Le Mensonge Idéal

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CHAPITRE CINQ

La puanteur était accablante. La femme devait être morte depuis deux ou peut-être trois jours. Elle était allongée sur le lit avec les couvertures écartées et elle portait une culotte d’entraînement et un soutien-gorge de sport. Ni la façon dont elle était positionnée dans la chambre ni d’autres indices ne suggéraient qu’elle se soit débattue. Rien ne semblait avoir été renversé par terre. Rien n’était cassé. Ses vêtements ne semblaient pas avoir été dérangés. Elle n’avait pas de signes visibles de coupure ou de contusion.

Bien sûr, cela ne prouvait rien. En cas d’homicide, le coupable aurait eu tout le temps de nettoyer la pièce et Taylor avant de partir. Dans ce domaine, s’il y avait des empreintes digitales sur des objets de la pièce ou sur le corps, cela pourrait aider, mais rien n’avait été dérangé, du moins de manière visible.

Jessie avança pour regarder la victime de plus près. L’équipe du bureau du médecin légiste, qui avait été sur le point de la mettre dans une housse mortuaire, recula respectueusement d’un pas.

Le visage de Taylor Jansen était bleu et bouffi. Elle avait les yeux fermés. Son abdomen, qu’elle avait visiblement gardé tendu et plat suite à de nombreux efforts, était maintenant détendu à cause des gaz qui s’étaient accumulés dans son corps après la mort. En dépit de son état actuel, Jessie pouvait dire qu’elle avait été belle.

— Est-ce que quelqu’un l’a touchée ? demanda Ryan.

— Personne mis à part les agents qui lui ont pris ses empreintes, leur assura Wayne.

— On dirait qu’elle est morte en faisant une sieste, nota Ryan. Il n’est pas étonnant que l’appel téléphonique d’origine ait évoqué l’hypothèse du suicide. Peut-être toutes ces pilules présentes dans la cuisine n’étaient-elles pas des vitamines. Je suis impatient de consulter le rapport de toxicologie.

Jessie se pencha près du corps et remarqua les contusions ternes que Taylor avait aux poignets et au cou. À cause de la décoloration de la peau et du gonflement, il était difficile de dire à combien de temps elles remontaient. Cependant, au jugé, Jessie aurait dit à beaucoup plus de deux jours.

— Est-ce que cette fenêtre près de la porte de devant est toujours ouverte ? demanda Jessie. Ou alors, est-ce que quelqu’un l’a ouverte après qu’elle a été trouvée ?

— Selon son collègue, elle était légèrement ouverte quand il est arrivé. Il dit qu’il a frappé à la porte et a essayé de l’ouvrir, mais qu’elle était verrouillée et qu’il a donc utilisé la fenêtre pour entrer.

Jessie hocha la tête. Elle se détourna du corps de Taylor et se rendit à son placard. Elle ouvrit la porte coulissante et jeta un coup d’œil à l’intérieur. On aurait dit que trois quarts de sa garde-robe était exclusivement composée de matériel d’entraînement et de lingerie. Jessie se retourna vers Ryan et l’Agent Wayne.

— Il faut vraiment que nous parlions à son collègue, dit-elle.

*

Assis au fond de la voiture de patrouille garée à l’extérieur de l’immeuble, Vin Stacey avait l’air très triste.

— Est-il en détention ? demanda Jessie à l’agent qui s’ennuyait visiblement en montant la garde à côté de la voiture.

— Non. Nous lui avons juste demandé de rester là jusqu’à vous puissiez tous descendre lui parler.

— Est-ce qu’il sait qu’il n’est pas obligé d’attendre dans la voiture ? On dirait qu’il pense qu’il est en détention.

— Nous n’avons pas précisément clarifié la nature de notre demande, admit l’agent, tout penaud. Nous lui avons juste demandé d’attendre dans le véhicule qu’on vienne lui poser d’autres questions.

— Donc, il pense qu’il est en état d’arrestation ? dit Jessie d’un air incrédule.

