Le Quartier Idéal

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C’était l’agent Ryan Hernandez. Quand elle répondit à l’appel, elle jeta un coup d’œil à la pendule. Il était 2 h 13 du matin.

“Bonjour”, dit-elle avec une voix presque réveillée.

“Jessie ? C’est Ryan Hernandez. Désolé d’appeler à cette heure mais je viens de recevoir un appel pour enquêter sur une mort suspecte à Hancock Park. Garland Moses ne prend plus d’appels au milieu de la nuit et tous les autres sont déjà pris. Tu viens ?”

“Bien sûr”, répondit Jessie.

“Si je t’envoie l’adresse par SMS, peux-tu être là dans trente minutes ?” demanda-t-il.

“Je peux y être dans quinze minutes.”

CHAPITRE SEPT

Quand Jessie s’arrêta devant le manoir de Lucerne Blvd. à 2 h 29 du matin, il y avait déjà plusieurs voitures de police, une ambulance et le véhicule d’un médecin légiste sur place. Elle sortit et alla vers la porte de devant en essayant d’avoir l’air aussi professionnelle que possible dans ces circonstances.

Les voisins se tenaient sur le trottoir. Beaucoup d’entre eux étaient en robe de chambre pour se protéger des fraîcheurs de la nuit. Cette sorte d’événement n’était pas courante dans un quartier riche comme Hancock Park. Niché entre Hollywood au nord et le quartier Mid-Wilshire au sud, c’était une enclave traditionnelle des riches de Los Angeles ou, du moins, un quartier aussi “traditionnellement riche” que l’on puisse en trouver dans une ville aussi peu intéressée par les traditions historiques.

Les personnes qui y habitaient n’étaient pas vraiment les stars du cinéma ou les magnats d’Hollywood que l’on pouvait trouver à Beverly Hills ou à Malibu. Ces maisons appartenaient aux gens qui avaient hérité de leur richesse et qui ne travaillaient pas tous. S’ils travaillaient, ce n’était souvent que pour lutter contre l’ennui. Cependant, ils n’avaient aucune raison de craindre de s’ennuyer ce soir. Après tout, un de leurs voisins était mort et tout le monde était curieux de savoir qui.

Jessie sentit un petit frisson quand elle monta aux escaliers de la porte de devant, qui était barrée d’un cordon de police jaune. C’était la première fois qu’elle arrivait sur une scène de crime sans être accompagnée par un inspecteur et cela signifiait que c’était la première fois qu’elle allait devoir montrer patte blanche pour accéder à une zone à accès réglementé.

Elle se souvint qu’elle avait vraiment été excitée quand on lui avait donné son badge. À l’appartement, elle s’était même entraînée quelques fois à le montrer à Lacy mais, maintenant, quand elle fouilla dans la poche de son manteau pour le retrouver, elle se sentit étonnamment nerveuse.

Elle aurait pu s’épargner cette inquiétude. L’agent de police qui se tenait en haut des escaliers regarda tout juste le badge avant de défaire le cordon de police et de la laisser passer.

Jessie trouva Hernandez et un autre inspecteur juste à l’intérieur du vestibule de la maison. Le jeune homme semblait avoir joué à la courte paille et perdu. L’ancienneté de l’agent Reid avait dû lui permettre de ne pas répondre à cet appel. Jessie se demanda pourquoi Hernandez n’avait pas mis en avant son rang, lui aussi. Il vit Jessie et l’invita à entrer d’un geste.

“Jessie Hunt, je ne sais pas si vous connaissez l’agent Alan Trembley. C’est l’inspecteur qui était de garde cette nuit et il va travailler avec moi sur cette enquête.”

Quand Jessie lui serra la main, elle ne put s’empêcher de remarquer que, avec ses cheveux blonds frisés mal coiffés et les lunettes qu’il avait au milieu de l’arête du nez, il avait l’air aussi perdu qu’elle.

“Notre victime est dans l’abri de la piscine”, dit Hernandez en commençant à marcher, prenant les devants. “Elle s’appelle Victoria Missinger, trente-quatre ans, mariée, sans enfants. Elle est dans un petit coin discret situé en dehors de la pièce principale et cela pourrait aider à expliquer pourquoi il nous a fallu si longtemps pour la trouver. Son mari a appelé cet après-midi et nous a dit que cela faisait des heures qu’il n’arrivait pas à entrer en contact avec elle. Comme on a craint que ce soit un enlèvement avec demande de rançon, nous n’avons effectué de fouille complète de la maison qu’il y a quelques heures de cela. Son corps a été trouvé par un chien de détection.”

