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La maison d’à côté

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La maison d’à côté
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La maison d’à côté
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Wird gelesen Nicole Forup
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CHAPITRE VINGT ET UN

Après avoir ressenti du chagrin de savoir que Danielle refusait de lui parler, Chloé décida de laisser passer un jour ou deux. Bien qu’elles n’aient pas été très proches ces dernières années, Chloé avait l’impression de bien connaître sa sœur. Elle allait rester silencieuse un jour ou deux, un peu comme un enfant qui boude. Après ça, elle commencerait à s’ouvrir petit à petit – et avec un peu de chance, ce serait à elle.

Après que Greene lui ait assuré qu’elle pourrait toujours voir Danielle le lendemain, Chloé décida d’en rester là pour aujourd’hui. Elle rentra chez elle, à nouveau anxieuse de savoir comment Steven allait réagir à tout ça. Elle se demandait s’il allait lui offrir son soutien ou s’il allait être soulagé que sa fastidieuse belle-sœur ne fasse plus partie de l’équation.

Elle s’occupa pendant une heure à nettoyer la maison, afin de s’empêcher de penser continuellement à Danielle. Quand elle entendit Steven arriver un peu après quatre heures de l’après-midi, elle avait l’impression d’aller au champ de bataille, dans une guerre dont personne ne savait qu’elle faisait rage. Ils allaient manger chez ses parents ce soir, et dieu seul sait combien c’était déjà assez stressant comme ça. Ajouter toute cette histoire avec Danielle ne faisait qu’y ajouter une couche.

Steven entra et avait l’air de bonne humeur. C’était généralement le cas quand il la trouvait déjà à la maison quand il rentrait du travail.

« Une journée courte ? » demanda-t-il.

« Oui. »

« Des nouveautés concernant Danielle ? »

Elle fut un peu surprise qu’il lui pose la question de manière aussi directe. Et d’autant plus surprise qu’il lui sembla discerner un véritable intérêt dans sa voix.

« Non, » dit-elle. « Rien de neuf. »

Il hocha la tête et laissa échapper un léger son d’approbation, avant de se diriger vers la chambre à coucher. Chloé avait seulement réalisé après leurs fiançailles combien Steven était attaché à ses parents. Quand ils avaient rendez-vous avec eux pour aller manger, il veillait toujours à arriver à l’heure. Même quand ils ne vivaient pas encore à Pinecrest, même s’ils avaient rendez-vous dans un restaurant, Steven était stressé par le fait d’arriver à l’heure. C’est pourquoi elle s’attendait à le voir sortir de la chambre à coucher dans une dizaine de minutes, avec des vêtements propres et prêt pour aller dîner – même s’ils avaient encore une demi-heure devant eux.

La peur que ses parents puissent un peu les étouffer lui avait effleuré l’esprit. Mais maintenant qu’ils commençaient à le vivre au quotidien, Chloé sentait que cette crainte était bien plus réelle qu’elle ne l’aurait imaginé.

***

Bien que Sally Brennan ait une tonne de défauts, il y avait une chose qu’elle savait bien faire : elle savait vraiment bien cuisiner.

Quand Chloé s’assit à la table de Wayne et Sally Brennan ce soir-là en compagnie de leur fiston chéri, elle avait préparé un carré d’agneau, des asperges assaisonnées et une salade accompagnée d’une vinaigrette faite maison. Mais cet aspect agréable du repas ne dura toutefois pas très longtemps. Apparemment, Sally était incapable de laisser passer cinq minutes sans poser une foule de questions.

« Steven, c’est quoi le bleu que tu as à la tempe ? » demanda Sally.

Chloé fit une légère grimace. Elle avait trouvé que le bleu venant de la bagarre avec Martin s’était assez estompé pour que Sally et Wayne ne remarquent rien. Mais maintenant la balle était dans le camp de Steven. Est-ce qu’il allait leur expliquer que Danielle avait ramené un type chez eux qui avait fini par se comporter comme un véritable connard et à en venir aux mains ? Ou est-ce qu’il mentirait à sa mère pour permettre à sa future femme de sauver un peu la face ?

