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La maison d’à côté

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La maison d’à côté
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La maison d’à côté
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Wird gelesen Nicole Forup
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CHAPITRE VINGT-SIX

Elle ne dormit vraiment pas bien cette nuit-là. Il y eut des moments où elle était tellement excitée à l’idée de savoir que Danielle serait libérée le lendemain qu’elle ne parvenait pas à dormir. Puis la minute d’après, elle sentait à nouveau peser sur elle le départ de Steven. C’était une décision courageuse de sa part et vu que Steven n’était pas vraiment du genre courageux, elle s’attendait à ce qu’il rentre à la maison à un moment ou un autre de la nuit.

Mais il ne rentra pas.

À un moment, elle finit par s’endormir profondément mais ça ne dura pas longtemps. Elle reçut un message à 5h35. Elle sortit son téléphone de la table de nuit sans prendre le temps de penser à la place vide qu’il y avait à côté d’elle dans le lit. Les yeux embrumés de sommeil, elle vit le nom de Greene s’afficher à l’écran. Le message disait :

Tous les formulaires pour la remise en liberté de Danielle seront prêts à 8 heures du matin. Une demande d’autorisation est en cours pour que tu puisses aller la chercher. Mais attention… les journalistes seront là aussi. Je viendrai pour te donner un coup de main.

Maintenant qu’elle avait reçu cette nouvelle, il était hors de question de retourner dormir. Elle sortit de son lit, prépara une cafetière de café et prit une douche. Après s’être habillée et avoir rapidement avalé une tartine grillée et du porridge, elle sortit de chez elle. Elle savait qu’elle allait probablement arriver à la prison plus tôt que huit heures du matin, mais cela ne la préoccupait pas de trop.

Quand elle sortit de chez elle, elle vit plusieurs voitures et deux camionnettes de journalistes garées au bord de la route. Alors qu’elle se dépêchait à avancer vers sa voiture, l’équipe de journalistes se précipita dans sa direction. Ils traversèrent la pelouse comme s’ils étaient chez eux, avec leur caméras et microphones prêts à enregistrer.

« Est-ce que vous êtes absolument certaine que votre sœur est innocente ? » demanda un journaliste.

« Avez-vous peur que ce retournement de situation affecte votre carrière, s’il s’avère finalement que Danielle est impliquée d’une manière ou d’une autre ? » demanda un autre.

Elle baissa les yeux, refusant de leur donner le privilège de filmer son visage. Elle entra dans sa voiture, fit rapidement une marche arrière et faillit accrocher un caméraman avec l’arrière de sa voiture.

S’ils sont déjà devant chez moi, pensa-t-elle, ce sera sûrement bien pire à la prison.

Elle sortit rapidement de Lavender Hills. En passant, elle vit quelques voisins curieux sur le porche de leur maison, qui regardaient les camionnettes de journalistes la suivre. En sortant du quartier et en prenant l’autoroute, elle se demanda s’il était possible que certains de ses voisins sachent déjà que Steven était parti.

Car finalement, ces voisins – et particulièrement les femmes – semblaient avoir un don pour découvrir certaines choses. Pourquoi est-ce que la dispute qu’elle avait eue hier avec son fiancé serait-elle différente ?

Elle ne put s’empêcher de se sentir un peu coupable. Peut-être qu’elle avait été trop exigeante. Peut-être qu’elle avait un peu dépassé les bornes quand elle avait catégoriquement refusé d’écouter son point de vue, au moment où elle lui avait dit que Danielle allait rester chez eux. Après tout, c’était aussi chez lui.

Mais non… elle refusait de se sentir coupable. Steven et ses parents avaient considéré Danielle comme une brebis galeuse dès le moment où leur relation avait commencé à être sérieuse. Si c’était le genre de personnes qu’ils étaient, alors elle n’avait vraiment pas besoin de Steven et de ce genre de négativité dans sa vie.