— Je ne sais pas ce qu’il pense, madame. Nous lui avons juste demandé de rester.

Jessie regarda Ryan, qui était loin d’avoir l’air aussi en colère qu’elle.

— Tu trouves ça normal ? demanda-t-elle.

— Non, dit-il, mais je ne nierai pas que j’ai déjà utilisé cette tactique. Ça permet de s’assurer qu’une personne reste disponible sans avoir à l’arrêter formellement.

— Mais je croyais qu’il n’était plus suspect, rétorqua Jessie.

— Tout le monde est suspect. Tu le sais.

— OK, concéda Jessie, mais, pour l’instant, pendant qu’il est assis là, le monde entier lui passe devant et s’imagine qu’il a été arrêté pour une raison ou pour une autre.

— J’imagine qu’on pourrait arranger ça, dans ce cas, dit mollement Ryan.

Jessie le regarda en fronçant les sourcils puis ouvrit la portière de derrière.

— M. Stacey ? demanda-t-elle d’un ton beaucoup plus doux que celui qu’elle venait d’employer, d’une voix maintenant mielleuse.

— Oui, répondit-il d’une voix tremblante.

— Pourriez-vous sortir du véhicule ? Je suis désolée de vous avoir fait attendre si longtemps. Mon collègue et moi, nous enquêtions en haut. Nous espérions pouvoir vous poser des questions complémentaires, si ça ne vous gêne pas.

— J’ai répondu aux questions de tout le monde, implora-t-il. Je ne sais pas pourquoi j’ai des ennuis.

— Vous n’avez pas d’ennuis, M. Stacey, promit-elle. Sortez. Je m’appelle Jessie Hunt. Je suis profileuse criminelle pour la police de Los Angeles. Voici l’inspecteur Ryan Hernandez. Je vois un café au coin, là-bas. Permettez que nous vous offrions une tasse et nous pourrons parler. Qu’en pensez-vous ?

Il hocha la tête et sortit du véhicule. Ce ne fut qu’à ce moment-là que Jessie se rendit compte à quel point il était grand. Debout, il mesurait facilement un mètre quatre-vingt-sept. Jessie évalua son poids à quatre-vingt-dix-neuf kilos. Il portait un tee-shirt d’entraînement moulant à manches longues qui épousait ses abdos saillants. Ses biceps semblaient capables de déchirer le tissu à tout moment.

Malgré son physique imposant, Jessie sentit de la douceur dans son allure. Quand elle le regarda de plus près, elle remarqua qu’il portait un collier serré magique en arc-en-ciel et qu’il avait les ongles teints en violet scintillant.

— Donc, si je suppose bien, vous êtes aussi coach à la salle de gym de Taylor ? dit-elle en essayant de détendre l’atmosphère pendant qu’ils allaient au café.

Il hocha la tête mais ne répondit pas. Ryan les suivait un pas derrière, sentant visiblement que sa présence risquait de réduire à néant les efforts déployés par Jessie pour créer un lien avec Vin Stacey. Alors qu’ils marchaient, Jessie remarqua que l’homme se frottait les poignets avec précaution.

— Vous allez bien ? demanda-t-elle.

— Je n’arrive toujours pas à y croire. J’ai l’impression qu’on m’a enlevé les intestins. J’ai attendu là-bas, conscient du fait qu’une personne qui avait été si vivace n’était maintenant plus que cet objet froid et sans vie gisant à seulement quelques mètres de moi. Rien qu’y penser me fait mal. Quant à vos collègues, ils ne m’ont aidé qu’à me sentir encore plus mal qu’avant.

— C’est bien dommage, reconnut Jessie.

— Savez-vous que les agents m’ont mis des menottes quand ils sont arrivés chez Taylor ? insista-t-il. J’étais juste assis dehors et je les attendais. Or, l’un d’eux m’a menotté pendant que l’autre avait la main sur l’étui de son arme tout le temps. C’est moi qui ai appelé la police !

