Si elle s’enfuyait

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Mais c’était une question sur laquelle elle ne voulait pas s’attarder pour l’instant. Et comme elle avait l’habitude de le faire depuis quelques mois, quand elle se retrouvait confrontée à ce genre de dilemme, elle tourna son attention sur son boulot. Avec une pointe de culpabilité, elle répondit à l’appel.

« Salut, DeMarco. Comment ça va ? »

CHAPITRE DEUX

Kate et DeMarco parvinrent à dormir un peu pendant le vol de nuit qui les emmena de Washington à Chicago. Mais pour Kate, ça n’avait été qu’un sommeil entrecoupé. Quand elle se réveilla à 6h15, au moment où l’avion descendait sur Chicago, elle ne se sentait pas vraiment reposée. Elle repensa tout de suite à Mélissa, à Michelle et à Alan. Elle se sentait vraiment coupable. Elle regarda la ville de Chicago se rapprocher à travers le hublot, dans la faible lueur de l’aube.

Elle passa ce premier instant à Chicago à se haïr. Ça allait déjà un peu mieux quand elles parvinrent à traverser l’aéroport et à trouver l’agence de voitures de location.

Maintenant qu’elles arrivaient dans la petite ville de Frankfield, dans l’Illinois, le sentiment de culpabilité était toujours présent mais s’apparentait plus à un vague sentiment de ne pas parvenir à faire les choses correctement.

DeMarco était derrière le volant et buvait une gorgée du café qu’elle avait acheté à l’aéroport. Elle jeta un coup d’œil vers Kate qui regardait par la vitre, et la poussa du coude.

« OK, Wise, » dit DeMarco. « Je vois bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Qu’est-ce qui se passe ? Tu as l’air malheureuse. »

« On en est déjà arrivé au stade des conversations sérieuses ? »

« Ça n’a pas toujours été le cas ? »

Kate se redressa sur son siège et soupira. « Je gardais Michelle quand je me suis rendu compte que j’avais raté un appel de Duran. Et j’ai dû laisser Michelle pour partir. Pire que ça, je l’ai laissée avec Alan parce que Mélissa et son mari ont quelques soucis de couple à régler. Et je me sens vraiment coupable. »

« Je suis contente que tu sois là, » dit DeMarco. « Mais tu aurais pu refuser. Tu n’es pas liée au FBI par une sorte de contrat fixe, non ? »

« C’est vrai. Mais refuser n’est pas si facile que ça. Je m’implique bien trop. Je crois que ce boulot me donne la sensation d’avoir un but. »

« Et le fait d’être grand-mère ne te donne pas cette même sensation ? » demanda DeMarco.

« Si, bien sûr. C’est juste… je ne sais pas. »

Elle s’arrêta de parler et DeMarco respecta son silence… pendant un moment. « Bon, alors, cette affaire, » dit DeMarco. « Ça a l’air plutôt ordinaire, non ? Tu as lu les dossiers ? »

« Oui, c’est vrai, mais sans aucune piste, aucun indice, ou même la moindre suggestion venant des forces de police locales, ça ne va pas être si facile que ça. »

« Alors… la victime la plus récente, c’est une femme de cinquante-quatre ans. C’était il y a deux jours et elle était seule chez elle. Aucun signe d’entrée par effraction. Elle a été retrouvée par son mari quand il est rentré du boulot. Apparemment, elle a été brutalement étranglée avec quelque chose qui lui a entaillé le cou. »

« Et ça pourrait être un bon point de départ, » dit Kate. « Qu’est-ce qui pourrait être utilisé pour étrangler quelqu’un et qui puisse également provoquer une telle entaille ? »

« Du fil barbelé ? »

« Il y aurait eu plus de sang, » dit Kate. « La scène de crime en aurait été remplie. »

« Et les rapports disent que les lieux étaient assez propres. »