“Bon sang”, marmonna Trembley, ce qui poussa Jessie à se demander s’il avait tant d’expérience que ça pour que la simple idée d’un chien de détection suffise à lui faire peur.

“Comment est-elle morte ?” demanda-t-elle.

“Le médecin légiste est encore sur place et on n’a pas encore effectué d’analyse de sang mais notre première théorie est une overdose d’insuline. On a trouvé une seringue près du corps. Elle était diabétique.”

“On peut mourir d’une overdose d’insuline ?” demanda Trembley.

“Oui, si on ne la traite pas”, dit Hernandez pendant qu’ils parcouraient un long hall qui menait de la maison à la porte de derrière. “De plus, on dirait qu’elle est restée seule dans la pièce pendant des heures.”

“J’ai la sensation qu’on traite pas mal d’incidents dus à des seringues ces derniers temps, inspecteur Hernandez”, fit remarquer Jessie. “Vous savez, je veux bien traiter des cas de meurtre par balle de temps à autre.”

“C’est une pure coïncidence, je vous l’assure”, répondit-il en souriant.

Ils sortirent et Jessie se rendit compte que la grande maison du devant cachait une arrière-cour encore plus grande. Une énorme piscine occupait la moitié de l’espace. L’abri de la piscine se trouvait au-delà. Hernandez alla vers lui et les deux autres le suivirent.

“Qu’est-ce qui vous pousse à soupçonner que ce n’était pas un simple accident ?” lui demanda Jessie.

“Je n’ai pas encore tiré de conclusions”, répondit-il. “Le médecin légiste pourra nous en dire plus dans la matinée mais Mme Missinger a eu le diabète toute sa vie et, selon son mari, elle n’avait jamais eu ce type d’accident. On dirait qu’elle savait prendre soin d’elle-même.”

“Avez-vous parlé au mari ?” demanda Jessie.

“Non”, répondit Hernandez. “Un agent de police en uniforme a pris sa déposition initiale. Actuellement, on s’occupe de lui dans la salle de petit déjeuner. Nous lui parlerons quand je vous aurai montré la scène.”

“Que savons-nous sur lui ?” demanda Jessie.

“Michael Missinger, trente-sept ans, héritier des pétrodollars Missinger. Il a vendu sa part il y a sept ans et créé un fonds spéculatif qui investit seulement dans les technologies écologiques. Il travaille dans le centre-ville, dans l’appartement-terrasse d’un de ces immeubles dont on ne peut voir le sommet qu’en penchant la tête en arrière.”

“Des antécédents ?” demanda Trembley.

“Vous rigolez ou quoi ?” dit Hernandez en riant. “Sur le papier, ce gars est blanc comme neige. Aucun scandale personnel. Aucun problème financier. Même pas une contravention. S’il a des secrets, ils sont bien cachés.”

Ils étaient arrivés à l’abri de la piscine. Un agent de police en uniforme enleva le cordon de police pour qu’ils puissent entrer. Jessie suivit Hernandez, qui prit les devants. Trembley arriva en dernier.

Quand elle entra, Jessie essaya de se vider la tête de toute pensée extérieure. C’était sa première affaire de meurtre de haut niveau et elle voulait que rien ne l’empêche de se concentrer sur son travail actuel. Elle voulait ne penser qu’à ce qui l’entourait.

L’abri de la piscine débordait de glamour vintage discret. Il lui rappela les cabanons qu’elle avait imaginé que les stars du cinéma des années 1920 utilisaient quand ils allaient à la plage. Le sofa long qui se trouvait au fond de la pièce principale avait une armature en bois mais les coussins luxueux qui le recouvraient avaient l’air d’inviter à la sieste.

La table basse semblait avoir été fabriquée à la main avec du bois de récupération, notamment de vieilles parties de coques de bateaux. Les œuvres d’art affichées sur les murs donnaient l’impression d’être d’origine polynésienne. À l’autre bout de la pièce se trouvait une table de billard de taille exceptionnelle. Le téléviseur à écran plat était caché derrière un rideau beige épais et d’apparence soyeuse qui, soupçonna Jessie, avait dû coûter plus cher que sa Mini Cooper. Rien ne semblait indiquer qu’il s’était passé quoi que ce soit de fâcheux en cet endroit.