— J’en suis vraiment désolée, M. Stacey, dit Jessie pour l’apaiser. Malheureusement, quand des agents arrivent sur la scène du crime, ils doivent prendre des précautions qui peuvent paraître excessives après coup.

— Ils m’ont gardé menotté pendant une demi-heure, longtemps après avoir eu ma carte d’identité, avoir vérifié si j’avais un casier judiciaire, ce qui n’est pas le cas, et après que j’avais confirmé que je travaillais avec Taylor. Pendant ce temps, elle était allongée morte sur son lit. Je crois que nous savons tous les deux que, si vous aviez appelé la police et attendu là, ils vous auraient traitée différemment.

— C’est vrai, dit-elle en hochant la tête avec compassion quand ils entrèrent dans le café.

Elle regarda l’agent qui les avait suivis et lui fit signe de rester à l’extérieur.

— Donc, vous travailliez avec elle, dites-vous. Vous étiez coachs tous les deux ? poursuivit-elle en essayant d’inviter Stacey à oublier momentanément son indignation.

— Ouais, à Solstice.

— La salle de gym juste en face de son appartement ? demanda Jessie en se souvenant du centre de culture physique qu’elle avait vu à leur arrivée.

— Pas trop loin pour aller au travail, hein ? dit-il.

Ils commandèrent leurs cafés et s’assirent à une table à côté. Ryan les rejoignit mais resta muet.

— Donc, avant que nous vous demandions comment vous l’avez trouvée, M. Stacey …

— Appelez-moi Vin, dit-il.

— OK, Vin, dit-elle pour lui faire plaisir. Avant ça, je veux que vous nous parliez de Taylor. Comment était-elle ? Amicale ? Tranquille ? Facile à vivre ? Intense ?

— Je ne dirais pas qu’elle était facile à vivre. Elle était polie mais professionnelle avec les autres coachs et membres du personnel. Elle était plus chaleureuse avec ses clients, mais encore très commerciale. C’était comme ça qu’elle était. Certains clients aiment que comme leur coach soit un meilleur ami bavard. C’est comme ça pour moi. D’autres veulent un coach terre à terre qui l’aide à atteindre leur objectif. Pour ça, Taylor était la femme idéale.

— Quelle sorte de clients avait-elle en général ? demanda Ryan, parlant pour la première fois.

Vin regarda Jessie avec hésitation, comme s’il avait besoin qu’elle l’autorise à répondre. Elle hocha la tête d’un air rassurant et il poursuivit.

 

— Elle en avait de toutes les sortes, mais je dirais que plus de la moitié étaient des femmes mariées d’une trentaine ou quarantaine d’années, beaucoup de femmes au foyer riches qui essaient de perdre du poids après l’accouchement ou de rester assez ferme pour que leur mari ne s’en aille pas avec leur secrétaire.

— C’était son gagne-pain ? dit Ryan.

— Ouais. Elle était vraiment douée pour redonner courage à ces femmes et leur donner sensation qu’elles contrôlaient leur destinée. Je suis noir, homo et célibataire, et parfois, elle me donnait envie d’épouser un mec blanc d’âge moyen rien que pour prendre le contrôle de ma vie.

— Est-ce que vous étiez proches ? demanda Jessie.

— Pas tant que ça, dit-il. Nous prenions un café, parfois ici, en fait, ou nous allions boire un pot ailleurs. Parfois, tard le soir, je la raccompagnais chez elle, mais je ne dirais pas que nous étions amis, plutôt des collègues de travail qui s’entendaient bien. Je crois qu’elle m’appréciait parce que j’étais un des rares hommes de ce club qui n’essayait pas de la draguer tout le temps.

— Certains d’entre eux étaient-ils particulièrement agressifs ? demanda Ryan.

— Je ne suis pas sûr de bien savoir ce que les femmes considèrent comme de l’agressivité, ces temps-ci, admit-il. Tout ce que je peux dire, c’est qu’aucun d’eux n’a jamais semblé l’intimider. Si un gars dépassait les bornes, elle lui clouait le bec sans difficulté.

