Si elle se cachait

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Kate se demanda d’ailleurs s’il n’y avait pas plus à découvrir que ce qu’elle voyait – et si c’était le cas, ce qu’il faudrait qu’elle fasse pour avoir tous les éléments en main.

CHAPITRE TROIS

Le commissariat de Deton était exactement ce à quoi Kate s’attendait. Il était situé au bout du tronçon de nationale qui traversait la ville et c’était un simple bâtiment en briques avec un drapeau américain flottant au sommet. Quelques voitures de patrouille étaient garées à côté de l’édifice et leur nombre réduit reflétait la taille de la ville elle-même.

À l’intérieur, un espace ouvert occupait l’essentiel du bâtiment. Un guichet de réception se trouvait à l’entrée mais il était actuellement vide. En fait, l’endroit avait l’air plutôt désert. Elles suivirent Barnes au fond du bâtiment, le long d’un couloir sur lequel s’ouvraient cinq bureaux, dont l’un d’entre eux était orné d’une plaque indiquant Shérif Barnes. Barnes les guida jusqu’à la dernière salle du couloir, une toute petite pièce qui avait été aménagée en une sorte de salle de conférence. Un officier était assis à la table et feuilletait une pile de documents.

« Agents, je vous présente l’officier Foster, » dit Barnes.

L’officier Foster était un homme jeune, qui devait probablement avoir la trentaine. Il avait les cheveux rasés et un air renfrogné. Kate vit tout de suite qu’il n’était pas du genre à plaisanter. Ce n’était pas le genre à raconter des blagues pour détendre l’atmosphère, ni à s’encombrer de conversations futiles pour mieux apprendre à connaître les agents assis en face de lui.

Kate sut tout de suite qu’il allait lui plaire.

« L’officier Foster est la personne de référence qui a centralisé toutes les informations concernant cette affaire depuis que le pasteur Poulson nous a appelés, » expliqua Barnes. « Toutes les informations que nous avons reçues sont passées par lui et il les a ajoutées aux dossiers de l’enquête. Quelle que soit la question que vous avez, il pourra probablement y répondre. »

« Je ne sais pas si ce sera le cas, » dit Foster, « mais je ferai certainement de mon mieux pour y répondre. »

« Savez-vous à qui les trois Fuller ont pu parler – à part l’un avec l’autre – avant les meurtres ? » demanda Kate.

« Alvin Fuller a parlé à un ancien ami du lycée, au moment où il sortait d’une station-service située sur la nationale 44, » dit Foster. « Il rentrait du boulot, il s’était arrêté pour acheter des bières et il est tombé sur lui par hasard. L’ami nous a raconté qu’ils ont essentiellement parlé de leur travail et de leur famille. Une conversation très superficielle, pour rester poli. L’ami dit qu’il n’a rien remarqué de spécial chez Alvin.

« Quant à Wendy Fuller, la dernière personne à laquelle elle a parlé est une collègue de travail. Wendy travaillait dans le petit entrepôt d’expédition qui se trouve aux abords de la ville. La collègue en question nous a dit que la dernière chose dont elles avaient parlé, c’était que Wendy était préoccupée par le fait que Mercy commence à s’intéresser aux garçons. Mercy avait apparemment récemment embrassé son premier garçon et Wendy était préoccupée à ce sujet. Mais à part ça, elle avait l’air tout à fait normale, comme à son habitude. »

« Et qu’en est-il de Mercy ? » demanda DeMarco.

« La dernière personne à laquelle elle a parlé est sa meilleure amie, une fille du nom d’Anne Pettus. On a parlé à deux reprises à Anne, pour s’assurer qu’elle racontait à chaque fois la même histoire. Elle nous a dit que la dernière conversation qu’elles avaient eue était concernant un garçon du nom de Charlie. Selon Anne, ce Charlie n’était pas le petit-ami de Mercy. Anne nous a également raconté quelque chose qui contredit un peu ce que les parents de Mercy pouvaient savoir à son sujet. »

« Comme un mensonge ? » demanda Kate.