Pour résumer la situation, elle avait fait passer sa sœur avant sa relation avec Steven et finalement, ça ne la dérangeait pas. Ça faisait mal mais elle pouvait vivre avec cette idée, en sachant qu’elle avait pris la bonne décision.

Elle se mit alors à se demander comment Danielle avait bien pu se mettre dans cette situation. Le fait qu’elle sorte avec Martin n’était pas bizarre en soi mais en revanche, le fait que quelqu’un ait placé une preuve l’inculpant sur le corps de la victime l’était.

Elle savait qu’on lui avait dit de rester éloignée de l’enquête – que des agents plus expérimentés étaient maintenant dessus. Mais elle ne pouvait s’empêcher de se demander qui était Alan Short et quel lien il pouvait avoir avec Danielle. Peut-être que Greene tiendrait sa promesse et la maintiendrait informée. En tout cas, elle n’avait aucune raison de penser qu’il ne le ferait pas.

Il lui fallut une demi-heure pour arriver à la prison de Riverside. Elle arriva vingt minutes trop tôt mais elle se dit que c’était tout aussi bien. Quand elle arriva, le parking et la route étaient envahis de présentateurs du JT – de chaînes locales mais également nationales. Elle réalisa que la mort de Martin Shields n’était pas en soi digne d’intérêt, mais si vous y ajoutiez une voiture immergée dans un lac et la possibilité que des preuves aient été intentionnellement déposées sur les lieux, l’histoire devenait tout de suite plus juteuse. Et si les médias étaient au courant concernant Alan Short, ça devenait presque digne de faire la une, le temps que Short soit retrouvé par la police.

Elle envisagea la possibilité de rester dans sa voiture et d’attendre Greene, mais elle se rendit très vite compte que ça ne servirait à rien. Même avant qu’elle n’ait garé sa voiture, des reporters se précipitaient dans sa direction. En faisant de son mieux pour les devancer, Chloé ouvrit la portière de sa voiture et s’avança la tête baissée.

D’autres questions fusèrent dans sa direction et cette fois-ci, elle répondit. Elle se mit à répéter « Pas de commentaire, pas de commentaire. » C’était effrayant et exaspérant d’entendre autant de personnes parler de sa sœur comme d’une meurtrière. Elle dut faire de gros efforts pour ne pas s’emporter à chaque information erronée qu’elle entendait, vu que les questions devenaient de plus en plus acérées au fur et à mesure qu’elle se rapprochait de la prison.

Un policier se rendit apparemment compte de la situation au moment où il entrait dans l’édifice. Il se précipita dans sa direction et se tint devant elle avec les bras écartés. Il l’escorta à travers la foule grandissante de reporters et de caméramans.

« Vous allez reculer et laisser un peu de place à mademoiselle Fine. Si qui que ce soit s’avise de la toucher, même accidentellement, des amendes vont tomber. Vous avez compris ? »

La foule recula légèrement mais pas assez pour que Chloé soit vraiment à l’aise. Elle suivit le policier jusqu’au bâtiment, où il la fit entrer dans le vestibule. Une fois à l’intérieur, elle remarqua que quelques personnes la regardaient de manière bizarre – la réceptionniste, quelques policiers, une femme qui attendait assise sur une chaise dans le vestibule.

« Agent Fine, » dit le policier, « je suis l’officier Wright. Désolé que vous ayez dû faire face à ça. »

« Les choses sont ce qu’elles sont, » dit-elle, en remarquant vaguement qu’il s’était adressé à elle en tant qu’agent. « Ils étaient également devant chez moi. »

« Mon dieu, » dit Wright. « Enfin, j’imagine que vous êtes là pour votre sœur ? »

« Oui. »

« Je vais voir ce que je peux faire pour faire avancer les choses, » dit Wright.

Chloé passa les dix minutes suivantes à s’identifier et à signer des formulaires. Au moment où elle signait le dernier d’entre eux, debout à un comptoir qui séparait le bâtiment central d’un vaste couloir, un autre policier arriva près d’elle. L’agent Greene l’accompagnait et il avait l’air plutôt fâché.