— Savez-vous si elle avait quelqu’un ? demanda Jessie. Vous avez dit aux agents d’en haut qu’elle ne sortait avec personne.

— J’ai dit que je ne pensais pas qu’elle ait quelqu’un. Je sais qu’elle était sortie avec un gars quelques mois auparavant mais, quand ça s’est terminé, elle n’a vraiment plus rien dit sur sa vie amoureuse et, comme je n’avais aucun droit de lui poser des questions, je ne peux pas prétendre que je suis un expert.

— Vin, demanda Jessie en décidant de passer à la question qu’elle savait qu’ils allaient se poser tout le reste de la journée, pensez-vous que Taylor aurait pu se suicider ?

Il répondit immédiatement et avec une intensité qu’ils n’avaient pas encore vue chez lui.

— Impossible. Taylor n’était pas cette sorte de personne. Elle était déterminée, concentrée. C’était une de ces personnes qui ont des objectifs concrets. Elle voulait lancer sa propre salle de gym. Elle ne se serait jamais court-circuitée. Elle était ce que j’aime appeler une battante.

— Qu’entendez-vous par-là ? demanda Jessie.

— Elle se battait pour obtenir ce qu’elle voulait de la vie. Elle n’aurait jamais mis fin à la sienne.

Ils restèrent tous assis en silence pendant un moment puis Ryan revint à un sujet moins philosophique.

— Connaissez-vous le nom de son ex ? demanda-t-il.

— Non, mais je crois qu’un des coachs féminins du club le sait peut-être. Je me souviens qu’elle avait dit l’avoir vu déposer Taylor une fois et qu’elle l’avait reconnu.

Pendant que Vin répondait, Jessie tourna le regard vers l’entrée du café, où un homme qui devait être un SDF entra. Il avait une longue barbe et les semelles de ses chaussures tenaient si peu qu’elles retombaient à chaque fois qu’il levait un pied.

Cependant, ce n’était pas ce qui attira son attention. Quelque chose de rouge gouttait de la main gauche de l’homme et il avait la main droite cachée sous sa veste. Il marmonnait quelque chose en passant entre les autres clients et semblait en heurter certains intentionnellement.

— Comment s’appelle ce coach ? demanda Ryan qui, ayant le dos tourné vers la porte, n’avait pas encore remarqué l’homme.

— Chianti.

— Vous plaisantez ? demanda Ryan en riant involontairement et en crachant un peu de son café.

— Je ne sais pas si c’est son vrai nom, dit Vin en souriant pour la première fois, mais, à la salle de gym, on l’appelle Chianti Rossellini. Je n’ai pas à juger.

— Pourquoi est-ce que je crois que ce n’est pas vraiment votre façon de penser, Vin ? dit malicieusement Jessie en gardant un œil sur le SDF.

Vin leva les sourcils d’un air provocateur.

— Excusez-moi de mettre fin à ces bavardages … dit Ryan.

— Tu peux faire ce que tu veux, yeux marron, interrompit Vin en clignant les siens.

Ryan ne répondit pas et préféra poursuivre.

— Il faut quand même qu’on vous pose des questions sur le moment où vous avez trouvé Taylor. Vous avez dit aux agents que la fenêtre était ouverte, n’est-ce pas ?

Le visage de Vin se fit tout de suite grave.

— Juste un peu, oui. D’abord, j’ai frappé et vérifié si la porte était ouverte, mais elle était verrouillée. Ensuite, comme elle ne répondait pas, j’ai ouvert plus grand la fenêtre et je suis entré par là. Certes, j’aurais pu appeler le 911 avant, mais j’ai cru qu’elle était blessée et avait besoin d’aide et je ne pouvais rester là et attendre.

— Vous n’êtes pas obligé de vous justifier, Vin, dit Jessie. Vous étiez inquiet pour votre amie. Je suis sûre que les preuves iront dans ce sens.