« Alors ça explique pourquoi la police locale est aussi perplexe. Mais il doit bien y avoir un quelconque point de départ, non ? »

« On va bientôt en savoir plus, » dit DeMarco, en ralentissant et en faisant un signe de tête devant elle. « On est arrivé. »

***

Il y avait un seul policier qui les attendait quand elles se garèrent dans l’allée en forme de U. Il était assis dans sa voiture de patrouille et buvait un café. Il leur fit un geste poli de la tête quand elles s’approchèrent de sa voiture. Il portait un uniforme et le badge en forme d’étoile indiquait qu’il s’agissait du shérif. Mais il ne devait plus en avoir pour très longtemps à ce poste. Il devait avoir la soixantaine et ça se voyait surtout à ses sourcils et à ses cheveux gris.

« Agents Wise et DeMarco, » dit Kate, en lui montrant son badge.

« Shérif Bannerman, » dit le policier âgé. « Je suis content que vous ayez pu venir. Cette affaire nous laisse vraiment perplexes. »

« Vous pourriez nous accompagner à l’intérieur et nous donner plus de détails sur l’affaire ? » demanda Kate.

« Oui, bien sûr. »

Ils montèrent les marches qui menaient à un porche décoré de manière minimaliste. À l’intérieur, la décoration était dans le même style ; ce qui donnait l’impression que l’énorme maison avait l’air encore plus grande. La porte d’entrée s’ouvrait sur un vestibule carrelé qui donnait sur un large couloir, d’où partait un escalier incurvé qui menait au premier étage. Ils traversèrent le couloir et se dirigèrent vers la droite. Ils entrèrent dans un vaste salon, dont le mur du fond était occupé par une énorme bibliothèque encastrée. Dans le salon, elles virent un divan très élégant et un piano.

« Le bureau de la victime se trouve juste là derrière, » dit Bannerman, en traversant le salon et en entrant dans une pièce qui était carrelée de la même manière que le vestibule. Un bureau était appuyé contre le mur du fond. À droite, une fenêtre donnait sur un petit jardin. Un grand vase contenant des plants de coton se trouvait dans un coin. Ils étaient faux mais ils s’accordaient parfaitement avec la décoration de la pièce.

« La victime a été retrouvée assise à son bureau, dans cette chaise, » dit Bannerman. Il fit un geste de la tête en direction d’une chaise de bureau assez simple. Mais c’était le genre de design qui coûtait probablement un os. Rien qu’en la regardant, Kate sut qu’elle devait être très confortable.

« La victime s’appelle Karen Hopkins. Je pense qu’elle a vécu ici quasiment toute sa vie. Elle était occupée à travailler quand elle a été assassinée. L’email qu’elle n’a pas eu le temps de terminer se trouvait toujours à l’écran quand son mari a découvert son corps. »

« Dans les rapports, il est dit qu’il n’y a aucun signe d’entrée par effraction, c’est bien ça ? » demanda DeMarco.

« C’est ça. En fait, le mari nous a dit que toutes les portes étaient fermées à clé quand il est rentré à la maison. »

« Alors le tueur a fermé à clé avant de partir, » dit Kate. « Ce n’est pas inhabituel. C’est un moyen utilisé pour essayer de déstabiliser l’enquête. Mais il n’empêche que… il a dû rentrer d’une manière ou d’une autre. »

« Madame Hopkins est la deuxième victime. Il y a cinq jours, il y en a eu une autre. Une femme plus ou moins du même âge, assassinée chez elle pendant que son mari était au travail. Marjorie Hix. »

« Vous avez dit que Karen Hopkins était occupée à travailler quand elle a été assassinée, » dit Kate. « Vous savez ce qu’elle faisait ? »

« D’après son mari, ce n’était pas vraiment un boulot. C’était juste un extra pour faire un peu d’argent en plus et leur permettre de prendre leur retraite plus tôt. Du marketing en ligne, ou un truc dans le genre. »