« Quels vautours, ces journalistes, » dit-il. « Comment est-ce que tu as fait pour entrer sans en assommer un ? »

« Oh, ça n’a pas été facile. »

L’officier en uniforme qui avait donné le dernier formulaire à Chloé y jeta un coup d’œil, y apposa un tampon, puis hocha la tête. « Tout est en règle, mademoiselle Fine. »

Chloé et l’agent Greene furent escortés par une porte qui menait dans le couloir. Il n’y avait qu’une seule autre porte dans ce couloir et elle s’ouvrit au moment où ils s’avancèrent. Danielle en sortit, suivie d’un gardien armé.

Elle n’était pas menottée et elle portait les mêmes vêtements que le jour où elle avait été arrêtée. Ça ne faisait que deux jours mais il y avait quelque chose dans tout ça qui lui semblait barbare.

Quand Danielle s’avança rapidement en direction de sa sœur et la prit dans ses bras, Chloé eut du mal à y croire. Quand elle la serra dans ses bras, elle eut l’impression que Danielle était aussi légère qu’une plume. Elle tremblait aussi – peut-être qu’elle pleurait. Chloé eut envie de s’en assurer mais elle ne voulait pas non plus mettre sa sœur dans l’embarras. Elle savait combien les démonstrations d’émotions étaient rares chez elle.

Alors elle se contenta de continuer à serrer sa sœur dans ses bras.

Et à cet instant précis, bien que Steven lui ait manqué, elle sut qu’elle avait absolument pris la bonne décision.

***

Le FBI n’avait pas jugé nécessaire d’envoyer des agents pour escorter Chloé et Danielle jusqu’à Pinecrest. Deux policiers les suivirent jusqu’à l’entrée de la ville, où ils furent remplacés par deux voitures de patrouille, qui les escortèrent jusqu’à Lavender Hills. Les voitures de police se garèrent le long du trottoir, devant la maison de Chloé. Elle gara sa propre voiture dans son allée et remarqua que les équipes de télévision étaient toujours présentes. Il y en avait plus maintenant – quatre en tout – mais elles avaient l’air d’hésiter à venir lui poser des questions, en voyant les voitures de police garées devant sa maison.

 

Chloé et Danielle se dépêchèrent d’entrer à l’intérieur. Chloé entendit le bruit de téléphones et de caméras, ainsi que le murmure des reporters qui prenaient des notes et s’adressaient à leurs téléspectateurs.

« Quand j’étais adolescente, » dit Danielle, « j’avais envie d’apprendre à jouer la guitare. Je m’imaginais déjà comme une Liz Phair ou Joan Jett. Je pensais que ce serait cool d’avoir des gens qui me poursuivent avec leur caméra. Je réalise maintenant combien c’était un rêve stupide. »

Chloé ne put s’empêcher de rire. Elles s’assirent sur le divan mais il était clair qu’elles ne savaient pas vraiment comment se comporter l’une envers l’autre.

« Bon, Steven est parti, » dit Chloé, comme si elle parlait du temps qu’il faisait.

« Quoi ? Quand ça ? »

« Hier soir. On s’est disputé et il est parti. »

« Vous vous êtes disputés à cause de moi ? »

« En partie, » dit Chloé.

« Chloé, je suis vraiment désolée. C’est ma faute. Si tu veux, je peux l’appeler et lui expliquer… »

« Oh non, surtout pas ! Je pense qu’en fait, c’est mieux comme ça. Ses parents sont insupportables et le traitent comme si c’était un dieu. »

Danielle haussa les épaules et s’enfonça dans le divan. « Je suis triste pour toi mais je te mentirais si je te disais qu’il allait me manquer. Alors… pas de mariage ? »

« Je ne pense pas. Finalement, tu ne vas pas devoir porter cette robe de demoiselle d’honneur. »

« Cette journée ne fait qu’aller de mieux en mieux, » dit Danielle, avec un sourire en coin.

