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Vie de Christophe Colomb

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L'expulsion des Maures était, à cette époque, presque complétée par suite des efforts incessants des Espagnols pour recouvrer l'indépendance du royaume; mais Grenade tenait encore, et elle était défendue par le roi Boabdil-el-Chico qui s'y soutenait avec une rare vigueur.

Dans le courant de l'été de 1491, pendant que les forces assiégeantes campaient devant la ville et qu'Isabelle et ses enfants suivaient avec anxiété les progrès du siége, un accident faillit être funeste à la famille royale et détruire une grande partie de l'armée chrétienne: la tente de la reine prit feu et fut réduite en cendres, ainsi que les pavillons d'un grand nombre de gentilshommes. Des richesses considérables en bijoux et en vaisselle d'argent furent perdues! Afin de prévenir le retour d'un semblable désastre, et considérant sans doute la soumission de Grenade qui renfermait dans ses murs l'Alhambra si renommé, comme l'acte le plus important de leur règne, car l'avenir cachait encore dans ses profondeurs le plus remarquable des événements de cette période, les deux royaux époux résolurent d'entreprendre une œuvre qui suffirait, seule, pour rendre le siége mémorable: ils firent faire le plan d'une cité qui contiendrait de vastes édifices pour loger les troupes, et qui aurait ses avenues, ses rues, ses places, ses remparts ainsi que ses fortifications; élevant ainsi ville contre ville, et annonçant le dessein bien arrêté de ne laisser aux assiégés ni trêve ni répit. Trois mois suffirent pour achever cette merveilleuse entreprise; or, pour exécuter en si peu de temps ces travaux si rudes sous un ciel ardent, il fallut toute la confiance en Dieu et tout le dévouement qui animait l'armée chrétienne.

La construction de cette ville qui, comme le camp royal, fut appelée Santa-Fé (Sainte-Foi), nom bien en harmonie avec le zèle qu'il avait fallu déployer dans cette occasion, frappa les Maures de stupeur, car ils la regardèrent comme une preuve que leurs ennemis étaient déterminés à ne lever le siége qu'en perdant la vie, et il est probable qu'elle eut une influence majeure sur la soumission de Boabdil, qui rendit la fameuse et magnifique mosquée de l'Alhambra, quelques semaines après l'établissement des Espagnols dans leur nouvelle résidence. Santa-Fé existe encore; elle est visitée avec curiosité par les voyageurs, et c'est la seule place de quelque valeur en Espagne qui n'ait jamais été sous la domination des Maures. Ce fut le 24 novembre 1491 qu'eut lieu le grand événement qui termina cette guerre vraiment patriotique, poursuivie avec une constance inébranlable par Ferdinand d'Aragon et Isabelle de Castille, dont la politique ainsi que les intérêts personnels avaient toujours été dirigés avec l'accord le plus parfait.

Colomb arriva pour être témoin de la reddition de Grenade; il eut le bonheur de voir Boabdil, le dernier des souverains maures qui aient régné en Espagne, sortir du palais des Abencérages pour remettre les clefs de ce séjour favori, qui recelait tant de splendeurs, à Ferdinand et à Isabelle entourés de leurs mâles guerriers, suivis de toute la fleur de la chevalerie, et s'avançant d'un pas grave pour recevoir cette marque de soumission. C'est un des triomphes les plus éclatants dans l'histoire d'Espagne; l'air retentissait des chants de triomphe, d'hymnes de reconnaissance envers le Très-Haut; et de toutes parts on ne voyait que réjouissances militaires ou que cérémonies religieuses pour célébrer une aussi belle journée. Colomb, perdu dans la foule et peu remarqué en ce moment, prit cependant une part bien sincère à cette fête, car il avait plus de confiance en la reine qu'il n'en avait jamais eu en qui que ce soit, et la victoire qu'il voyait célébrer lui donnait l'espoir qu'enfin ses sollicitations allaient toucher à leur terme.