— Merci, dit Vin d’une voix légèrement brisée.

Jessie aurait été plus émue par Vin Stacey si elle n’avait pas été obsédée par le SDF avec les gouttes de sang qui lui tombaient du bras. Maintenant, il se balançait sur ses pieds et sa main droite bougeait sous sa veste, qui semblait être trempée par un liquide épais. On aurait dit qu’il se frappait à la hanche. Ses lèvres étaient encore en mouvement, mais ce qu’il marmonnait était maintenant inaudible, même si la femme d’âge moyen qui se trouvait devant lui dans la file d’attente regardait nerveusement derrière elle de temps à autre.

— Hé, Ryan, dit nonchalamment Jessie, regarde discrètement par-dessus ton épaule gauche. Le barbu dans la file d’attente.

Ryan jeta un coup d’œil et Vin aussi.

— Celui qui n’arrête pas de bouger le corps ou les lèvres ? demanda Ryan.

— Oui, confirma Jessie. Il saigne du bras gauche et je crois qu’il tient quelque chose avec la main droite sous sa veste.

— C’est quoi, à ton avis ?

— Je n’en suis pas sûre, mais j’ai remarqué une tache sombre et humide là où la veste recouvre la hanche. Donc, je suppose que c’est ce qui a fait saigner son autre main. De plus, il semble bien agité. Il a heurté les autres clients et pas par accident.

— Cela pourrait être quelque chose, dit doucement Ryan, ou il pourrait être comme la moitié des gens que nous avons croisés dans la rue en venant ici.

— C’est vrai, acquiesça Jessie, même si le sang rend la chose un peu plus dramatique. De plus, toutes les serveuses ont l’air terrifiées alors que je parie qu’elles voient arriver des SDF comme ça tout le temps.

— Bien vu, dit Ryan, qui grimaça légèrement en se levant. Je crois que je vais peut-être faire la queue pour qu’on me remplisse ma tasse. Jessie, pourrais-tu discrètement aller chercher cet agent qui est dehors et lui demander d’entrer au cas où ?

Jessie hocha la tête et se leva en tentant de cacher l’élancement qu’elle sentit au dos et à la jambe après avoir été immobile pendant plusieurs minutes. Quand elle se déplaça vers l’entrée de la boutique, elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et vit que Ryan s’était placé juste derrière l’homme qui marmonnait. Elle ouvrit la porte de devant et fit signe à l’agent en uniforme qu’elle avait réprimandé.

— Je crois que nous avons peut-être un problème là-dedans, dit-elle. Le barbu qui se tient devant l’inspecteur Hernandez a peut-être une arme sous sa veste. Nous n’en sommes pas sûrs, mais nous aurons peut-être besoin d’aide au cas où.

Elle avait à peine fini sa phrase quand un cri fort se fit entendre à l’intérieur. Elle se retourna et vit la femme d’âge moyen qui attendait dans la queue se tenir l’épaule droite de la main gauche. Derrière elle, Ryan s’efforçait d’arracher un couteau de chasse aux mains de l’homme qui marmonnait. Pourtant, même si Ryan avait l’avantage d’être plus grand, il était en train de perdre ce combat.

L’autre homme était animé d’une colère frénétique et, visiblement, Ryan n’avait pas toute sa force. En quelques moments, l’homme s’était libéré. Ryan perdit l’équilibre et tomba par terre pendant que l’homme se remettait et lui fonçait dessus.

Jessie rentra en toute hâte et déboutonna l’étui de son arme en se rapprochant d’eux. Elle était en train d’enlever son arme quand elle aperçut un mouvement rapide devant elle. C’était Vin Stacey, qui bondit sur l’homme qui marmonnait, envoya son avant-bras dans la mâchoire de l’homme et l’envoya contre le comptoir.

Le couteau s’envola de la main de l’homme et glissa au sol. Vin resta au-dessus de l’homme, prêt à recommencer si nécessaire, mais il n’en eut pas besoin. Un moment plus tard, l’agent se jeta sur l’homme, le retourna sur le ventre et le menotta. Jessie rangea son arme et s’agenouilla à côté de Ryan.