Chloé se leva et alla dans la cuisine pour leur préparer quelque chose à manger. Bien que ce soit un geste un peu puéril, elle mit un point d’honneur à utiliser la moutarde que Steven réclamait toujours comme étant la sienne pour faire les sandwiches. Alors qu’elle s’affairait dans la cuisine, Danielle alluma la télé dans le salon. Elle zappa sur différentes chaînes, en ignorant les programmes inintéressants du début d’après-midi avant de s’arrêter sur un journal télévisé local.

Elles restèrent un moment immobiles quand elles virent les images les montrant sortant de la prison de Riverside. Elles avaient la tête baissée et elles étaient escortées par quatre policiers. Elle vit l’agent Greene fermer la marche, en tenant à l’œil les reporters qui les suivaient. Danielle augmenta le son et elles se mirent à écouter les commentaires.

« …bien que les preuves soient assez solides, de nouvelles avancées dans l’enquête indiquent que d’autres personnes pourraient être impliquées. Ces nouvelles avancées ne sont pas suffisantes pour totalement innocenter Danielle Fine mais elles le sont assez pour la remettre en liberté. Les enquêteurs ont déclaré que ces nouvelles avancées sont confidentielles et ne peuvent pas encore être dévoilées au grand public en raison de la nature même de l’enquête. Mais pour l’instant, Danielle Fine reste le seul suspect aux yeux du public. Quand nous leur avons demandé plus d’informations, la police de Baltimore a affirmé que Fine acceptait de rester coopérative pour ce qui était des interrogatoires et d’autres détails de l’enquête. Nous la voyons ici sortir de la prison de Riverside en compagnie de sa sœur, Chloé Fine, futur agent au FBI. Nous avons récemment découvert que les deux sœurs avaient traversé des moments difficiles au cours de leur enfance et qu’elles auraient vu leur père assassiner leur mère. Nous ne pouvons pas… »

« Va te faire foutre, » dit Danielle, en éteignant la télévision. « J’ai vraiment une sale tête à la télé. »

« Tu n’as pas dormi depuis près de deux jours, » dit Chloé. « C’est normal si tu as l’air fatiguée. »

« Mais pas l’air coupable, j’espère. » Elle s’interrompit car Chloé amenait les sandwiches et quelques chips dans le salon. « Alors, qu’est-ce que tu sais au sujet de cet Alan Short ? »

« Rien. Et toi ? »

« Même chose. Et écoute… je sais que tu ne faisais que ton boulot pendant tout ce temps. Et avec ma stupide idée d’envoyer cette voiture au fond d’un lac, je sais que j’avais l’air coupable. Ça compte vraiment beaucoup pour moi que tu aies pu voir au-delà et ne pas laisser tomber. Vraiment… Personne ne s’était jamais autant battue pour moi, tu sais ? »

Chloé ne voulait pas confirmer verbalement ce qu’elle venait de dire, alors elle se contenta d’acquiescer d’un geste de la tête. « Alors, tu ne connais pas Alan Short. Mais est-ce qu’il y a quelqu’un qui pourrait vouloir que tu sois inculpée pour le meurtre de Martin ? »

Danielle soupira et baissa les yeux vers son sandwich pour ne pas regarder Chloé dans les yeux. « Je ne sais pas qui, » répondit-elle. « Mais je devrais probablement te parler d’une chose que je ne t’avais pas encore racontée. »

« Et c’est quoi ? » demanda Chloé, avec un petit serrement au cœur. Mais en fait, elle était presque sûre de savoir ce qu’elle allait lui dire. Elle en était tellement certaine qu’elle répondit elle-même à sa propre question. « Tu veux parler de ces lettres ? »

« Oui. Et d’ailleurs, comment les as-tu trouvées ? » demanda Danielle.

