Lueur d’Espoir

Text
0
Kritiken
Leseprobe
Als gelesen kennzeichnen
Wie Sie das Buch nach dem Kauf lesen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

CHAPITRE 5

Lorsque Ray entra dans la salle de conférence, trois heures plus tard, Keri n’avait toujours pas trouvé de moyen de pression. Mais elle pensait cependant avoir une meilleure idée de qui était Jackson Cave.

— Un plaisir de te voir, détective Sands, dit Mags lorsqu’il entra en portant des sandwichs « sous-marin » et des cafés glacés.

— Content de te voir aussi, Red, dit-il tandis qu’il lançait les sandwichs sur la table.

— Je n’en doute pas, répondit-elle d’un air renfrogné.

Keri ne savait pas trop à quel moment avait Ray avait commencé à appeler Margaret Merrywether « Red », mais cela l’amusa. Et malgré sa réaction présente, Keri était quasiment certaine que cela ne gênait pas Mags non plus.

— J’ai apporté les dossiers financiers et les actes de propriétés du type, dit Ray. Mais je ne pense pas qu’ils apporteront la réponse. Je les ai passés en revue avec Edgerton et il n’a rien trouvé de louche. Mais pour un type avec ce genre d’argent et de pouvoir, rien que ça c’est louche.

— Je suis d’accord, dit Keri. Mais on ne peut pas s’appuyer sur du louche.

— Il voulait inclure Patterson mais je lui ai dit de s’abstenir pour le moment.

Le détective Garrett Patterson était surnommé « Sale Boulot », et ce pour une bonne raison. Il était le deuxième meilleur technicien du service derrière Edgerton, et même s’il n’avait pas le don instinctif d’Edgerton de trouver des connexions invisibles au milieu d’informations complexes, il possédait d’autres compétences. Il adorait passer les documents au peigne fin jusque dans les moindres détails pour trouver ce petit détail crucial que d’autres ne voyaient pas.

— Tu as pris la bonne décision, dit Keri après quelques instants. Il pourrait trouver quelque chose dans les actes de propriétés. Mais j’ai peur qu’il ne puisse s’empêcher de le dire à Hillman ou de jeter accidentellement une info qui déclenches toutes les alarmes. Je ne veux pas l’impliquer à moins que nous n’ayons pas d’autres choix.

— Il se peut qu’on y arrive, dit Ray. À moins que tu aies déchiffré le code Cave durant les dernières heures.

— Je ne dirais pas ça, admit Keri. Mais nous avons découvert des trucs surprenants.

— Comme quoi ?

— Eh bien, pour commencer, intervint Mags, Jackson Cave n’a pas toujours été un connard fini.

— Ça c’est surprenant, dit Ray avant de déballer un sandwich et d’en prendre une bouchée. Comment ça se fait ?

— Il travaillait au bureau du procureur, répondit Mags.

— Il était procureur ? demanda Ray qui faillit s’étouffer avec sa nourriture. Lui, le défenseur des violeurs et des agresseurs d’enfants ?

— C’était il y a longtemps, dit Keri. Il a rejoint le procureur à la sortie de l'école de droit de l'USC, où il a travaillé pendant deux ans.

— Il n’aurait pas pu le trafiquer ? s’étonna Ray.

— En fait, son taux de condamnation était assez incroyable. Apparemment, il n'aimait pas plaider souvent, alors il a porté la plupart des cas devant les tribunaux. Il a eu dix-neuf condamnations et deux jurés suspendus. Pas un seul acquittement.

— C’est assez fort, reconnu Ray. Alors, pourquoi a-t-il changé de camp ?

— Il a fallu creuser pour ça, dit Keri. En fait, c’est Mags qui a compris. Tu veux expliquer ?

— Avec grand plaisir, dit-elle en levant les yeux de la mer de pages devant elle. Je suppose que passer une vie à mener des recherches fastidieuses paye de temps en temps. Jackson Cave avait un demi-frère du nom de Coy Trembley. Ils n’avaient pas le même père mais ont grandis ensemble. Coy avait trois ans de plus que Jackson.