En effet, la promesse fut tenue, et des hommes investis de toute la confiance de la cour furent désignés pour négocier avec le navigateur génois: au nombre de ces hommes se trouva Fernando de Talavera, qui venait d'être nommé archevêque de la ville nouvellement conquise. Mais dès le premier pas fait dans cette voie, survinrent de graves difficultés. La stipulation principale de Colomb fut qu'il serait investi du titre ainsi que des priviléges de grand-amiral, et de vice-roi des terres ou pays qu'il découvrirait, et qu'il lui serait accordé la dixième partie de tous les gains ou bénéfices qui pourraient provenir du commerce ou de la conquête de ces pays.

On se montra fort indigné de prétentions aussi élevées; on demanda même comment, lorsque Colomb n'exposait rien à lui, lorsqu'il n'avait rien à perdre, il osait demander que tant d'avantages et d'honneurs lui fussent garantis. Colomb réduisit alors sa demande, et s'engageant, sur l'assurance qu'il avait de trouver des amis qui l'aideraient de leur bourse, il offrit de subvenir à la huitième partie des frais de l'expédition et à se borner également à la huitième partie des bénéfices; mais il persista à vouloir être vice-roi et grand-amiral. Ces propositions ne parurent pas admissibles; toutefois, l'illustre marin ne voulut pas en changer les termes, et la négociation fut rompue.

Nous savons qu'on a fort loué Christophe Colomb de persévérer à vouloir obtenir ce qu'il croyait dû à son mérite, aux périls et à la grandeur de l'entreprise: nous n'ignorons pas qu'on a dit qu'il fallait que, par l'étendue, par l'éclat des récompenses ou des dignités à lui conférées, il fît revenir les esprits mal disposés sur son compte, qu'il inspirât par là de la confiance à ceux qu'il allait être appelé à commander. Mais ces raisons et d'autres de même nature ne nous paraissent que spécieuses, et la preuve, selon nous, qu'il en était ainsi, c'est qu'elles compromirent vivement son expédition, car ce n'est que par des circonstances qu'on ne pouvait pas prévoir, qu'elle fut reprise et décidée plus tard d'une manière définitive.

Selon nous, Colomb devait se dire: «J'ai foi en moi; tout me dit que j'accomplirai le dessein le plus difficile, le plus grand qu'il ait été donné à un homme de concevoir et d'exécuter. Depuis plus de vingt ans, je sollicite en vain un appui et des secours pour y parvenir; je trouve enfin ces secours, cet appui; et, pour de vains titres, pour de misérables questions d'argent, j'hésiterais!.. Si je ne réussis pas, rien au monde ne pourra me consoler ni me dédommager; mais si je mène mon entreprise à bonne fin, quel homme, quel savant, quel génie, quel potentat pourra se dire au-dessus de moi! et mon nom seul, le nom de Colomb ne brillera-t-il pas, dans tous les siècles, parmi tous ceux et plus peut-être que tous ceux dont s'honore l'univers!..»

Quoi qu'il en soit, Colomb pensait que, pour la grandeur elle-même du présent qu'il allait faire au monde et aux souverains espagnols, que pour justifier sa foi en Dieu et l'opinion qu'il avait de la dignité de sa mission, il devait traiter, en quelque sorte, comme un roi, ou demander des avantages considérables, et il fut inébranlable; ainsi, il quitta Santa-Fé et il s'achemina vers Cordoue pour y faire ses adieux à Beatrix Enriquez, et pour se rendre ensuite à Paris.

Mais ses amis les plus fervents ne purent supporter l'idée de ce départ. De ce nombre étaient Saint-Angel, receveur des revenus ecclésiastiques de l'Aragon, et Quintanilla. Ils s'empressèrent de se rendre auprès de la reine; ce fut Saint-Angel qui porta la parole, et il le fit avec une force, avec une éloquence qui ne laissèrent aucun point indécis. Le navigateur fut, par lui, loué, vanté, disculpé, justifié avec une noble chaleur qui partait du cœur le plus patriotique et le plus dévoué à la gloire de son pays.

