Avant Qu’il Ne Faillisse

Text
0
Kritiken
Leseprobe
Als gelesen kennzeichnen
Wie Sie das Buch nach dem Kauf lesen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

CHAPITRE DEUX

Commettre un meurtre n’avait rien eu à voir avec ses expectatives. Il pensait qu’il serait obsédé, à un degré ou à un autre, par le : qu’ai-je fait ? Qu’il vivrait peut-être un moment de culpabilité déterminant, ou aurait la certitude d’avoir altéré définitivement la vie d’une famille. Mais il n’avait rien ressenti de tel. Le seul sentiment qu’il avait éprouvé après les meurtres – après avoir tué ses deux victimes – était une paranoïa accablante.

Et, s’il était honnête, de la joie.

Il avait peut-être été stupide de commettre ces meurtres avec une telle nonchalance. Il avait été surpris de trouver cet acte si naturel. Cette perspective le terrifiait avant qu’il pose ses mains sur leurs cous – avant qu’il ne serre et regarde la vie abandonner leurs beaux corps. Le meilleur moment avait été d’observer la lumière quitter leurs yeux. Il ne s’y attendait pas, mais cela avait été érotique – la plus grande preuve de vulnérabilité dont il avait été témoin de toute sa vie.

La paranoïa, en revanche, était pire qu’il l’avait imaginée. Il s’était révélé incapable de dormir pendant trois jours après avoir tué la première fille. Il s’était donc prémuni contre un tel désagrément après la seconde. Quelques verres de vin rouge et un somnifère juste après l’assassinat et son sommeil avait été plutôt réparateur, en fin de compte.

Mais ce qui le taraudait, c’était la difficulté qu’il avait éprouvée pour quitter la scène du crime la seconde fois. La manière dont elle s’était effondrée, la manière dont la vie avait disparu de ses yeux en un instant… cela lui avait donné envie de rester là, à fixer ces yeux fraîchement morts pour percer les secrets qu’ils renfermaient. Il n’avait jamais ressenti un tel désir auparavant, même si pour être honnête, il n’avait jamais considéré la possibilité de tuer avant l’année dernière. Donc apparemment, exactement comme les papilles gustatives, la morale d’une personne pouvait évoluer d’une minute à l’autre.

Il y pensait, assis face à sa cheminée. La maison tout entière était tellement silencieuse et calme qu’il percevait le bruit de ses doigts sur son verre de vin. Il regardait le feu crépiter tout en sirotant un vin rouge à l’arôme puissant.

C’est ta vie maintenant, se dit-il. Tu ne t’es pas contenté de tuer une personne, tu en as supprimé deux. Bien sûr, ces meurtres étaient nécessaires. Tu devais le faire, c’était une question de vie ou de mort pour toi. Même si techniquement, aucune de ces filles ne méritaient de mourir, seule la nécessité a guidé ta main.

Il se répétait la même chose en boucle. C’était l’une des raisons pour lesquelles la culpabilité à laquelle il s’attendait ne l’avait pas encore paralysé. C’était peut-être aussi la raison pour laquelle il y avait autant de place pour que la paranoïa s’immisce et s’enracine en lui.

Il s’attendait à ce qu’on frappe à sa porte à tout moment et à trouver un policier sous le porche. Peut-être même les membres d’une unité spéciale, équipés d’un bélier. Et le pire, c’était qu’il savait qu’il le méritait. Il ne caressait pas l’illusion de s’en tirer en toute impunité. Il savait qu’un jour, la vérité éclaterait. Le monde fonctionnait ainsi, de nos jours. Le secret n’existait plus, il n’était plus possible de vivre sa propre vie.

Lorsque le moment viendrait, il se pensait capable d’encaisser la décision que prendrait la justice, en restant debout, comme un homme. La seule question qui le tourmentait était celle du nombre de ses futures victimes. Combien de personnes serait-il obligé de tuer ? Une part de lui le suppliait d’arrêter, tentait de le convaincre qu’il avait déjà fait son travail et que personne d’autre ne devait mourir.