“Où est le coin caché ?” demanda-t-elle.

Hernandez les fit passer derrière le bar qui courait le long du mur d’à côté. Jessie vit un autre cordon de police devant ce qui ressemblait à une armoire à linge. Hernandez enleva le cordon, ouvrit la porte du placard d’une main gantée puis entra et sembla disparaître.

Jessie le suivit et vit que le placard avait en effet des étagères avec des serviettes et des produits de nettoyage. Cependant, quand elle se rapprocha, elle vit une ouverture étroite qui se trouvait à droite, entre la porte et les étagères. Il semblait y avoir une porte coulissante en bois qui disparaissait dans le mur.

Jessie mit une paire de gants personnels et ferma la porte. Si on n’y regardait pas de près, on aurait dit qu’elle n’était qu’un panneau ordinaire du mur. Elle la rouvrit et entra dans la petite pièce où Hernandez l’attendait.

La pièce ne contenait pas grand-chose, juste une petite causeuse et une petite table en bois à côté. Par terre, il y avait une lampe qui avait apparemment été renversée. Quelques éclats de verre s’en étaient détachés et étaient tombés sur le tapis blanc en peluche.

Victoria Missinger était affalée sur la causeuse en une pose détendue qui aurait pu donner l’illusion qu’elle dormait. Une seringue était posée sur le coussin à côté d’elle.

Même morte, Victoria Missinger était une belle femme. Il était difficile d’évaluer sa taille mais elle était mince et avait l’air d’une femme qui allait régulièrement voir son coach. Jessie se dit qu’il faudrait qu’elle suive cette piste.

 

Elle avait la peau crémeuse et dynamique alors que la rigidité cadavérique commençait à s’installer. Jessie ne pouvait qu’imaginer ce à quoi elle avait pu ressembler quand elle avait été en vie. Elle avait de longs cheveux blonds qui lui couvraient une partie du visage mais pas assez pour cacher ses pommettes saillantes parfaitement dessinées.

“Elle était belle”, dit Trembley en minimisant sa beauté.

“Pensez-vous qu’elle s’est battue ?” demanda Jessie à Hernandez en montrant d’un signe de tête la lampe cassée qui gisait sur le tapis.

“C’est difficile d’en être sûr. Elle aurait pu renverser ça en essayant de se relever. Ou alors, cela pourrait vouloir dire qu’il y a eu une sorte de bagarre.”

“J’ai l’impression que vous avez une opinion mais que vous la gardez pour vous”, insista Jessie.

“Eh bien, comme je l’ai dit, je déteste tirer des conclusions trop vite mais j’ai trouvé ça un peu bizarre”, dit-il en montrant le tapis.

“De quoi parlez-vous ?” demanda-t-elle, incapable de discerner quoi que ce soit d’intéressant mis à part l’épaisseur du tapis.

“Voyez-vous que nos pieds ont laissé des empreintes très profondes dans le tapis ?”

Jessie et l’agent Trembley hochèrent la tête.

“Quand nous sommes entrés après que le chien l’a trouvée, il n’y avait aucune empreinte de pas.”

“Pas même les siennes ?” demanda Jessie qui commençait à comprendre la situation.

“Non”, répondit Hernandez.

“Qu’est-ce que ça veut dire ?” demanda Trembley, qui ne comprenait pas encore.

Hernandez lui expliqua.

“Cela signifie que ce tapis luxueux a une mémoire de forme étonnante ou que quelqu’un a passé l’aspirateur après le meurtre pour cacher l’existence d’empreintes de pas appartenant à quelqu’un d’autre que Victoria.”

“C’est intéressant”, dit Jessie, impressionnée que l’inspecteur Hernandez soit aussi attentif aux détails. Elle se targuait de savoir lire les gens mais elle n’aurait jamais repéré un indice physique comme celui-là. Cela lui rappela qu’Hernandez avait aidé à capturer Bolton Crutchfield et qu’elle ne devait pas sous-estimer ses compétences. Elle avait beaucoup à apprendre de lui.

“Avez-vous trouvé un aspirateur ?” demanda Trembley.

“Pas ici”, dit Hernandez, “mais les autres fouillent le bâtiment principal.”