« Je suis allée chez toi, après ton arrestation. Je voulais voir si je pouvais trouver quoi que ce soit pour te faire libérer. Ces lettres… s’il y a la moindre possibilité qu’elles aient été écrites par Alan Short – ou même si ce n’est pas lui l’auteur – je pense qu’il faut qu’on les présente en tant que pièces à conviction. »

« Tu les as lues, n’est-ce pas ? » demanda Danielle. « Dans l’une d’entre elles, il dit que si j’en parle à qui que ce soit, il me tuera. Et maintenant, après que Martin ait été retrouvé mort, j’y crois d’autant plus. Cette dernière note… Tue-le ou c’est moi qui le ferai. Ça faisait référence à Martin, non ? »

« Il est impossible d’en être sûr. »

« Ça semble tout de même un peu bizarre. En plus, je trouve que le timing correspond un peu de trop. »

« Quand as-tu reçu la première note ? » demanda Chloé.

« Il y a environ six mois. »

« Et elles ont continué à apparaître de manière aléatoire ? »

« Oui, » répondit Danielle. « J’ai essayé de réfléchir à ce que j’avais fait au cours de ces six derniers mois, pour voir s’il y avait quelqu’un que j’aurais pu mettre en colère. Mais la pire chose que j’ai pu trouver, c’était d’avoir refusé les avances de certains types au bar. »

« Et en ce qui concerne des choses plus banales ? Peut-être que tu t’es fait de nouveaux amis ou que tu as fréquenté de nouvelles personnes au boulot ? »

« Non. Je n’ai pas vraiment la patience pour me faire des amis. Bien que – c’est assez marrant, je pense que tu vas adorer ça – j’aie envisagé de m’inscrire à un groupe de lecture. »

« Et tu l’as fait ? »

« Non. Mais l’idée m’est venue après avoir retrouvé certaines choses qui venaient de maman, dont ce bouquin qu’elle avait : Différentes saisons de Stephen King. Il y avait une petite note à l’intérieur, écrite par maman. Elle le lisait pour un club de lecture dont elle faisait partie, ici à Pinecrest. J’ai appelé la bibliothèque et j’ai demandé s’il y avait toujours un club de lecture et on m’a confirmé que oui. Alors sur base de ça, j’ai failli m’inscrire. J’ai même demandé s’il y avait moyen de savoir quelles étaient les personnes qui avaient été membres dans le passé. Je leur ai dit que je faisais des recherches sur l’histoire de ma mère… et c’était la vérité, aussi stupide que ça en ait l’air. Juste le fait de savoir qu’il existait un club de lecture dont elle avait un jour fait partie, tu vois ? Tu te rappelles comme elle adorait lire ? »

« Oui, je me rappelle. »

« Eh bien, ils m’ont dit qu’ils avaient des registres mais qu’ils ne remontaient pas plus haut que 2002. »

« Mais tu as des notes qui prouvent que maman faisait partie de ce club de lecture, non ? » demanda Chloé.

« Oui, mais j’ai alors commencé à recevoir les lettres de menace et j’ai été un peu distraite. Je n’ai même plus jamais songé à m’y inscrire. »

« Tu te rappelles le délai entre l’appel à la bibliothèque et l’apparition des premières notes ? »

« Je ne suis pas tout à fait certaine. Deux semaines ? Peut-être trois ? »

Le ton de Danielle était un peu terne, ce qui fit frémir Chloé. Danielle avait l’air fatiguée et, bien qu’elle vienne d’être libérée de prison, infiniment triste. Chloé reconnut les signes de dépression qu’elle avait déjà vus chez sa sœur quand elle était plus jeune.

Mon dieu, on ne peut pas revenir à ça, pensa-t-elle.

« C’est ce que tu voulais dire par le fait que le timing corresponde un peu de trop à ton goût ? » demanda Chloé, avec une pointe de sarcasme.