Isabelle fut plus que touchée, car la conviction, et une conviction profonde pénétra cette fois dans son âme; elle s'écria aussitôt: «Qu'il revienne, faites-le revenir!» Mais se rappelant soudainement que Ferdinand, dont le trésor épuisé par ses guerres si glorieuses contre les Maures, craignait de favoriser cette entreprise de peur de n'y pouvoir suffire, elle se leva remplie d'enthousiasme, et elle s'écria de nouveau: «Oui, qu'il revienne; je mets l'expédition au compte de la couronne de Castille, et j'engagerai mes joyaux, mes diamants et mes bijoux pour en couvrir les frais!» On l'a dit, et nous le répétons avec attendrissement: ce mouvement inspiré, cette noble générosité, cette abnégation personnelle marquèrent le plus beau des moments de la vie déjà si belle de la reine, et le titre de patronne de l'événement prodigieux de la découverte du Nouveau-Monde demeure acquis à son nom et à sa volonté.

Saint-Angel ne prit que le temps d'assurer Isabelle qu'il ne serait pas nécessaire qu'elle engageât ses bijoux, et il se hâta d'aller expédier un courrier à Colomb pour l'inviter, de la part de la reine, à retourner sans délai à Santa-Fé.

Pendant que Christophe Colomb s'acheminait vers Cordoue, modestement monté sur une mule et se livrant aux réflexions les plus amères, il se trouvait sur le pont de Pinos, qui n'est qu'à deux lieues de Grenade et qui est célèbre par plusieurs hauts faits de la lutte nationale contre les Maures, lorsque tout à coup il entend les pas d'un cheval lancé à tout élan. Il n'a que le temps de se retourner, et il voit ce cheval et son cavalier qui s'arrêtent auprès de lui: c'était le courrier expédié par Saint-Angel qui, payé comme s'il se fût agi de la destinée de la monarchie espagnole, avait fendu l'espace comme un trait et qui lui remit une lettre en lui disant de tourner bride et de revenir sur ses pas.

Le premier mouvement de l'illustre voyageur, tant son cœur était ulcéré! le porta à répondre qu'il ne reviendrait pas; mais quand il eut lu la lettre, quand il eut appris que la reine le demandait elle-même et qu'elle prenait l'expédition sur le compte de la couronne de Castille, ses yeux se remplirent de larmes de reconnaissance, et, en reprenant subitement la route de Santa-Fé, il s'écria: «Dieu soit loué! c'est lui qui inspire la reine, et je suis sûr du succès!»

 

Des ordres étaient donnés pour qu'il se présentât immédiatement devant la reine, et l'audience qu'il reçut est encore un de ces faits qui méritent d'être rapportés avec quelques développements.

Colomb approchait alors de sa soixantième année; le temps de son séjour en Espagne lui semblait, tout à l'heure encore, une tache dans son existence, et la vie paraissait se dérober sous lui sans que le but de tous ses efforts fût accompli; cependant, si son cœur était abreuvé de chagrin, il était aussi exempt de faiblesse; si ses cheveux avaient entièrement blanchi, ses yeux avaient conservé tout leur feu; et sa contenance, son maintien n'avaient rien perdu de leur noblesse ou de leur dignité. Tel il était lorsque, introduit devant Isabelle, il s'avança d'un pas solennel, et que, selon l'étiquette de la cour, il se prosterna à ses pieds. La reine, qui ne l'avait jamais regardé ni avec autant d'attention ni avec autant de bienveillance, fut comme saisie de respect, et elle s'empressa de lui dire:

«Segnor Colomb, vous êtes le bien venu, tous nos malentendus ont cessé; relevez-vous, et recevez ma parole qui est un gage certain. Surtout, ajouta-t-elle en se retournant vers les personnes de sa cour, point de discussion; le résultat est trop beau pour en permettre, et je n'en veux plus.»