Mais il avait la certitude que ce n’était pas le cas.

Et pire encore, la perspective de recommencer éveillait une excitation qui vibrait dans tout son corps et le consumait à l’image du feu devant lui.

CHAPITRE TROIS

Elle était consciente que c’était seulement dû au changement de décor, mais faire l’amour dans la nature islandaise, sous le majestueux tourbillon de l’aurore boréale, était phénoménal. La première nuit, lorsqu’Ellington et elle en eurent fini avec les festivités, Mackenzie passa sa nuit la plus exquise depuis très longtemps. Elle s’endormit heureuse, physiquement satisfaite, sentant qu’une vie croissait en elle.

Ils se réveillèrent le matin suivant et burent un café très amer autour d’un petit feu dans leur campement. Ils se trouvaient dans la partie nord-est du pays, bivouaquaient à environ douze kilomètres du lac Myvatn, et Mackenzie avait l’impression qu’ils étaient seuls au monde.

- Que dirais-tu de poisson frais pour le petit-déjeuner ? demanda Ellington à brûle-pourpoint.

- Je pense qu’un porridge et du café sont amplement suffisants.

- Le lac est seulement à douze kilomètres. Je pourrais pêcher quelques poissons et nous préparer un vrai repas d’aventuriers.

- Tu pêches ? demanda-t-elle, surprise.

- Je pêchais très souvent, avant, répondit-il.

Son regard se perdit au loin. Elle savait maintenant que ce regard signifiait qu’il abordait un sujet lié à un élément de son passé étroitement lié à son premier mariage.

- Je serais curieuse de voir ça.

- C’est du scepticisme que j’entends dans ta voix ?

Sans rien ajouter, elle se leva pour se diriger vers le quatre-quatre qu’ils avaient loué.

- Va pour du poisson.

Ils montèrent dans le quatre-quatre et prirent le chemin du lac. Mackenzie était charmée par les espaces verts à perte de vue, les fjords, la nature qui semblait parfois tout droit sortie d’un conte de fées. Le contraste était total avec le bruyant tourbillon d’activités auquel elle s’habituait chaque jour un peu plus à Washington. Elle jeta un coup d’œil à Ellington, concentré sur la route. Il était beau avec son apparence négligée, ses cheveux encore légèrement ébouriffés après une nuit dans la tente. Et alors qu’ils avaient prévu de passer la nuit dans un petit motel, principalement pour prendre des douches avant de retrouver leur bivouac, elle devait admettre que son aspect un peu crasseux, brut de décoffrage, avait quelque chose d’attrayant. Étrangement, le voir comme ça l’aidait à concevoir l’idée de passer le reste de sa vie avec lui.

Ils arrivèrent au lac vingt minutes plus tard et Ellington s’installa sur un vieux ponton défraîchi, armé de la canne à pêche qu’il avait louée. Mackenzie se contenta de le regarder, et ils échangèrent seulement quelques propos anodins. Elle appréciait de le voir faire quelque chose qu’elle n’aurait jamais même imaginé qu’il pouvait apprécier. Cela lui rappelait qu’elle avait encore tant de choses à apprendre sur lui – une pensée qui lui donnait à réfléchir quand elle observait l’homme qu’elle avait épousé seulement deux jours plus tôt.

Ils retournèrent au campement, la Jeep était envahie par l’odeur des trois poissons qu’ils mangeraient pour le petit-déjeuner. De retour sur place, elle vit que son expertise en matière de pêche s’arrêtait à attraper les poissons. Il retira les écailles et les vida maladroitement ; même s’ils finirent par manger de délicieux poissons cuits à la braise, ce fut en petits morceaux inégaux.

Ils planifièrent leur journée : promenade à cheval jusqu’à une cascade puis retour au petit motel aux abords de Reykjavík pour prendre une douche et dîner correctement avant de s’enfoncer à nouveau dans la superbe nature jusqu’au campement, à la tombée de la nuit. Et après avoir terminé leur petit-déjeuner de poisson frais, ils menèrent ce plan à bien, étape par étape.