« Oui, mais un club de lecture ? Tu penses vraiment qu’un bibliothécaire m’en veuille parce que je ne me suis pas inscrite ? »

« Non, mais est-ce que tu as spécifiquement mentionné maman ? »

« Oui. »

Chloé n’était pas trop sûre de savoir ce que ça signifiait – si ça signifiait même quoi que ce soit.

Mais ça valait certainement la peine d’y jeter un coup d’œil. Et apparemment, Danielle le pensait aussi. Le silence envahit le salon au moment où les deux femmes tournèrent leur attention vers les fenêtres et observèrent la présence des médias à l’extérieur.

CHAPITRE VINGT-SEPT

Les titres de l’actualité n’allèrent pas en s’améliorant. Les journalistes fouillaient maintenant dans l’histoire sordide de leurs parents et décrivaient Danielle comme un enfant ayant grandi sans véritable figure parentale. Ils avaient également découvert qu’elle avait été une fois arrêtée pour ivresse sur la voie publique et ils insistaient maintenant beaucoup là-dessus.

Chloé était préoccupée par le fait que Danielle commence tout doucement à s’enfoncer dans une sorte de dépression. Elle voyait bien qu’elle n’essayait plus de faire de l’humour et que la sœur qui l’avait serrée dans ses bras à la prison de Riverside ce matin semblait avoir disparu. La petite fille maussade avec laquelle Chloé avait grandi rôdait, prête à refaire surface.

Le silence s’était installé entre elles après la discussion concernant le club de lecture, mais c’était un silence que Chloé brisa après moins de dix minutes. Elle savait que la piste qu’elle suivait était très fragile, une piste qui n’existait peut-être même pas, mais qu’il fallait qu’elle essaye.

« Danielle, tu te rappelles le jour où maman est morte, quand on était à l’arrière de la voiture de mammy ? Je me souviens t’entendre dire que papa n’avait pas fait ça. Est-ce que tu le penses toujours ? »

« Oui, » dit-elle, sur un ton à moitié endormi. Ce n’était pas que la conversation ne l’intéressait pas, c’était plutôt qu’il lui fallait beaucoup de volonté pour parvenir à y participer – un autre signe de sa dépression latente.

« Et pourquoi ? »

« Je ne sais pas. J’ai juste toujours eu l’impression qu’il n’était pas capable de faire une telle chose. Si tu y réfléchis bien, il n’a jamais frappé maman. Je n’ai pas le souvenir qu’il ait jamais levé la main sur elle. S’il a eu quoi que ce soit à voir avec ça, c’était un accident. Je veux dire par là qu’elle a dû tomber dans les escaliers. Il n’y avait aucune arme de crime, aucune intention de nuire, tu vois ? »

Chloé continuait à réfléchir au timing des événements – au fait que Danielle se renseigne sur la participation de leur mère à un club de lecture à peine quelques semaines avant que les lettres de menace ne commencent à arriver. Et bien que Chloé ne soit pas encore prête à penser que l’auteur des lettres ait quelque chose à voir dans la mort de Martin, ces notes étaient définitivement inquiétantes.

Mais si elle suivait cette piste, cela mènerait tout droit à leur mère. Le club de lecture était probablement insignifiant en soi et ne devait pas avoir beaucoup d’importance dans l’ensemble. Mais Chloé savait que si elle poursuivait cette voie, elle finirait par devoir se pencher sur la mort de sa mère et l’incarcération de leur père – quelque chose qu’elle s’était promis de ne jamais faire.

Mais maintenant le nom de Danielle était traîné dans la boue. Et si Chloé pouvait y mettre fin en s’intéressant de plus près à leur passé, alors c’était un mal nécessaire.

« Tu te rappelles le policier qui était assis avec nous sur le seuil ? » demanda Chloé, avec une idée maintenant derrière la tête.