“J’imagine qu’aucun des Missinger ne faisait souvent le ménage”, conjectura Jessie. “Je me demande même s’ils savaient où on rangeait l’aspirateur. Je suppose qu’ils ont une femme de ménage ?”

“Ils en ont une”, dit Hernandez. “Elle s’appelle Marisol Mendez. Malheureusement, elle n’est pas en ville et elle ne reviendra que la semaine prochaine. Apparemment, elle est en vacances à Palm Springs.”

“Donc, ce n’est pas la femme de ménage”, dit Trembley. “Qui d’autre travaille ici ? Ils doivent avoir des tas d’employés.”

“Pas autant que vous pourriez le penser”, dit Hernandez. “Comme leur aménagement paysager est en grande partie résistant à la sécheresse, ils font seulement venir un jardinier deux fois par mois à des fins de maintenance. Ils ont un abonnement à une entreprise de gestion de piscines et Missinger dit que quelqu’un vient une fois par semaine, le jeudi.”

“Donc, ça nous laisse qui ?” demanda Trembley, craignant de dire la réponse de peur d’avoir l’air d’enfoncer les portes ouvertes.

“Cela nous laisse la personne avec laquelle nous avons commencé”, dit Hernandez, qui n’avait pas peur de dire les choses. “Le mari.”

“Est-ce qu’il a un alibi ?” demanda Jessie.

“C’est exactement ce que nous allons trouver”, répondit Hernandez, qui sortit sa radio et parla dedans. “Nettles, fais emmener Missinger au poste pour interrogatoire. Je ne veux pas qu’on l’interroge avant qu’on l’ait emmené en salle d’interrogatoire.”

“Désolé, inspecteur”, dit une voix crépitante et appréhensive dans la radio, “mais quelqu’un l’a déjà fait. Il est en route, maintenant.”

“Merde”, jura Hernandez en éteignant la radio. “Il faut qu’on parte maintenant.”

“Quel est le problème ?” demanda Jessie.

“Je voulais être au poste quand Missinger arriverait, pour jouer le rôle du bon flic, de sa bouée de sauvetage, de son représentant mais, s’il y arrive avant moi et s’il voit tous ces uniformes bleus, ces armes et ces néons, il va avoir peur et exiger de voir son avocat avant que je puisse lui demander quoi que ce soit. À ce stade, nous ne pourrons plus rien lui soutirer d’utile.”

“Dans ce cas, on ferait mieux de se presser”, dit Jessie en passant devant lui et en sortant par la porte.

CHAPITRE HUIT

Quand ils arrivèrent au poste, Missinger y était déjà depuis dix minutes. Hernandez avait appelé avant et avait ordonné à l’officier de permanence de le faire emmener dans la salle familiale, qui était conçue pour accueillir les victimes de crimes et les familles des morts. L’endroit était un peu moins froid que le reste du poste. Il contenait deux vieux sofas, il y avait des rideaux aux fenêtres et quelques magazines vieux de plusieurs mois sur la table basse.

Jessie, Hernandez et Trembley se dépêchèrent d’aller à la porte de la salle familiale, devant laquelle un grand agent de police montait la garde.

“Comment va-t-il là-dedans ?” demanda Hernandez.

“Il va bien. Malheureusement, il a demandé à appeler son avocat dès qu’il a passé la porte.”

“Génial”, cracha Hernandez. “Depuis combien de temps attend-il pour passer l’appel ?”

“Il l’a déjà fait, monsieur”, dit l’inspecteur d’un air gêné.

“Quoi ! Qui l’a laissé faire ça ?”

“Moi, monsieur. Je n’étais pas censé le faire ?”

“Depuis combien de temps êtes-vous dans la police, Inspecteur… Beatty ?” demanda Hernandez en lisant le nom de l’homme sur sa chemise.

“Depuis presque un mois, monsieur.”

“OK, Beatty”, dit Hernandez, qui tentait visiblement de contrôler son énervement. “On ne peut plus rien y faire, maintenant. Cependant, dans l’avenir, vous ne devrez pas donner immédiatement un téléphone à un suspect potentiel dès qu’il en demande un. Vous le mettrez dans une pièce et vous lui direz que vous allez lui apporter le téléphone tout de suite. ‘Tout de suite’ pourra prendre quelques minutes, peut-être même une heure ou deux. C’est une tactique qui nous laisse le temps de mettre au point une stratégie et de déstabiliser le suspect. Pourrez-vous ne pas oublier ça dans l’avenir ?”