Tout se déroulait réellement comme dans un rêve, ce voyage était une merveilleuse manière de commencer leur vie à deux. Il y avait des moments, lorsqu’elle le tenait dans ses bras ou l’embrassait dans ce paysage incroyable, où elle savait qu’elle se souviendrait de ce séjour toute sa vie, peut-être jusqu’à son dernier souffle. Elle ne s’était jamais sentie aussi épanouie.

Ils retournèrent sur le terrain de camping, où ils rallumèrent leur feu. Ensuite, fraîchement douchés et avec un bon repas dans l’estomac, ils se retirèrent dans leur tente et profitèrent pleinement de la nuit.

***

Deux jours avant la fin de leur lune de miel, ils prirent part à une excursion privée sur un glacier du Cercle d’Or islandais. Ce fut le seul jour au cours duquel Mackenzie eut des nausées matinales et, en conséquence, abandonna la possibilité d’escalader le glacier. Ce qui lui donna tout loisir d’observer Ellington en action. Elle apprécia de le regarder s’attaquer à la montagne comme un enfant surexcité. C’était un aspect de son caractère qu’elle avait vu apparaître de temps à autre, mais jamais à ce point. Elle réalisa alors qu’ils n’avaient jamais passé autant de temps ensemble en dehors du travail. Ce séjour était un paradis sporadique qui lui ouvrait les yeux sur la force de son amour pour lui.

Tandis qu’Ellington et l’instructeur commençaient à descendre le glacier, Mackenzie sentit son téléphone vibrer dans la poche de son manteau. Ils avaient tous les deux mis leurs téléphones en silencieux lorsqu’ils étaient montés dans l’avion pour partir en lune de miel mais, compte tenu de la nature de leurs métiers, ils n’étaient pas autorisés à déconnecter complètement. Pour s’occuper tandis qu’Ellington descendait le glacier, elle sortit son téléphone et y jeta un coup d’œil.

Lorsqu’elle vit le nom de McGrath apparaître sur l’écran, son rythme cardiaque s’accéléra. Elle flottait dans une bulle ces derniers jours. Voir son nom lui donna la certitude que la parenthèse enchantée s’apprêtait se refermer.

 

- Agent White à l’appareil, lança-t-elle.

Elle pensa instantanément : Mince… je viens de rater la première occasion de me désigner comme Agent Ellington.

- McGrath. L’Islande est-elle à votre goût ?

- C’est sympa, répondit-elle. (Ensuite, en se fichant d’avoir l’air un peu trop vulnérable avec lui, elle se corrigea) : C’est magnifique. Vraiment beau.

- Eh bien, alors, vous allez me détester, je n’en ai pas le moindre doute.

Il lui expliqua ensuite pourquoi il l’appelait et il avait raison. Lorsqu’elle raccrocha, elle était assez en colère contre lui.

Son intuition était la bonne. Un simple appel avait suffi pour que sa lune de miel s’achève.

CHAPITRE QUATRE

La transition avait finalement été assez facile. L’empressement et la ruée pour ne pas rater leur vol puis le trajet de nuit pour rejoindre Washington avaient inexorablement dissolu la magie de leur lune de miel – qui avait laissé place à la vie réelle. Mais Mackenzie était ravie de sentir qu’un peu de cette magie continuait à exister entre eux : même ici, aux Etats-Unis, et malgré la pression de leur travail, ils étaient encore mariés. Bien sûr, l’Islande avait été une parenthèse enchantée mais cela n’était pas la seule chose qui les avait liés pendant ces quelques jours.