Kate et DeMarco prirent un moment pour inspecter les lieux. DeMarco alla jeter un coup d’œil à la poubelle qui se trouvait près du bureau et aux quelques feuilles de papier qui étaient empilées dans un petit bac au bord de la table. Kate quadrilla le sol à la recherche d’un quelconque indice, avant de se retrouver juste à côté du vase contenant les plants de coton. Presque instinctivement, elle tendit la main et toucha des doigts la tête de l’une des tiges. Comme elle l’avait imaginé, les plants étaient faux mais leur douceur était extrêmement apaisante. Elle remarqua quelques tiges brisées, avant de retourner son attention vers le bureau.

Bannerman gardait une distance respectueuse, et passa de la porte d’entrée du bureau à la fenêtre, pour regarder le jardin.

Kate remarqua tout de suite que le bureau faisait face au mur. Ce n’était pas inhabituel vu que c’était le meilleur moyen de ne pas être distrait en travaillant. Mais ça voulait également dire que Karen n’avait sûrement pas vu venir le danger.

Ses soupçons se portèrent automatiquement sur le mari. La personne qui l’avait tuée était entrée dans la maison en silence et avait fait très peu de bruit.

Soit ça, soit il était déjà à l’intérieur et elle n’a rien soupçonné.

À nouveau, tous les indices pointaient en direction du mari. Mais sur base de ce qu’elles savaient, ça ne mènerait probablement à rien car le mari avait un solide alibi. Bien sûr, elle pouvait toujours le vérifier mais elle savait d’expérience qu’un alibi lié au travail était généralement plus que solide.

Kate passa ensuite dans le salon. Pour pouvoir entrer dans le bureau, il fallait passer par cette pièce. Le sol était recouvert d’un très joli tapis d’Orient. Le divan n’avait pas l’air d’être très souvent utilisé et le piano ressemblait à une antiquité – le genre de piano dont on ne jouait jamais mais qui était très beau à regarder.

Les livres qui se trouvaient dans la bibliothèque étaient assez variés, et la plupart n’avaient probablement jamais été ouverts… juste de jolis bouquins qui faisaient bien dans une bibliothèque. Au bout de l’étagère la plus éloignée, elle trouva quelques bouquins qui montraient des traces d’usure : quelques classiques, des thrillers et des livres de cuisine.

Elle regarda attentivement pour voir si elle trouvait quoi que ce soit de bizarre ou d’anormal mais elle ne vit rien. DeMarco entra également dans le salon et fronça les sourcils.

 

« Qu’est-ce que tu en penses ? » demanda Kate.

« Je pense qu’il faut qu’on parle au mari. Même avec son alibi solide, peut-être qu’il pourra nous apprendre quelque chose. »

Bannerman se tenait à l’entrée du salon et les regardait, les bras croisés. « Bien entendu, on l’a déjà interrogé. Son alibi est en béton. Au moins neuf de ses collègues l’ont vu ou lui ont parlé au boulot, au moment où sa femme était assassinée. Mais il nous a également dit qu’il était disposé à répondre à toutes les questions qu’on pourrait avoir. »

« Où est-ce qu’il se trouve actuellement ? » demanda Kate.

« Chez sa sœur, à cinq kilomètres d’ici. »

« Shérif, est-ce que vous avez un rapport concernant la première victime ? »

« Oui. Je peux vous l’envoyer par email si vous voulez. »

« Ce serait super. »

Vu son âge, Bannerman avait également de l’expérience. Il savait que les agents en avaient terminé chez les Hopkins. Sans même qu’on lui dise quoi que ce soit, il tourna les talons et se dirigea vers la porte d’entrée, suivi de Kate et de DeMarco.

Au moment où elles retournèrent à leur voiture, après avoir remercié Bannerman pour son aide, le soleil brillait de mille feux. Il était huit heures du matin et Kate avait la sensation que l’enquête était déjà en marche.