“Oui, monsieur”, dit humblement Beatty.

“OK. Pour l’instant, emmenez-le dans une salle d’interrogation ouverte. Il ne nous reste probablement pas beaucoup de temps avant l’arrivée de son avocat mais j’aimerais me servir de ce que nous avons pour nous faire au moins une idée de ce gars. Au fait, Beatty, quand vous l’emmènerez dans la salle, ne répondez à aucune de ses questions. Mettez-le dans la pièce et partez. Compris ?”

“Oui, monsieur.”

Quand Beatty alla chercher Missinger dans la salle familiale, Hernandez emmena Jessie et Trembley dans la salle de pause.

“Laissons-lui une minute pour s’installer”, dit Hernandez. “Trembley et moi, on va entrer. Jessie, tu devrais regarder de derrière le miroir. Il est trop tard pour poser des questions substantielles mais nous pouvons essayer d’établir une sorte de relation avec ce gars. Il n’a pas besoin de nous dire quoi que ce soit mais nous pouvons dire beaucoup de choses et cela pourra avoir de l’effet sur lui. Il faut qu’il se sente aussi mal à l’aise que possible avant que son avocat n’arrive et ne commence à le détendre. Notre but est d’installer un doute durable dans sa tête pour qu’il se demande si nous ne pourrions pas être de meilleurs alliés que son avocat grassement payé. Comme nous n’avons pas beaucoup de temps pour le faire, allons-y tout de suite.”

Jessie alla dans la salle d’observation et s’assit sur une chaise. C’était sa première chance d’examiner Michael Missinger, qui se tenait dans un coin, embarrassé. Aussi étonnant que ce soit, il avait l’air encore plus beau que sa femme l’avait été. Même à trois heures du matin, avec un jean et un sweat qu’il avait dû se mettre à la dernière minute, il semblait sortir d’une séance photo.

Ses cheveux courts et blonds décolorés par le soleil était juste assez décoiffés pour avoir l’air sans prétention mais pas assez pour avoir l’air ébouriffés. Sa peau était bronzée à certains endroits mais blanche à d’autres, ce qui indiquait qu’il faisait régulièrement du surf.

Il était grand et maigre et donnait l’impression de ne pas avoir besoin de faire de gymnastique pour avoir une telle apparence. La rougeur de ses yeux bleus gonflés, probablement par les larmes, ne les empêchait pas d’être superbes. Jessie dut admettre malgré elle-même que, si ce gars l’avait accostée au bar la veille au soir, elle aurait été moins cavalière avec lui qu’avec Doyle. Aussi agaçant que ce soit, même la nervosité avec laquelle il changeait de pied avait de quoi séduire.

Au bout de quelques secondes, Hernandez et Trembley entrèrent. Ils eurent l’air moins impressionnés que Jessie.

“Asseyez-vous, M. Missinger”, dit Hernandez sur un ton presque chaleureux. “Nous savons que vous avez appelé votre avocat, ce qui est tout à fait normal. Je crois comprendre qu’il est en route. Entre temps, nous voulions vous tenir au courant de l’avancée de notre enquête. Permettez tout d’abord que je vous présente mes condoléances pour votre perte.”

“Merci”, dit Missinger d’une voix légèrement éraillée. Jessie ne savait pas s’il avait tout le temps cette voix ou si c’était à cause du stress de cette nuit.

“Donc, nous ne savons pas encore s’il y a eu homicide”, continua Hernandez en s’asseyant devant lui. “Cependant, d’après ce que je sais, vous avez dit à un de nos agents que Victoria savait extrêmement bien entretenir son corps et que vous n’avez souvenir d’aucun incident de ce style.”

“Je…”, commença Missinger.

“Inutile de répondre, M. Missinger”, interrompit Hernandez. “Je ne veux pas qu’on m’accuse d’avoir violé vos droits Miranda. D’après ce qu’on me dit, on vous les a lus, n’est-ce pas ?”

“Oui.”

“Bien sûr, c’est une procédure standard. De plus, bien que nous ne vous considérions pas vraiment comme un suspect, vous avez tout à fait le droit de demander à votre avocat d’intervenir. Par contre, de notre côté, nous essayons de progresser aussi rapidement que possible pour résoudre cette affaire. Le temps presse. Donc, plus nous pourrons confirmer de détails, comme celui que vous nous avez communiqué sur les compétences en auto-médication de Victoria, moins nous risquerons de rencontrer des impasses. Cela vous semble-t-il clair ?”