En revanche, elle ne s’était pas attendue à ce que son alliance lui semble aussi lourde à son doigt lorsqu’Ellington et elle entrèrent dans le bureau de McGrath seulement quatorze heures après l’interruption forcée de leur lune de miel. Elle n’était pas assez naïve pour penser qu’elle faisait d’elle une nouvelle personne mais elle la voyait comme le signe qu’elle avait changé – qu’elle était capable d’évoluer. Et si c’était vrai dans sa vie personnelle, alors pourquoi pas dans sa vie professionnelle ?

Ça commencera peut-être une fois que tu auras avoué à ton supérieur que tu es actuellement enceinte de quinze semaines, pensa-t-elle.

Avec cette pensée logée dans un coin de la tête, elle réalisa aussi que l’affaire à cause de laquelle on les avait appelés serait probablement la dernière avant qu’elle soit obligée d’admettre sa grossesse – même si l’idée de continuer à pourchasser des meurtriers avec un gros ventre la faisait aussi sourire.

- J’apprécie que vous soyez venus tous les deux si rapidement, leur dit McGrath. Et je souhaite aussi vous féliciter pour votre mariage. Bien sûr, je n’aime pas l’idée qu’un couple marié travaille ensemble. Mais je voudrais que cette enquête soit bouclée très rapidement, car une vague de panique risque de se répandre sur le campus d’une université si nous n’allons pas au bout des choses au plus vite. Et il est indéniable que vous travaillez bien ensemble, tous les deux, donc nous y voilà.

Ellington la regarda et sourit en entendant la dernière remarque de son supérieur. Mackenzie était presque désarmée par la puissance de ses sentiments pour lui. C’était émouvant mais ça la rendait aussi un peu mal à l’aise.

- La dernière victime est une étudiante en deuxième année de Licence de l’université Queen Nash de Baltimore. Christine Lynch. Elle a été tuée dans sa cuisine très tard dans la nuit. Elle avait la poitrine nue, son T-shirt a été retrouvé par terre. Il est évident qu’elle a été étranglée. D’après ce que je comprends, il n’y avait pas d’empreintes sur son cou, ce qui indique que le tueur portait des gants.

- Donc le meurtre était prémédité et non situationnel, commenta Mackenzie.

McGrath hocha la tête et fit glisser trois photos de la scène de crime devant lui. Christine Lynch était une très jolie blonde et sur les clichés, son visage était tourné vers la droite. Elle était maquillée et, comme McGrath l’avait précisé, elle ne portait pas de T-shirt. On distinguait un petit tatouage sur son épaule. Un moineau, devina Mackenzie. Le moineau semblait regarder en direction de là où les hématomes commençaient autour de son cou ; les bleus étaient évidents, même sur les photos.

- La première victime, continua McGrath, en ouvrant un autre dossier, est une jeune femme de vingt-et-un ans appelée Jo. Une autre étudiante de Queen Nash. Elle a été retrouvée dans sa chambre, allongée sur son lit, complètement nue. Le corps n’a été découvert que trois jours après la mort, lorsque sa mère a appelé pour faire part de ses inquiétudes à la police. Il y avait des signes de strangulation, mais pas aussi vicieuse que dans le cas de Christine Lynch. La police scientifique a trouvé des preuves d’activité sexuelle avant la mort, dont un emballage de préservatif vide.

Il leur fit passer les photos de la scène du crime. Il y avait davantage de photos de Jo Haley, en particulier des hématomes tout autour de son cou, marques de la strangulation qui avait causé la mort. Comme Christine Lynch, elle était sans nul doute attirante. Elle était également très mince, presque au point d’être squelettique.

- Donc l’unique piste réelle que nous tenons est que deux jolies filles de Queen Nash ont été tuées, probablement pendant ou avant un acte sexuel ? demanda Mackenzie.

- Oui, répondit McGrath. D’après les estimations du médecin-légiste quant à la date de la mort de Jo Haley, il semblerait qu’elles aient été tuées à seulement cinq jours d’écart.

- Savons-nous à peu près à quelle heure de la nuit les meurtres ont eu lieu ? demanda Mackenzie.

