frère avec mademoiselle Destillières est convenu. – Scène aux Tuileries. – Le Roi est malade. – Le Manuscrit de Sainte-Hélène. – Lectures chez mesdames de Duras et d'Escars. – Succès de cette publication apocryphe.

J'avais fait ma cour en arrivant, mais je n'avais pas vu madame la duchesse de Berry qu'un commencement de grossesse retenait chez elle. Je l'aperçus pour la première fois au bal chez le duc de Wellington; elle me parut infiniment mieux que je ne m'y attendais.

Sa taille, quoique petite, était agréable; ses bras, ses mains, son col, ses épaules d'une blancheur éclatante et d'une forme gracieuse; son teint beau et sa tête ornée d'une forêt de cheveux blond cendré admirables. Tout cela était porté par les deux plus petits pieds qu'on pût voir. Lorsqu'elle s'amusait ou qu'elle parlait et que sa physionomie s'animait, le défaut de ses yeux était peu sensible; je l'aurais à peine remarqué si je n'en avais pas été prévenue.

Son état l'empêchait de danser; mais elle se promena plusieurs fois dans le bal donnant le bras à son mari. Elle n'avait ni grâce, ni dignité.

Elle marchait mal et les pieds en dedans; mais ils étaient si jolis qu'on leur pardonnait, et son air d'excessive jeunesse dissimulait sa gaucherie. À tout prendre, je la trouvai bien. Son mari en paraissait fort occupé ainsi que Monsieur (le comte d'Artois) et madame la duchesse d'Angoulême. Quant à monsieur le duc d'Angoulême, il s'y trouvait si mal à son aise que, dès qu'il entrait dans un salon, sa seule pensée était le désir d'en sortir et qu'il n'y restait jamais plus d'un quart d'heure, se contentant de faire acte de présence quand cela était indispensable.

Madame la duchesse de Berry était arrivée en France complètement ignorante sur tout point. Elle savait à peine lire. On lui donna des maîtres. Elle aurait pu en profiter, car elle avait de l'esprit naturel et le sentiment des beaux-arts; mais personne ne lui parla raison, et, si on chercha à lui faire apprendre à écorcher un clavier ou à barbouiller une feuille de papier, on ne pensa guère, en revanche, à lui enseigner son métier de princesse.

Son mari s'amusait d'elle comme d'un enfant et se plaisait à la gâter. Le Roi ne s'en occupait pas sérieusement. Monsieur y portait sa facilité accoutumée. Madame la duchesse d'Angoulême, seule, aurait voulu la diriger, mais elle y mettait des formes acerbes et dominatrices.

Madame la duchesse de Berry commença par la craindre, et bientôt la détesta. Madame la duchesse d'Angoulême ne fut pas longtemps en reste sur ce sentiment que monsieur le duc de Berry combattit faiblement; car, tout en rendant justice aux vertus de sa belle-sœur, il n'avait aucun goût pour elle. Menant, d'ailleurs, une vie plus que légère, il ne se souciait pas de contrarier sa femme et lui soldait en complaisances les torts qu'il avait d'un autre côté.

C'était un bien mauvais calcul pour tous deux, car la petite princesse avait fini par devenir aussi exigeante que maussade. Son mari lui répétait sans cesse qu'elle ne devait faire que ce qui l'amusait et lui plaisait, ne se gêner pour personne et se moquer de ce qu'on en dirait. De toutes les leçons qu'on lui prodiguait, c'était celle dont elle profitait le plus volontiers et dont elle ne s'est guère écartée.

Il était curieux de lui voir tenir sa Cour, ricanant avec ses dames et n'adressant la parole à personne. Il n'y a pas de pensionnaire qui ne s'en fût mieux tirée, et pourtant, je le répète, il y avait de l'étoffe dans madame la duchesse de Berry. Une main habile en aurait pu tirer parti. Rien de ce qui l'entourait n'y était propre, excepté peut-être la duchesse de Reggio, sa dame d'honneur; mais elle n'avait aucun crédit. Cette nomination avait fait honneur au bon jugement de monsieur le duc de Berry et à la sagesse du Roi.

Madame la maréchale Oudinot, duchesse de Reggio, représentait le régime impérial à la nouvelle Cour d'une façon si convenable et si digne que personne n'osait se plaindre de la situation où on l'avait placée, quoique les charges de Cour excitassent particulièrement l'envie du parti royaliste qui les regardait comme sa propriété exclusive.

Il avait fallu à la duchesse beaucoup de tact et d'esprit pour fonder sa position dans un monde tout nouveau et tout hostile. Elle y avait réussi sans aucune assistance, car le maréchal Oudinot, brave soldat s'il en fut, ne savait que jouer, fumer, courir les petites filles et faire des dettes. Il fallait donc que sa femme eût de la considération pour deux et elle y réussissait. Ajoutons que le maréchal avait de grands enfants d'une première femme dont elle avait su se faire adorer.