Un long cri de plaisir s'échappa de toutes les poitrines, et Colomb, avec cette gravité mâle qui donnait tant de prix à ses paroles, lui répondit:

«Reine, mon cœur vous remercie d'une bienveillance qui m'est d'autant plus précieuse que ce matin même je n'osais pas l'espérer, et Dieu vous en récompensera. Mais ne puis-je me flatter que sa Majesté le Roi consentira à ne pas priver mon entreprise de ses lumières et de son appui?»

«Vous êtes serviteur de la couronne de Castille, segnor Colomb; mais rien d'important ne se passe dans mon royaume sans l'approbation du roi d'Aragon, et son consentement est acquis à vos projets, bien que sa sagesse et son esprit supérieur ne l'aient pas laissé embrasser cette cause par les mêmes motifs que ceux qui ont décidé une femme, naturellement plus confiante et plus prompte à espérer.»

«Qui pourrait, dit alors Colomb, de cet accent de sincérité qui lui était particulier, qui pourrait désirer un esprit plus élevé et une foi plus pure que celle de Votre Majesté? Mais si j'ai pris la liberté de parler du roi, c'est que sa prudence et sa protection détourneront de moi les sarcasmes ou les railleries des hommes légers, et me donneront, dans toutes les classes du royaume, un appui moral qui sera d'une très-haute valeur.»

En ce même moment Ferdinand entra, et la reine lui adressa ces paroles, accompagnées d'un regard où brillait le plus vif enthousiasme:

«Nous avons retrouvé notre fugitif; rien, désormais, ne s'oppose à son voyage, et s'il arrive aux Indes, ce sera pour l'Église un triomphe aussi grand que la conquête des pays possédés jadis par les Maures.»

«Je suis très-satisfait, répondit le roi, de revoir le segnor Colomb; et lors même qu'il n'accomplirait que la moitié de nos espérances, la couronne et lui seraient tellement enrichis, qu'il serait embarrassé de son opulence.»

«Un chrétien, répliqua le navigateur, saura toujours comment se servir de son or, aussi longtemps que le Saint-Sépulcre sera au pouvoir des infidèles.» «Comment, dit le roi d'une voix perçante, le segnor Colomb s'occupe à la fois de la découverte de nouvelles régions et d'une croisade contre les infidèles?»

«Sire, tel a toujours été mon projet depuis le moment où j'ai vu deux frères gardiens du Saint-Sépulcre venir dans votre camp parler des menaces que Votre Majesté a eu le noble cœur de braver; et mes richesses, si jamais j'en acquiers, ne sauraient, je pense, trouver un plus digne emploi.»

La reine intervint en cet instant, car elle crut que la conversation prenait un tour fâcheux, et la changeant avec autant d'adresse que de bonté, elle parla à Colomb de ses espérances, de ses projets, de ses voyages passés, des tempêtes qu'il avait essuyées, des combats auxquels il avait assisté et des périls qu'il avait courus. Colomb répondit à tout ce qui concernait ses projets et ses espérances avec une modeste assurance, avec une netteté qui ne laissèrent rien à désirer, qui charmèrent le roi et qui le firent revenir de quelques préventions que le zèle pour le Saint-Sépulcre lui avait inspirées. Quant à ses naufrages, à ses combats, aux dangers auxquels il avait été exposé:

«Depuis que le pouvoir de Dieu, ajouta Colomb, a mis mon esprit en éveil pour des objets plus importants, depuis qu'il m'a choisi pour que sa volonté soit faite, pour que sa parole soit répandue sur toute la terre, ma mémoire a cessé de s'arrêter sur mes périls passés.»

De plus en plus enthousiasmée, Isabelle voulut lui donner une preuve plus convaincante de l'intérêt qu'il lui inspirait, et sachant, en femme d'un naturel exquis, qu'elle allait électriser son cœur paternel, en lui accordant une faveur que les enfants seuls des plus puissantes familles obtenaient, elle lui dit:

«Segnor, vous avez un fils déjà grand, mais qui ne saurait vous suivre sur les mers; il restera donc avec nous, il sera livré à nos soins, et nous le nommons page de don Juan, héritier présomptif de la couronne.»