« Oui. Selon les dires de la collègue de Wendy, la mère était apparemment préoccupée par le fait que sa fille ait embrassé un garçon pour la première fois. Mais selon Anne Pettus, ce n’est pas vrai. Apparemment, Mercy aurait eu son premier baiser il y a déjà très longtemps. »

« Est-ce que c’était une fille un peu légère ? »

« Anne n’a pas dit ça mais elle a dit qu’elle savait avec certitude que Mercy avait déjà fait bien plus qu’embrasser un garçon. »

« Concernant sa disparition, vers quelles hypothèses nous mènent les indices récoltés jusqu’à présent ? » demanda Kate. « Qu’elle pourrait avoir été enlevée, ou qu’elle serait partie de son propre chef ? »

« À moins que vous trouviez de nouveaux indices, il n’y a aucun signe qui nous fait penser que Mercy ait été enlevée contre sa volonté. En fait, nous avons même trouvé certains éléments qui suggèrent qu’elle pourrait être partie de son propre chef. »

« Quel genre d’éléments ? »

« Selon Anne, Mercy avait un peu d’argent de côté. Elle savait même où elle le cachait : au fond de son tiroir à chaussettes. On a vérifié et on a retrouvé environ trois cents dollars. Ce qui va un peu à l’encontre de l’hypothèse qu’elle ait décidé de partir d’elle-même car elle aurait sûrement emporté cet argent, non ? Mais la dernière chose que Mercy a payé avec sa carte de crédit, c’était un plein d’essence environ deux ou trois heures avant que les corps de ses parents ne soient retrouvés. Avant ça, deux jours plus tôt, elle a acheté quelques produits de toilette de voyage dans un magasin à Harrisonburg : une brosse à dents, du dentifrice et du déodorant. Cet achat se reflète sur ses relevés de carte de crédit et Anne nous l’a confirmé, vu qu’elle l’accompagnait ce jour-là. »

« Est-ce qu’elle a demandé à Mercy pourquoi elle avait besoin de ces articles de toilette de voyage ? » demanda Kate.

« Oui. Mercy lui a répondu qu’elle n’avait plus grand-chose chez elle et qu’elle n’avait pas envie de devoir demander à ses parents de lui en acheter. »

« Et aucun petit-ami connu ? » demanda Kate.

« Pas selon Anne. Et elle avait l’air de tout savoir sur Mercy. »

« J’aimerais parler à Anne, » dit Kate. « Est-ce que vous pensez qu’elle serait réceptive à cette idée ou qu’elle serait plutôt réticente ? »

« Elle serait certainement ravie de vous parler, » dit Foster.

« Il a raison, » ajouta Barnes. « Elle nous a même appelés à plusieurs reprises après avoir été interrogée pour savoir si on avait du neuf. Elle est vraiment disposée à aider. Et sa famille aussi, qui nous a laissés lui parler sans aucun problème. Si vous voulez, je peux les appeler pour arranger un rendez-vous. »

« Ce serait formidable, » dit Kate.

« C’est une fille forte, » dit Foster. « Mais juste entre nous… je pense qu’elle cache quelque chose. Peut-être rien de grave en soi. Mais je pense qu’elle veut être sûre de ne rien révéler de négatif concernant sa meilleure amie disparue. »

C’est compréhensible, pensa Kate.

Mais elle savait également que le fait qu’elles soient meilleures amies était une raison plus que suffisante pour ne pas vouloir tout leur raconter.

***

Les parents d’Anne l’avait naturellement autorisée à rester à la maison et à ne pas aller à l’école. Quand Kate et DeMarco arrivèrent à la maison des Pettus – qui était située sur une route similaire à celle où les Fuller vivaient – les parents se trouvaient derrière la porte d’entrée et les attendaient. Kate les vit à travers la porte moustiquaire au moment où elle se garait dans leur allée en forme de U.