— Ça va ? demanda-t-elle de manière pressante.

— Ouais. Je m’en remettrai, mais ma fierté, c’est une autre histoire.

Vin arriva et tendit la main.

— Tu veux de l’aide, yeux marron ? demanda-t-il en clignant les siens d’un air aguicheur.

CHAPITRE SIX

Jessie avait perdu de son assurance.

Alors qu’elle attendait avec Ryan dans le hall de Solstice Health & Fitness que le directeur général trouve Chianti, elle repensait constamment à cette fenêtre de trois secondes avant que Vin ne fasse tomber le SDF.

Pendant ces quelques secondes, Ryan était tombé, un homme avait essayé de le tuer et Jessie n’avait pas su réagir assez vite pour empêcher ça. Si ce n’avait été pour la réaction rapide d’un tank humain aux pieds agiles et un peu amoureux, l’inspecteur Ryan Hernandez aurait pu mourir.

Avant d’emmener à l’hôpital la femme que le SDF avait poignardée, un des médecins d’urgence avait examiné Ryan et lui avait dit qu’il n’avait rien. Cependant, Jessie ne pouvait s’empêcher de se demander si Ryan et elle-même étaient vraiment prêts à repartir sur le terrain.

Son débat intérieur fut interrompu quand le directeur général leur fit signe de monter à l’étage de la salle de gym. Quand ils montèrent, Jessie se força à mettre cette inquiétude de côté et essaya de rester concentrée sur l’affaire actuelle. Ils entrèrent dans la salle et Jessie y jeta un coup d’œil tout en essayant de ne pas laisser la musique tonitruante lui donner un mal de tête.

La salle principale était immense et contenait une série quasi-infinie d’appareils cardiovasculaires. À gauche, il y avait la « salle » des poids, qui était si grande que Jessie n’en voyait pas la fin. À droite, on voyait deux douzaines de tapis dédiés aux étirements et, du moins pour l’instant, au bavardage et à la consultation des smartphones.

Le directeur général, un homme à la moustache foisonnante du nom de Frank Stroup, attendait à côté d’une blonde maigre mais musclée d’un peu moins de trente ans qui portait une quantité de maquillage beaucoup trop grande pour une salle de gym selon Jessie. Elle avait les dents d’un brillant artificiel et les seins serrés par un soutien-gorge de sport qui avait l’air trop petit de plusieurs tailles.

— Messieurs les agents, dit le directeur général en oubliant que ce titre ne s’appliquait qu’à l’un d’eux, je vous présente Chianti Rossellini. Je vais vous laisser poser vos questions. Si je peux encore vous aider, veuillez me le dire.

Jessie hocha poliment la tête. Il ne les avait pas beaucoup aidés, en fait. Il leur avait seulement parlé de Taylor en tant qu’employée mais avait semblé en savoir peu sur sa vie. Même si cet établissement était immense, Jessie trouvait étrange que ce gars n’en ait pas plus à dire sur un coach qui, selon Vin, travaillait avec quelques-uns de leurs clients les plus riches. Ils avaient volontairement évité de lui dire que Taylor était morte mais, malgré cela, Jessie se serait attendue à ce qu’il soit au moins curieux de savoir pourquoi elle avait été absente les deux derniers jours.

Quand il partit, Chianti les observa avec un mélange d’appréhension et de curiosité. Elle semblait penser qu’elle allait avoir des ennuis pour une chose ou une autre. Cependant, son langage corporel suggérait qu’elle ne savait pas de quelle chose il s’agissait.

— Mme Rossellini, commença Ryan en évitant de rire bêtement en pleine phrase, est-ce que vous connaissez bien Taylor Jansen ?