Danielle sourit. « Oui, Clarence Simmons. Je ne sais pas pourquoi je me rappelle son nom. Un type imposant. Très gentil. Je me rappelle qu’il avait l’air presque aussi triste que nous. »

 

Chloé se mit à réfléchir et une légère anxiété commença à lui nouer l’estomac, au fur et à mesure que ses pensées devenaient de plus en plus concrètes. « Est-ce qu’il t’a dit quoi que ce soit de particulier cet après-midi-là ? » demanda Chloé.

« Non, rien de spécial, » dit Danielle. « Juste que tout allait s’arranger. Il n’arrêtait pas de le répéter. Tu sais, c’est marrant… je ne m’en suis rendue compte que plus tard… quand j’ai dû suivre cette thérapie inutile. Mais tu sais qu’il était voisin avec Amber Hayes ? »

« Amber Hayes ? » demanda Chloé. Ce nom lui disait vaguement quelque chose.

« Oui. Cette fille qui avait ce bête vélo avec cette sonnette qui tapait sur les nerfs et qui n’arrêtait pas de faire le tour du quartier, en faisant ding ding ding. »

« Oh mon dieu, oui, je me rappelle. Attends… elle vivait à quoi… à trois pâtés de maisons de l’appartement, non ? »

« Oui, ça doit être ça, » dit Danielle.

« Tu sais où elle vit maintenant ? »

« En fait, oui. Elle a essayé de papoter avec moi sur Messenger il y a quelques temps. Elle vit quelque part à New York, je pense. »

« Et tu as son numéro ? »

Danielle leva les yeux au ciel et sortit son téléphone. « Oui, j’ai son numéro professionnel. Elle me l’a donné en pensant que je pourrais avoir besoin de services publicitaires… pourquoi ? Je n’en ai aucune idée. »

Danielle trouva le numéro et le donna à Chloé, qui ne perdit pas une seconde pour appeler. Elle savait que ses chances de tenir une piste étaient très minces mais ça valait la peine d’essayer. Le téléphone sonna trois fois avant que quelqu’un ne décroche.

« Services publicitaires Helmsley, » dit une voix de femme.

« Bonjour, est-ce que je pourrais parler à Amber Hayes ? » demanda Chloé.

« Oui, c’est moi. »

« Salut, Amber. C’est Chloé Fine. Tu te rappelles de moi ? »

Il y eut un bref silence à l’autre bout de la ligne, avant que Amber ne réponde d’une manière trop théâtrale pour être sincère. « Oh oui, bien sûr ! Comment vas-tu ? J’ai vu les nouvelles… comment va Danielle ? »

« Elle est effrayée mais elle va bien. Elle me disait justement que vous aviez papoté il n’y a pas si longtemps que ça. »

« Oui, je suis venue à Pinecrest pour rendre visite à ma famille il y a environ un mois. J’avais espéré pouvoir la revoir. »

« Écoute, Amber. Désolée d’aller droit au but, mais je me demandais si tu pourrais peut-être m’aider à trouver une adresse. Tu te rappelles votre voisin à l’époque où tu vivais à Pinecrest ? C’était un policier, Clarence Simmons. »

Amber éclata de rire et quand elle répondit, il y avait une véritable gaieté dans sa voix. « Oh oui, bien sûr. Monsieur Simmons était tellement gentil. Mon père est toujours en contact avec lui. Je pense d’ailleurs qu’ils sont partis pêcher ensemble l’été dernier. »

« Il vit toujours à Pinecrest ? » demanda Chloé.

« Non. Il a déménagé il y a environ huit ans, je pense. Peut-être plus longtemps. Il est parti dans le New Jersey. »

« Et est-ce que tu as son adresse ? Ou peut-être ton père ? »

« De fait, j’ai bien son adresse. Il m’envoie toujours des cartes de vœux pour Noël. Je peux te rappeler quand je la trouve, si tu veux. »

« Ce serait vraiment fantastique, » dit Chloé. « Merci beaucoup, Amber. »

Elle raccrocha et vit que Danielle la regardait d’un air plutôt émerveillé. « Est-ce que c’est toujours aussi facile pour toi d’obtenir des informations ? »

« Pas toujours. C’est qu’on appelle au FBI un coup de chance. Elle a une adresse mais il faut qu’elle la retrouve. »

Danielle se dirigea vers la fenêtre et regarda dehors. Chloé regarda par-dessus son épaule et vit qu’une autre camionnette de journalistes était arrivée. Une femme menue parlait devant une caméra, qui était orientée afin de capturer toute la maison dans l’angle de vue. Deux voitures de police étaient garées derrière et un policer était debout près du capot. Il fumait une cigarette et fixait des yeux toute cette mascarade.