« Oh, c’est vraiment un truc stupide, » dit Martin. « J’avais laissé l’armoire à pharmacie ouverte l’autre soir. J’ai tourné un moment la tête, puis je me suis retourné pour revenir dans la chambre à coucher et je l’ai pris en pleine figure. J’avais un bleu pas très beau à voir pendant un jour ou deux. »

Wayne Brennan rit de bon cœur en entendant ce récit. « Tu as toujours été un peu maladroit, » dit-il, en avalant une gorgée de son vin rouge.

« Apparemment, c’est toujours le cas, » dit Steven.

Il prit la main de Chloé sous la table et la serra légèrement. Ça, c’était pour toi, eut-il l’air de lui dire.

Le silence s’installa à table, interrompu uniquement par le bruit des couverts. Une sensation désagréable commença à nouer l’estomac de Chloé lorsqu’elle remarqua l’expression serrée et contenue qui avait envahi le visage de Sally.

Puis elle se mit à parler et Chloé comprit alors la raison de ce silence si peu typique d’un dîner des Brennan. Elle s’était en fait retenue, en essayant de trouver le moment adéquat pour lâcher sa petite bombe.

« Excuse-moi de poser la question, » dit Sally, en regardant en direction de Chloé. « Mais deux personnes différentes m’ont dit que ta sœur avait été arrêtée sur base de charges plutôt horribles. Certains parlent de meurtre ! Ça ne peut pas être vrai, n’est-ce… »

« Maman… » dit Steven, sur un air non seulement surpris mais également un peu choqué.

« Mais je voulais juste savoir, » dit Sally, comme si c’était elle qui était attaquée. « Après tout, si c’est vrai et que Danielle va avoir des… problèmes… ça affecte tout de même le mariage. »

« Sauf votre respect, » dit Chloé, « ma sœur a été arrêtée pour quelque chose qu’elle n’a pas fait. Je n’ai pas vraiment eu la tête à penser au mariage. »

« Est-ce qu’il y a quelqu’un d’autre qui pourrait prendre sa place ? » demanda Sally.

Quel toupet quand même, pensa Chloé. Bien sûr, ils payaient la majorité du mariage mais elle s’investissait de cette responsabilité comme s’il s’agissait d’un sacerdoce. Affirmer qu’elle utilisait ça pour contrôler Chloé était loin d’être exagéré. Et maintenant, avec ce qui se passait avec Danielle, elle avait apparemment l’impression qu’elle avait encore plus de moyens de pression.

Hors de question, pensa Chloé.

« Non, pas vraiment, » dit Chloé. « Et si ça vous dérange autant, madame Brennan, peut-être qu’on devrait parler de postposer le mariage. »

D’après l’expression sur son visage, il était clair qu’elle ne s’était pas attendue à ce genre de réponse de la part de Chloé. On aurait dit qu’elle venait de recevoir une claque et réagit de manière dramatique.

« Oh, je ne pense pas, » dit-elle. « J’ai déjà réservé l’endroit au Elder Gardens ! Je ne vois pas pourquoi il faudrait changer les projets des autres, juste à cause des mésaventures de ta sœur. »

« Ce n’est pas ce que j’ai insinué, » dit Chloé. Elle avait encore beaucoup d’autres choses sur le bout de la langue mais elle se retint. Au lieu de ça, elle se leva et regarda en direction de Steven. « S’il te plaît… prends ton temps pour finir de manger. Profite du repas en compagnie de tes parents. Je t’attendrai dans la voiture. »

« Chloé, » dit Wayne, sur un ton autoritaire qui ne lui était pas habituel. Bien qu’il puisse être aussi ennuyeux que Sally, il faisait au moins semblant d’être une personne rationnelle et bien intentionnée la plupart du temps. « C’est un peu impoli de ta part. »

« Je suis désolée, » dit-elle. « Peut-être qu’on devrait aussi trouver quelqu’un pour me remplacer au mariage, non ? »

« Chloé, s’il te plait, » dit Steven.

« Voyons, » dit Sally. « Est-ce qu’on va prétendre que c’est vraiment une surprise ? On a toujours su que Danielle était source de problèmes. Une petite fille qui n’allait pas bien dès le début, d’après ce que j’ai entendu. »

« Et qu’est-ce que tu as entendu ? » demanda Chloé. « Est-ce que tu crois toujours ce qu’on te dit ? Est-ce que tu es capable de penser par toi-même et te faire tes propres opinions ? »

À nouveau, la réaction de Sally était limite comique, tellement elle était dramatique. Et Chloé était bien consciente qu’il devait y avoir quelque chose qui ne tournait pas rond chez elle… car elle adorait voir cet air de fausse douleur sur le visage de cette femme.

