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La maison d’à côté

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La maison d’à côté
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La maison d’à côté
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Wird gelesen Nicole Forup
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CHAPITRE TRENTE ET UN

La Bibliothèque municipale de Pinecrest était étonnamment grande par rapport à la taille de la ville en elle-même. Le bâtiment faisait deux étages de haut et le rez-de-chaussée était principalement consacré aux ouvrages scolaires et pour enfants. Quand Chloé entra dans le bâtiment à 17h57 pour rejoindre le club de lecture, elle suivit une série de pancartes ornées de flèches et de l’intitulé CLUB DE LECTURE qui la conduisirent au fond du rez-de-chaussée.

Elle arriva dans une salle de réunion confortable où plusieurs chaises pliantes avaient été disposées en demi-cercle. Une petite table avec des bouteilles d’eau et quelques snacks se trouvait dans le fond de la pièce. Quelques femmes étaient déjà arrivées. Elles avaient pris place sur les chaises et étaient en pleine discussion. Une femme qui se tenait debout près de la table dans le fond se dirigea vers elle avec un sourire aux lèvres.

« Bonjour, » dit-elle. « Je suis Mary Elder et je me charge de l’organisation du club de lecture. »

« Oh, enchantée de vous rencontrer, » dit Chloé.

Mary Elder devait avoir environ la soixantaine. Si elle vivait à Pinecrest il y a une vingtaine d’années, il était tout à fait possible qu’elle ait été en contact avec sa mère au sein même de ce club de lecture.

« Je suis très contente de vous accueillir parmi nous. Si vous avez besoin d’un exemplaire du livre, je peux vous en procurer un. »

Chloé n’avait aucun exemplaire de ce livre et n’avait pas non plus l’intention de le lire. « Oh, non, ça va. J’ai un exemplaire à la maison mais j’ai oublié de l’amener. J’en ai déjà lu environ la moitié. »

« OK, alors ! Faites comme chez vous, installez-vous et n’hésitez pas à vous servir en snacks. On ne va pas tarder à commencer. »

Mais Chloé entendit à peine la fin de sa phrase car son attention fut attirée vers la porte. Un visage familier venait d’entrer et quand cette nouvelle arrivante se tourna dans la direction de Chloé, elle fut visiblement surprise.

Ruthanne Carwile resta immobile un instant, comme si elle avait vu un fantôme. Elle finit par entrer lentement dans la pièce, en adressant un petit geste de la tête en direction de Chloé en signe de salut, avant de prendre place à côté d’un groupe de trois femmes.

Chloé se dirigea vers la table du fond, afin de laisser les participants interagir comme à leur habitude, comme lorsqu’il n’y avait pas de nouveau venu. Elle vit de petits groupes d’amis se former et Mary Elder prendre place au bout du demi-cercle. Au moment où elle s’assit, les onze autres femmes présentes dans la pièce interprétèrent ça comme un signe que la réunion était sur le point de commencer.

Chloé prit une bouteille d’eau et se trouva une chaise. Elle s’assit juste en face de Ruthanne car elle souhaitait garder un œil sur elle. Elle avait trouvé bizarre la manière dont Ruthanne l’avait regardée. Pendant une fraction de seconde, Chloé y avait vu du total mépris. Il était clair que Ruthanne n’était pas contente que Chloé soit là.

« Avant de commencer, » dit Mary, « J’aimerais vous présenter un nouveau membre. Et Chloé, ce n’est pas pour vous mettre mal à l’aise… on fait pareil pour tous les nouveaux participants. Alors je vous présente une fille de Pinecrest qui vient récemment de se réinstaller dans sa ville natale, Chloé Fine. »

La surprise se lut sur plusieurs visages. Personne ne savait vraiment comment réagir à sa présence. Ils avaient probablement tous vu les gros titres de l’actualité et, même si ce n’était pas le cas, ils connaissaient probablement tous son histoire. Elle était la plus jeune dans la pièce. La personne la plus proche en âge devait avoir environ la trentaine.