Elles restèrent à l’intérieur de la maison, où Chloé commençait à se sentir un peu prisonnière. Elle reçut des messages de Greene, qui lui donnait des nouvelles sur les recherches menées pour retrouver Alan Short. Elles gardèrent également un œil sur ce que les journalistes publiaient sur Danielle mais ça ne faisait que les énerver.

Cette monotonie fut finalement interrompue vers 16h30, quand Amber rappela. Chloé se limita à une brève conversation, tout en n’oubliant pas de la remercier pour son aide. Elle prit note de l’adresse et raccrocha, en ayant l’impression de peut-être tenir une piste.

« Trenton, dans le New Jersey, » dit-elle.

« On a de la chance, » dit Danielle. « Il aurait pu déménager en Californie ou en Alaska. Ça aurait été un peu plus compliqué, hein ? »

« Mais tu ne peux pas venir avec moi, » dit Chloé. « Jusqu’à ce que tu sois complètement innocentée de la mort de Martin, tu ne peux pas sortir de la ville. Si tu veux, je peux demander à Greene de garder un œil sur toi. »

Danielle secoua la tête d’un air déprimé. « Non. Ça devrait aller avec les deux clowns devant chez toi. Quand est-ce que tu penses prendre la route ? »

« Je partirai demain matin. Ça ne vaut pas la peine de partir maintenant, de me retrouver en pleine heure de pointe, tout ça pour arriver chez lui de nuit. »

« Alors, on se fait une soirée entre filles ? » demanda Danielle.

Chloé fut un peu agacée par cette demi plaisanterie. Mais elle connaissait également assez bien sa sœur pour savoir que plaisanter était une manière pour elle de gérer le stress. Ça avait toujours été le cas, déjà à l’âge de cinq ans. Quand elle commençait à blaguer, c’était un signe de stress ou de préoccupation.

Et effectivement, elles avaient encore beaucoup de choses pour lesquelles se préoccuper.

« On dirait bien, » dit-elle, en souriant.

« Parfait. Tu t’occupes du vin pendant que je cherche quelque chose à la télé. »

C’était rassurant d’entendre Danielle s’exprimer sur son ton je-m’en-foutiste habituel, même si c’était en grande partie du bluff. Comme Chloé, Danielle sentait également que quelque chose était dans l’air et elle n’était pas totalement sûre de savoir quoi penser à l’idée de revenir sur leur passé.

Chloé choisit une bouteille de vin rouge dans la cuisine et servit deux verres. Quand elle revint dans le salon pour en donner un à Danielle, elle remarqua qu’une autre équipe de journalistes était arrivée devant chez elle.

Ce qui pouvait signifier qu’il y avait du neuf dans l’affaire. Mais Chloé n’avait pas vraiment envie de le savoir. Elle détourna les yeux de la fenêtre et regarda Danielle faire défiler le contenu Netflix, à la recherche d’un film à regarder.

Elle but une gorgée de son vin et repensa au policier noir qui était avec elles le jour où leurs vies s’étaient écroulées. Clarence Simmons. Elle avait souvent pensé à lui au fil des ans et à ses yeux, il avait presque acquis une sorte de statut mythique. Savoir qu’elle allait bientôt le revoir lui donna l’impression surréaliste de quitter cette vie pour se retrouver dans un lieu où les rêves et les cauchemars ne lâchaient jamais vraiment prise.