— Coy était-il également avocat ? demanda Ray.

— Au contraire, dit Mags. Coy avait des problèmes avec la justice pendant son adolescence et dans sa vingtaine, des trucs principalement insignifiants. Mais à trente et un an, il a été arrêté pour agression sexuelle. En gros, il a été accusé d’avoir abusé d’une fille de neuf ans qui vivait au bout de la rue.

— Et Cave l’a défendu ?

— Pas officiellement. Mais il a pris un congé de neuf mois au bureau du procureur tout de suite après l’arrestation. Il n’était pas l’avocat officiel de Trembley et son nom ne figure sur aucun document légal remplis par le tribunal sur l’affaire.

— Je sens venir un « mais », dit Ray.

— Tu as raison, mon cher, déclara Mags. Mais, pour des histoires de taxes, il a déclaré travailler en tant que « consultant légal » durant cette période. Et j'ai comparé les termes utilisés dans les dossiers de l'affaire Trembley. Certains des termes et la logique sont très similaires aux affaires plus récentes de Cave. Je pense qu’on peut dire sans se tromper qu’il aidait son frère en secret.

— Comment s’en est-il sorti ? demanda Ray.

— Assez bien. L’affaire Coy Trembley s’est finie avec un jury suspendu. Les procureurs se demandaient s’il fallait le rejuger quand le père de la petite fille s’en pointé à l’appartement de Trembley et lui a tiré dessus cinq fois, dont une fois au visage. Il ne s’en est pas sorti.

— Bon sang, marmonna Ray.

— Ouais, acquiesça Keri. C’est à peu près à ce moment-là que Cave a donné sa démission au bureau du procureur. Il a disparu des radars pendant trois mois après ça. Ensuite, il est soudainement réapparu avec une nouvelle société qui s’occupait principalement de clients d’entreprise. Mais il a aussi fait un peu de défense pour col blanc et, au fil des ans, il a de plus en plus travaillé bénévolement pour des gens comme son demi-frère.

— Attends, dit Ray, incrédule. Je suis censé croire que ce type est devenu avocat de la défense pour honorer la mémoire de son frère mort ou quelque chose comme ça, pour défendre les droits du moralement grotesque ?

Keri secoua la tête.

— Je ne sais pas, Ray, dit-elle. Cave n’a quasiment jamais parlé de son frère au fil des ans. Mais quand il le faisait, il maintenait toujours que Coy avait été accusé à tort. Il était plutôt inflexible là-dessus. Je pense qu’il est possible qu’il ait commencé ses pratiques avec de nobles intentions.

— Ok. Disons que je lui laisse le bénéfice du doute à propos de ça. Alors qu’est-ce qui lui est arrivé, bon sang ?

Mags prit le relais à ce moment.

— Eh bien, il est assez clair que la culpabilité de la plupart de ses premiers clients bénévoles était très douteuse. Certains d'entre eux semblent avoir été choisis parmi des files d'attente ou sortis de la rue. À l'occasion, il s’en débarrassait ; généralement, il ne le faisait pas. Pendant ce temps, il se répandait en discours lors de conférences sur les libertés civiles, de bon discours en fait, très passionnés. On disait même qu'il pourrait se présenter aux élections un jour.

— Jusque-là, on croirait entendre une success story à l’américaine, dit Ray.

— Ça l’était, en convint Keri. Et ce jusqu’à environ dix ans auparavant. C’est à ce moment qu’il a pris l’affaire d’un gars qui ne correspondait pas au profil. C’était un kidnappeur d’enfant en série qui semblait le faire en tant que professionnel. Et il a payé Cave généreusement pour le représenter.

— Pourquoi a-t-il accepté cette affaire tout à coup ? demanda Ray.