Monsieur et madame Pettus sortirent sur le porche pour aller à leur rencontre. Le père avait les bras croisé et un air triste sur le visage. La mère avait l’air fatiguée, elle avait les yeux injectés de sang et les épaules affaissées.

Après une brève présentation, monsieur et madame Pettus allèrent directement au but. Ils ne furent ni impolis, ni insistants, mais ils s’exprimèrent comme des parents préoccupés qui voulaient éviter que leur fille passe par des moments désagréables sans que ce ne soit absolument nécessaire.

« On dirait qu’elle va de mieux en mieux au fur et à mesure qu’elle en parle, » dit madame Pettus. « Je pense que plus le temps passe, plus elle commence à comprendre que sa meilleure amie n’est pas forcément morte. Plus elle commence à envisager le fait qu’elle ait tout simplement disparu, plus elle a envie d’aider à la retrouver. »

« Il n’empêche, » ajouta monsieur Pettus, « que j’apprécierais fortement si vous lui posiez des questions assez brèves et que vous gardiez un ton optimiste. Nous n’allons pas intervenir pendant que vous l’interrogez, mais s’il y a quoi que ce soit qui semble la bouleverser, nous mettrons fin à votre visite. »

« C’est tout à fait compréhensible, » dit Kate. « Et je vous promets que nous ferons très attention à la manière dont nous lui parlons. »

Monsieur Pettus hocha la tête et finit par leur ouvrir la porte d’entrée. Quand elles entrèrent dans la maison, Kate vit tout de suite Anne Pettus. Elle était assise sur le divan, avec les mains serrées entre les genoux. Tout comme sa mère, elle avait l’air fatiguée et bouleversée. Kate savait que les adolescentes avaient tendance à avoir des liens très fort avec leurs meilleures amies. Elle ne pouvait imaginer la quantité d’émotions qui devaient traverser cette pauvre jeune fille.

« Anne, » dit madame Pettus. « Voici les agents dont nous t’avons parlé. Est-ce que tu veux toujours bien répondre à leurs questions ? »

« Oui, maman. Ça va aller. »

Les parents firent un petit signe de la tête en direction de Kate et DeMarco et ils prirent place de chaque côté de leur fille. Kate remarqua qu’Anne commença vraiment à être mal à l’aise au moment où ses parents se retrouvèrent à côté d’elle.

 

« Anne, » dit Kate, « on va essayer de faire vite. On nous a déjà raconté tout ce que tu as dit à la police, alors nous n’allons pas te demander de tout répéter à nouveau. À une seule exception. J’aimerais en savoir plus concernant les achats que Mercy a faits à Harrisonburg. Elle y a acheté plusieurs articles de toilette de voyage, c’est bien ça ? »

« Oui. J’ai trouvé ça bizarre. Elle s’est contentée de me dire qu’elle n’avait plus grand-chose chez elle. Du dentifrice, une petite brosse à dents, du déodorant, ce genre de choses. Je lui ai demandé pourquoi c’était elle qui les achetait et pas ses parents, mais elle a en quelque sorte éludé la question. »

« Est-ce que tu penses qu’elle était heureuse à la maison ? »

« Oui. Mais bon… elle a quinze ans. Elle adore ses parents mais elle déteste cet endroit. Elle parle de quitter Deton depuis qu’elle a au moins dix ans. »

« Est-ce que tu sais pourquoi ? » demanda DeMarco.

« Il n’y a rien à faire ici, on s’ennuie, » dit Anne. Elle regarda ses parents d’un air désolé. « Je suis juste un peu plus âgée que Mercy. J’ai seize ans et j’ai mon permis. Et parfois, on allait se promener ensemble pour faire du shopping, aller voir un film. Mais il faut au moins rouler une heure pour pouvoir faire ce genre de choses. Il n’y a rien à faire à Deton. »

« Est-ce que tu sais où elle aurait voulu aller ? »

« À Palm Springs, » dit Anne, en riant. « Elle avait vu une série avec des gens qui faisaient la fête à Palm Springs et elle avait beaucoup aimé. »