Mais Chloé en avait assez entendu. Elle s’éloigna de la table, sans regarder derrière elle. Elle fit exactement ce qu’elle avait dit qu’elle ferait : elle alla à la voiture, entra du côté passager et referma la portière. Elle resta assise un moment, en fixant son téléphone des yeux. Elle se demanda si ça pouvait être utile d’appeler Greene et lui demander s’il y avait un moyen pour qu’elle puisse parler avec Danielle. Même si elle refusait de lui parler, Chloé se disait qu’il devait bien y avoir un moyen de contourner cet obstacle.

Elle repassa mentalement en revue les éléments de l’enquête, dans le but surtout d’oublier la haine qu’elle ressentait pour les parents de Steven et cette petit communauté qui semblait ne vivre que de ragots. Ça ne faisait que deux jours. Deux jours et les rumeurs étaient déjà arrivées aux oreilles de Sally Brennan.

Il était 19h47 quand Steven sortit de la maison de ses parents. Cela voulait dire qu’il était resté à l’intérieur une quinzaine de minutes après qu’elle soit partie. Chloé imaginait bien toutes les choses ignobles qu’ils devaient avoir dites sur Danielle après son départ. Ils sont probablement allés jusqu’au point de demander à Steven d’annuler les fiançailles.

Il s’assit derrière le volant, démarra le moteur et sortit de l’allée. Trois minutes passèrent avant qu’il n’ouvre la bouche.

« C’était un peu une réaction excessive, » dit-il.

« Ah bon ? Je trouve que c’était incroyablement méchant de sa part – et j’ajouterais même, calculé – de dire quelque chose d’aussi stupide. Elle n’a pas attendu que je confirme ou pas les rumeurs. Tout ce qui la préoccupait, c’était de savoir qui allait remplacer ma sœur sur les cartons et les guides qu’elle prépare pour le mariage. Un mariage qui d’ailleurs lui monte bien trop à la tête. »

 

« Chloé, c’est de ma mère que tu parles. Fais attention à ce que tu dis. »

« Ce que je dis ? Est-ce que tu es sérieux, là ? Elle n’a aucun droit de parler de ma sœur de cette manière ! »

« Chloé… tu l’as dit toi-même l’autre jour. Les preuves contre elle sont plutôt solides. Apparemment, il n’y a qu’une issue possible. Et maman pourrait avoir raison. »

« En quoi ? Vas-y, dis ce que tu as envie de dire, Steven. »

« OK, alors. Je ne trouve pas que ce soit complètement déplacé que ma mère ou moi-même n’aient pas envie qu’une personne suspectée d’un meurtre participe au mariage. »

Sa première envie fut de le frapper. Et elle n’avait jamais ressenti ça envers lui auparavant. Sa deuxième envie fut de lui dire d’arrêter la voiture pour qu’elle puisse en sortir. Mais elle ne fit aucun des deux. Elle ravala sa rage et la laissa bouillir en elle. L’expression sur le visage de Steven – qui indiquait qu’il savait qu’il avait merdé – était plus que suffisante pour l’instant.

CHAPITRE VINGT-DEUX

Chloé ne perdit pas une seconde le lendemain matin. Bien qu’on soit samedi, elle se mit en action comme s’il s’agissait d’une journée de travail normale. Elle décida de ne pas aller faire son jogging et parvint même à se préparer à la journée qui l’attendait sans adresser un mot à Steven. Il finit par lui murmurer un léger « Aurevoir » en se cachant derrière sa tasse de café, au moment où elle sortit de chez eux mais elle ne prit pas la peine de lui répondre. Elle se contenta de claquer la porte et se dirigea vers sa voiture, pressée de s’éloigner de lui.

Elle avait l’estomac noué par l’appréhension au moment où elle finit par prendre une décision : si Danielle avait décidé de ne pas lui parler, elle obtiendrait des informations d’une autre manière. Elle roula en direction de l’appartement de Danielle, avec un sentiment croissant d’anxiété au fur et à mesure qu’elle s’en approchait. Elle se demanda à partir de quel moment une enquête commençait à être trop personnelle pour un agent. Elle avait probablement déjà dépassé cette limite et elle s’attendait à ce que Greene l’informe bientôt qu’elle ne pouvait plus travailler sur l’affaire.