- Non. Rien de concret, mais nous savons que Christine Lynch était chez son petit-ami jusqu’à une heure du matin mercredi. C’est lui qui a découvert son corps le lendemain, quand il est allé lui rendre visite.

Ellington examina les dernières photos et les rendit à McGrath.

- Monsieur, avec tout le respect que je vous dois, je suis un homme marié maintenant. Je ne peux plus approcher librement les jolies filles sur les campus universitaires.

McGrath leva les yeux au ciel avant de fixer Mackenzie.

- Alors bon courage, dit-il en hochant la tête vers Ellington. Plus sérieusement… Je voudrais que l’affaire soit bouclée le plus rapidement possible. Les vacances d’hiver se terminent la semaine prochaine et je ne veux pas de panique sur le campus à la rentrée des étudiants.

Comme s’il suffisait à Ellington d’appuyer sur un interrupteur pour changer de personnalité, l’Agent prit le dessus sur l’homme.

- Je récupère les dossiers de l’affaire et nous nous y mettons sur le champ.

- Merci. Et vraiment… profitez de cette dernière enquête ensemble. J’estime que le fait que vous travailliez ensemble maintenant que vous êtes mariés n’est pas une bonne idée. Considérez cette affaire comme mon cadeau de mariage.

- En réalité, monsieur, répliqua Mackenzie, incapable de se retenir. J’aurais préféré une cafetière.

Elle eut du mal à en croire ses yeux lorsque l’ombre d’un sourire s’esquissa sur les lèvres de McGrath. Il reprit immédiatement contenance et Mackenzie et Ellington sortirent de son bureau. Il s’agissait de leur première enquête en tant que mari et femme, et, en conséquence, de la dernière sur laquelle ils feraient équipe.

CHAPITRE CINQ

Respectant l’approche de Mackenzie, ils commencèrent par s’intéresser à la scène de crime la plus récente. C’était l’équivalent de jeter un coup d’œil à un corps encore tiède – le corps tiède étant bien plus susceptible de fournir des indices ou des indications qu’un corps froid depuis un moment. Mackenzie avait profité du trajet jusqu’au Maryland pour lire les dossiers à haute voix tandis qu’Ellington conduisait.

Lorsqu’ils arrivèrent devant l’appartement de Christine à Baltimore, un adjoint du service de police local les accueillit. Il s’agissait d’un homme d’âge mûr, probablement à un ou deux ans de la retraite, à qui on assignait le rôle de coordinateur d’enquêtes comme celle-là.

- Ravi de faire votre connaissance, dit-il en leur serrant la main avec un enthousiasme qui semblait forcé et lui donnait l’air exécrable. Adjoint Wheeler. Je supervise cette affaire, en quelque sorte.

- Agents White et Ellington, lança Mackenzie en réalisant encore une fois qu’elle ne savait pas comment se désigner.

Ellington et elle n’en avaient toujours pas parlé, même si son certificat de mariage la désignait officiellement comme Mackenzie Ellington.

- Que pouvez-vous nous dire, depuis votre point de vue ? demanda Ellington alors qu’ils entraient dans l’appartement de Christine Lynch.

- Eh bien, nous sommes arrivés, mon partenaire et moi, et nous avons rencontré le compagnon de la victime avant d’entrer. Elle était là, par terre, dans la cuisine. Elle avait la poitrine nue, son T-shirt était roulé en boule à côté d’elle. Ses yeux étaient encore ouverts. Elle avait très clairement été étranglée et il n’y avait aucun signe de résistance, ni rien dans le genre.

- Il neigeait la nuit du meurtre, dit Ellington. Y avait-il des empreintes mouillées dans le couloir ?

- Non. D’après les informations que nous avons pu réunir, le compagnon de la victime n’est arrivé que l’après-midi suivante. Entre dix et seize heures ont pu s’écouler entre la dernière fois qu’il l’a vue et le moment où elle a été assassinée.

- Donc c’était une scène de crime impeccable.

- Ouais. Pas d’indices, pas d’empreintes de chaussures mouillées ou de traces de neige. Rien qui puisse nous aider.