« Est-ce qu’elle envisageait d’aller à une université en particulier ? »

« Je ne pense pas. Sur le peu d’informations qu’on a reçu à l’école concernant des universités, elle avait montré de l’intérêt pour l’université de Virginie et celle de Wake Forest, en Caroline du Nord. Mais… je ne sais pas si ça l’intéressait vraiment. »

« Est-ce que tu peux nous parler de Charlie ? » demanda Kate. « Nous avons vu son nom dans son journal intime et nous savons qu’ils étaient au moins assez proches pour échanger un rapide baiser entre deux cours. Mais selon la police, tu as dit que Mercy n’avait pas de petit-ami. »

« Non, elle n’en a pas. »

Kate remarqua que le ton d’Anne changea légèrement à ces mots. Elle avait également l’air un peu plus tendue. Apparemment, c’était un sujet sensible. Mais vu qu’elle n’avait que seize ans et que ses parents étaient assis à côté d’elle, Kate savait qu’elle ne pouvait pas l’accuser directement de mentir. Il lui fallait adopter une autre approche. Peut-être qu’il y avait des choses concernant son amie qu’elle ne voulait tout simplement pas dire à haute voix.

« Alors Charlie et elle étaient juste amis ? » demanda Kate.

« En quelque sorte. Je pense qu’ils s’aimaient bien mais qu’ils ne voulaient pas vraiment sortir ensemble. Vous comprenez ? »

« Est-ce qu’elle a fait d’autres choses avec Charlie, hormis le fait d’échanger un baiser ? »

« Si c’était le cas, Mercy ne m’en a jamais parlé. Et elle me racontait tout. »

« Est-ce que tu sais si elle cachait des choses à ses parents ? »

Kate remarqua à nouveau qu’Anne avait l’air un peu mal à l’aise. Ce fut un bref instant et une expression fugace sur son visage, mais Kate reconnut cet air qu’elle avait déjà vu d’innombrables fois dans le passé – surtout dans des enquêtes où des adolescents étaient impliqués. Un éclair fugace dans les yeux, bouger de manière inconfortable sur sa chaise, en répondant du tac au tac sans réfléchir à la réponse, ou en prenant bien trop de temps pour répondre.

« À nouveau, si c’était le cas, elle ne m’en a jamais parlé. »

« Et point de vue job ? » demanda Kate. « Est-ce que Mercy travaillait quelque part ? »

« Pas récemment. Il y a quelques mois d’ici, elle travaillait une dizaine d’heures par semaine comme tuteur pour des enfants du collège. Elle donnait des cours d’algèbre, je pense. Mais ils ont arrêté parce qu’il n’y avait pas assez d’enfants qui venaient à ces cours de rattrapage. »

« Est-ce que ça lui plaisait ? » demanda DeMarco.

« Oui, je pense. »

« Elle ne t’a jamais raconté d’anecdotes particulières en rapport avec ce job de tuteur ? »

« Non, aucune. »

« Mais tu es certaine que Mercy te racontait tout, n’est-ce pas ? » demanda DeMarco.

Anne eut l’air légèrement mal à l’aise à cette question. C’était peut-être aussi la première fois qu’elle était interrogée d’une manière aussi conflictuelle – en remettant en cause quelque chose qu’elle a affirmé être vrai.

« Je pense, » dit Anne. « C’était… c’est ma meilleure amie. Et j’insiste sur le c’est parce qu’elle est toujours vivante. Je le sais. Parce que si elle est morte… »

Sa phrase resta en suspens pendant un moment. Kate vit que l’émotion sur le visage d’Anne était bien réelle. Elle savait qu’Anne ne tarderait plus à se mettre à pleurer. Et si ça arrivait, Kate était certaine que ses parents allaient leur demander de partir. Cela voulait dire qu’elles n’avaient plus beaucoup de temps devant elles – et que Kate allait devoir être un peu plus directe si elle espérait obtenir des réponses.