Elle espéra que c’était de bon augure.

Bien sûr, quand elles entrèrent en voiture et qu’elle remarqua quelques nuages gris au loin, elle essaya de les ignorer.

CHAPITRE TROIS

Bannerman avait appelé le mari pour le prévenir que le FBI allait venir lui rendre visite. Quand Kate et DeMarco arrivèrent à la maison de sa sœur dix minutes plus tard, Gérald Hopkins était assis sur le porche avec une tasse de café. Au moment où elles grimpèrent les marches pour le rejoindre, Kate vit que l’homme avait l’air totalement épuisé. Elle savait que la douleur de perdre un être cher pouvait faire des ravages, mais quand l’épuisement venait s’y ajouter, c’était encore pire.

« Merci d’avoir accepté de nous parler, monsieur Hopkins, » dit Kate.

« C’est normal. Je veux faire tout mon possible pour vous aider à retrouver la personne qui a fait ça. »

Il parlait d’une voix défaite et hagarde. Il avait probablement passé les deux derniers jours à pleurer et peut-être même à hurler. Et il n’avait certainement pas beaucoup dormi entre les coups. Il baissa les yeux vers sa tasse de café et on aurait dit qu’il allait les fermer à tout moment. En faisant abstraction de la douleur qui l’envahissait, Kate trouva que Gérald Hopkins était un assez bel homme.

« Votre sœur est là ? » demanda DeMarco.

« Oui, elle est à l’intérieur. Elle s’occupe… des dispositions à prendre. » Il s’interrompit et il prit une profonde inspiration pour ravaler ses sanglots. Ses mains se mirent à trembler légèrement. Il but une gorgée de son café et continua à parler. « Elle a vraiment été formidable. Elle s’est occupée de tout et garde tous les curieux à distance. »

« Nous savons que la police vous a déjà interrogé, alors nous ne resterons pas très longtemps, » dit Kate. « Est-ce qu’il vous serait possible de nous décrire la dernière semaine que vous avez passée avec Karen ? »

Il haussa les épaules. « C’était pareil à n’importe quelle autre semaine. Je suis allé travailler, elle est restée à la maison. Je rentrais le soir et nous faisions les choses que nous avions l’habitude de faire. On avait notre petite routine… un peu ennuyante. Le train-train quotidien, quoi. »

« Quoi que ce soit qui sorte de l’ordinaire ? » demanda Kate.

« Non. C’est juste… je ne sais pas. Ces dernières années, depuis que les enfants étaient partis de la maison, on a arrêté de faire des efforts. On s’aimait toujours mais c’était juste une vie routinière. Un peu ennuyante, vous voyez ? » Il soupira et se mit à nouveau à trembler. « Ah, merde. Les enfants. Ils ne vont pas tarder à arriver. Henry, notre aîné, devrait arriver d’ici une heure. Et je vais devoir… raconter à nouveau tout ça … »

Il baissa la tête et laissa échapper un sanglot. Kate et DeMarco s’éloignèrent un peu, pour lui laisser le temps de se reprendre. Il lui fallut quelques minutes pour se calmer. Il s’essuya les yeux et les regarda d’un air désolé.

« Prenez votre temps, » dit Kate.

« Non, ça va aller. J’aurais aimé être un meilleur mari, vous savez. J’étais toujours là, mais sans vraiment l’être. Je pense qu’elle se sentait seule. En fait, je suis sûre qu’elle l’était. Mais je n’avais pas envie de faire des efforts. C’est vraiment pathétique de ma part, vous ne trouvez pas ? »

« Est-ce que vous savez si elle a vu qui que ce soit au cours des derniers jours ? » demanda Kate. « Est-ce qu’elle avait des rendez-vous prévus ou quelque chose dans le genre ? »

« Je n’en ai aucune idée. C’était Karen qui gérait la maison. Je ne savais même pas ce qui se passait dans ma propre maison… ni même dans ma propre vie, la moitié du temps. C’était elle qui s’occupait de tout. Elle s’occupait des comptes, prenait les rendez-vous nécessaires, gérait le calendrier, prévoyait les repas, s’occupait du jardin et organisait les anniversaires ou les réunions de famille. Moi, je ne faisais pas grand-chose. »

« Est-ce que vous pourriez nous donner accès à ses calendriers ? » demanda DeMarco.