Mackenzie repensa à ce qu’elle avait lu dans les dossiers liés à l’enquête – en particulier à une note manuscrite du médecin légiste, ajoutée il y avait moins de six heures. Lorsqu’ils avaient préparé le corps pour l’examen, ils avaient trouvé des traces d’excitation sexuelle en retirant les sous-vêtements de Christine. Bien sûr, ce détail pouvait être lié avec le temps passé avec son petit-ami. Mais elle avait été retrouvée là, sans T-shirt, dans sa cuisine… eh bien, cela l’amenait à penser que quelqu'un l’avait peut-être rejoint ici en deuxième partie de soirée. Et ils n’avaient peut-être pas eu envie d’attendre d’arriver dans la chambre.

- La police locale a-t-elle demandé à visionner les vidéos de sécurité ? demanda Mackenzie. J’ai remarqué au moins deux caméras sur les côtés de l’immeuble quand nous sommes arrivés.

- Quelqu'un y travaille justement au moment où nous parlons, répondit Wheeler. D’après ce qu’on m’a dit il y a environ deux heures, il n’y avait rien de particulier sur les enregistrements. Mais vous pouvez vérifier par vous-mêmes, bien entendu.

- Nous vous prendrons sûrement au mot, lança Mackenzie en sortant de la cuisine pour entrer dans le salon.

Christine semblait avoir vécu une vie très rangée. Sa petite bibliothèque sur le mur droit du salon était bien organisée, les livres – des biographies et des vieux manuels de sciences politiques pour la plupart – étaient rangés par ordre alphabétique. Il y avait quelques photos placées çà et là sur les deux tables basses et accrochées aux murs. La plupart étaient des portraits de Christine et d’une femme qui devait être sa mère.

Mackenzie avança ensuite jusqu’à la chambre et observa les alentours. Le lit était fait et le reste de la pièce était aussi impeccable que le salon. Les quelques objets qui traînaient sur la table de chevet et le bureau révélaient très peu de choses : des stylos, de la petite monnaie, un chargeur d’iPhone, le tract de campagne d’un homme politique local, un verre avec un fond d’eau. Il était évident que rien de physique n’avait eu lieu dans cette chambre la nuit où Christine avait été tuée.

Cela suscitait beaucoup de questions et de conclusions, parmi lesquelles Mackenzie essayait de faire le tri tout en revenant dans la cuisine.

Quelqu'un l’a retrouvée ici alors qu’elle rentrait de chez son petit ami. S’attendait-elle à cette visite ou l’avait-elle prise par surprise ?

Le fait que son corps ait été découvert dans son appartement et qu’elle ne porte pas de T-shirt signifiait probablement qu’elle avait invité le tueur à entrer – que sa visite soit une surprise ou non. L’avait-elle invité à entrer sans avoir la moindre idée du danger qu’elle courait ?

Lorsqu’elle arriva dans la cuisine, Ellington prenait des notes tout en parlant avec l’adjoint Wheeler. Ellington et elle échangèrent un regard et un hochement de tête. C’était l’une des nombreuses manières qui montraient qu’ils étaient sur la même longueur d’onde au travail – un langage non verbal qui leur évitait de nombreuses interruptions et moments de malaise.

- Eh bien, adjoint Wheeler, je pense que nous disposons des éléments nécessaires, lança Ellington. Par hasard, étiez-vous également présent sur la scène du crime de Jo Haley il y a quelques jours ?

 

- Non. Mais je connais assez bien le dossier pour vous aider si vous en avez besoin.

- Génial. Nous n’hésiterons pas à vous contacter en cas de nécessité.

Wheeler parut satisfait de cette réponse, il leur sourit à tous les deux tandis qu’ils sortaient de l’appartement de Christine Lynch. À l’extérieur, Mackenzie regarda en direction du trottoir, où presque toutes les indications qu’il avait neigé avaient disparu. Elle sourit faiblement en réalisant qu’Ellington et elle étaient probablement sur le point de se marier au moment où cette pauvre fille avait poussé son dernier souffle.