Il aurait été bien heureux qu'elle prit de l'ascendant sur madame la duchesse de Berry; cela n'arriva pas. La duchesse de Reggio lui inspirait du respect; elle avait recours à elle pour réparer ses gaucheries, mais elle la gênait: elle n'avait pas de confiance en elle et, à proportion que sa conduite est devenue plus légère, elle s'en est éloignée davantage.

Je ne comptais rester que peu de semaines à Paris; un événement de famille m'y retint plus longtemps que je n'avais présumé. J'avais trouvé mon frère en grande coquetterie avec mademoiselle Destillières. Nous l'avions connue dans sa très petite enfance. Elle était ravissante et ma mère en raffolait. Il paraît que, dès lors, elle disait ne vouloir épouser que monsieur d'Osmond.

La mort de ses parents l'avait laissée héritière d'une immense fortune et maîtresse de son sort. Sa main était demandée par les premiers partis de France, et mon frère ne songeait point à se mettre sur les rangs; mais elle lui fit de telles avances qu'il en devint sincèrement épris et s'engagea, quoique avec réticence, dans le bataillon des prétendants. Elle ne l'y laissa pas longuement dans la foule. Au bout de peu de temps, elle l'autorisa à charger mon père de la demander en mariage, pour la forme, à son oncle qui était son tuteur mais dont elle ne dépendait en aucune façon.

 

Cet oncle s'était accoutumé à l'idée qu'elle resterait fille et qu'il continuerait à disposer de sa fortune. Ce sort lui paraissait assez doux pour en souhaiter la prolongation indéfinie. Ainsi, loin de combattre les répugnances de mademoiselle Destillières à accepter les partis qu'on lui avait jusqu'alors proposés, il cherchait à les accroître en lui faisant insinuer, par des personnes à sa dévotion, que sa santé, très délicate, lui rendait le célibat nécessaire.

Lors donc que la lettre officielle de mon père lui fut remise, par un ami commun, monsieur de Bongard articula très poliment un refus absolu et alla rendre compte à sa nièce de la demande et de la réponse, fondée, comme à l'ordinaire, sur ce qu'elle ne voulait pas se marier.

«Vous vous êtes trompé, mon oncle, je ne voulais pas épouser les autres; mais je veux épouser monsieur d'Osmond.»

Monsieur de Bongard pensa tomber à la renverse. Il fallut bien reprendre ses paroles, mais tous ses soins furent employés à retarder le mariage. Soit qu'il se flattât de quelque circonstance qui pût le faire rompre, soit qu'il eût besoin d'un long intervalle pour régulariser l'illégalité de la gestion de sa tutelle, portée à un point fabuleux autant, je crois, par incurie que par malversation, il épuisait tous les prétextes pour gagner du temps.

Les jeunes gens, en revanche, étaient très pressés et me demandaient de rester de jour en jour, prétendant que mon départ fournirait un argument de plus à monsieur de Bongard pour éloigner la noce. Il en vint pourtant à ses fins, car le mariage, arrangé au mois de février et qui devait, s'accomplir le premier, le dix, le vingt de chaque mois, n'eut lieu qu'en décembre.

Quoique le mariage de mademoiselle Destillières fût de toutes les nouvelles du jour celle qui m'intéressait le plus, je m'occupais encore cependant des événements publics; et je fus très consternée, un matin, en apprenant que le roi Louis XVIII était très mal. Il donna de vives inquiétudes pendant un moment.

La loi d'élection se discutait à la Chambre des députés. Les princes étaient en opposition directe au gouvernement, car alors le cabinet était composé de gens raisonnables. Monsieur le duc de Berry ameutait contre la loi et, dans une soirée chez lui, cabala tout ouvertement pour grossir l'opposition. Le Roi en fut informé, le fit appeler, et le tança vertement.

Monsieur le duc de Berry se plaignit à son père et à sa belle-sœur. Ils mirent en commun leurs griefs, s'échauffèrent les uns les autres, et enfin, le soir après le dîner, Monsieur, portant la parole, les exposa durement au Roi. Le Roi répondit vivement. Madame et le duc de Berry s'en mêlèrent; la querelle s'exalta à tel point que Monsieur dit qu'il quitterait la Cour avec ses enfants.