Mary eut apparemment conscience de la tension dans l’air et elle fit de son mieux pour l’atténuer. Ce faisant, elle aida Chloé sans le savoir.

« Je me rappelle quand la mère de Chloé faisait partie de ce club, » dit-elle. « Elle faisait preuve de tant de perspicacité et c’était tellement agréable de passer du temps en sa compagnie. Chloé, je suis vraiment contente de vous accueillir parmi nous et j’espère que vous aimerez ce club autant que votre mère. »

« Merci, » dit Chloé. Elle regarda ensuite autour d’elle en s’efforçant d’adopter une expression la plus compatissante possible – pas un air triste mais plutôt pensif. « Si ça ne vous dérange pas que je pose cette question, est-ce qu’il y a quelqu’un d’autre ici qui était membre du club quand maman en faisait partie ? »

Elle savait que toute personne sentimentale réagirait à ce genre de question. Elle n’aimait pas jouer sur les sentiments des gens mais elle était presque certaine que les récents événements leur feraient sûrement penser qu’elle était là pour se changer les idées à la suite du drame qui touchait sa sœur et peut-être pour partager quelques souvenirs concernant sa mère.

Et comme elle s’y attendait, ça fonctionna.

Deux femmes levèrent la main mais aucune d’elles n’était Ruthanne Carwile.

« Je faisais partie du club quand Gale était membre, » dit l’une des femmes. « Et Mary l’a très bien dit… elle adorait lire. Elle faisait preuve de beaucoup de perspicacité et interprétait les livres d’une manière à laquelle je n’aurais jamais songée. Et elle apportait parfois cette sauce au fromage qu’elle faisait elle-même. Un délice ! »

« Oh, mon dieu, » dit l’autre femme. « J’avais presque oublié la fameuse sauce au fromage de Gale Fine. »

« Vous savez, » dit Mary, « si je me rappelle bien, elle faisait également du volontariat quelques heures par semaine pour aider les enfants qui avaient des problèmes pour apprendre à lire. Il faudrait que je consulte les archives à ce sujet, mais je pense… »

« Oui, c’est exact, » dit Ruthanne. Sa voix était loin d’être enjouée et quand elle parla, elle le fit sans regarder Chloé.

C’est quoi son problème ? se demanda Chloé.

« C’est bien ce que je pensais, » dit Mary.

Le silence envahit de nouveau la pièce. Une tension fut de nouveau palpable dans l’air et cette fois-ci, Ruthanne se leva. Elle regarda autour d’elle d’un air contrit, en ne posant les yeux sur Chloé qu’une fraction de seconde.

« Je suis désolée, » dit-elle. « Veuillez m’excuser un instant. » Ruthanne quitta ensuite le demi-cercle, en laissant son livre derrière elle et sortit rapidement de la pièce.

« Excusez-moi de vous poser cette question, » dit la femme âgée qui avait mentionné la sauce au fromage de sa mère. « Qu’est-ce que vous vous rappelez à son sujet ? » Elle fit un signe de tête en direction de la porte, pour indiquer que la question concernait Ruthanne.

« Quelques détails. Je l’ai revue à la fête de quartier à Lavender Hills et certaines choses me sont revenues à l’esprit. Je pense que maman et elle se voyaient de temps en temps. Danielle et moi, on regardait parfois des dessins animés dans son salon. Si je me rappelle bien, elle nous préparait du fromage grillé pour déjeuner, quand elle passait l’après-midi avec maman. »

« Ruthanne a très mal vécu la mort de votre mère, » dit Mary. « Elle n’est plus venue au club de lecture pendant plus de six mois. C’était bizarre parce que personne ne s’était rendu compte qu’elles étaient si proches. » Mary s’interrompit et regarda autour d’elle. « Mon dieu, je suis désolée. On a fini par ne parler que de vous et votre mère. Ce n’était pas du tout ce qui était prévu. »

« Non, non, au contraire, ça me fait plaisir. En fait, j’aimerais vous poser une dernière question, si ça ne vous dérange pas. »

Personne ne réagit par un oui ou un non, alors Chloé posa sa question.