Christine Lynch n’aura pas la chance de vivre un mariage ou d’avoir un époux, pensa Mackenzie. Cette idée provoqua une vague de tristesse en elle – une tristesse qui s’approfondit lorsqu’elle réalisa qu’il y avait aussi un autre rite de la féminité que Christine ne connaîtrait jamais.

Submergée par le chagrin, Mackenzie posa une main sur son ventre qui s’arrondissait à peine, comme pour protéger ce qu’il renfermait.

***

Après avoir passé un appel au bureau, Mackenzie et Ellington découvrirent que le compagnon de Christine était aussi un étudiant de Queen Nash, âgé de vingt-deux ans. Il travaillait à mi-temps dans un service de santé publique pour acquérir de l’expérience et préparer la carrière qui suivrait l’obtention de son diplôme de santé publique. Ils ne le trouvèrent pas au travail mais chez lui, apparemment bien plus affecté par la mort de Christine que la moyenne des petits amis.

Lorsqu’ils arrivèrent dans son appartement, Clark Manners était occupé à nettoyer machinalement ce qui était déjà un logement rutilant de propreté. Il était évident qu’il n’avait pas bien dormi récemment : ses yeux étaient vitreux, il marchait comme si une force inconnue le propulsait. Pourtant, il sembla enthousiaste lorsqu’il les invita à entrer et impatient d’en savoir plus.

- Écoutez, je ne suis pas stupide, commença-t-il lorsqu’ils s’assirent dans son salon immaculé. L’homme qui l’a tuée… qui qu’il soit… allait la violer, n’est-ce pas ? C’est la raison pour laquelle elle ne portait pas son T-shirt, n’est-ce pas ?

Mackenzie s’était posé la question, mais les photographies de la scène de crime racontaient une tout autre histoire. Lorsque Christine s’était effondrée sur le sol, elle avait atterri sur le T-shirt. Cela semblait indiquer qu’il avait été enlevé très naturellement, avant d’être abandonné par terre. Si Mackenzie prenait les paris, elle dirait que Christine l’avait retiré de son propre chef, sûrement pour la personne qu’elle avait invitée à entrer… et qui avait fini par la tuer. D’ailleurs… Mackenzie n’était pas convaincue que le tueur ait eu l’intention de violer Christine. S’il en avait eu envie, il aurait pu. Non… Mackenzie estimait qu’il était venu la tuer, et rien d’autre.

Mais ce pauvre diable n’avait pas besoin de le savoir.

- Il est trop tôt pour le dire, répondit Mackenzie. Plusieurs scénarios ont pu avoir lieu. Et nous espérions que vous pourriez peut-être nous apporter des informations pour nous aider à mieux comprendre la situation.

- Bien sûr, bien sûr, répondit Clark, qui avait clairement besoin d’une longue sieste et de moins de café. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir.

- Pouvez-vous décrire la nature de votre relation avec Christine ? demanda Ellington.

- Nous sortons ensemble depuis environ sept mois. C’est la première vraie relation de ma vie – la première qui dure plus de deux ou trois mois. Je l’aimais… je l’ai su après le premier mois.

- Votre relation était-elle physique ? demanda Mackenzie.

Clark hocha la tête, le regard perdu dans le vague.

- Ouais. Nous avons franchi cette étape assez rapidement.

- La nuit où elle a été tuée, renchérit Mackenzie. D’après ce que je comprends, elle venait de sortir d’ici. Dormait-elle souvent chez vous ?

- Ouais, une ou deux fois par semaine. Je dormais aussi parfois chez elle. Elle m’avait donné une clef pour faciliter les choses il y a quelques semaines. C’est comme ça que j’ai pu entrer chez elle… et la trouver…

- Pourquoi n’est-elle pas restée avec vous ce soir-là ? l’interrogea Ellington. Elle est partie tard. Vous êtes-vous disputés ?