Mais avant que cela n’arrive, elle allait faire tout ce qu’elle pouvait.

Au moment où elle s’approcha de la porte de Danielle, Chloé sortit le petit kit de crochetage de serrures qu’elle avait « emprunté » quand elle était arrivée à l’académie. Ce n’était pas vraiment un vol puisque c’était un kit disponible pour tous les agents au labo de formation. Mais sans directives ni ordres spécifiques, elle était sur le point de faire quelque chose pour lequel elle pourrait être réprimandée.

Il lui fallut une dizaine de secondes pour ouvrir la porte de Danielle avec le kit de crochetage. Elle entra dans l’appartement en refermant silencieusement la porte derrière elle, comme si elle savait qu’elle ne devrait vraiment pas se trouver là. Elle resta debout devant la porte et regarda autour d’elle. Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle cherchait. Elle savait que le FBI avait déjà embarqué l’ordinateur de Danielle. Ils voulaient vérifier ses emails et toutes les communications qu’elle avait eues avec Martin.

Elle fit lentement le tour de l’appartement. Elle regarda les affaires de sa sœur, en se rendant compte que Danielle semblait être toujours la même jeune fille avec laquelle elle avait grandi. La collection de films était toujours la même, et c’était pareil pour la collection de musique ou même les deux t-shirts de groupes de rock qui étaient jetés sur le divan.

Elle entra dans la cuisine, contente de savoir que le flacon de médicaments n’était plus là mais qu’il était maintenant avec Danielle. Avec l’impression désagréable de trahir sa sœur, elle se mit à regarder dans les tiroirs et dans les armoires. Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle cherchait. Quand elle se rendit compte qu’il n’y avait rien de spécial à découvrir dans la cuisine, elle entra dans la chambre à coucher. Elle était étonnamment bien rangée. Mais il n’y avait pas non plus grand-chose à mettre en désordre : juste son lit (négligemment fait), une seule commode, une table de nuit et un panier à linge sale qui débordait de vêtements sombres.

Mais qu’est-ce que je cherche exactement ?

Elle ne savait pas. Elle regarda dans la penderie de la chambre mais ne trouva rien de plus que des caisses contenant de vieux livres de poche et quelques vêtements plus habillés qui n’avaient probablement jamais été portés. Elle ne trouva rien non plus dans la salle de bain, à part un test de grossesse toujours dans son emballage, qui en disait long sur le niveau de promiscuité de Danielle.

Quand elle revint dans le salon, son regard fut attiré par l’ancien bureau à cylindre qui avait appartenu à leur grand-mère. Il était appuyé contre le mur qui séparait la cuisine du salon. Quand elles étaient beaucoup plus jeunes, Danielle avait toujours adoré ce bureau. Elle s’en servait pour jouer à l’école, faire ses devoirs, dessiner ou griffonner. Il avait été tout à fait normal que Danielle en hérite au moment où leur grand-mère était décédée.

Chloé caressa de la main la partie incurvée du bureau. Elle sourit aux souvenirs que ce meuble lui rappelait. Elle leva lentement le cylindre pour dévoiler le bureau qui se trouvait en-dessous. Elle y vit différents éléments de correspondance éparpillés : des enveloppes, des timbres, du papier, des stylos. Il n’y avait rien d’utile comme un carnet d’adresses ou un carnet de chèques. Chloé fronça les sourcils et commença à refermer le cylindre.

Mais c’est à ce moment-là qu’elle vit quelques feuilles de papiers coincées au fond du bureau, derrière une boîte d’enveloppes. Il était clair qu’elles étaient intentionnellement cachées – le genre de choses que tu veux conserver mais pas à la vue de tous. Chloé tendit le bras et sortit sept notes.

Quand elle les lut, son cœur cessa de battre pendant un instant. Les notes étaient toutes courtes, pas plus d’une phrase pour la plupart. Elles étaient également rédigées d’une écriture très régulière sur ce qui ressemblait à du papier à dessin. Elles étaient apparemment toutes arrivées dans des enveloppes qui avaient l’air presque élégantes. Il n’y avait aucune adresse indiquée sur les enveloppes, ni de l’expéditeur ni du destinataire. Elle les lut les unes après les autres et, bien qu’elles la mirent très mal à l’aise, elles firent également naître l’espoir qu’elles puissent être un point de départ afin de faire sortir Danielle de détention.