« Un peu avant sa mort, est-ce que maman a dit ou fait quoi que ce soit qui pourrait indiquer qu’elle avait peur de quelque chose ou qu’elle pourrait avoir des problèmes ? »

Il était clair que c’était une question de trop pour certaines personnes présentes dans la pièce. Quelques-uns feuilletaient leur livre ou relisaient les notes qu’ils avaient prises. Il n’y avait vraiment que Mary Elder et la femme qui avait mentionné la sauce au fromage qui semblaient intéressées par la conversation.

« Non, pas vraiment, » dit Mary. Elle regarda ensuite en direction de la porte par laquelle Ruthanne venait de sortir. « Je… eh bien, je ne sais pas si c’est l’endroit et le moment approprié pour parler de tout ça. »

« Je comprends, » dit Chloé, en voyant sa marge de manœuvre se resserrer. « Si je pouvais… »

« Il y avait des rumeurs qui couraient, » dit la femme qui avait parlé de la sauce au fromage. « Au sujet de votre père. Mais vous travaillez au FBI, n’est-ce pas ? J’imagine que tout ce qu’on peut vous dire à son sujet, vous devez probablement déjà le savoir. Cela dit… oui, il y avait des rumeurs selon lesquelles votre père avait une liaison. »

« Oui, j’ai entendu parler de ces rumeurs. »

La femme regarda ensuite en direction de la porte. Elle ne dit rien de plus mais son regard en disait assez long.

Il y avait des rumeurs selon lesquelles votre père avait une liaison avec Ruthanne Carwile.

Ce fut maintenant au tour de Chloé de se lever et de s’excuser. Elle regarda Mary Elder avec un air sincèrement désolé. Tout espoir qu’elle soit venue ce soir pour parler d’un livre disparut tout d’un coup.

« Je suis vraiment désolée, » dit-elle. « Je pense qu’il va falloir que vous m’excusiez. »

« Chloé, » dit Mary. « Attendez peut-être encore un petit peu. »

Oh, j’en ai bien l’intention, pensa-t-elle en quittant le demi-cercle. Au moment de se diriger vers la porte, une idée lui traversa l’esprit – une idée si simple et à la fois si extravagante, qu’il était possible qu’elle mène quelque part.

 

Avant de partir, elle se dirigea vers la place où Ruthanne était assise. Chloé prit l’exemplaire du livre que Ruthanne avait laissé derrière elle. Elle vit brièvement un morceau de papier dépasser entre les pages.

« Je veillerai à lui rendre son livre, » dit Chloé.

Très peu des personnes présentes dans la pièce osèrent la regarder et celles qui le firent eurent l’air préoccupées et gênées. Sur ces mots, Chloé prit congé et se dirigea vers sa voiture. Elle ne prit même pas la peine de vérifier dans le parking si Ruthanne était toujours là. Elle s’assit derrière le volant et ouvrit le livre. Dans la lumière déclinante de l’après-midi, elle feuilleta les pages, guidée par une sorte d’intuition.

Elle trouva ce qu’elle cherchait à la fin du livre. C’était une simple feuille de papier avec quelques notes gribouillées. L’écriture était jolie et assez lisible.

Le cœur battant à tout rompre, Chloé posa le livre sur le siège passager et démarra le moteur. Elle roula en direction du bureau, certaine de pouvoir travailler tranquillement dans le labo à cette heure-ci.

En route, elle appela Greene. À ce stade et avec un tel pressentiment, elle sentait qu’un peu d’expérience lui serait certainement utile. Greene décrocha immédiatement. Il avait l’air optimiste mais également un peu distant.

« Tu as eu une journée productive ? » demanda-t-il.