— Ce n’est pas clair à cent pour cent, dit Keri. Son entreprise n'avait pas encore vraiment décollé. Alors c’était peut-être une décision financière. Peut-être qu'il ne voyait pas ce type comme étant aussi répréhensible que les autres. Les charges retenues contre lui concernaient le kidnapping sur gages, pas d’agression ni de maltraitance. Tout ce que faisait ce gars, c’était kidnapper des gosses et les vendre au plus offrant. Il était, pour utiliser une description généraliste, un « professionnel ». Quelle qu’en soit la raison, Cave a accepté ce type, l'a fait acquitter, puis les vannes se sont ouvertes. Il a commencé à prendre toutes sortes de clients similaires, dont beaucoup étaient moins.... professionnels...

— À peu près au même moment, ajouta Mags, l’entreprise s’est lancée. Il est passé d’une devanture de magasin à Echo Park au bureau luxueux du centre-ville qu’il a maintenant. Et il n’a jamais regretté.

— Je ne sais pas, dit Ray, sceptique. Il est difficile de voir la ligne de démarcation entre la lutte libertarienne civile pour les plus petits d'entre nous et le requin légal sans remords représentant les pédophiles et la coordination éventuelle d'un réseau d'enfants esclaves sexuels. J'ai l'impression qu'il nous manque une pièce.

— Eh bien, tu es un détective, Raymond, dit Mags, moqueuse. Par tous les moyens, détecte.

Ray ouvrit la bouche, sur le point de répliquer, avant de réaliser qu’il se faisait taquiner. Ils rirent tous les trois, content de pouvoir rompre la tension qui grandissait sans qu’ils ne s’en aperçoivent. Keri se replongea dans la discussion.

— Ce doit être lié à ce kidnappeur en série qu’il a représenté. C’est là que tout a changé. On devrait regarder cela de plus près.

— Qu’est-ce que tu as sur lui ? demanda Ray.

— Son affaire est plutôt une impasse, dit Mags, frustrée. Cave a représenté le type, l’a tiré d’affaire, puis ce gars a disparu des radars. Nous n’avons rien trouvé sur lui depuis.

— Quel est le nom du type ? demanda Ray.

— John Johnson, répondit Mags.

— Ça me semble familier, marmonna Ray.

— Vraiment ? demanda Keri, surprise. Parce qu’il n’y a presque rien sur lui. Cela ressemble à une fausse identité. Il n’y a aucune trace de son existence après qu’il ait été acquitté. C’est comme s’il avait quitté ce tribunal puis s’était évaporé.

— Pourtant, ce nom me dit quelque chose, dit Ray. Je pense que c’était avant que tu rejoignes les forces de l’ordre. Tu as essayé de trouver une photo d’identité ?

 

— J’ai commencé à chercher, dit Keri. Il existe soixante-quatorze John Johnson dans la base de données dont des portraits ont été pris le mois de son arrestation. Je n’ai pas encore eu le temps de tous les passer en revue.

— Je peux jeter un coup d’œil ?

— Vas-y, dit Keri qui releva l’écran et fit glisser son ordinateur vers lui. Elle vit qu’il était sur une piste mais qu’il ne voulait pas encore le dire à voix haute au cas où il se trompait. Tandis qu’il faisait défiler les images, il parlait presque distraitement.

— Vous avez dit toutes les deux qu’il a disparu des radars, comme s’il s’était évanoui, n’est-ce pas ?

— Hu-hum, dit Keri en l’observant de près tandis que sa respiration s’accélérait.

— Presque comme… un fantôme ? demanda-t-il.

— Hu-hum, répéta-t-elle.

Il arrêta de faire défiler les images et fixa l’une d’elles sur l’écran avant de lever les yeux vers Keri.

— Je pense que c’est parce qu’il est un fantôme ; ou pour être plus précis, « Le Fantôme ».

Ray tourna l’écran pour que Keri puisse voir la photo d’identité. Tandis qu’elle fixait la photo de l’homme qui avait été le premier à envoyer Jackson Cave sur son sombre chemin, un frisson glacé la parcourut.

Elle le connaissait.

CHAPITRE 6

Keri tenta de maîtriser ses émotions tandis qu’une dose d’adrénaline la traversait, répandant des picotements le long de son corps.