« Bien sûr. Tout ce dont vous pourriez avoir besoin. Bannerman et ses hommes ont déjà accès à notre calendrier partagé. On faisait tout sur nos téléphones. Il pourra vous le montrer. »

« Merci, monsieur Hopkins, nous allons vous laisser maintenant mais s’il vous plaît… si vous repensez à quoi que ce soit qui pourrait nous être utile, n’hésitez surtout pas à nous contacter. »

Il hocha la tête, mais il était visiblement sur le point de se remettre à pleurer.

Kate et DeMarco prirent congé et se dirigèrent vers leur voiture. Ça n’avait pas été une rencontre très productive mais Kate était au moins persuadée qu’il était impossible que Gérald Hopkins ait tué sa femme. Il était impossible de simuler une telle tristesse. Elle avait vu pas mal d’hommes essayer de le faire au cours de sa carrière et ça n’avait jamais eu l’air aussi réel. Gérald Hopkins était terrassé par la douleur et elle était vraiment désolée pour lui.

« Prochaine étape ? » demanda DeMarco, en s’asseyant derrière le volant.

« J’aimerais retourner chez les Hopkins… et parler aux voisins. Le mari a mentionné ce jardin qui se trouve juste devant la fenêtre du bureau de sa femme. Par cette fenêtre, on pouvait voir la maison d’un voisin. Peut-être que ça ne mènera à rien, mais ça vaut la peine d’essayer. »

DeMarco hocha la tête et démarra la voiture. Elles retournèrent en direction de la maison des Hopkins. En chemin, Kate remarqua que des nuages noirs commençaient à s’accumuler et à cacher le soleil.

***

Elles commencèrent par le voisin qui vivait directement à droite des Hopkins. Elles frappèrent à la porte mais sans succès. Après quelques secondes, Kate frappa à nouveau mais toujours sans résultat.

« Tu sais, » dit Kate, « après avoir longtemps travaillé dans des quartiers comme celui-ci, tu t’attends toujours à ce qu’au moins un membre de la famille soit à la maison. »

Elle frappa de nouveau à la porte mais vu que personne ne vint leur ouvrir, elles abandonnèrent. Elles s’éloignèrent de la maison et traversèrent le jardin des Hopkins, pour se rendre chez le voisin qui se trouvait de l’autre côté. Ce faisant, Kate jeta un coup d’œil vers l’arrière du jardin des Hopkins. Elle aperçut un coin de la maison qui était visible depuis la fenêtre du bureau de Karen. Elle en voyait l’arrière, vu que l’avant se trouvait le long d’une rue qui était parallèle à celle-ci.

Alors qu’elles se dirigeaient vers la maison du voisin de gauche, Kate remarqua que quelques gouttes de pluie commençaient à tomber des nuages qui s’étaient accumulés au-dessus d’elles. Au moment où elles se dirigaient vers les marches qui menaient au porche, Kate sentit son téléphone vibrer dans sa poche. Elle le sortit et regarda l’écran. C’était Mélissa. Une pointe de culpabilité l’envahit. Elle était sûre que sa fille l’appelait pour se plaindre du fait qu’elle avait laissé Michelle seule avec Alan la nuit dernière. Et maintenant, avec le recul, Kate avait l’impression que Mélissa avait toutes les raisons d’être fâchée.

Mais ce n’était pas une conversation qu’elle était prête à avoir maintenant, alors qu’elle gravissait les marches de la maison du voisin. Ce fut DeMarco qui frappa cette fois-ci. La porte fut presque immédiatement ouverte par une jeune femme qui portait un enfant d’une quinzaine de mois dans les bras.