Christophe Colomb crut rêver; cette bonté l'attendrit jusqu'aux larmes, et l'émotion lui ravissant presque l'usage de la parole, il s'inclina devant la reine, et il lui répondit:

«Je suis à tout jamais le serviteur de Votre Majesté; je suis le sujet et le serviteur des souverains de l'Espagne, mon cœur, mon bras leur sont dévoués et ma vie leur appartient.»

Les formalités légales suivirent cet entretien. Jean de Coloma, secrétaire royal, fut chargé de rédiger la convention écrite qui devait avoir lieu; il s'en entendit avec Colomb, et un traité fut souscrit par lequel il fut convenu:

1° Que Colomb, pour lui-même, pendant sa vie, et dans l'avenir, pour ses héritiers et successeurs, devait jouir du titre de grand-amiral de toutes les mers, de toutes les terres ou continents qu'il pourrait découvrir, et avoir droit aux mêmes honneurs, aux mêmes priviléges que ceux dont le grand-amiral de Castille était en possession;

2° Qu'il serait vice-roi et gouverneur général de toutes les susdites terres ou continents, avec le droit de nommer trois candidats pour le gouvernement de chaque île ou province où il ne siégerait pas en personne, sur lequel nombre de trois, la couronne choisirait le titulaire;

3° Qu'il aurait droit à la dixième partie de tous les bénéfices faits sur les denrées ou les produits des pays placés sous la juridiction de son amirauté;

4° Que lui ou son représentant serait seul juge dans les différends ou contestations qui pourraient s'élever entre le commerce de ce pays et celui de l'Espagne;

5° Qu'il lui serait enfin permis d'entrer, pour la huitième partie, dans les frais de toutes les expéditions qui seraient dirigées vers ces mêmes pays, et qu'en conséquence il aurait droit à la huitième partie des profits faits par ces expéditions.

Ces stipulations furent signées par Ferdinand et par Isabelle à Santa-Fé, le 17 avril 1492; et furent également revêtus de leur signature tous les documents, ordres, mandements et pièces qui firent suite aux stipulations; mais la couronne de Castille demeura isolément chargée de tous les frais de l'expédition, qui fut mise entièrement sous les ordres de Colomb.

La convention dont nous venons de transcrire les termes ne semble avoir, au premier coup d'œil, qu'une importance légale destinée à fixer les priviléges et les droits de l'une des parties intéressées; mais en la lisant attentivement, on y trouve des mots qui ont une immense portée scientifique, et qui prouvent invinciblement que ce n'était pas en aveugle que le savant marin cherchait, par l'Atlantique, une route vers les rivages de l'Inde, mais en homme profond qui croyait très-probable qu'avant d'y arriver, il trouverait des terres interposées.

Dans les temps contemporains, plus tard même et encore aujourd'hui, il s'est trouvé et il se trouve des esprits envieux qui ont cherché à rabaisser la gloire de l'illustre navigateur qui a découvert le Nouveau-Monde, et qui l'ont traité de rêveur ne pensant obstinément qu'au Cathai, qu'à l'île de Cipango, et ne s'étant rendu en Amérique que par l'effet du hasard ou en cherchant des contrées imaginaires.