Elle reconnut l’homme qui la fixait. Mais elle ne le connaissait pas en tant que John Johnson. Quand ils s’étaient rencontrés, il se faisait appeler Thomas Anderson, mais tout le monde faisait référence à lui comme Le Fantôme.

Ils ne s’étaient parlé que deux fois, à chaque fois dans l’établissement correctionnel Twin Towers au centre-ville de Los Angeles, où il était actuellement incarcéré pour des crimes semblables à ceux dont John Johnson avait été acquitté.

— Qui est-ce, Keri ? demanda Mags, à moitié inquiète, à moitié ennuyée par le long silence.

Keri réalisa qu’elle venait de passer les dernières secondes à fixer la photo en silence.

— Désolée, répondit-elle avant de se reconcentrer sur le présent. Son nom est Thomas Anderson. Il est détenu à la prison du comté pour l'enlèvement et la vente d'enfants, principalement à des familles ne venant pas de l’état, qui n'avaient pas les qualifications requises pour l'adoption. Je n’arrive pas à croire que je n’ai pas réalisé que Johnson et Anderson pouvaient être un seul et même type.

— Cave a affaire à de nombreux kidnappeurs, Keri, dit Ray. Il n’y avait aucune raison que tu fasses le rapprochement.

— Comment tu le connais ? demanda Mags.

— Je suis tombée sur lui l’année dernière, quand je passais en revue des dossiers d’une affaire portant sur des kidnappeurs. À un moment, j’ai cru qu’il détenait peut-être Evie. Je suis allée à Twin Towers pour l’interroger et il est devenu clair assez rapidement que ce n’était pas lui. Il m’a même donné quelques pistes qui m’ont finalement aidée à débusquer Le Collectionneur. Et maintenant que j’y pense, il est le premier à m’avoir parlé de Jackson Cave, il disait que Cave était son avocat.

— Tu n’avais jamais entendu parler de Cave avant cela ? demanda Mags.

— Non, j’avais entendu parler de lui. Il est connu chez les flics des personnes disparues. Mais je n’avais jamais rencontré l’un de ses clients ou eu des raisons de penser à lui comme autre chose qu’une ordure généralisée jusqu’à ce qu’Anderson ne m’amène à m’y intéresser. Jusqu’à ce que je rencontre Thomas Anderson, Jackson Cave n’avait jamais été sur mon radar.

— Et tu ne penses pas que ce soit une coïncidence ? demanda Mags.

— Avec Anderson, je ne suis pas sûre que quoi que ce soit puisse être une coïncidence. N’est-ce pas étrange qu’il s’en soit sorti librement en tant que « John Johnson » mais pour être ensuite arrêté en faisant les mêmes choses en se servant de sa véritable identité, Thomas Anderson ? Pourquoi ne pas avoir utilisé une fausse identité cette fois encore ? Je veux dire, le gars était bibliothécaire pendant plus de trente ans. Il a tout bonnement ruiné sa vie en utilisant son vrai nom.

— Il pensait peut-être que Cave le sortirait d’affaire une deuxième fois ? suggéra Ray.

— Mais voilà le problème, dit Keri. Même si Cave était techniquement son avocat de la défense, lors de son dernier procès, celui durant lequel il a été condamné, Anderson s’est défendu lui-même. Et apparemment, il a été super. On dit qu’il a été si convainquant que si l’affaire n’avait pas été blindée, il s’en serait sorti.

— Si ce gars était un tel génie, répliqua Mags, comment l’affaire contre lui a pu se retrouver si solide au départ ?

— Je lui ai posé la même question, répondit Keri. Et il a reconnu qu’il était étrange que quelqu’un d’aussi intelligent et méticuleux que lui se fasse attraper de la sorte. Il ne l'a pas dit franchement, mais il a quasiment laissé entendre que c’était dans ses intentions de se faire condamner.

— Mais pourquoi, par les dieux de la terre verte ! demanda Mags.