« Bonjour, » dit la jeune femme.

« Bonjour. Nous sommes les agents Wise et DeMarco du FBI. Nous enquêtons sur le meurtre de Karen Hopkins et nous aurions aimé poser quelques questions aux voisins. »

« Je ne suis pas exactement une voisine, » dit la jeune femme. « Mais c’est presque pareil. Je suis Lily Harbor et je travaille comme nounou pour Barry et Jan Devos. »

« Est-ce que vous connaissiez bien le couple Hopkins ? » demanda DeMarco.

« Pas vraiment. On se tutoyait mais je ne les voyais qu’une ou deux fois par semaine. Et c’était toujours pour se saluer quand on se croisait. »

« Est-ce que vous avez une idée du genre de personnes qu’ils étaient ? »

« Des gens bien, apparemment. » Elle s’interrompit parce que l’enfant qu’elle portait dans les bras s’était mis à lui tirer les cheveux. Il commençait à devenir un peu agité. « Mais à nouveau, je ne les connaissais pas bien du tout. »

« Est-ce que les Devos les connaissaient bien ? »

« Sûrement un peu mieux que moi. Barry et Gérald se rendaient parfois des services, comme se prêter de l’essence pour la tondeuse, du charbon pour le barbecue, ce genre de choses. Mais je ne pense pas qu’ils se voyaient en-dehors de ça. Ils étaient polis l’un envers l’autre mais ce n’étaient pas non plus des amis, vous voyez ? »

« Est-ce que vous savez si quelqu’un dans le quartier les connaissait bien ? » demanda Kate.

« Pas vraiment. Les gens sont plutôt réservés dans le coin. Ce n’est pas le genre de quartier où ils font la fête entre voisins. Mais… et j’ai un peu mauvaise conscience de le dire… si vous voulez en savoir plus sur quelqu’un vivant dans le quartier, vous devriez peut-être vous adresser à madame Patterson. »

« Et qui est-ce ? »

« Elle vit dans la rue d’à côté. On peut voir sa maison depuis la terrasse des Devos. Et je suis presque sûre qu’elle doit également être visible depuis le porche arrière des Hopkins. »

« Vous connaissez son adresse ? »

« Pas exactement. Mais sa maison est très facile à trouver. Elle a plein de statues effrayantes de chats sur son porche. »

« Vous pensez qu’elle pourrait nous aider ? » demanda DeMarco.

« Oui, je pense que c’est votre meilleure option. Je ne peux pas vous assurer que tout ce qu’elle vous dira sera vraiment fiable, mais on ne sait jamais… »

« Merci pour le temps que vous nous avez consacré, » dit Kate. Elle sourit au petit garçon et elle ressentit d’autant plus le manque de Michelle. Ça lui rappela également qu’elle avait probablement un message vocal furieux de sa fille, qui l’attendait sur son téléphone.

Kate et DeMarco retournèrent à leur voiture. Au moment où elles firent une marche arrière pour rejoindre la route, la pluie se mit à tomber de manière plus drue.

« Il se pourrait que cette madame Patterson soit la personne qui vit dans la maison que j’ai vue par la fenêtre du bureau de Karen Hopkins, » dit Kate. « Tous ces jardins reliés entre eux et séparés par une simple barrière… c’est le paradis pour une vieille femme curieuse. »

« Eh bien, » dit DeMarco, « allons voir ce que madame Patterson a à nous dire. »

***

Les yeux de madame Patterson s’écarquillèrent quand elle se rendit compte que deux agents du FBI se trouvaient devant sa porte. Mais ce n’était pas dû à la peur, mais plutôt à l’excitation. Elle devait déjà certainement se demander comment elle allait raconter ça à ses amies.