« Anne, on veut vraiment découvrir ce qui est arrivé. Et tout comme toi, nous pensons que Mercy est toujours vivante. Mais dans le cas de disparitions, le timing est vraiment crucial. Plus le temps passe, plus nos chances de la retrouver diminuent. Alors s’il te plaît… s’il y a quoi que ce soit que tu n’as pas voulu dire à la police de Deton, c’est important que tu nous le dises à nous. Je sais que dans une petite ville comme celle-ci, tu dois sûrement te préoccuper de ce que les autres vont penser et… »

« Je pense que ça suffit, » dit monsieur Pettus. Il se leva et se dirigea vers la porte. « Je n’aime pas beaucoup le fait que vous sous-entendiez que notre fille ait pu cacher des informations. Et vous voyez bien qu’elle est bouleversée, là. »

« Monsieur Pettus, » dit DeMarco. « Si Anne… »

« Nous avons été plus que flexibles sur le fait qu’elle réponde à vos questions, mais c’est fini maintenant. Alors, s’il vous plaît… je vous prie de partir. »

Kate et DeMarco échangèrent un regard démoralisé et se levèrent de leur siège. Kate fit trois pas en direction de la porte avant d’être stoppée net par la voix d’Anne.

« Non… attendez. »

Les quatre adultes se retournèrent vers Anne. Des larmes coulaient maintenant sur ses joues et son regard s’était durci. Elle regarda un instant ses parents avant de détourner les yeux, d’un air gêné.

« Qu’est-ce qu’il y a ?” demanda madame Pettus à sa fille.

« Mercy a bien un petit-ami. Enfin, en quelque sorte. Mais ce n’est pas Charlie. C’est cet autre garçon… et elle n’en a jamais parlé à personne parce que si ses parents l’apprenaient, ils seraient devenus fous. »

« Et qui est ce garçon ? » demanda Kate.

« Un type qui vit près de Deerfield. Il est plus âgé… dix-sept ans. »

« Et ils sortaient ensemble ? » demanda DeMarco.

« Ce n’était pas vraiment sortir ensemble. Mais ils se voyaient. Et quand ils se retrouvaient, je pense… eh bien, je pense que c’était uniquement physique. Mercy aimait beaucoup le fait qu’un garçon plus âgé lui accorde de l’attention, vous voyez ? »

« Et pourquoi est-ce que ses parents n’auraient pas approuvé ? » demanda Kate.

« Eh bien, tout d’abord en raison de leur différence d’âge. Mercy a quinze ans et ce type en a presque dix-huit. Mais c’est aussi un type pas trop fréquentable. Il a arrêté l’école et il traîne avec des gens pas très recommandables. »

« Est-ce que tu sais si leur relation était sexuelle ? » demanda Kate.

« Elle ne me l’a jamais dit. Mais je pense que c’était le cas parce que quand je la taquinais à ce sujet, elle restait silencieuse. »

« Anne, » dit monsieur Pettus. « Pourquoi n’en as-tu pas parlé à la police ? »

« Parce que je ne voulais pas qu’on pense mal de Mercy. Elle… c’est ma meilleure amie. Elle est vraiment gentille et… ce type, c’est une racaille. Je ne comprends pourquoi elle l’aimait autant. »

« Comment s’appelle-t-il ? » demanda Kate.

« Jeremy Branch. »

« Tu as dit qu’il avait quitté l’école. Est-ce que tu sais où il travaille ? »

« Non, pas vraiment. Il fait des petits boulots de temps en temps en forêt, il coupe du bois ou aide les équipes d’abattage. Mais selon Mercy, la majorité du temps, il se contente de traîner chez son grand frère et de boire toute la journée. Je n’en suis pas tout à fait sûre, mais je pense qu’il vend de la drogue. »

Kate fut presque désolée pour Anne. À voir l’expression sur le visage de ses parents, il était clair qu’ils allaient avoir une sérieuse discussion avec elle quand Kate et DeMarco seraient parties. En sachant ça, Kate s’approcha d’Anne et s’assit à côté d’elle, à l’endroit où son père se trouvait quelques minutes plus tôt.