— C’est une excellente question, Margaret, dit Keri qui referma l’ordinateur portable. Et je compte la poser à monsieur Anderson immédiatement.

*

Keri gara sa voiture dans la structure imposante en face des Twin Towers et prit l’ascenseur. Parfois, si elle devait s’y rendre dans la journée, l'énorme centre de détention du comté était si fréquenté qu'elle devait se rendre jusqu'au dixième étage découvert de la structure pour trouver une place de stationnement. Mais il était presque 20h et elle trouva une place au deuxième étage.

Tandis qu’elle traversait la rue, elle passa son plan en revue. Techniquement, en raison de sa suspension et de l’enquête des Affaires Internes, elle n’était pas autorisée à rencontrer un prisonnier dans une salle d’interrogatoire. Mais ce n’était pas encore de notoriété publique. Elle espérait que sa familiarité avec le personnel de la prison lui permettrait de bluffer pour s'en sortir.

Ray avait offert de l’accompagner pour lui faciliter le passage. Mais elle craignait que cela provoque des questions, lui attirant potentiellement des ennuis. Et même si ce n’était pas le cas, il était possible qu’on lui demande de participer à l’interrogatoire d’Anderson. Keri savait que le type ne parlerait pas dans ces conditions.

Apparemment, elle n’avait pas besoin de s’inquiéter.

— Comment ça va, détective Locke ? demanda l’agent de sécurité Beamon tandis qu’elle se rapprochait du détecteur de métaux de l’entrée. Je suis surpris de vous voir debout et vous déplacer après la confrontation avec ce psychopathe plus tôt cette semaine.

— Oh, ouais, acquiesça Keri qui décida d’utiliser sa récente confrontation à son avantage. Moi aussi, Freddie. On dirait que je m’en suis bien sortie, non ? Je suis toujours officiellement en congé jusqu'à ce que je sois en meilleure forme. Mais je devenais folle à rester à l’appartement, alors j’ai pensé que je pourrais venir vérifier une ancienne affaire. Ce n’est pas officiel alors je n’ai même pas ramené l’arme et le bouclier. C’est toujours bon si j’interroge quelqu’un même si je suis en congé ?

— Bien sûr, détective. J’espérais juste que vous iriez un peu plus tranquillement. Mais je sais que ce ne sera pas le cas. Signez. Prenez votre badge visiteur et rendez-vous au niveau des interrogatoires. Vous connaissez la procédure.

Keri connaissez effectivement la procédure et quinze minutes plus tard, elle était assise dans une salle d’interrogatoire, tandis qu’elle attendait l’arrivée du détenu 242 609, ou Thomas « Le Fantôme » Anderson. Le garde l’avait avertie qu’ils se préparaient à l’extinction des feux et qu’il faudrait peut-être un peu plus de temps pour le récupérer. Elle tenta de rester détendue tandis qu’elle attendait mais elle savait que c’était un combat perdu d’avance.

Anderson semblait toujours lire en elle, comme s’il épluchait secrètement son crâne pour révéler son cerveau et lire ses pensées. Bien souvent, elle se sentait tel un chaton, lui tenant un de ces stylos laser, l'envoyant dans des directions aléatoires à son gré.

Et pourtant, c’était son information, plus que tout autre, qui l’avait envoyée sur le chemin la rapprochant d’Evie. Était-ce à dessein ou simplement de la chance ? Il ne lui avait jamais donné la moindre indication que leurs réunions n'étaient qu'un hasard. Mais s'il était si impliqué dans la partie, pourquoi le ferait-il ?

La porte s’ouvrit et il entra, ressemblant beaucoup à ce dont elle se souvenait. Anderson, dans le milieu de la cinquantaine, mesurait environ 1m75 avec une silhouette carrée et bien faite qui laisser suggérer qu’il utilisait le gymnase de la prison régulièrement. Les menottes à ses avant-bras musclés semblaient serrées. Pourtant, il lui sembla plus mince que dans ses souvenirs, comme s’il avait manqué quelques repas. Ses cheveux épais étaient bien séparés, mais à sa grande surprise, ce n'était plus le noir de jais dont elle se souvenait. À présent, c’était principalement un mélange sel et poivre. Aux bords de sa combinaison de prison, elle put encore voir des bouts des nombreux tatouages qui recouvraient le côté droit de son corps, de ses pieds jusqu’à sa nuque. Son côté gauche restait immaculé.