- Non. Seigneur, on ne se disputait presque jamais. Non… nous avions tous bu mais j’avais un peu exagéré sur l’alcool. Je l’ai embrassée pour lui dire au revoir alors qu’elle était toujours avec mes amis. Je suis allé me coucher et je me suis endormi comme une masse, en me sentant un peu barbouillé. J’étais persuadé qu’elle finirait par me rejoindre mais quand je me suis réveillé le lendemain, il n’y avait aucune trace d’elle.

- Pensez-vous que l’un de vos amis l’ait raccompagnée ? demanda Mackenzie.

- Je leur ai tous posé la question et ils m’ont affirmé que non. Même s’ils le lui avaient proposé, Christine aurait refusé. Nous habitons seulement à trois pâtés de maison de distance et elle aime l’hiver… elle aime marcher dans le froid. Elle est originaire de Californie, donc la neige est quelque chose de magique, vous savez ? Je me souviens même… cette nuit, elle était surexcitée parce que la météo avait annoncé de la neige. Elle plaisantait en disant qu’elle voulait se promener sous la neige.

- Combien d’amis étaient avec vous ce soir-là ?

- En comptant Christine, nous étions six en tout. D’après ce que je sais, ils sont tous partis peu après elle.

- Pouvons-nous obtenir leurs noms et leurs coordonnées ? demanda Ellington.

- Bien sûr, répondit-il en sortant son téléphone et en commençant à faire défiler ses contacts.

- Est-il habituel pour vous d’inviter autant de personnes un soir de semaine ? demanda Mackenzie.

- Non. Nous nous sommes retrouvés pour une dernière soirée avant la fin des vacances d’hiver. Les cours reprennent la semaine prochaine, vous savez ? Et entre les horaires de travail, les visites à la famille, c’était le seul moment où nous étions tous libres.

- Christine avait-elle des amis en dehors de votre groupe ?

- Quelques uns. Mais elle était plutôt introvertie. Il y avait moi, deux de mes amis avec qui elle passait du temps, et c’était tout. Elle était très proche de sa mère, aussi. Je crois que sa mère avait prévu de venir avant la fin du semestre – genre, pour s’installer ici pour de bon.

- Avez-vous parlé à sa mère depuis les derniers événements ?

- Oui. Et c’était très bizarre parce que c’était la première fois que je parlais à cette dame. Je l’ai aidée avec…

Il marqua une pause, les larmes envahirent ses yeux fatigués pour la première fois.

- …les arrangements funéraires. La crémation aura lieu ici, je crois. Elle a pris l’avion hier soir et s’est installée dans un hôtel dans le coin.

- Est-elle accompagnée par des proches ? demanda Mackenzie.

- Je ne sais pas.

Il se pencha en avant et fixa le sol. Il était à la fois épuisé et triste, un mélange qui semblait avoir terminé de le dévaster.

- Nous allons vous laisser tranquille pour le moment, répondit Mackenzie. Si cela ne vous dérange pas, pourriez-vous nous donner l’adresse de l’hôtel de Mme Lynch ?

- Pas de problème, dit-il en ressortant lentement son téléphone de sa poche. Attendez.

Tandis qu’il cherchait ses coordonnées, Mackenzie jeta un coup d’œil à Ellington. Comme toujours, il était attentif au moindre détail. Ses yeux parcouraient la pièce pour s’assurer qu’ils ne négligeaient rien. Elle remarqua aussi, incidemment, qu’il triturait son alliance tout en examinant l’appartement. Il la tournait lentement autour de son doigt, sans s’arrêter.

Alors, elle jeta un autre coup d’œil à Clark Manners. Elle était à peu près sûre qu’ils l’interrogeraient à nouveau – et probablement sous peu. Le fait qu’il nettoie obsessionnellement son appartement après la mort de sa petite amie avait du sens d’un point de vue psychologique mais pouvait aussi être perçu comme une tentative de se débarrasser de preuves.