En les lisant, elle essaya d’y trouver un sens.

Tu ne changeras jamais, n’est-ce pas ?

Parle à qui que ce soit de ces lettres et je te tue. Arrête de regarder vers le passé.

Le type que tu as ramené chez toi hier soir est probablement marié. Salope !

Tu n’as pas honte de ce que tu es devenue ? Tu devrais être morte, comme ta mère.

Est-ce que ça fait plus de mal d’être une salope ou une ratée ?

TU NE VAS QU’EMPIRER LES CHOSES.

Tue-le ou c’est moi qui le ferai.

La dernière note était clairement la plus alarmante. Est-ce qu’il s’agissait de Martin ? Et si c’était le cas, qui pouvait bien se trouver derrière ces lettres ? Chloé les lut à nouveau, en insérant chacune d’elles dans l’enveloppe correspondante. Quand elle eut terminé, elle les serra contre son cœur et sortit de l’appartement.

Elle avait l’impression d’avoir découvert quelque chose d’important. Maintenant, le plus difficile, ce serait de convaincre Danielle de lui parler. Si Danielle savait qui lui envoyait ces lettres, ils pourraient découvrir qui avait vraiment assassiné Martin.

Il se pourrait que ce soit elle, se dit-elle, au moment de retourner à sa voiture. Mais quand elle posa les lettres sur le siège, une autre certitude s’imposa à elle.

En sachant les messages contenus dans ces lettres, elle avait presque l’impression que l’assassin était assis juste à côté d’elle. Et pour une raison quelconque, il en voulait à Danielle.

Mais pourquoi ?

Chloé ne le savait pas. Mais elle avait bien l’intention de le découvrir.

***

Elle appela l’agent Greene dès qu’elle fut en route. Comme à son habitude, il décrocha tout de suite. Le ton de sa voix était fatigué, comme si la journée l’avait déjà épuisé.

« Vous avez l’air fatigué, » lui dit-elle.

« Non, ça va. J’ai juste été noyé sous une tonne d’informations en moins d’une demi-heure. Et il se pourrait que certaines d’entre elles t’intéressent. Bien que je ne sois pas certain que tu considères ça comme une bonne nouvelle. »

« C’est au sujet de Danielle ? »

« Oui. Elle va bien... mais elle a été transférée. Elle a été amenée à la prison de Riverside. Depuis cinq heures ce matin, elle est officiellement incarcérée. »

« Mais elle n’a pas encore été reconnue coupable ! »

« C’est vrai. Mais ses alibis sont trop légers, Chloé. Et le cheveu… ça, c’est le coup de grâce. Le cheveu sur le corps… c’était le sien. Elle s’est soumise à un test ADN et l’analyse l’a démontré. »

« Merde… »

« Je pense qu’elle sera maintenant plus disposée à te parler. Je viens de raccrocher avec l’un des types de Riverside. Elle n’est pas arrivée depuis très longtemps mais elle a l’air docile et coopérative, d’après ce qu’il m’a dit. »

« Il faut que j’essaie… »

« C’est bien ce que je pensais. Je leur ai dit que j’allais envoyer une stagiaire du FBI pour parler avec elle. Je leur ai donné ton nom et bien entendu, ils ont fait le rapprochement avec le nom de famille de Danielle. Ils ne sont pas enchantés par l’idée, mais ils vont te permettre de la voir puisque techniquement, elle n’a pas encore été reconnue coupable. »

« Merci, agent Greene. »

« Ne me remercie pas encore. En tant que stagiaire, c’est lourd à gérer. Honnêtement, je ne m’attends pas à ce que tu réussisses à séparer l’aspect personnel du professionnel. »

« Je vais gérer. Je vous retrouve au bureau après lui avoir parlé. »

« OK, » dit-il, d’un ton plus léger. « À tout à l’heure. »

Chloé raccrocha et accéléra. Imaginer Danielle en prison lui brisait le cœur. Il fallait qu’elle lui parle pour savoir tout ce qu’elle savait – pour en avoir le cœur net sur ces lettres de menace qu’elle avait trouvées.