Missinger hocha la tête. Trembley se tenait de côté sans dire un mot, comme s’il ne savait pas s’il fallait qu’il intervienne ou quand il devait le faire.

“Donc”, continua Hernandez, “pour confirmer une fois de plus, vous avez dit que votre femme de ménage, Marisol, est en vacances à Palm Springs cette semaine. Vous avez fourni son numéro de téléphone portable à un agent et je crois qu’ils sont en train d’essayer de la contacter. Au fait, sans répondre formellement, si vous constatez que je dis quelque chose d’imprécis, vous pourrez peut-être m’en avertir. Vous n’aurez besoin de répondre à aucune question, bien sûr. Je vous demande juste de me remettre dans le droit chemin si je me trompe. D’accord ?”

“D’accord”, convint Missinger.

“Parfait. On progresse. Nous savons que vous avez essayé de contacter Victoria plusieurs fois pendant l’après-midi et qu’elle n’a jamais répondu. Je crois comprendre que c’était tard dans l’après-midi d’hier, quand vous êtes rentré chez vous pour la retrouver et aller à un dîner avec elle et que vous avez trouvé sa voiture mais pas elle, que vous vous êtes assez inquiété pour appeler la police. Si je me trompe, tapotez du doigt sur la table ou faites un geste pour me le dire.”

Alors que Hernandez continuait à décrire les événements dans l’ordre chronologique, Jessie sentit qu’elle n’écoutait qu’à moitié. Elle avait remarqué une chose pendant le dernier échange et elle se demandait si ce qu’elle avait vu était réel ou si elle l’avait imaginé. Juste au moment où Hernandez avait dit “pendant l’après-midi”, Michael Missinger avait tressailli légèrement, presque par réflexe. Il ne l’avait pas fait quand Hernandez avait dit “vous avez essayé de la contacter” ni quand il avait dit “elle n’a jamais répondu”. Seuls les mots “pendant l’après-midi” avaient fait réagir Missinger.

 

À quoi avait-il pensé quand Hernandez avait mentionné l’après-midi ? C’était si imperceptible que Missinger lui-même ne l’avait peut-être pas remarqué. Cela semblait peu probable s’il se souvenait avoir assassiné sa femme dans l’après-midi. Jessie se serait attendue à assister à une réaction plus importante ou à un effort concerté pour ne pas réagir du tout. Et pourtant, pour une raison inconnue, la mention de “l’après-midi” l’avait déstabilisé, même si ce n’était que légèrement.

Les réflexions de Jessie furent interrompues par l’entrée d’une nouvelle personne dans la salle d’interrogation.

“Bonjour, messieurs”, dit gaiement un petit homme de quarante ans qui perdait ses cheveux. “Je suis Brett Kolson, avocat de M. Missinger. J’espère que nous passons tous un bon moment et je suis sûr que vous n’avez pas interrogé mon client après qu’il m’a appelé.”

Il entra vivement et prit la chaise en métal qui se trouvait à côté de Missinger. Jessie saisit le nom de Kolson dans la base de données des avocats pour voir ce qu’elle pourrait glaner sur lui.

“Enchanté, maître”, répondit Hernandez sur un ton qui indiquait qu’il n’était pas entièrement sincère. “Je suis sûr que votre client vous dira que nous avons suivi le règlement à la lettre avant votre arrivée.”

Missinger hocha la tête.

“Ils n’ont fait que reconfirmer des informations”, dit-il calmement.

“C’est exact”, convint Hernandez. “Cependant, maintenant que vous êtes ici, M. Kolson, nous aimerions clarifier quelques questions de nature chronologique.”

“Vous avez parfaitement le droit d’essayer mais je me réserve le droit de conseiller à M. Missinger de refuser de répondre à toutes les questions que je considérerai comme étant hors propos. Enfin, je le ferai sortir d’ici si je considère que c’est approprié. M. Missinger veut nous aider à comprendre ce qui s’est passé. J’espère que ce ne sera pas une chasse aux sorcières.”

“Bien sûr que non”, dit Hernandez en prétendant ne pas être inquiété par les choses mêmes qu’il redoutait de voir arriver.

“Pouvez-nous nous laisser un moment pour discuter en privé ?” demanda Kolson.