« Peut-être bien, » dit-elle. « Est-ce que vous êtes disponible maintenant ? »

« Eh bien, je viens juste de terminer de dîner en famille. De quoi as-tu besoin ? »

« Est-ce qu’il serait possible que vous me retrouviez au labo ? Je pense avoir trouvé quelque chose qui vaut la peine d’être examiné de plus près. »

« Je peux être là dans une heure. Ne le prends pas mal, mais ce serait bien que tu prennes des distances par rapport à cette affaire. Essaye d’imaginer que ta sœur n’est pas impliquée. Est-ce que ça vaudrait toujours la peine d’y jeter un œil ? »

Chloé pensa au panier de cookies qui avait été déposé sur son porche et qui contenait une simple note.

Une note avec une écriture très précise.

« Sans le moindre doute, » répondit-elle.

CHAPITRE TRENTE-DEUX

Quand Chloé arriva au labo, Greene n’était pas encore là. Il n’arriverait probablement pas avant un quart d’heure. En l’attendant, Chloé n’eut aucune difficulté à trouver un poste de travail où s’installer, vu qu’il n’y avait qu’un seul autre stagiaire dans tout le labo. Elle sortit les notes de Ruthanne Carwile du livre qu’elle avait pris au club de lecture et les plaça à côté de l’enveloppe qui contenait la lettre qu’elle avait reçue dans le panier de cookies.

Au moment où Chloé sortit la lettre de l’enveloppe, elle eut l’impression qu’elle franchissait un seuil – qu’elle entrait dans un univers dont elle pourrait ne pas revenir. Mais ce n’était pas grave. Car ce seuil qu’elle franchissait lui permettait d’entrer dans un monde où ses excellentes capacités d’analyse graphologique ne seraient plus uniquement mises à profit pour l’apprentissage, mais pour permettre de finir par innocenter totalement sa sœur.

Elle scanna les deux exemplaires, d’abord la lettre, puis les notes. Elle les téléchargea ensuite sur le cloud et alluma son iPad. Elle ouvrit une comparaison côte à côte des exemplaires et en moins de cinq secondes, elle fut certaine que les deux correspondaient. Mais bien entendu, en tant que stagiaire à qui on avait déjà laissé beaucoup de libertés, il fallait encore que Greene le confirme.

En attendant, elle essaya de comprendre pour quelle raison Ruthanne Carwile enverrait des lettres de menace à Danielle. Un tel agissement pourrait avoir du sens s’il s’agissait de quelqu’un de plus jeune, par exemple de quelqu’un comme Kathleen Saunders qui avait été au lycée avec elles. Mais Ruthanne était beaucoup plus âgée, elle avait presque la cinquantaine – l’âge qu’aurait eu leur mère si elle était toujours vivante.

Alors peut-être qu’il y a du vrai dans tout ça, pensa-t-elle. Ruthanne connaissait assez bien ma mère pour passer du temps avec elle pendant que Danielle et moi regardions des dessins animés dans son salon. Mais qu’en était-il de mon père ? Est-ce qu’elle le connaissait bien ?

Elle envisagea la possibilité que Ruthanne et son père aient en effet eu une relation. Cela expliquerait pourquoi Ruthanne soit partie si précipitamment du club de lecture quand ils avaient commencé à parler des parents de Chloé.

Elle se demanda comment savoir si cette hypothèse avait un quelconque fondement, sans poser directement la question à Ruthanne. Elle était sur le point d’appeler Danielle pour lui en parler – peut-être même pour lui demander si elle avait remarqué quoi que ce soit de bizarre avec Ruthanne au cours de leur enfance ou après qu’elle soit revenue à Pinecrest – quand l’agent Greene entra dans le labo.

« Alors, on en est où ? » demanda-t-il, en s’asseyant à côté d’elle devant la table d’examen.

Elle lui raconta rapidement sa journée, en lui parlant de sa conversation plutôt infructueuse avec Clarence Simmons et en terminant avec la découverte des notes dans le livre de Ruthanne. Puis elle lui parla du panier de cookies et de la lettre, qui avait été déposés sur son porche hier soir.