Tandis qu’il était conduit vers la chaise en métal de l’autre côté de la table, en face d’elle, ses yeux gris ne la quittèrent pas. Elle savait qu'il la sondait, l'étudiait, l'évaluait, essayait d'en apprendre le plus possible sur sa situation avant qu'elle ne dise un mot.

Après qu’il se soit assis, le garde se posta près de la porte.

— Ça ira, officier… Kiley, dit Keri qui loucha vers son badge.

— La procédure, madame, dit le garde brusquement.

Elle lui jeta un regard. Il était nouveau… et jeune. Elle doutait qu'il soit déjà corrompu mais elle ne pouvait pas se permettre que quelqu'un, corrompu ou pas, entende cette conversation. Anderson sourit légèrement, sachant ce qui allait suivre. Cela serait sans doute divertissant pour lui.

Elle se leva et fixa le garde jusqu’à ce qu’il sente ses yeux sur lui et qu’il relève la tête.

— Tout d’abord, ce n’est pas madame, c’est détective Locke. Deuxièmement, je me contrefiche de vos procédures, le nouveau. Je veux parler à ce détenu en privé. Si vous ne pouvez pas faire cela, alors je vais devoir vous parler en privé, et ce ne sera pas une conversation agréable.

— Mais… Kiley commença à balbutier tandis qu’il se balançait d’un pied sur l’autre.

— Mais rien du tout, officier. Vous avez deux choix. Vous pouvez me laisser parler à ce détenu en privé. Ou nous pouvons avoir cette conversation ! Quel sera votre choix ?

— Je devrais peut-être chercher mon supéri…

— Ce n’est pas dans la liste des choix, officier. Vous savez quoi ? Je décide pour vous. Sortons de là pour que je puisse avoir une petite conversation avec vous. On pourrait penser qu'abattre un fanatique religieux pédophile me donnerait un laissez-passer pour le reste de la semaine, mais je suppose que je dois maintenant aussi instruire un agent correctionnel.

Elle tendit la main vers la poignée de porte et commença à l’actionner lorsque l’officier Kiley perdit finalement le peu de courage qui lui restait. Elle était impressionnée de voir combien de temps il avait tenu.

— Laissez tomber, détective, dit-il précipitamment. J’attendrai dehors. Faites juste attention, s’il vous plaît. Ce prisonnier à un passif d’incidents violents.

— Bien sûr que je le ferai, dit Keri d’une voix à présent mielleuse. Merci d’être si accommodant. Je vais essayer de rester brève.

Il sortit, referma la porte et Keri se retourna pour s’asseoir, pleine d’une confiance et d’une énergie qui lui faisaient défaut seulement trente secondes plus tôt.

— C’était amusant, dit Anderson avec légèreté.

— J’en suis sûre, répondit Keri. Vous devez vous douter que j’attends des informations de premier ordre pour vous avoir apporté un divertissement d’une telle qualité.

— Détective Locke, dit Anderson d’un ton faussement indigné, vous avez offensé ma délicate sensibilité. Cela fait des mois que nous ne nous sommes pas vus et pourtant, votre premier réflexe en me voyant est de demander des informations ? Pas de bonjour ? Pas de comment allez-vous ?

— Bonjour, dit Keri. Je vous demanderais bien comment vous allez, mais il est clair que vous n’allez pas fort. Vous avez perdu du poids. Vos cheveux sont grisonnants. La peau près de vos yeux s’est affaissée. Êtes-vous malade ? Ou quelque chose pèse-t-il sur votre conscience ?