“Bien sûr”, dit Hernandez. “Nous reviendrons dans un moment.”

Quelques secondes plus tard, Hernandez et Trembley entrèrent dans la salle d’observation et regardèrent Missinger parler calmement avec son avocat.

“Nous ne tirerons rien de ce gars”, dit Hernandez, découragé. “Son avocat va lui conseiller de ne pas répondre aux questions importantes. Quand nous reviendrons là-bas, il nous bloquera à chaque question.”

“Peut-être pas”, dit Jessie, qui examinait encore l’écran de son ordinateur.

“Qu’entends-tu par là ?” demanda Hernandez.

“Ce Kolson n’est pas un criminaliste. Même s’il veut donner l’impression qu’il en est un, il est l’avocat de société d’Ecofund Investment Partners, le fonds spéculatif de Missinger.”

“Est-ce vraiment important ?” demanda Trembley. “De toute façon, il nous empêchera de bombarder son client de questions gênantes.”

“Non, ce n’est pas si important”, convint Jessie, “mais l’obligation légale de Kolson concerne surtout le fonds, pas Missinger lui-même. Si nous pouvons convaincre Missinger que ses intérêts et ses avocats ne sont pas en phase, il dira peut-être quelque chose d’utile.”

“Tu as des suggestions ?” demanda Hernandez. “Je ne vois aucun moyen de l’interroger sans qu’il ne se bloque immédiatement.”

“Il y a certainement quelque chose de bizarre dans ce qu’il faisait hier après-midi. Il a tressailli quand vous avez mentionné cette période. Vous devriez peut-être y revenir, vérifier s’il peut vous décrire tout ce qu’il a fait au travail mardi après-midi. Peut-être Kolson ne s’y opposera-t-il pas s’il pense que la réponse ne risque pas d’incriminer son client. Je veux voir comment il réagit quand vous évoquez cette période.”

“Que cherches-tu ?” demanda Hernandez.

“Aucune idée”, admit Jessie.

Les inspecteurs retournèrent dans la pièce. Missinger et Kolson arrêtèrent de chuchoter. Jessie essaya de déchiffrer leurs expressions mais ne repéra qu’une vague anxiété chez le client.

“Parlons de hier après-midi, M. Missinger”, commença Hernandez. “Je sais que vous avez dit à notre agent de police que vous êtes rentré chez vous pour y retrouver votre femme pour aller dîner en ville. Que faisiez-vous avant ça ?”

Missinger regarda son avocat, qui hocha la tête.

“Nous avons eu une conférence téléphonique tout après-midi”, dit-il.

“L’avez-vous dirigée ?”

“Non. J’ai fait quelques remarques préparatoires mais c’est surtout notre directeur financier, Sven Knullsen, qui l’a dirigée. C’était une réévaluation du portefeuille de l’écopôle pour son entrée en Q numéro un, une sorte de dernière révision avant de tout fermer pour les vacances. Comme il avait préparé une grande présentation, je m’en suis remis à lui.”

“Cela vous a-t-il pris tout l’après-midi ?” demanda Hernandez.

Jessie vit Missinger se crisper involontairement, presque imperceptiblement, avant de répondre.

“Oui. Il a fallu que je me prépare pour ça puis j’ai participé pendant une bonne heure.”

“La réunion a eu lieu dans votre bureau du centre-ville ?” demanda Hernandez.

“Techniquement, oui. C’est là qu’elle a été lancée mais notre équipe est dispersée dans le monde entier. Nous n’étions pas tous dans la même salle de conférence. Tout le monde a participé à distance, même les gens de nos bureaux.”

“Existe-t-il un enregistrement de la conférence ?” demanda Trembley.

“D’habitude, oui”, dit Missinger. “Nous les conservons pour que les collègues qui n’ont pas pu y participer puissent l’écouter plus tard.”

À ce moment-là, Kolson intervint.

“Tout ce qui appartient à cette réunion est professionnel et je n’accepterais pas que l’on s’en serve pour autre chose que pour vérifier que mon client y a participé.”

“Avez-vous participé à la conférence tout le temps, M. Missinger ?” demanda Hernandez.

“Oui”, répondit-il.

Une fois de plus, les muscles de la mâchoire de Missinger se fléchirent très légèrement. Jessie en avait assez vu. Elle décida qu’il était temps qu’elle devienne plus qu’une simple observatrice.

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