« Oui, j’ai entendu parler de ce qui est arrivé à Karen, » dit madame Patterson, sur un ton très pompeux. « Pauvre femme… elle était tellement charmante et gentille. »

 

« Alors, vous la connaissiez ? » demanda Kate.

« Oui, un peu, » dit madame Patterson. « Mais venez, entrez. »

Elle ouvrit la porte pour laisser passer Kate et DeMarco. En entrant, Kate regarda les différents ornements du porche qui leur avaient permis d’identifier la maison de madame Patterson. Il y avait huit statues différentes de chats, des décorations qui avaient l’air tout droit sorties d’une brocante ou d’un marché aux puces. Certaines d’entre elles étaient un peu effrayantes, comme Lily Harbor le leur avait dit.

Madame Patterson les guida jusqu’au salon. La télé était allumée sur l’émission Good Morning America à un volume assez bas. Kate en déduisit que madame Patterson était probablement une veuve qui n’arrivait pas à s’habituer à l’idée de vivre seule. Elle avait lu quelque part que les personnes âgées avaient tendance à laisser la télé ou la radio allumée chez elles quand elles perdaient leur conjoint, pour qu’il y ait toujours de la vie dans la maison.

En prenant place dans un fauteuil, Kate regarda par la fenêtre du salon. Elle vit la rue et fit de son mieux pour imaginer la disposition du jardin arrière. Elle était presque certaine qu’il s’agissait bien de la maison qu’elle avait vue par la fenêtre du bureau de Karen Hopkins.

« Madame Patterson, est-ce que vous pourriez tout d’abord clarifier un point, » dit Kate. « Quand nous étions dans la maison des Hopkins, j’ai regardé par la fenêtre du bureau de Kate et j’ai aperçu une maison dans le coin droit de leur jardin arrière. C’est bien votre maison, n’est-ce pas ? »

« Oui, c’est bien ça, » dit madame Patterson, en souriant.

« Vous avez dit connaître un peu les Hopkins. Est-ce que vous pourriez nous en dire plus ? »

« Bien sûr ! Karen me posait parfois des questions de jardinage. Elle avait un petit jardin juste devant la fenêtre de son bureau, vous savez. Elle n’y avait pas planté grand-chose, juste des herbes aromatiques pour cuisiner : du basilic, du romarin, de la coriandre. J’ai toujours eu la main verte. Tous les voisins le savent et il arrive souvent qu’on me demande des conseils. J’ai mon propre jardin à l’arrière, si vous voulez le voir. »

« Non, merci, » répondit poliment DeMarco. « Le temps joue un peu contre nous, alors nous voulons juste que vous nous disiez ce que vous savez au sujet des Hopkins. Quand vous les voyiez ensemble, est-ce qu’ils avaient l’air heureux ? »

« J’imagine. Je ne connais pas bien Gérald. Mais je les voyais parfois assis sur leur porche arrière. Récemment, je les ai vus se tenir par la main. C’était agréable à voir. Je suppose que vous savez que leurs enfants sont grands et qu’ils sont partis de la maison. Je les imaginais occupés à parler de leurs projets de retraite, de voyage, ou ce genre de choses. »

« Est-ce qu’il vous est déjà arrivé d’avoir l’impression qu’il y avait des problèmes entre eux ? » demanda Kate.

« Non. Je n’ai jamais rien vu ou entendu qui pourrait me faire penser une telle chose. D’après ce que je sais, c’était un couple tout à fait normal. Mais j’imagine que tous les couples peuvent avoir des problèmes, surtout une fois que les enfants sont partis. C’est assez courant, vous savez. »

« Est-ce que vous les avez vus au cours de la semaine qui vient de s’écouler ? »

« Oui. J’ai vu Karen qui coupait des plantes dans son jardin. C’était il y a quatre ou cinq jours. Je n’en suis plus très sûre. J’ai eu soixante-quatorze ans cette année et ma mémoire n’est plus très bonne parfois. »

« Est-ce que vous lui avez parlé ? »

« Non. Mais il y a quelque chose à laquelle j’ai repensé hier… ce n’était pas quelque chose que j’avais oublié mais je n’y avais pas spécialement accordé d’attention. Et franchement… je ne sais même plus quel jour c’était, alors… »

« Et c’est quoi ? » demanda DeMarco.