Ces personnes ignorent donc ou feignent d'ignorer la fameuse parole de Colomb qui, pressé d'arguments par un des docteurs de la conférence de Salamanque, lui répondit que si, dans la direction de l'Ouest, l'Atlantique avait d'autres limites que l'Inde, ces limites, il les découvrirait! Mais cette réponse, fût-elle apocryphe, il n'en saurait être de même des stipulations officielles textuellement reproduites quelques lignes plus haut, et qui furent écrites sous la dictée de Colomb par Jean de Coloma; or, on y voit, à deux reprises différentes, les mots «terres ou continents;» on y voit que Colomb s'y réserve des priviléges, des droits sur ces «terres ou continents» qu'il pourra découvrir, et c'est une preuve incontestable qu'il prévoyait parfaitement que quelque terre ou continent pouvait, devait même exister entre l'Asie et la partie occidentale de l'Europe. La découverte de l'Amérique était donc dans ses combinaisons, et l'on peut affirmer, sur le témoignage des stipulations, qu'il l'avait trouvée par ses prévisions longtemps avant qu'il l'eût vue matériellement.

L'expédition destinée à l'entreprise si chanceuse et si hardie de cette découverte ne fut cependant pas préparée dans l'un des ports principaux de l'Espagne, mais simplement à Palos de Moguer, ce même petit port de l'Andalousie où nous avons vu Colomb aborder en Espagne et aller demander des secours au couvent de la Rabida qui l'avoisinait. Deux raisons le firent choisir: la première, c'est qu'il se trouvait situé en dehors du détroit de Gibraltar, et conséquemment, mieux en position de permettre de prendre le large sans avoir à lutter contre les contrariétés que les navires éprouvent souvent en voulant sortir de la mer Méditerranée; la seconde fut que ce port était frappé d'une condamnation judiciaire par laquelle il était obligé de fournir deux caravelles armées lorsque la couronne d'Espagne l'en requérait.

Il a été d'usage, en Turquie, d'appeler caravelles des bâtiments d'un assez fort tonnage; mais en Espagne et en Portugal, ce nom n'est ordinairement donné qu'à de très-petits navires ne portant que des voiles latines et naviguant assez bien. Telles n'étaient pourtant pas exactement celles qui durent être armées pour le voyage. Les renseignements manquent sur leur grandeur précise, sur leur forme, sur leur grément; les versions sont même très-contradictoires sur ce point, et il est à regretter qu'aucune recherche n'ait pu l'éclaircir complètement; on en est donc réduit à des conjectures, et voici ce qu'on peut en déduire de plus vraisemblable.

Les deux caravelles que Palos pouvait alors équiper pour la couronne étaient deux navires de la dimension de quelques-uns de nos grands caboteurs actuels; l'une s'appelait la Santa-Maria, et l'autre la Niña; une troisième leur fut bientôt adjointe, et son nom était la Pinta. La Santa-Maria seule était pontée ou recouverte en planches ou bordages de bout en bout; les deux autres n'avaient que des ponts partiels à l'arrière et à l'avant. Ces parties, dans les trois caravelles, étaient très-relevées au-dessus de l'eau.

La Santa-Maria, qui devait être montée par Christophe Colomb, était du port de 100 tonneaux et elle était gréée pour porter des voiles carrées; la Niña et la Pinta n'avaient que des voiles latines; elles se trouvaient ainsi dans de très-mauvaises conditions pour pouvoir profiter des vents favorables qu'elles pourraient avoir dans le cours de leur navigation. Le personnel entier n'en excédait pas cent vingt hommes pour les trois navires.

Voilà quelles furent les ressources exiguës qui furent mises à la disposition de Christophe Colomb, et avec lesquelles, aujourd'hui, on ne tenterait pas la plus mince entreprise de ce genre; voilà les éléments avec lesquels il devait exécuter le plus téméraire des voyages, et qu'il accepta sans hésitation, pensant probablement que son expérience, son habileté, sa vigilance pourraient compenser tout ce que ces éléments avaient d'insuffisant ou de défectueux.

Mais il n'en fut pas de même dans la population de Palos ni parmi les marins ou les familles des marins qui devaient s'embarquer sur ces caravelles; la nouvelle de cet armement y fit l'effet d'un coup de foudre: là, comme partout ailleurs, on croyait qu'au delà de certaines limites, même assez rapprochées, l'Océan n'était qu'une espèce de chaos; l'imagination s'y représentait des courants et des tourbillons prêts à entraîner les navires à leur perdition, et l'on était même persuadé qu'une fois arrivé à un certain point, on devait immanquablement tomber dans le vide.