— Vous pouvez m’appeler Chianti, répondit-elle sans comprendre à quel point cela pouvait être difficile pour Ryan. Je la connais un peu. Je veux dire, nous travaillons dans la même salle de gym. Nous nous parlons la plupart des jours, mais je ne dirais pas que nous sommes amies. Taylor est très concentrée sur ses clients et ne passe pas grand temps à bavarder. Que se passe-t-il, en fait ? A-t-elle fait quelque chose de mal ?

 

— Ce sont juste des questions de routine. Vous n’avez pas besoin de vous inquiéter outre mesure, dit Jessie, qui ne voulait révéler la vérité que si cela pouvait aider l’enquête. Que pouvez-vous nous dire sur son ex-petit copain, celui qui la remmenait parfois ici ?

— Oh, ça doit être Gavin. Gavin Peck.

— Parlez-nous de Gavin, Chianti, dit Jessie d’un ton amical.

— OK, dit-elle en perdant presque immédiatement son inquiétude. Gavin est dur à vivre. Il est fort, c’est sûr. Je crois même qu’il a gagné quelques concours d’haltérophilie. De plus, il est, pour le dire gentiment, lunatique.

— Que voulez-vous dire ? insista Ryan.

— Il est extrêmement intense. Avant, je m’entraînais à la salle de gym où il va et il était toujours survolté, débordant d’énergie. Taylor a beaucoup d’énergie, elle aussi, mais elle la contrôle mieux. Gavin, lui, a tendance à péter les plombs.

— Est-ce arrivé avec Taylor ? essaya de savoir Jessie.

— Je ne les ai vus ensemble que deux fois et il n’a jamais été comme ça avec elle, mais je ne crois pas qu’il ait très bien pris leur rupture.

— Pourquoi dites-vous ça ? demanda Ryan.

Il l’avait demandé en adressant à Chianti son regard le plus charmeur et elle faillit fondre devant lui.

— J’ai entendu dire qu’il était venu deux fois et que la sécurité avait dû lui demander de partir, dit-elle en rougissant légèrement. Je ne sais pas si c’est vrai, mais ça ressemble à Gavin. Il donne l’impression de ne pas laisser tomber facilement. De plus, il pourrait avoir une raison d’être jaloux.

— De quoi ? demanda Jessie.

— Je ne veux pas exagérer, mais Taylor peut être un peu aguicheuse avec ses clients.

Juste à ce moment-là, un trentenaire pâle et grassouillet qui portait un tee-shirt gris sans manches passa.

— Salut, Chianti, dit-il timidement.

— Salut, Brett. C’est encore bon pour votre séance de 11 heures ? demanda-t-elle en lui montrant ses dents éclatantes.

— Bien sûr.

— Excellent, mon gars. On va faire ressortir ces biceps, d’accord ? À bientôt.

Quand il partit, le sourire s’évapora et elle tourna immédiatement son attention vers Jessie.

— Où en étions-nous ? demanda-t-elle.

— Vous disiez que Taylor peut être aguicheuse, lui rappela Jessie d’un air inexpressif.

— Exact.

— Vraiment ? insista Jessie. Nous avons entendu dire qu’elle était très professionnelle.

— Dans la salle d’entraînement, oui, mais je l’ai entendue parler au téléphone et prendre des rendez-vous pour des séances d’entraînement privées. Comme, officiellement, la direction n’aime pas ce genre de choses, elle restait discrète. Pourtant, pendant ces appels, elle avait un ton vraiment moins … professionnel.

— Pensez-vous qu’elle propose plus que de simples séances d’entraînement ? demanda Jessie pour la guider.

— Je ne saurais dire, répondit Chianti en haussant les épaules. Je veux dire, qui sait si elle a les mœurs légères ou si elle aime juste aguicher ? D’une façon ou d’une autre, les directeurs font semblant de ne pas savoir parce que beaucoup de ses clients rapportent beaucoup. Ils ne veulent pas risquer de perdre ces clients, vous comprenez ? Cependant, parfois, elle passait plusieurs jours sans venir et personne ne s’en plaignait. Si je faisais ça, on me virerait très vite. En fait, ça fait un moment que je ne l’ai pas vue. J’ai pensé que c’était juste une autre de ces fois. Pourtant, maintenant, vous m’avez inquiétée. Est-ce qu’elle va bien ?