« La personne qui a déposé le panier sur ton porche devait vous surveiller de très près, » dit Greene, d’un ton légèrement déçu. « Elle a dû attendre qu’il y ait un changement d’équipe de surveillance devant chez toi pour parvenir à entrer dans ton jardin. Je vais devoir en parler avec la police de Pinecrest. C’est inacceptable. »

« Ça l’est, mais ce n’est pas le plus important pour l’instant. Écoute… j’ai scanné les notes de Ruthanne Carwile et je les ai comparées à la lettre que j’ai reçue hier soir. »

Elle lui montra l’écran de son iPad où les deux scans étaient toujours affichés côte à côte. « À mon avis, » dit-elle, « il y a au moins quatre similarités graphologiques qui confirment que les écritures correspondent. Mais je pense que la plus révélatrice est la manière dont elle termine ses R. »

Elle zooma ensuite sur le R de la note : CE N’EST PAS TERMINÉ.

Il était écrit en majuscule, comme dans le titre des notes sur le bouquin : CROISSANCE VS. PEUR.

Elle vit que Greene souriait légèrement, tout en hochant la tête. « Et quelle serait à ton avis la deuxième ressemblance la plus frappante ? » demanda-t-il, en cherchant visiblement à la tester.

Même dans l’excitation d’un tel moment, ça ne la dérangeait pas qu’il la teste. Ça lui permettait de rester concentrée et de prendre un peu ses distances par rapport aux aspects plus personnels de l’enquête.

« Je dirais soit la forme allongée et inclinée de son O majuscule, ou la forme droite de ses apostrophes. » Elle montra l’apostrophe dans le mot N’EST de la lettre et plusieurs apostrophes dans les notes.

« Bien que cela doive encore faire l’objet d’un examen plus minutieux, » dit Greene, « je peux te confirmer que c’est plus que suffisant pour poursuivre Ruthanne Carwile en tant qu’auteur de ces notes. Mais j’ai bien peur que ça n’aide en rien l’enquête pour innocenter ta sœur. Mais tout de même… c’est une belle découverte. »

« Alors quelle est la prochaine étape ? » demanda-t-elle.

« Toujours aussi impatiente, » dit Greene, en riant. « Je vais appeler Johnson pour l’informer. Le fait que la lettre la plus récente ait été envoyée alors que ta sœur faisait l’objet d’une enquête pour meurtre rend les choses beaucoup plus compliquées pour madame Carwile. Et pendant que je passe le coup de fil, tu conduis. »

« Conduire où ? »

« Là où cette femme habite. C’est dans ton quartier, non ? Sur base de cette analyse graphologique, nous avons assez de preuves pour l’interroger. Si on voulait vraiment pousser plus loin, on pourrait l’accuser d’avoir interféré dans une enquête fédérale pour meurtre. Franchement, Fine… c’est vraiment du bon boulot. »

Chloé était contente du compliment mais elle se réjouirait plus tard. Elle vit mentalement sa maison et les rues qui traversaient Lavender Hills. Danielle devait être chez elle, seule, à attendre des nouvelles. Pendant ce temps, deux rues plus loin, Ruthanne Carwile était assise chez elle et réfléchissait peut-être à la prochaine lettre de menace qu’elle allait envoyer à Danielle.

C’était vraiment une image effrayante. Et qui la mettait également en colère.

« Oui, » dit-elle, en éteignant son iPad et en se levant. « Allons la chercher. »

CHAPITRE TRENTE-TROIS

Chloé regarda Ruthanne à travers le miroir sans tain. Elle ressemblait à un chien qui aurait été grondé, jeté dans une cage et qui ne savait plus à qui faire confiance. Pendant un instant, Chloé ressentit un peu de pitié pour elle. Il était clair que Ruthanne Carwile n’avait jamais imaginé passer une seule seconde de sa vie privilégiée dans une salle d’interrogatoire. Elle regardait autour d’elle comme si elle était entrée dans une autre dimension.

Deux hommes se trouvaient avec elle dans la pièce – un policier qui se tenait près de la porte avec les bras croisés sur la poitrine, et un détective de Pinecrest du nom de Peterson. Leur présence semblait la choquer. Après tout, c’était Chloé et Greene qui étaient venus l’arrêter chez elle. Elle s’attendait probablement à voir un visage familier au moment de l’interrogatoire.