 

— Les deux, en fait, admit-il. Voyez-vous, les garçons ici m’ont traité un peu plus brusquement dernièrement. Je ne fais désormais plus partie des populaires. Alors, je me fais parfois « emprunter » mon dîner. Je reçois de temps en temps un massage des côtes que je n’ai pas commandé. Et il se trouve que j’ai aussi une touche de cancer.

— Je ne savais pas, dit doucement Keri, sincèrement décontenancée. Tous les signes physiques d’affaiblissement semblaient maintenant logiques.

— Comment auriez-vous pu ? demanda-t-il. Je n’en ai pas fait la publicité. J’aurais pu vous le dire à mon audience de libération conditionnelle en novembre, mais vous n’y étiez pas. Je n’ai pas compris, d’ailleurs. Mais ce n’était pas votre faute. Votre lettre était adorable, merci beaucoup.

Keri avait écrit une lettre en faveur d’Anderson après qu’il l’ait aidée auparavant. Elle n’avait pas plaidé sa libération mais elle avait été généreuse dans la description de l’aide qu’il avait apportée aux forces de l’ordre.

— Vous n’étiez pas surpris de ne pas y être autorisé, je présume ?

— Non, dit-il. Mais il est difficile de ne pas espérer. C’était ma dernière chance réelle de sortir d’ici avant que la maladie ne m’emporte. Je rêvais de me promener sur une plage à Zihuatanejo. Hélas, cela n’arrivera pas. Mais assez bavardé, détective. Passons à la vraie raison de votre venue ici. Et souvenez-vous, les murs ont des oreilles.

— Ok, commença-t-elle avant de se pencher et de murmurer. Êtes-vous au courant pour demain soir ?

Anderson hocha la tête. Keri sentit une vague d’espoir lui soulever la poitrine.

— Savez-vous où ça se passe ?

Il secoua la tête.

— Je ne peux pas vous aider avec le où, lui répondit-il en murmurant. Mais je vais peut-être vous aider avec le pourquoi.

— À quoi cela me servirait ? demanda-t-elle amèrement.

— Savoir pourquoi pourrait vous aider à trouver le où.

— Laissez-moi vous demander un autre pourquoi, dit-elle tandis qu’elle réalisait que la colère l’emportait et qu’elle était incapable de la contenir.

— Très bien.

— Pourquoi m’aidez-vous tout court ? M’avez-vous guidée tout du long depuis que je vous ai rencontré la première fois ?

— Voilà ce que je peux vous dire, détective. Vous savez ce que je faisais pour vivre, de quelle façon j’organisais le vol d’enfants dans leurs familles pour les donner à d’autres familles, souvent pour un prix aberrant. C’était un commerce très juteux. J’ai pu le mener à distance en utilisant un faux nom et vivre une vie heureuse, sans complication.

— En tant que John Johnson ?

— Non, ma vie heureuse a été sous le nom de Thomas Anderson, bibliothécaire. John Johnson était mon alter égo, facilitateur de kidnapping. Quand je me suis fait arrêté, je me suis tourné vers quelqu’un que nous connaissons tous les deux pour m’assurer que John Johnson serait exonéré et que Thomas Anderson ne serait jamais relié à lui. C’était presque dix ans auparavant. Notre ami n’a pas voulu le faire. Il a dit qu’il représentait seulement ceux maltraités par le système, et que j’étais, et c’est amusant d’y repenser maintenant, un cancer dans ce système.

— C’est amusant, lui accorda Keri sans rire.

— Mais comme vous le savez, je peux être convaincant. Je l’ai persuadé que je prenais des enfants à des familles aisées et qui ne les méritaient pas et les donnait à des familles aimantes n’ayant pas les mêmes ressources. Puis je lui ai offert un énorme paquet d’argent pour qu’il me fasse acquitter. Je pense qu’il savait que je mentais. Après tout, comment ces familles aux faibles revenus pouvaient se permettre de me payer ? Et les parents qui perdaient leurs enfants était-ils tous si terribles ? Notre ami est très intelligent. Il devait savoir. Mais ça lui apportait quelque chose à quoi se raccrocher, quelque chose pour se rassurer quand il a accepté un montant à six chiffres de ma part.