« Je sais que c’était difficile pour toi de nous raconter tout ça, » dit Kate. « Mais tu as fait ce qu’il fallait faire. Tu nous a donné une piste potentielle qui va peut-être nous permettre de découvrir ce qui s’est passé. Je te remercie, Anne. »

Sur ces mots, elle fit un geste poli de la tête en direction des parents d’Anne et prit congé. En se dirigeant vers leur voiture, DeMarco sortit son téléphone. « Tu sais où se trouve Deerfield ? » demanda-t-elle.

« À une vingtaine de minutes dans les bois, » dit Kate. « Si tu pensais que Deton était une petite ville, tu n’as encore rien vu. »

« J’appelle le shérif Barnes pour voir s’il a une adresse à nous donner. »

Et c’est exactement ce qu’elle fit au moment où elles entrèrent dans la voiture. Kate eut soudain un regain d’énergie. Elles avaient une piste, l’aide de la police locale et le reste de la journée devant elles. En sortant de l’allée des Pettus, elle ne put s’empêcher d’avoir plutôt bon espoir.

CHAPITRE QUATRE

Bien que DeMarco ait obtenu une adresse très claire de Barnes, Kate ne put s’empêcher de se demander si Barnes ne s’était pas trompé ou si DeMarco avait mal compris. Elle repéra l’adresse de la maison cinq minutes après être entrée dans Deerfield, collée en lettres noires sur une boîte aux lettres miteuse. Mais au-delà de la boîte aux lettres, il n’y avait rien d’autre que des champs et des forêts, comme dans le reste de cette localité de Deerfield en Virginie.

À environ deux mètres de la boîte aux lettres, elle vit des traces qui ressemblaient vaguement à une sorte d’allée. De mauvaises herbes avaient poussé un peu partout, en cachant presque l’entrée. Elle s’engagea dans l’allée et se retrouva sur un étroit sentier en terre qui menait à un espace ouvert plusieurs mètres plus loin. Ça devait être une sorte de jardin qui n’avait probablement pas été tondu depuis très longtemps. Elle y vit trois voitures garées, dont deux étaient de véritables épaves. Elles étaient garées le long d’un tronçon qui devait correspondre au bout de l’allée.

À quelques mètres des voitures, se trouvait un grand mobile home, installé à proximité de la vaste forêt qui s’étendait derrière. C’était le genre de mobile home qui ressemblait beaucoup à une maison, vu de l’extérieur, et qui aurait pu être un endroit assez joli s’il avait été bien entretenu. Mais le porche avant penchait légèrement et une des rambardes manquait. Il y avait également une gouttière qui pendait sur le côté droit et le jardin était envahi de mauvaises herbes.

Kate et DeMarco se garèrent derrière les voitures et s’avancèrent lentement en direction de la maison. Les mauvaises herbes arrivaient aux genoux de Kate.

« J’ai l’impression d’être en safari, » dit DeMarco. « Tu as pris ta machette ? »

Kate se contenta de sourire, les yeux rivés sur la porte d’entrée. Avec ce qu’Anne Pettus leur avait raconté, elle était presque sûre de savoir ce qu’elles allaient trouver à l’intérieur : Jeremy Branch et son grand frère, occupés à ne rien faire. Il y aurait probablement une vague odeur de poussière et de poubelles, peut-être même de marijuana. Il y aurait des bouteilles de bières qui traîneraient un peu partout autour de fauteuils bon marché, qui seraient tournés vers un grand écran de télé. Elle avait vu ce genre d’intérieurs un nombre incalculable de fois, surtout quand il s’agissait de jeunes désœuvrés vivant à la campagne.

Elles montèrent les marches qui menaient au porche et Kate frappa à la porte. Elle entendit le murmure d’une musique venant de l’intérieur, un air assez violent mais à faible volume. Elle entendit également des pas lourds s’approcher de la porte. Quand elle s’ouvrit quelques secondes plus tard, elle vit un jeune homme en débardeur et en short. Il était mal rasé, son bras gauche était couvert de tatouages et ses deux oreilles étaient percées.