« Est-ce que j’aurai l’occasion de lui parler ? » demanda Chloé.

« Seulement si c’est absolument nécessaire, » dit Greene. « N’oublie pas… elle essayerait sûrement d’utiliser le fait qu’elle connaissait bien ta mère. Elle pourrait même se mettre assez sur la défensive pour essayer de te rabaisser – pour que tu te sentes à nouveau comme cette petite fille qui s’asseyait sur le sol de son salon pour regarder la télévision. »

Chloé hocha la tête. Elle avait pensé la même chose. Elle était nerveuse mais pas autant qu’elle le pensait. Elle avait interrogé deux suspects dans le cadre de sa formation. Et elle était presque sûre que l’un d’entre eux était faux, juste une doublure dans le cadre de sa formation. Mais si elle finissait par devoir parler à Ruthanne, elle était convaincue d’être efficace.

Pour l’instant, elle observait la manière dont Peterson menait son propre interrogatoire. Ce n’était sur un ton hostile ni agressif mais il y avait une sorte d’urgence dans chacun des mots qui sortaient de sa bouche.

Il fit glisser vers elle une copie imprimée des scans que Chloé avait créés. Ruthanne les regarda mais elle n’était pas très douée pour garder un visage impassible.

« Nous savons pour sûr que l’un de ces documents a été écrit par vous, » dit Peterson. « Mais après l’avoir comparé au deuxième scan, il s’est avéré que les deux documents sont de votre main. Est-ce que vous pourriez me dire lequel est quoi ? »

Ruthanne montra du doigt le document de droite. « Ce sont les notes que j’ai prises au club de lecture. Elles se trouvaient dans mon livre. »

« Oui, c’est exact, » dit Peterson. « Mais qu’en est-il de cet autre document ? Cette phrase toute courte ? Ce n’est pas terminé. Qu’est-ce que ça signifie ? »

Ruthanne secoua la tête. « Je ne sais pas. Ça ne fait pas partie de mes notes. »

« Oh, ça, je le sais, » dit Peterson. « Vous voyez, cette note a été déposée hier soir à l’attention de Danielle Fine, alors qu’elle était chez sa sœur. Et la raison pour laquelle on vous interroge à son sujet, c’est parce que je suis sûr que vous pouvez voir combien l’écriture est similaire. »

« Oui, je vois ça. Mais ce n’est pas moi qui l’ai écrite. »

Peterson hocha la tête et fit glisser une autre feuille de papier dans sa direction. C’était flou à travers le miroir mais Chloé put voir qu’il s’agissait d’une photo de Martin Shields. « Est-ce que ce visage vous dit quelque chose ? » demanda Peterson.

Ruthanne acquiesça de la tête et dit : « Oui. Il était à la fête de quartier à Lavender Hills le weekend dernier. Il s’est battu avec le fiancé de Chloé Fine. »

« Et est-ce que vous saviez qu’il avait été retrouvé mort quelques jours plus tard ? »

« Oui, je le sais. Une de mes amies en a entendu parler et me l’a dit. »

« Aviez-vous déjà parlé ou vu monsieur Shields avant la fête de quartier ? » demanda Peterson.

« Non, monsieur. »

Chloé l’observait attentivement. Examiner le visage de Ruthanne, c’était comme un exercice de reconnaissance de tics faciaux. Quand elle disait la vérité – quand elle contestait quelque chose et qu’elle était vraiment sincère – le soulagement était manifeste sur son visage. Mais quand elle mentait, ses réponses fusaient rapidement et ses traits devenaient tendus comme si elle avait senti une odeur désagréable.

 

« Et est-ce que vous lui avez parlé au cours de la fête de quartier ? »

« Je ne pense pas. Et si ça avait été le cas, ce n’était sûrement rien de plus que bonjour ou enchantée de vous rencontrer. »

Peterson s’appuya contre le dossier de sa chaise et hocha la tête d’un air compatissant. Chloé trouvait qu’il était vraiment très bon à ce qu’il faisait. Il agissait comme s’il trouvait que c’était un peu absurde d’avoir arraché cette pauvre femme innocente de chez elle pour lui poser des question aussi stupides.