 

Aussi, un premier ordre de la cour pour armer les caravelles demeura-t-il sans effet; la terreur était si profonde qu'un second ordre plus impératif, autorisant Colomb à agir avec rigueur, fut également méconnu quoiqu'on eût infligé une amende de 200 maravédis par jour de retard. Colomb aurait pu sévir; mais, avec sa sagesse habituelle, il voulut laisser agir le temps; il temporisa donc jusqu'à l'arrivée de Martin-Alonzo Pinzon, qui l'avait si bien compris lors de sa première arrivée à Palos et qu'il attendait prochainement. Alonzo devait, en effet, commander la Pinta, et ce fut avec joie que Colomb le vit se rendre auprès de lui. Les choses commencèrent alors à prendre une tournure plus favorable; les esprits ne revinrent pas entièrement à la vérité, mais ils ne purent être que très-émus en voyant Alonzo, se montrant franc, loyal et résolu comme un vrai marin, fournir à Colomb les fonds nécessaires pour payer, ainsi qu'il s'y était engagé, la huitième partie des frais de l'expédition, accepter le commandement de la Pinta, prendre son frère Francisco-Martin pour second, et solliciter de Colomb le commandement de la Niña pour un autre de ses frères nommé Vincent-Yanez Pinzon.

Sur l'invitation de Jean Perez de Marchena, Colomb, lors de son retour à Palos, s'était établi au couvent de la Rabida où il reçut l'accueil le plus cordial; Jean Perez ne se borna pas à lui prodiguer les soins de l'hospitalité; il présida, en quelque sorte, aux détails de l'expédition: prenant un intérêt excessif à en voir les voiles se déployer vers un monde inconnu qu'il apercevait déjà des yeux de la foi, comme Colomb l'apercevait de ceux du génie, il s'appliqua, par ses exhortations, à changer les dispositions des esprits parmi les matelots destinés à faire partie des équipages, à calmer les terreurs de leurs familles, à dissiper les préjugés sous l'influence desquels ils étaient; et sa parole persuasive secondant les actes dévoués d'Alonzo Pinzon, on put bientôt remarquer qu'un sentiment favorable commençait à se manifester. D'ailleurs, quand ceux qui étaient le plus opposés au voyage se trouvaient en présence de Colomb, le calme, l'énergie, l'enthousiasme de cet homme extraordinaire qui entraînaient ses amis, faisaient toujours une impression involontaire sur leur cœur.

C'était le 12 mai qu'il avait quitté la cour avec de pleins pouvoirs pour commander les deux caravelles de Palos qui devaient être prêtes à prendre la mer dans dix jours, pour lever les marins nécessaires à l'armement, pour fréter ou équiper une troisième caravelle; et la seule restriction qui eut lieu, fut qu'il s'abstiendrait d'aborder, soit à la côte de Guinée, soit à toute autre possession des Portugais récemment découverte. Cependant, ce fut à peine si ses navires purent être prêts avant la fin de juillet, tant il eut d'obstacles à surmonter pour déjouer le mauvais vouloir et les sourdes menées qui venaient à l'encontre de ses opérations! Parmi ceux qui se montrèrent le plus récalcitrants, furent Gomez Rascon et Christophe Quintero, propriétaires de la Niña et de la Pinta; mais en opposition à ces noms, l'histoire a enregistré ceux de Sancho Ruiz, de Pedro Alonzo Niño et de Barthélemy Roldan, habiles pilotes qui furent des plus empressés à se rallier à Colomb.

L'histoire n'a pas oublié, non plus, de recommander aux éloges de la postérité Garcia Fernandez, médecin de Palos, ce même ami de Jean Perez de Marchena qui, consulté par lui sur la validité des théories de Colomb, fut le premier, en Espagne, qui en reconnut la portée, et qui resta inébranlable dans ses opinions, au point de solliciter la faveur de partir avec le grand homme, en sa qualité de médecin.