Et après ça, elle allait devoir trouver la personne qui les avait écrites, si elle avait l’intention de prouver l’innocence de sa sœur.

***

Elle fut chaleureusement accueillie par les gardiens pénitentiaires qui la guidèrent à travers les couloirs de la prison de Riverside. Tous ses signaux d’alarme furent tout de suite en alerte. Elle entendit quelqu’un hurler au loin et une femme murmurer des mots de haine à proximité.

Et sa sœur était enfermée ici…

On l’amena jusqu’à un autre gardien qui l’escorta le long d’un couloir, avant d’ouvrir une porte qui donnait sur une petite pièce. À l’intérieur, il n’y avait qu’une table et trois chaises. Danielle était assise sur l’une d’entre elles. Elle leva les yeux vers Chloé au moment où elle entra, et parvint à lui adresser un léger sourire.

Danielle n’avait pas aussi mauvaise mine que ce que Chloé avait imaginé. Elle s’était attendue à voir une femme exténuée, les larmes aux yeux et sur le point de perdre la tête. Mais au lieu de ça, Danielle avait seulement l’air fatiguée. Et comme elle avait toujours l’air un peu fatiguée, ce n’était pas vraiment différent de ce son état habituel.

En revanche, elle avait toujours l’air fâchée. Chloé se dit que c’était un peu normal, vu la manière dont les dernières quarante-huit heures de sa vie s’étaient déroulées.

« Danielle… je suis vraiment désolée, » dit Chloé. « Comment vas-tu ? »

Chloé avait espéré que Danielle la prenne au moins dans ses bras pour l’embrasser. Mais elle était restée assise, en se contentant de secouer la tête. Elle était visiblement encore très en colère. Quand elle parla, le ton de sa voix était dur et lointain. « Pas bien, Chloé. »

« J’ai essayé de savoir comment… »

« Je n’attends pas de toi que tu viennes à ma rescousse, » dit Danielle. « Il n’y a pas grand-chose que tu puisses faire. Et tu sais quoi ? Quand ces hommes m’ont interrogée et m’ont donné plus de détails sur l’affaire… je peux comprendre que tu aies pensé que je sois coupable. Les apparences sont vraiment contre moi. Et le fait que j’envoie la voiture de Martin dans ce lac, ça n’a pas aidé. Je ne t’en veux pas d’avoir pensé que c’était moi. »

 

« Tu as raison de dire qu’il n’y a pas grand-chose que je puisse faire, » dit Chloé. « Mais l’agent qui me supervise est très coopératif et compréhensif. Il m’a laissé aller chez toi pour voir si je pouvais trouver des informations. Et j’ai trouvé les lettres, Danielle… ces lettres de menace qui sont arrivées dans des enveloppes sans aucune indication. »

Danielle resta silencieuse. Elle baissa les yeux vers la table, comme un enfant qui se ferait gronder.

« Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé ? » demanda Chloé.

« Eh bien, tu les as lues. Celle qui dit que je mourrai si j’en parle à qui que ce soit m’a plutôt dissuadée de partager cette information. De plus… qu’est-ce que j’aurais bien pu te dire ? Je ne sais pas qui me les envoie et elles arrivent de manière aléatoire. Mais cette dernière note… il savait apparemment que je sortais avec Martin et… Chloé, est-ce que tu penses vraiment que l’auteur de ces lettres aurait pu le tuer ? »

« Tout l’indique mais ça semble aussi un peu trop parfait. Comme un coup monté. »

« Chloé… je te jure que je ne l’ai pas tué. Je comprends que le fait d’avoir subtilisé sa voiture puisse donner cette impression mais il faut que tu me croies. »

« Je te crois. Mais il faut aussi que tu saches qu’il y a beaucoup de preuves contre toi. L’empreinte et le cheveu ont été décisifs. Comment est-ce qu’ils sont arrivés là, si tu n’es pas coupable ? Pour l’empreinte, on peut encore comprendre, mais pour le cheveu… »

« Je ne sais pas, » dit-elle. « Mais j’ai souvent été dans cette voiture. Il n’est pas non plus impossible d’imaginer qu’à un moment donné, un de mes cheveux ait fini sur ses vêtements ou sur son bras. »

Chloé avait pensé exactement la même chose mais elle savait que c’était un argument trop fragile devant un tribunal. Ce qui rendait la situation encore plus difficile, c’était qu’en deux minutes à peine, Chloé fut encore plus convaincue de l’innocence de Danielle. Mais à nouveau, l’instinct d’une sœur aurait peu de poids devant une cour de justice.