« Maintenant, si j’ai bien compris, vous connaissez Chloé Fine et sa sœur depuis qu’elles sont enfants… vous étiez amie avec leur mère. »

« Oui, on l’a été pendant un temps. On n’était pas super proches mais on aimait bien prendre un verre ensemble de temps à autres. »

« Les filles regardaient parfois des dessins animés dans votre salon pendant que vous papotiez avec leur mère sur le porche, c’est bien ça ? »

« C’est ça, » dit Ruthanne. Mais l’expression de son visage indiquait clairement qu’elle n’était pas à l’aise avec la manière dont progressait l’interrogatoire.

« Est-ce que vous vous souvenez du sujet de vos conversations ? »

Ruthanne se tortilla un peu sur sa chaise et prit un moment avant de répondre. « Pas vraiment. Probablement juste des trucs du boulot. Se plaindre du travail, de la vie en couple, ce genre de choses. »

« Madame Fine n’était pas heureuse en couple ? »

Ruthanne grimaça à la question. « Il y avait des moment où elle ne l’était pas. »

« Et est-ce que vous étiez présente pour elle dans ces moments-là ? Est-ce qu’elle venait chez vous pour se confier et papoter un peu sur le porche ? »

« Non. »

« Et pourquoi pas ? »

« Je suis désolée, » dit Ruthanne. « Mais qu’est-ce que ça a à voir avec tout ça ? »

C’est Peterson qui eut l’air agacé cette fois-ci, n’appréciant pas le fait d’avoir été interrompu. Il fit à nouveau glisser l’analyse graphologique devant elle. « Eh bien, j’essaie de comprendre pour quelle raison quelqu’un pourrait envoyer des lettres aussi méchantes à Danielle Fine. Vous voyez… cette lettre n’est pas la première. Ce qui veut dire que nous avons au moins cinq autres lettres que nous pouvons scanner et comparer à vos notes du club de lecture. Et il faut que je vous dise, madame Carwile… en se basant uniquement sur cette comparaison-ci, je pense que nous allons découvrir beaucoup de choses intéressantes. »

« Je n’ai pas écrit cette note, » dit-elle. Mais elle était au bord des larmes et elle ne parvenait plus à regarder la feuille de papier.

« Vous êtes sûre ? » demanda Peterson. « Parce qu’il faut que vous sachiez une chose… la personne qui a déposé cette note sur le porche de Chloé Fine l’a fait alors que Danielle faisait l’objet d’une enquête pour meurtre. Ce qui en fait bien plus qu’une simple lettre de menace. C’est une entrave dans une enquête fédérale. Et c’est une amende salée… peut-être même un séjour en prison. Alors je voudrais en avoir le cœur net le plus rapidement possible. Si l’auteur de cette note confesse et présente ses excuses à Danielle Fine, je pense que cette affaire peut être réglée sans faire trop d’histoires. Alors je vous pose une dernière fois la question avant que la situation ne dégénère… avez-vous écrit cette note et celles qui ont précédé ? »

Ruthanne répondit dans un sanglot, qui la prit par surprise au moment où il sortit de sa bouche. Elle jeta les deux copies de l’analyse graphologique au sol.

« Oui, » dit-elle. « C’est moi qui ai envoyé les notes. »

Peterson lui laissa un moment avant de continuer. « Et est-ce que vous pouvez me dire pourquoi ? »

Elle secoua la tête. « C’était pour l’emmerder. Je n’ai jamais aimé cette fille. Et le fait qu’elle soit à Pinecrest, qu’elle revienne après avoir échoué ailleurs, ça m’a rappelé… »

Ruthanne sembla soudain penser à quelque chose. Elle s’assit droit sur sa chaise et regarda en direction du miroir. « Est-ce que Chloé est là derrière ? » demanda-t-elle à Peterson. « Chloé, je suis désolée. Et tu peux aussi le dire à Danielle. Je suis désolée pour les notes. C’était stupide et immature… »