 

Il commença d’abord par sourire en voyant deux femmes devant sa porte d’entrée mais très vite, il parut se rendre compte de la situation. Ce n’était pas juste deux femmes – c’était deux femmes habillées de manière professionnelle et avec un air sérieux sur le visage.

« Qui êtes-vous ? » demanda-t-il.

DeMarco montra son badge, en faisant un pas en direction de la porte. « Agents DeMarco et Wise, » dit-elle. « Nous aurions aimé parler à Jeremy Branch. »

Le jeune homme eut l’air sincèrement étonné et un peu effrayé. Il fit un pas en arrière et il les regarda d’un air confus. « C’est… eh bien, c’est moi. Mais pourquoi voulez-vous me parler ? »

« J’imagine que vous avez entendu parler de ce qui est arrivé à une jeune fille de Deton, » dit Kate. « Une jeune fille du nom de Mercy Fuller. »

L’expression de son visage indiqua à Kate tout ce qu’elle avait besoin de savoir. Sans même dire un mot, son expression confirmait qu’il connaissait Mercy. Il hocha la tête et jeta un regard derrière lui, vers l’intérieur du mobile home, comme s’il cherchait l’aide de son grand frère.

« Pouvez-vous me le confirmer ? » demanda Kate.

« Oui, j’ai entendu parler de ce qui est arrivé. Elle a disparu et ses parents ont été tués, c’est bien ça ? »

« C’est ça. Monsieur Branch, est-ce que nous pouvons entrer un moment pour vous parler ? »

« Eh bien, ce n’est pas chez moi. C’est chez mon frère. Et je ne sais pas s’il… »

« Je ne sais pas si vous savez comment ça fonctionne, » dit Kate. « Nous aimerions entrer pour vous parler. On peut le faire ici ou, sur base de ce que nous savons à votre sujet, on peut le faire au commissariat de police de Deton. C’est vous qui choisissez. »

« Oh, » dit-il. Il avait l’air acculé, comme un animal traqué qui chercherait une porte de sortie. « Eh bien, alors, j’imagine que je peux… »

Il s’interrompit et leur claqua la porte au visage. Après le rapide sursaut de surprise qui s’ensuivit, Kate entendit des bruits de pas rapides dans la maison.

« Il prend la fuite, » dit Kate.

Mais avant qu’elle n’ait eu le temps de rouvrir la porte, DeMarco sautait déjà du porche et se précipitait vers l’arrière du mobile home. Kate sortit son arme, ouvrit la porte et entra.

Elle entendit des pas plus loin à l’arrière de l’habitation et le bruit d’une autre porte qui s’ouvrait. Une porte arrière, pensa Kate. J’espère que DeMarco va parvenir à l’intercepter.

Kate se rua à travers le mobile home et remarqua que ses suppositions étaient bien fondées. Il y avait une légère odeur d’herbe, mélangée à une odeur de bière renversée. Elle traversa la cuisine et entra dans un couloir qui menait à deux chambres à coucher. Là, au bout du couloir, une porte arrière était encore légèrement ouverte, indiquant qu’il était sûrement passé par là. Elle se précipita vers la porte et l’ouvrit entièrement, prête à se défendre si nécessaire. Mais elle avait vu de la peur dans les yeux de Jeremy. Il n’allait pas les attaquer, il avait l’intention de les semer. Et s’il parvenait jusqu’à la forêt qui ne se trouvait qu’à une quinzaines de mètres, il était très possible qu’il y parvienne.

Elle le vit qui courait en direction de l’orée du bois mais elle vit également DeMarco. Elle le rattrapait depuis le côté gauche de la maison. Elle n’avait pas pris la peine de sortir son arme ni de lui crier de s’arrêter. Kate fut stupéfaite par la rapidité de sa co-équipière. Elle courait à une vitesse qui surpassait largement celle de l’adolescent.