« Comment ça se passe ici ? » demanda Chloé. « Tu te sens en sécurité au moins ? »

« Eh bien, ils m’ont mise dans une cellule de détention au bout de la prison, loin de la zone commune. Mais ils refusent de me donner mes médicaments. Je ne sais pas où ils sont… probablement avec mes affaires. Je me sens prise au piège… mais j’imagine que c’est tout l’intérêt d’une prison, non ? »

La petite touche d’humour ne fit pas d’effet. Chloé faisait de son mieux pour contrôler ses émotions. Elle ne pouvait pas se permettre de se sentir impuissante alors que Danielle avait besoin de toute l’aide qu’elle pourrait lui offrir.

« Je ferai tout ce que je peux pour qu’on te donne tes médicaments. Et je te jure que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour trouver la personne responsable de la mort de Martin. Mais je ne sais pas combien de temps ils vont te garder en détention avant de t’inculper… »

La porte s’ouvrit derrière elles et un homme de grande taille entra. Il avait des cheveux entièrement gris et portait un costume coûteux.

« Mon avocat, » dit Danielle. « Commis d’office. »

« C’est bien cela, » dit l’homme, en faisant un pas en avant et en tendant la main. « Pete Jackson. Je travaille avec Danielle pour essayer de trouver un moyen d’éviter cette inculpation. J’imagine que vous êtes la sœur dont elle m’a parlé ? »

« C’est moi. Agent Chloé Fine. » Bien sûr, elle n’était pas encore vraiment agent, mais cet avocat commis d’office n’avait pas besoin de le savoir.

« Eh bien, en tant qu’agent cherchant à innocenter Danielle, et en tant que sœur, je pense qu’il est important que vous sachiez que les preuves contre elles sont solides. Cette empreinte… »

« Sur la clé de contact, oui, » dit Chloé. « Est-ce qu’ils ont retrouvé d’autres empreintes de Danielle sur le corps de Martin ? » demanda-t-elle, sur la défensive.

« Non, mais le… »

« Et est-ce que l’arme du crime a été retrouvée ? »

« Non, » dit Jackson, en voyant où elle voulait en venir.

« Alors, j’apprécierais vraiment que vous ne parliez pas de votre cliente comme si le verdict était déjà tombé. Peut-être que vous pourriez faire un peu mieux votre travail. »

« Bien entendu, je ferai de mon mieux pour l’innocenter, » dit Jackson. « Mais il faut que vous compreniez que je suis obligé de faire avec les éléments en ma possession et regarder là où se trouvent les preuves. Et pour l’instant, tout indique une condamnation à la prison à perpétuité pour meurtre au second degré. On pourra peut-être arriver à un accord avec le procureur. Je cherche juste à préparer Danielle à ce qui pourrait arriver. »

Comme si ces mots lui avaient jeté un sort, Danielle laissa échapper une sorte de râle au moment où l’avocat termina sa phrase. Chloé n’avait jamais entendu un tel son sortir de la bouche de sa sœur et ça lui brisa le cœur. Elle jeta un regard de haine en direction de Jackson, qui soupira et sortit lentement de la pièce, en refermant la porte derrière lui.

Ce fut à ce moment-là que Danielle se leva de sa chaise et se précipita près de Chloé. Les deux sœurs s’embrassèrent de la même manière qu’elles le faisaient quand elles étaient enfants, d’une manière qui rappelait ces journées insouciantes d’été et ces nuits peuplées de cauchemars. Chloé dut ravaler ses propres pleurs en prenant Danielle dans ses bras.

« J’aimerais pouvoir te dire que tout ira bien, mais je ne peux pas encore le faire, » dit Chloé.

« Je sais, » dit Danielle à son oreille. « Et ce n’est pas grave. Ce n’est pas ton boulot. »

Mais Chloé n’était pas d’accord. Si elle avait l’ambition de devenir un bon agent, quel meilleur moyen de le faire que d’élucider cette affaire – que d’innocenter sa sœur alors que toutes les preuves étaient contre elle ?

Si elle avait l’intention de devenir un agent digne de ce nom, alors c’était son boulot.