« OK, alors maintenant, essayez de me suivre, » dit Peterson. « Vous avez envoyé ces lettres à Danielle pour des raisons stupides, d’après ce que vous me dites. De la jalousie, peut-être ? Ou peut-être que vous ne l’aimiez tout simplement pas. Franchement, je m’en fous. Et maintenant que vous avez admis les avoir écrites, ce n’est plus un problème. En revanche… une partie de mon boulot, c’est de trouver des liens entre les choses. Et si vous connaissiez la mère de Chloé et Danielle Fine – Gale Fine – et que vous avez envoyé ces messages à Danielle dix-sept ans plus tard, je me demande pourquoi.

« Vous voyez, nous avons découvert que beaucoup pensaient qu’Aiden Fine avait au moins une liaison extra-conjugale. Et bien que ça n’ait jamais été confirmé, quelqu’un qui passait peut-être beaucoup de temps avec sa femme, qui en savait plus sur lui et sur son emploi du temps… »

« Sûrement pas, » dit Ruthanne. Elle le dit rapidement mais sur un ton un peu choqué, et Chloé ne parvint pas à savoir si elle disait la vérité.

« OK, je vous crois, » dit-il, bien que Chloé ne soit pas convaincue que ce soit le cas. « Est-ce que vous vous rappelez l’endroit où vous vous trouviez le jour où Gale Fine est morte ? »

« J’étais à la maison. Je me rappelle que quelqu’un m’a appelée pour m’annoncer la nouvelle mais je ne me rappelle plus qui c’était. J’ai appris qu’elle avait été tuée, qu’il était en route pour la prison et que les filles allaient vivre avec leurs grands-parents. »

« Laissez-moi vous poser une autre question, alors, » dit Peterson. « Tout ça, c’est arrivé à Pinecrest. Sa mort, les filles envoyées chez leurs grands-parents… et votre amitié avec leur mère. Ça fait combien de temps que vous vivez à Pinecrest ? »

« Ça fait des années, » dit-elle. « J’ai déménagé de Boston à Pinecrest avec mon premier mari. Quand nous avons divorcé, j’ai failli partir pour Baltimore. Puis j’ai rencontré un homme pendant que je cherchais une maison et il vivait à Pinecrest. Nous nous sommes mariés et nous avons acheté une maison ici, alors je n’ai plus bougé. »

« Mais vous et votre mari… votre second mari, je veux dire, vous n’êtes plus ensemble, c’est bien ça ? »

« C’est bien ça. On a divorcé l’année dernière. Il a déménagé au Texas et il m’a laissé la maison. »

« Est-ce que c’est à ce moment-là que vous avez commencé à envoyer les notes à Danielle Fine ? »

Ruthanne secoua la tête. « J’ai seulement commencé il y a environ six mois. »

« Et vous ne savez toujours pas pour quelle raison vous l’avez fait ? »

« Non. »

Elle ment, pensa Chloé.

De l’autre côté du miroir, Peterson se leva et baissa les yeux vers elle. « Laissez-moi vérifier l’une ou l’autre chose, » dit-il. « Je pense qu’on devrait pouvoir s’en tirer avec une simple réprimande en ce qui concerne les lettres. Tenez bon, OK ? Je vous ferai sortir d’ici aussi vite que possible. »

Le soulagement sur son visage était si manifeste que ça en était presque choquant. Elle cache quelque chose, pensa Chloé.

Peterson quitta la salle d’interrogatoire et entra dans la petite pièce d’observation. Il rejoignit Chloé et Greene, qui fixaient Ruthanne des yeux à travers le miroir.

« Bon, » dit-il. « Elle ment à mort mais je ne sais pas à quel sujet. »

« Elle en sait plus qu’elle n’en dit, » dit Chloé.

« Définitivement, » dit Peterson.

« Je pense également qu’elle connaissait mieux ton père qu’elle ne le dit, » dit Greene. « Ou alors peut-être tes grands-parents. »