Le Roi répondit qu'il y avait des forteresses pour les princes rebelles. Monsieur répliqua que la charte n'admettait pas de prison d'État (car cette pauvre charte est invoquée par ceux qui l'aiment le moins) et on se quitta sur ces termes amicaux. Monsieur le duc d'Angoulême avait seul gardé un complet silence. Le respect dû au père rachetait en lui le respect dû au Roi, de façon qu'il se serait fait scrupule de donner tort ou raison à aucun des deux.

La colère une fois passée, tous furent fâchés de la violence des paroles. Le pauvre Roi pleurait le soir en en parlant à ses ministres; mais cette scène l'avait tellement éprouvé qu'elle avait arrêté la digestion de son dîner. La goutte dans l'estomac s'y ajouta; il pensa étouffer dans la nuit et, pendant plusieurs jours consécutifs, il fut assez mal.

Ce fut une occasion pour sa famille de lui témoigner une affection à laquelle il feignait de croire pour acquérir un peu de repos, mais dont il faisait peu d'état. Le public savait aussi bien que le Roi l'opposition des princes; et la plaisanterie du moment était d'appeler les boules noires mises au scrutin les prunes de Monsieur.

Je m'applique à ne point parler des événements connus sur lesquels je ne sais aucun détail particulier. Ainsi je ne dirai rien de la représentation de Germanicus, tragédie de monsieur Arnault, alors proscrit de France, qui exalta au dernier degré les passions des partis impérialiste et royaliste.

Les sages précautions prises par l'autorité pour empêcher une collision entre les jeunes gens de l'ancienne armée et les gardes du corps leur parurent à tous entachées de partialité, et les deux partis se proclamèrent lésés et persécutés par l'autorité. On pourrait peut-être en conclure qu'elle avait été seulement sage et paternelle; mais les hommes, quand ils sont animés par la passion, ne jugent pas si froidement et la fermentation était restée grande.

C'est dans ce moment que je reçus de Londres le premier exemplaire du Manuscrit de Sainte-Hélène. Je le lus avec un extrême intérêt; mais je me rappelle avoir mandé à ma mère qu'il arrivait trop à propos et répondait trop bien aux passions du moment pour me permettre de croire à son authenticité. C'était le manifeste du parti bonapartiste tel qu'il existait en ce moment à Paris, et il était presque impossible de penser que, tracé au delà de l'Atlantique, il pût arriver précisément à l'instant opportun. Au reste, il me parut tellement propre à servir de mèche que je ne voulus prendre aucune part à faciliter l'explosion. Ce livre, renfermé sous clef, ne sortit pas de chez moi et je n'en soufflai mot.

Le surlendemain, madame de Duras me demanda si mes lettres de Londres parlaient d'un écrit de l'Empereur. Je répondis hardiment que non. Au bout d'une dizaine de jours, je reçus un petit billet d'elle pour me recommander de ne pas manquer à venir passer la soirée chez elle. J'y trouvai une cinquantaine de personnes réunies, la table, les bougies, le verre d'eau sucrée de rigueur pour le lecteur; on allait commencer. Quoi? le Manuscrit de Sainte-Hélène! La même représentation se renouvela le lendemain chez la duchesse d'Escars.

Pendant ces soirées, j'étais poursuivie d'une idée que je ne pouvais chasser. Je voyais Bonaparte apprenant que, chez le maréchal Duroc, une troupe de chambellans et de dames du palais étaient réunis pour entendre et se passionner du récit bien pathétique de l'expulsion de Louis XVIII de Mitau, des gardes du corps pleurant sur ses mains, de Madame leur distribuant ses diamants pour les empêcher de mourir de faim, de leur vieux Roi les bénissant, de l'abbé Marie quittant volontairement un monde où l'injustice seule triomphait, etc., et toute la société impérialiste, émue jusqu'aux larmes, surprise par l'entrée de l'Empereur au milieu d'elle!

Quelles auraient été ses frayeurs! Comme Vincennes aurait été peuplé le lendemain! Au reste, personne ne s'y serait risqué. Grâce au ciel, et honneur en soit rendu à la Restauration, la lecture, chez les dames que je viens de citer, pouvait être déplacée, inconvenante, dangereuse même pour le pays; mais elle ne pouvait troubler la sécurité de ceux qui y assistaient.

Jamais aucune publication, de mon temps, n'a fait autant d'effet. Il n'était plus permis d'élever un doute sur son authenticité, et, plus on avait approché l'Empereur, plus on soutenait l'ouvrage de lui.

Monsieur de Fontanes reconnaissait chaque phrase. Monsieur Molé entendait le son de sa voix disant ces mêmes paroles. Monsieur de Talleyrand le voyait les écrire. Le maréchal Marmont retrouvait des expressions de leur mutuelle jeunesse dont lui seul avait pu se servir, etc. Et tous et chacun étaient électrisés par cette émanation directe du grand homme.