— Six chiffres ? répéta Keri qui n’en croyait pas ses oreilles.

— Comme je le disais, c’était un commerce très lucratif. Et ce paiement n’était que le premier. Pendant la durée du procès, je lui ai versé environ un demi-million de dollars. Et avec ça, il était engagé. Après avoir été acquitté et après avoir repris le travail sous mon propre nom, il a même commencé à m’aider à faciliter les enlèvements pour ces familles « plus méritantes ». Tant qu’il trouvait un moyen de justifier les transactions, il était à l’aise avec elles, enthousiaste, même.

— Alors, vous lui avez fait mordre dans cette première bouchée du fruit défendu ?

— En effet. Et il s’est avéré qu’il en aimait le goût. En fait, il a découvert qu’il prenait goût à un grand nombre de choses qu’il ne pensait pas pouvoir aimer.

— Que voulez-vous dire exactement ? demanda Keri.

— Disons simplement que quelque part en chemin, il a perdu le besoin de justifier les transactions. Vous savez, cet événement demain soir ?

— Oui ?

— C’était son invention, dit Anderson. Attention, il ne participe pas. Mais il a réalisé qu’il y avait un marché pour ce genre de choses et pour toutes les festivités plus petites similaires tout au long de l’année. Il a comblé cette niche. Il contrôle essentiellement la version haut de gamme de ce… marché dans la région de Los Angeles. Et dire qu’avant moi, il travaillait dans un bureau d’une pièce à côté d'un magasin de beignets, représentant des immigrants illégaux accusés au hasard de crimes sexuels par des policiers qui cherchaient à établir des quotas.

— Alors, vous avez développé une conscience ? demanda Keri à travers ses dents serrées. Elle était dégoutée, mais elle voulait des réponses et craignait que montrer un dégoût trop manifeste amènerait Anderson à se refermer. Il sembla détecter ce qu’elle ressentait mais continua tout de même.

— Pas encore. Ce n’est pas ce que j’ai fait. C’est arrivé bien plus tard. J’ai vu cette histoire aux infos il y a environ un an et demi à propos d’une détective et son partenaire qui avaient sauvé cette petite fille qui avait été enlevée par le copain de la baby-sitter, un vrai monstre.

— Carlo Junta, dit Keri par automatisme.

— Exact. Enfin bref, dans l’histoire, ils ont mentionné que cette détective était la même femme qui avait rejoint l’école de police quelques années plus tôt. Et ils ont montré un bout d’une vidéo prise juste après sa remise de diplôme. Elle disait avoir rejoint les forces de l’ordre parce que sa fille avait été enlevée. Elle disait que même si elle n’avait pas pu sauver sa propre fille, peut-être qu’en étant dans la police, elle pourrait aider à sauver les filles d’autres familles. Cela vous semble familier ?

— Oui, dit Keri d’une voix basse.

— Donc, continua Anderson, comme je travaillais dans une bibliothèque et que j’avais accès à toutes sortes de vieilles vidéos des infos, je suis remonté en arrière et j’ai trouvé l’histoire du moment où la fille de cette femme avait été enlevée et sa conférence de presse juste après dans laquelle elle demandait que sa fille lui soit rendue saine et sauve.

Keri se revit à la conférence de presse, qui était un grand brouillard. Elle se rappela parler dans une douzaine de micros balancés dans son visage, suppliant l’homme qui lui avait arraché sa fille au milieu d’un parc et qui l’avait jetée dans son fourgon, de lui rendre.

Elle se rappelait le cri « S’il te plaît, maman, aide-moi » et les nattes blondes qui s'éloignaient de plus en plus loin tandis qu’Evie, huit ans seulement à l'époque, disparaissait à travers le parterre vert. Elle se souvenait du gravier encore enfoncé dans ses pieds pendant la conférence de presse, piégé là lorsqu’elle avait couru pieds-nus à travers le parking, pourchassant le fourgon jusqu’à ce qu’il la laisse dans la poussière. Elle se rappelait de tout.