« Eh bien, je suis presque sûre que c’était mardi… le jour où Karen a été assassinée. Je suis presque certaine d’avoir vu quelqu’un dans leur jardin arrière. Un homme. Un homme qui n’était pas Gérald Hopkins. »

« Est-ce qu’il avait l’air d’essayer d’entrer par effraction ? » demanda Kate.

« Non. Il avait l’air tout à fait normal. Il se promenait comme s’il avait été invité, vous voyez ce que je veux dire ? Il portait une sorte de combinaison ou d’uniforme. Il y avait un petit badge ou un patch, juste là. » Elle montra le haut de sa poitrine gauche pour indiquer l’endroit dont elle parlait.

« Est-ce que vous avez bien pu voir le patch en question ? »

« Non. Tout ce que je peux vous dire, c’était qu’il était blanc et qu’il avait la forme d’une étoile. Mais je n’ai peut-être pas bien vu… ma vue est aussi mauvaise que ma mémoire ces jours-ci. »

« Mais en ce qui concernant des échanges avec les Hopkins, vous dites ne pas leur avoir parlé au cours de toute la semaine dernière ? »

« Non. La dernière fois que j’ai parlé à Karen, c’est quand elle est venue me demander ma recette du gâteau à l’ananas. Et ça remonte à presque trois semaines, je crois. »

Kate réfléchit un instant, en essayant de trouver un sujet sur lequel madame Patterson pourrait leur apporter des informations supplémentaires, mais elle ne trouva rien de plus à lui demander. De plus, elles avaient déjà l’histoire de l’homme en uniforme à vérifier, alors ce n’était pas comme si elles repartaient bredouilles.

« Madame Patterson, nous vous remercions pour le temps que vous nous avez consacré. Si vous repensez à quoi que ce soit qui pourrait nous être utile, n’hésitez pas à appeler la police locale. Ils nous feront le message. »

« Il faut que je vous pose une question… vu que le FBI est impliqué, est-ce que ça veut dire que cette affaire est liée à l’autre meurtre ? Celui qui remonte à… environ une semaine ? Je crois qu’elle s’appelait Marjorie Hix. »

« Nous sommes là pour le découvrir, » dit Kate. « Est-ce que vous connaissiez Marjorie Hix ? »

« Non. Je n’avais jamais entendu ce nom jusqu’à ce qu’une amie me raconte ce qui s’était passé. »

Kate hocha la tête et se dirigea vers la porte d’entrée. « Nous vous remercions à nouveau pour le temps que vous nous avez consacré. »

DeMarco la rejoignit et elles sortirent de la maison. La pluie tombait maintenant de manière drue, en dépit du soleil qui brillait toujours.

Kate faillit sortir son téléphone pour voir si Mélissa lui avait laissé un message, mais elle se ravisa. Ça ne ferait que la stresser encore plus. Et si elle ne parvenait pas à séparer sa vie privée de sa vie professionnelle, autant qu’elle remette tout de suite son badge et son arme.

Elle s’efforça de sortir Mélissa de sa tête, en se dirigeant vers la voiture.

Mais une petite voix s’éleva dans un coin de sa tête et elle ne parvint pas à la faire taire. Tu te rappelles ce qui est arrivé quand tu l’as mise de côté au début de ta carrière ? Il a fallu très longtemps pour réparer le mal fait. Tu veux vraiment revivre tout ça ?

Non, elle n’en avait pas envie. Et elle fit tout ce qu’elle put pour ravaler ses larmes alors que DeMarco faisait une marche arrière pour reprendre la route.