Elle le rattrapa juste au moment où Jeremy atteignait la première rangée d’arbres de la forêt. DeMarco tendit le bras, l’attrapa par l’épaule et le força à se retourner vers elle. Jeremy tourna sur lui-même comme une toupie et pivota à trois cent soixante degrés avant de perdre l’équilibre et de tomber au sol.

Kate se dépêcha de descendre la volée de marches branlantes qui se trouvaient à l’arrière du mobile home pour rejoindre DeMarco et l’aider à menotter Jeremy Branch.

« En prenant la fuite, » dit Kate, « tu nous incites à penser que tu as quelque chose à cacher. Et tu viens de rendre notre choix plus facile. On te posera nos questions au commissariat. »

Jeremy Branch resta silencieux. Il haletait pendant que DeMarco le remettait sur pieds, avec les poignets menottés derrière le dos. Il avait l’air abasourdi et désemparé, pendant qu’elles l’amenaient jusqu’à la voiture. Et quand il jeta un regard nerveux en arrière en direction du mobile home, Kate fut certaine qu’elles y trouveraient assez d’indices pour que Jeremy et son frère aient de gros ennuis, même en faisant abstraction de la disparition de Mercy Fuller.

***

Il ne fallut pas très longtemps pour fouiller la maison. Pendant que DeMarco restait à l’extérieur, Kate alla examiner les lieux et en moins de quinze minutes, elle trouva assez de preuves pour attirer de gros ennuis aux frères Branch.

Elle retrouva plus de deux cents grammes de cocaïne dans l’une des chambres à coucher, avec une demi-douzaine de pilules d’ecstasy. Dans l’autre chambre, elle trouva plusieurs petits sachets d’herbe, une douzaine de pilules d’ecstasy et quelques flacons d’analgésiques. Mais la cerise sur le gâteau, ce fut quand Kate trouva un petit carnet noir en-dessous du lit de la deuxième chambre à coucher. C’était un genre de livre de comptes, où était indiqué qui devait de l’argent et pour quoi.

Elle avait également déduit que la première chambre à coucher était celle de Jeremy Branch, en raison d’une photo plutôt provocatrice qui se trouvait à côté de son lit. On y voyait Jeremy et Mercy Fuller, pratiquement nue. Mais elle ne trouva aucun journal, ni ordinateur portable, et aucun signe qui pourrait indiquer qu’il était impliqué dans sa disparition ou dans la mort de ses parents.

Mais elle découvrit également autre chose. Quelque chose qui répondait au moins à une question. Dans la petite salle de bains à côté de la chambre de Jeremy, Kate trouva du dentifrice de voyage, du déodorant pour femme et une petite brosse à dents neuve. Apparemment, Mercy avait acheté ces articles pour les garder ici et couvrir toute trace qu’elle ait pu coucher avec un garçon avant de rentrer chez elle.

Elle ressortit du mobile home et traversa les hautes herbes jusqu’à la voiture. « Tous les articles de toilette de voyage sont dans la salle de bains de Jeremy. Apparemment, Mercy les gardait tous ici. »

« C’est… mignon, j’imagine ? »

« Ou un peu obsessionnel, » suggéra Kate, en s’asseyant derrière le volant. « Nous savons maintenant aussi une des raisons pour laquelle il a pris la fuite. »

À l’arrière de la voiture, Jeremy se mit à parler, d’une voix paniquée et remplie de peur. « Tout ça, c’est à mon frère. »

« Alors il en cachait un peu dans ta chambre, c’est ça ? »

« Oui, il vend de la drogue et… et… »

« Garde ta salive pour le commissariat, » dit Kate. « De toute façon, la drogue, c’est secondaire pour l’instant. »

« Je n’ai rien à voir avec ce qui est arrivé à Mercy ou à ses parents, » dit-il. « Je le jure. »

« J’espère, » dit Kate, en démarrant la voiture. « Mais on verra. »