Jessie jeta un coup d’œil à Ryan pour lui dire qu’elle pensait que c’était le bon moment. Il signifia son accord d’un hochement de tête et se rapprocha de Chianti.

— J’ai peur que non, dit-il doucement. Taylor est morte.

Jessie regarda de près Chianti recevoir la nouvelle. Le sourire professionnel du coach disparut immédiatement. Elle eut l’air incrédule.

— Pardon, mais vous avez dit quoi ?

— Taylor Jansen a été retrouvée morte dans son appartement ce matin, dit Ryan d’un air impassible.

Chianti sembla digérer l’information et comprendre soudain la finalité de toutes les questions qu’on lui avait posées. Son visage passa très vite du choc à une chose située entre l’inquiétude et la curiosité.

— A-t-elle été assassinée ? Est-ce que c’est Gavin qui l’a fait ?

Quand Jessie entendit l’absence d’empathie dans sa voix, elle eut envie de lui taper dessus. Même si elles n’avaient pas été amies, n’aurait-elle pas pu faire semblant d’être triste ? Malheureusement, selon l’expérience de Jessie, sa réaction n’indiquait pas non plus qu’elle était coupable.

Son air avide de cancans et son désir évident de connaître tous les détails suggéraient tous les deux qu’elle ne savait encore rien. Même si Ryan avait raison de dire que tout le monde était suspect, la culture de profileuse de Jessie lui indiquait que Chianti n’était que peu suspecte.

— Nous n’avons pas encore d’informations sur la cause de la mort, dit Ryan.

Alors, il ajouta à contrecœur :

— Est-ce que Taylor vous a jamais donné l’impression de souffrir de dépression ?

— Oh, ouah ! dit Chianti en écarquillant les yeux. Est-ce qu’elle s’est suicidée ?

— Répondez à la question, je vous prie, Mme Rossellini, dit sèchement Jessie en perdant patience.

Chianti eut l’air légèrement vexée mais, au bout d’un moment, elle répondit.

— Non, admit-elle d’un air déçu. En fait, elle me paraissait toujours très équilibrée. Je ne l’ai jamais vue trop joyeuse ou trop triste. Je serais vraiment surprise s’il s’avérait qu’elle s’était tuée.

Jessie essaya elle aussi de cacher sa propre déception. Jusqu’à présent, aucune des personnes auxquelles ils avaient parlé n’avait considéré que Taylor aurait été susceptible de se suicider, et pourtant, ou du moins à ce stade, aucune preuve n’indiquait qu’elle ne l’avait pas fait.

— Connaissez-vous une autre personne, mis à part Gavin, qui aurait pu avoir de l’animosité envers elle ? Un client, peut-être ? demanda-t-elle.

Chianti réfléchit pendant un moment.

— Je ne vois personne. Je n’ai pas tant fait attention que ça. Cependant, selon sa réputation, en général, les clients étaient satisfaits d’elle, en partie parce qu’elle était un bon coach et peut-être en partie pour ces autres raisons que j’ai mentionnées, même si je ne veux pas médire sur une morte.

— Non, bien sûr que non, dit Jessie en sentant le dégoût monter dans sa poitrine. Bon, on va peut-être conclure maintenant, inspecteur Hernandez. J’ai besoin de prendre un peu l’air.

Elle adressa un hochement de tête à Chianti, partit brusquement et quitta l’étage de la salle de gym en passant devant Brett. Il était appuyé contre un tapis de course et attendait que son coach pas du tout aguicheur finisse sa conversation pour pouvoir commencer sa séance avec elle.

Jessie sortit de la salle de gym et descendit dans la rue crasseuse et pleine de circulation de Hollywood mais, d’une façon ou d’une autre, elle s’y sentit moins sale qu’en présence de Chianti.

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