Lorsque les apprêts du voyage furent à peu près terminés, Colomb, entouré de ses marins, se rendit au couvent pour y recevoir la bénédiction du père supérieur, et pour se mettre, lui, son équipage et ses bâtiments, sous la protection du Ciel. Au moment de franchir le seuil de l'église, ses matelots se rangèrent avec déférence pour le laisser passer le premier: «Entrez, mes amis, entrez, leur dit-il, il n'y a ici ni premier ni dernier; celui qui y est le plus agréable à Dieu, est celui qui y prie avec le plus de ferveur.»

Tous communièrent, tous furent bénis; le village entier s'était rendu à cette cérémonie imposante dans laquelle régna le plus auguste recueillement; quant à Colomb, son air de calme et d'attention prouvait que ses pensées avaient toutes pour objet la bonté de Dieu et la fragilité des choses humaines. Un peu avant que les assistants quittassent l'église, le père supérieur leur fit une allocution qui toucha vivement leurs cœurs, et qui se termina ainsi:

«Mes enfants, lorsque le grand-amiral, que je vois ici confondu dans vos rangs, vint, pour la première fois, frapper à la porte du couvent, Dieu m'inspira la pensée de l'interroger: sa science, son élocution eurent bientôt frappé mon esprit; mais s'il gagna mon âme, ce fut par sa piété que je n'ai jamais vue surpassée chez aucun mortel: ses plus zélés partisans en Espagne sont également ceux qui ont été le plus convaincus de ses sentiments religieux, et qui ont reconnu en lui l'homme qui se regarde comme l'instrument dont la Providence veut se servir pour porter sa parole chez les peuples inconnus qu'elle a révélés à son imagination. Ayez donc en lui, mes enfants, la même confiance qu'il a en Dieu: vous accomplirez ainsi les décrets du Ciel, vous reviendrez comblés de gloire, et vous serez éternellement honorés, comme le sont toujours des hommes de foi, de courage et de résolution!»

Cette cérémonie, dans la petite église d'un couvent jusqu'alors presque ignoré, sans pompe, sans éclat, mais remarquable par une componction sincère, et servant de prélude à l'un des plus grands événements de ce monde, eut un effet moral considérable dans le village ainsi que sur les navires de l'expédition; et réellement, on y trouve un cachet de grandeur et de majesté qui efface, par sa simplicité, tout ce que le faste aurait pu imaginer.

Enfin, les navires étant complètement armés, le départ fut fixé au 3 du mois d'août 1492; ce même jour, Colomb, après avoir écrit une dernière dépêche à la cour, sortit du couvent avec Jean Perez qui voulut l'accompagner jusqu'au canot sur lequel il devait définitivement se rendre à bord de la Santa-Maria.

La route fut d'abord silencieuse car les deux amis étaient absorbés. Le digne ecclésiastique, convaincu par Colomb, croyait certainement ou à l'existence de terres transatlantiques, ou à la possibilité d'atteindre les côtes de l'Asie en cinglant vers l'Ouest; mais au moment de se séparer d'un hôte qu'il affectionnait si tendrement, il ne pouvait penser sans terreur à la longueur du voyage, aux dangers de mers inexplorées qui pouvaient être semées d'écueils et où les navires de l'expédition ne trouveraient ni ports, ni abris connus pour se réfugier; il comparait enfin la faiblesse des moyens avec l'immensité de l'Océan, avec les difficultés incalculables de l'entreprise, et il frémissait intérieurement de la témérité d'un projet qui semblait braver les lois de la nature. De son côté, Colomb se recueillait pour mieux se préparer à remplir ses devoirs; son esprit goûtait un ravissement dont sa sagesse contenait la vivacité, et il paraissait, il était d'autant plus tranquille, que l'heure de l'embarquement s'approchait. Ce fut lui qui rompit le silence, et qui commença ce dernier entretien par ces mots: