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Vie de Christophe Colomb

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Mais si nous nous reportons à la plus tendre jeunesse d'Isabelle, à ce qu'elle était avant d'unir son sort à celui du roi d'Aragon, rien n'égale les descriptions qui ont été faites des charmes de sa personne, et nous ne pouvons résister au plaisir de citer le portrait qui en a été tracé par un auteur étranger:

«La plus poétique imagination de l'Espagne, pays renommé pour la beauté des femmes, n'aurait pu concevoir une beauté plus régulière: ses mains, ses pieds, son buste et tous ses contours, portaient l'empreinte de la grâce la plus accomplie. Sa taille, quoique moyenne, était remplie de noblesse et de dignité. Celui qui la contemplait ne savait, au premier abord, s'il était fasciné par la perfection du corps ou par l'expression que l'âme communiquait à un extérieur, pour ainsi dire, irréprochable. Née sous le soleil de l'Espagne, elle descendait, cependant, par une longue suite de rois, des monarques goths, et leurs fréquentes alliances avec des princesses étrangères avaient produit, sur sa physionomie, un mélange de l'éclatante fraîcheur du Nord avec la séduisante vivacité des femmes du Midi. Son teint était blanc, et son épaisse chevelure d'un brun clair; ses yeux bleus, d'une douceur ravissante, rayonnaient d'intelligence et de sincérité. Pour ajouter à tant d'attraits, quoique élevée à la cour, une franchise austère, mais inoffensive, régnait dans son langage comme dans ses regards, et, en étincelant sur son visage, à l'éclat de la jeunesse ajoutait celui de la vérité.»

Telle était, telle avait été la noble femme qui contribua, plus peut-être que son mari, à l'expulsion définitive des Maures du territoire espagnol; et qui, quelque grande et patriotique que fût cette œuvre, était destinée à acquérir la gloire plus grande encore, puisqu'elle la rend immortelle dans l'histoire, d'avoir une influence décisive sur la découverte du Nouveau-Monde. Enfin, ce qui prouve clairement l'extrême supériorité de l'esprit d'Isabelle, c'est que, destinée à gouverner l'Espagne conjointement avec Ferdinand; dans ce règne à deux qui lui présentait tant d'écueils, elle sut constamment, tout en maintenant intactes l'étendue de son autorité, la plénitude de ses droits, se faire aimer et respecter par le plus ombrageux des maris, le plus inquiet des hommes et le plus absolu des souverains.

Toutefois, la guerre sainte, ainsi qu'on l'appelait en Espagne, que Ferdinand et Isabelle avaient entreprise contre les Maures, occupait trop les esprits, lors de l'arrivée de Colomb à Cordoue, pour que le moment fût propice à l'examen de ses plans. Fernando de Talavera, lui-même, à qui il remit la lettre de Jean Perez et qui devait être son introducteur auprès de Leurs Majestés, prit à peine le temps de lire la lettre ou de l'écouter, et trouva plus commode de lui dire que ce qu'il proposait était inacceptable. Rien n'annonce même que Talavera en ait entretenu les souverains, ou s'il le fit, ce dut être en termes tellement froids qu'ils ne purent y prendre aucun intérêt.

La campagne fut ouverte en 1486 par le roi et la reine en personnes, et elle fut poursuivie avec vigueur. Quant à Colomb, il attendit à Cordoue des circonstances plus favorables, espérant tout du temps ainsi que des efforts qu'il faisait pour faire goûter ses théories par les hommes éclairés avec lesquels il pouvait entrer en relations. Il se remit à son travail de faire des cartes afin de subvenir à son existence, et, dans cette humble position, il eut souvent à braver les railleries de ceux qui, n'ayant pas le don de le comprendre, se laissaient parfois aller au malin plaisir de le tourner en ridicule, soit à cause de l'état de pénurie où il se trouvait, ou, plus encore, à cause des préoccupations de son esprit que l'on qualifiait de fantasques et d'insensées.

Ce fut dans cette ville qu'il s'attacha à dona Beatrix Enriquez; toutefois, les particularités de cette liaison sont enveloppées d'obscurité: on sait seulement que c'était une dame de bonne famille et qu'elle fut la mère de Fernand, son second fils, qu'il aima toujours à l'égal de son aîné Diego et qui fut l'historien de son père; mais les autres détails de cette partie de la vie de Colomb restent ignorés; on doute même que l'attachement mystérieux qu'il eut pour dona Enriquez ait jamais été légitimé par le mariage.

Quoi qu'il en soit, les idées de Colomb se répandirent peu à peu et obtinrent quelque crédit. Entre autres, Alonzo de Quintanilla, contrôleur des finances du royaume de Castille, fut frappé de la force de ses raisonnements, et il ne put voir, sans en être ému, tant de dignité dans le langage, tant de noblesse dans les manières et tant de foi dans les convictions; aussi, fut-il bientôt un de ses approbateurs les plus chaleureux, un de ses avocats les plus puissants, et il lui donna asile dans sa maison.

Antoine Geraldini, nonce du pape, et son frère Alexandre Geraldini, précepteur des plus jeunes enfants de Ferdinand et d'Isabelle, devinrent aussi ses partisans zélés. Ils le présentèrent à Gonzalez de Mendoza, archevêque de Tolède et grand cardinal d'Espagne; c'était un personnage très-considéré à la cour où l'on ne prenait jamais un parti de quelque importance sans le consulter, à tel point qu'il avait reçu le surnom de Troisième Roi d'Espagne! Sa science n'avait rien de froid; son intelligence était vive, et son habileté prompte et décidée dans l'examen ainsi que dans l'exécution ou la pratique des affaires; aussi fut-il charmé de l'éloquence lucide et du noble maintien de Colomb. Il l'écouta avec une attention progressivement croissante; il comprit bientôt la portée infinie de ses projets, la vigueur de ses arguments; et, dès sa première conversation, il devint l'ami le plus dévoué et le plus inébranlable de son interlocuteur: il en parla aussitôt au roi, et le fruit de son intercession ne se fit pas longtemps attendre, car l'audience qu'il demanda fut accordée à l'instant.

Colomb avait alors cinquante et un ans; mais cet âge, déjà assez avancé pour affronter les fatigues de la navigation et les périls d'un voyage sans données positives, sans terme prévu, sans autre guide que sa confiance et que son génie, cet âge, disons-nous, n'avait ni ébranlé ses résolutions, ni affaibli l'ardeur de son courage. Les soucis de son esprit, les méditations fréquentes auxquelles il se livrait, la crainte de ne pouvoir être agréé pour l'accomplissement de ses desseins avaient blanchi sa chevelure, mais sa taille était toujours droite, sa tournure imposante, et son air grave et digne était rehaussé par la mâle simplicité de ses actions. Son costume n'était ni celui d'un riche, ni celui d'un gentilhomme, mais il le portait avec l'aisance d'un homme supérieur; enfin, il y avait dans sa personne quelque chose de respectable allié à une noble fierté qu'on ne saurait rencontrer chez ceux que le ciel n'a pas formés pour le commandement. On savait, on voyait facilement d'ailleurs qu'il possédait une instruction prodigieuse; il avait la réputation d'avoir beaucoup navigué, d'avoir, soit en sous-ordre, soit en chef, visité tous les parages connus et d'avoir vaillamment combattu; pour tout dire en un mot, il était le marin le plus savant, le plus habile de son temps; son érudition surpassait celle des ecclésiastiques les plus renommés, et l'on disait de lui qu'il n'existait pas en Espagne un chrétien qui fût plus pieux, ni plus attaché à ses devoirs religieux.

Des lettres de Colomb apprennent que, lorsqu'il se rendit à l'audience obtenue par le crédit de Gonzalez de Mendoza, ce fut avec le sentiment de l'importance et de la dignité du motif qui l'animait, et comme s'il avait été mû par une inspiration divine qui lui donnait la confiance d'un homme qui se considère comme l'instrument dont Dieu voulait se servir pour accomplir de grands desseins. Voici, en effet, comment dans ces lettres qui existent encore, il s'exprime sur cet épisode remarquable de sa vie:

«En pensant à ce que j'étais je me sentais prêt à succomber sous la conscience de mon humilité; mais en songeant à ce que j'apportais, je me trouvais l'égal des têtes couronnées; je n'étais plus moi, j'étais l'agent de Dieu, choisi et marqué pour exécuter ses volontés!»

Le roi le reçut d'abord avec cette réserve glaciale qui était inhérente à son caractère naturellement méfiant; mais il était trop bon juge pour ne pas apprécier promptement combien le maintien assuré, quoique modeste, de Colomb, parlait en sa faveur, et il lui témoigna bientôt de l'intérêt. Le savant marin, se voyant attentivement écouté, développa son système; et ce fut avec un art infini qui n'avait cependant rien d'adulateur, qu'il termina son exposé, en cherchant à exciter l'ambition de Ferdinand par l'assurance que ses découvertes surpasseraient, en importance, celles que les Portugais avaient déjà faites sur les côtes méridionales de l'Afrique, et que la gloire qui en rejaillirait sur sa couronne éclipserait celle que les souverains du Portugal avaient acquise dans ce vaste champ ouvert à l'activité humaine, et dont ils tiraient tant de vanité.

Le roi se montra très-satisfait; aussi, ordonna-t-il à Fernando de Talavera de convoquer les astronomes et les géographes les plus renommés du royaume, afin qu'il y eût une conférence dans laquelle le côté scientifique et pratique de la question serait examiné. Christophe Colomb fut transporté de cette heureuse issue, en pensant qu'en présence d'hommes instruits, et qu'en s'exprimant lui-même, sa cause serait facile à gagner; anticipant alors sur la décision des juges qu'il croyait devoir être autant au-dessus des préjugés vulgaires que de leur intérêt personnel, il pensa être arrivé au terme de ses sollicitations et n'avoir plus qu'à se livrer à l'exécution de ses plans.

La conférence eut lieu à Salamanque dans le couvent des Dominicains de Saint-Étienne, réputé le plus éclairé de la chrétienté. Colomb y fut accueilli avec la plus grande distinction, et comme un homme à qui l'on était fier de donner l'hospitalité. Ces dehors flatteurs n'inspirèrent aucune vanité à celui qui était l'objet de tant de déférence; et ce fut avec calme, mais avec une noble chaleur dans le regard qu'il se présenta au milieu du conseil le plus imposant qu'on pût imaginer, si l'on était fondé à juger de la sagesse d'un corps par le rang, par l'âge et par la réputation des membres qui le composent. Mais les séances du conseil sont trop importantes et présentent trop d'intérêt, pour que nous ne les reproduisions pas avec une certaine étendue.

 

Les professeurs de l'université ne composaient pas seuls ce même conseil; il y avait en outre plusieurs dignitaires de l'Église et quelques moines érudits; toutefois, Colomb ne tarda pas à être convaincu que plusieurs des personnages de la conférence étaient imbus, à l'avance, de sentiments qui lui étaient défavorables, ainsi qu'il n'arrive que trop souvent, lorsque des hommes très-élevés dans l'échelle sociale ont à s'occuper de ceux que leur rang place infiniment au-dessous d'eux et qu'ils sont, naturellement, enclins à considérer comme des intrigants ou comme des imposteurs qu'il est de leur devoir de démasquer. Quelques-uns d'entre eux pensaient, en effet, que Colomb, navigateur presque inconnu en Espagne et n'appartenant à aucune institution scientifique, ne pouvait être qu'un aventurier ou tout au plus qu'un visionnaire; ils avaient, d'ailleurs, cette aversion naturelle aux pédants contre toute innovation qui attaque l'échafaudage de leurs doctrines, et ils restèrent sous ces fâcheuses impressions.

Aussi, Colomb ne fut-il écouté avec attention que par les moines dominicains de Saint-Étienne: les autres se retranchèrent dans cette espèce de fin de non-recevoir que, lorsque tant de profonds philosophes s'étaient occupés de recherches géographiques, lorsque tant d'habiles marins avaient navigué sur toutes les mers connues depuis un temps immémorial, et qu'aucun d'eux n'avait laissé seulement entrevoir la possibilité de terres transatlantiques; que même, à leurs yeux, l'Océan devenait infranchissable dans cette direction, il était plus que présomptueux de venir leur affirmer, sans autres preuves que des assertions imaginaires, que ces terres existaient positivement, et de demander, pour aller à leur recherche, des navires et des hommes que ce serait envoyer à une perte infaillible.

Colomb demanda que la discussion fût approfondie et que des objections plus sérieuses lui fussent faites, car, avec les raisonnements précédents, il n'y aurait jamais lieu au moindre progrès marquant, ni à la moindre perfectibilité. Alors la Bible et les ouvrages des Pères de l'Église furent mis en avant comme des arguments irrésistibles. Ainsi, l'existence des Antipodes, soutenue par les anciens, fut déclarée impossible en vertu de passages des écrits de saint Augustin et de Lactance qui les traitent de fables incompatibles avec les fondements de la foi chrétienne, puisque soutenir qu'il pouvait y avoir du côté opposé de la terre des lieux qui fussent habités, c'était avancer qu'Adam n'était pas le père commun de tous les hommes, ce qui serait contraire aux notions les plus certaines et les plus respectées, et constituerait une attaque évidente contre les vérités de la Bible. On ajouta que, puisque saint Paul avait dit, dans son épître aux Hébreux, que les cieux peuvent être comparés à un tabernacle ou à une tente étendue sur la terre, on devait en conclure que la terre était plate comme l'est le dessous d'une tente.

Il y eut, cependant, quelques membres qui admirent l'hypothèse de la sphéricité de la terre, mais ils posèrent en fait que les ardeurs de la zone torride ou autres obstacles matériels devaient empêcher qu'on ne pût aller au delà, et qu'en ce qui concernait une navigation dirigée vers l'Occident pour atteindre les extrémités orientales de l'Asie, ce devait être un voyage impraticable, car on allégua qu'il durerait plus de trois ans; enfin, on objecta encore qu'en voulant bien supposer qu'on fût assez heureux pour arriver ainsi jusque dans l'Inde, la rotondité du globe terrestre ferait alors l'effet d'une longue montagne d'eau qui s'opposerait au retour, quelque fort et quelque favorable que le vent pût être imaginé!

Colomb commença son plaidoyer scientifique, en démontrant la sphéricité de la terre par deux faits positifs: le premier, c'est que, lorsqu'un navire s'éloigne de la côte, le corps du bâtiment disparaît le premier, ensuite les voiles les plus basses, et successivement ainsi jusqu'aux plus élevées et jusqu'à la cime des mâts qui disparaît la dernière à la vue. De même, lorsqu'un bâtiment recommence à paraître ou que deux bâtiments se rencontrent en mer par un beau temps, on en voit les parties les plus élevées assez longtemps avant celles qui le sont le moins, et c'est le corps du navire que les yeux aperçoivent le dernier. Il en tira la conséquence évidente que ce phénomène ne pouvait être attribué qu'à la sphéricité de la terre qui s'interposait entre le spectateur et les points du navire observé qui se trouvent de plus en plus rapprochés de la surface de la mer. Le second fait fut que, lors des éclipses de lune, on avait toujours remarqué que, de quelque côté que commençât l'éclipse, soit qu'elle fût partielle ou totale, toujours l'ombre que la terre projetait alors sur le disque lunaire avait une figure circulaire, et il en conclut qu'il ne pouvait y avoir qu'un corps sphérique qui put ainsi, dans toutes les positions, projeter invariablement une ombre circulaire.

Les lois de la gravitation universelle n'étaient pas encore établies, et la question des Antipodes et des hommes qui pouvaient y être placés se trouvant réciproquement pieds contre pieds sans tomber dans les profondeurs de l'abîme, ne pouvait pas être aussi facilement résolue; mais on pouvait en juger par induction, car si deux navires, éloignés l'un de l'autre de six lieues, cessent complètement de s'entre-apercevoir par l'effet de la sphéricité de la terre, il est manifeste que les verticales passant par le centre de chacun des deux bâtiments ne sont pas parallèles, que, cependant, personne à bord ne perd de sa stabilité par l'effet de cette inclinaison relative; or, ce qui se passe à l'égard de ces deux navires doit avoir également lieu pour deux autres placés à six lieues des deux premiers, et l'on arrive ainsi à prouver, par analogie, que rien d'étrange n'a lieu aux Antipodes, et que l'on peut et doit y naviguer et y marcher tout aussi naturellement que nous le faisons nous-mêmes sur nos mers et sur notre sol. Ces explications réfutaient également l'argument des montagnes d'eau jugées devoir s'opposer au retour des navires d'un voyage lointain. Colomb fit observer, à ce sujet, qu'il n'avait pour but que d'arriver aux extrémités de l'Inde ou de l'Asie, ainsi que se le proposaient les Portugais en contournant par mer le continent africain; et que la seule différence qu'il y eût, c'est qu'il chercherait sa route en cinglant directement à l'Ouest; que, dès lors, ce n'est pas à des pays inconnus ou imaginaires qu'il aborderait; mais dans des contrées assez voisines du lieu où fut placé le Paradis terrestre, et que certainement les hommes qui habitaient ces contrées devaient, tout aussi bien que nous, descendre d'Adam, ainsi qu'il le croyait religieusement en se fondant sur les vérités des livres sacrés.

Ce fut alors que, présumant, sans doute, le déconcerter par une objection sans réplique, on lui demanda comment il pouvait être assuré que les limites de l'Atlantique dans cette direction fussent les terres asiatiques. Sans hésiter, il fit aussitôt cette réponse admirable, et qui, elle seule, équivalait à l'idée de la découverte du Nouveau-Monde: «Eh bien! si l'Atlantique, dans cette direction, a d'autres limites que l'Asie, il importe plus encore de découvrir ces limites, et je les découvrirai!» C'est bien ainsi que l'on s'exprime lorsque l'on a un grand cœur; c'est bien ainsi que parle le génie dont les yeux sont plus clairvoyants encore que ceux de notre corps; et cette réponse sublime qui n'a pas été assez remarquée, suffirait pour garantir à Colomb la priorité de la découverte de l'Amérique, lors même que, ainsi que nous le ferons remarquer plus tard, ce ne serait pas lui qui aurait, le premier, acquis la certitude de l'existence du continent américain.

Restaient à réfuter les difficultés théologiques qui lui furent opposées en plus grand nombre et avec le plus d'autorité. Nous avons déjà fait connaître l'air de grandeur qui était un des traits caractéristiques de la personne de notre illustre navigateur, son maintien noble et assuré, le feu de son regard, l'animation de sa voix et la force de son éloquence. Tout ici se trouva en jeu, lorsque repoussant, d'un geste véhément, ses plans, ses cartes, ses mémoires, il prit une intonation inspirée et se lança dans le côté religieux de la question. Il ne laissa aucune difficulté sans réponse; et s'exprimant comme le théologien le plus pieux et le plus disert, il sut trouver, dans les textes eux-mêmes des prédictions des prophètes et de l'Écriture sainte, des passages qui renversèrent l'échafaudage de toutes ces difficultés, et qui, selon lui, étaient le type vrai et l'annonce formelle des magnifiques découvertes que le ciel le destinait à faire en cette partie de l'univers! Dans cette assemblée où se trouvait l'élite des hommes de religion et de talent de l'époque, qui fut le véritable savant, qui se montra le plus grand théologien? Sans contredit, ce fut notre marin, ce fut Christophe Colomb!

Mais rendons toute justice à la conférence; non-seulement elle fut vivement touchée en entendant vibrer à ses oreilles une éloquence aussi mâle, aussi religieuse et aussi sincère, mais encore plusieurs des auditeurs se dépouillèrent de leurs préventions et furent convaincus. Parmi ceux-ci se trouva Diego de Deza, moine dominicain, professeur de théologie, et qui parvint ensuite à la seconde dignité ecclésiastique de l'Espagne, celle d'archevêque de Séville. C'était un homme érudit qui sut apprécier Colomb et lui gagner des partisans, mais pas assez pour obtenir un résultat favorable. Ce fut même beaucoup que l'on voulût consacrer encore à ce sujet quelques séances subséquentes, sans se prononcer. Afin, cependant, d'en finir, la décision en fut laissée au jugement de Fernando de Talavera qui s'en occupa fort peu, et qui, entièrement emporté par le tourbillon des affaires publiques et très-importantes à la vérité du moment, n'y avait encore donné aucune conclusion à l'époque où il fut obligé de suivre la cour lorsqu'elle partit de Cordoue au commencement de 1487, laissant l'affaire dans la plus grande des incertitudes.

Colomb ne se découragea pas, il s'attacha aux mouvements de la cour et ne cessa de solliciter; il parvint même à faire décider que plusieurs autres conférences seraient tenues et que le lieu en fût fixé; mais jamais aucune ne put avoir lieu à cause des changements de résidence continuels auxquels les mouvements perpétuels de l'armée assujettissaient les souverains.

Si Colomb se trouva forcé par ces circonstances à accepter le rôle de solliciteur et peut-être de courtisan, au moins s'y soumit-il avec noblesse, car il s'associa aux fatigues militaires des guerriers qui se pressaient en foule pour combattre en faveur de la libération de l'Espagne; il fut présent au siége ainsi qu'à la reddition de Malaga et de Baza, il assista à l'affaire importante à la suite de laquelle El-Zagal, l'un des rois maures établis en Espagne, résigna sa couronne entre les mains de Ferdinand, et il se distingua par sa bravoure personnelle dans plusieurs de ces occasions.

Pendant le siége de Baza, deux des religieux préposés à la garde du Saint-Sépulcre à Jérusalem arrivèrent au camp, avec la mission de faire connaître que le sultan d'Égypte avait déclaré qu'il ferait mettre à mort tous les chrétiens qui pouvaient se trouver dans les États où il commandait, si l'Espagne ne se désistait pas de ses plans de guerre contre les Maures. Cette menace fit une si grande impression sur l'âme fière et pieuse de Colomb qu'il conçut, alors, le projet de consacrer les bénéfices qu'il pensait devoir lui revenir du succès de ses découvertes, à l'affranchissement complet du Saint-Sépulcre. Avec sa persévérance naturelle, il ne renonça jamais à cette idée, et il est mort avec le regret de n'avoir pu la réaliser.

Son nouvel ami Diego de Deza et son zélé partisan Alonzo de Quintanilla pourvoyaient à une partie de ses dépenses, et ils auraient plus fait encore, si les souverains espagnols reconnaissants de ses services et du zèle qu'il montrait en s'associant aux opérations de l'armée, ne l'eussent, en quelque sorte, attaché à leur personne, en ordonnant qu'il fût compté parmi les membres de leur maison et défrayé, comme tel, de sa nourriture et de son logement; ils firent même plus, car lorsqu'il y avait quelque calme ou quelque repos dans la poursuite de cette guerre, Ferdinand témoignait le désir que la question du voyage transatlantique fût remise sur le tapis; mais, toujours de nouveaux incidents survenaient, qui mettaient obstacle à la reprise des conférences.

 

Cet état de choses dura jusqu'à la fin de 1491; c'est l'époque où l'armée allait se mettre en marche pour attaquer Grenade; Colomb pensa qu'il pourrait y avoir un trop long ajournement, si le départ avait lieu sans qu'on prît une décision, et il la demanda avec instance. On fit droit à sa demande; Fernando de Talavera fut chargé de présider une nouvelle conférence, mais la majorité condamna les plans de Colomb comme vains et impossibles, et elle ajouta qu'il était indigne d'aussi grands souverains de se livrer à une entreprise aussi importante, sur d'aussi faibles motifs que ceux qui étaient allégués. Le roi et la reine durent donc s'abstenir; mais telle était la considération personnelle dont Colomb jouissait dans l'armée, tel était l'intérêt qu'il avait su inspirer à Ferdinand, que ce roi ne put se résoudre à rompre définitivement sur ce sujet et que, pensant toujours aux avantages incalculables dont la réussite devait en être suivie, il fit informer Colomb que les préoccupations et les dépenses considérables de la guerre ne lui permettaient pas de prendre des engagements dans le moment actuel; mais qu'aussitôt qu'il serait libre de tout souci à cet égard, il se montrerait disposé à reprendre cette affaire et à la faire traiter. Colomb fut très-désappointé de cette réponse qu'il considéra comme un refus poli, et il prit le parti de retourner à Séville, ne comptant plus, à la vérité, sur la protection du trône pour l'aider à exécuter les plans qui, depuis vingt ans, absorbaient toutes ses pensées, étaient le mobile de toutes ses démarches, et faisaient l'objet de toutes ses méditations.

Cependant, son frère Barthélemy n'était pas resté inactif; il s'était rendu en France et en Angleterre, il y avait exposé les projets de Colomb, et il était parvenu à intéresser les souverains de ces royaumes à l'entreprise de tenter le voyage de l'Inde, en cinglant directement à l'Ouest. Ces nouvelles favorables arrivèrent à Colomb en même temps qu'une invitation du roi de Portugal de retourner à Lisbonne. Il en fut très-ému, mais, à la réflexion, et peut-être aussi pour ne pas trop s'éloigner de ses enfants, il pensa qu'étant devenu un personnage très-connu en Espagne, il lui serait facile et avantageux de trouver aide et protection auprès de quelques-uns des puissants seigneurs de ce pays qui avaient de vastes possessions, de grandes fortunes, beaucoup de crédit, qui jouissaient des priviléges de plusieurs droits féodaux, et pouvaient être comptés comme des petits souverains dans leurs domaines; sous l'influence de ces idées, il ne s'arrêta pas longtemps à la pensée de quitter l'Espagne, et il s'adressa successivement à deux des plus opulents seigneurs dont nous venons de parler: le duc de Médina-Sidonia et celui de Médina-Celi, qui avaient des propriétés étendues sur le bord de la mer où se trouvaient plusieurs ports, et de qui dépendaient de nombreux vassaux.

Le duc de Médina-Sidonia entra, parfaitement d'abord, dans les vues qui lui furent communiquées, et fut ébloui de la perspective qu'elles offraient devant lui; mais, à la réflexion, il pensa qu'il devait y avoir beaucoup d'exagération; et, après plusieurs conversations sur ce sujet, il finit par se désister.

Le duc de Médina-Celi se montra également favorable au projet, il fut même sur le point d'accorder trois caravelles mouillées au port de Sainte-Marie et dont il disposait; mais il lui survint la crainte d'être taxé d'avoir voulu empiéter sur les droits de la couronne, et il se désista aussi.

Vivement contrarié, Christophe Colomb résolut de quitter l'Espagne: analysant alors les diverses propositions faites par le roi de Portugal et par son frère Barthélemy, il s'étudia à choisir celle qui semblait lui offrir le plus de chances. Sous la pression permanente de l'indignité qui avait été commise contre lui par la cour de Portugal, il écarta, tout d'abord, l'offre qui lui venait de ce côté, et il se détermina à se rendre à Paris pour, ensuite, continuer sa route jusques à Londres si la France le repoussait; mais, auparavant, il voulut retourner au couvent de la Rabida où il avait laissé son fils Diego livré aux soins tendres et paternels de Jean Perez de Marchena, supérieur de ce couvent, et d'où il comptait repartir pour conduire Diego à Cordoue où résidaient toujours Beatrix Enriquez et son second fils Fernand.

Le digne supérieur laissa éclater toute la peine qu'il ressentait, en voyant son ami venir frapper encore une fois à la porte du couvent après une absence de sept ans écoulés dans les angoisses de la sollicitation, et en s'apercevant, par son extérieur peu satisfait et par ses humbles vêtements, qu'il était loin d'être heureux ou opulent; mais, quand il eut appris que c'était un adieu définitif qu'il venait faire à l'Espagne et à lui, il s'enflamma d'une noble et patriotique indignation, et il s'y opposa par tous les moyens que son attachement et que l'intérêt de son pays purent lui suggérer. Il avait été confesseur de la reine, il la connaissait comme une femme d'une imagination remarquable et particulièrement accessible aux personnes qui pouvaient lui donner des avis fondés sur la religion et sur la gloire de son royaume; dans cette persuasion, il prit sur lui de lui écrire directement à elle-même, pour la conjurer de ne pas refuser son approbation à une affaire aussi importante. Il montra ensuite cette lettre à son hôte, et il obtint de lui qu'il ne partirait pas avant de connaître quelle serait la suite de cette nouvelle démarche dont il espérait infiniment. C'est ainsi que la Providence avait caché le ressort de la fortune de Colomb dans le cœur de l'amitié.

Un pilote du pays fut chargé de partir pour la cour, et de faire tous ses efforts pour remettre la lettre à la reine elle-même, qui se trouvait en ce moment au camp royal de Santa-Fé devant la ville de Grenade, dernière forteresse des Maures et qu'on assiégeait. Il s'acquitta fidèlement de sa mission et il revint au bout de quatorze jours rapportant une réponse de cette noble princesse, dans laquelle des remercîments étaient adressés au supérieur pour sa communication, et pour l'inviter lui-même à se rendre à la cour, mais non sans donner les plus vives espérances à Colomb.

Dans l'exaltation de la joie que cette nouvelle causa à Perez, une seule minute ne fut pas perdue, il partit immédiatement. Son empressement à voir la reine fut satisfait dès son arrivée à la cour. On comprend la chaleur qu'il mit à plaider la cause de son ami; il invoqua la terre et le ciel; il chercha à intéresser la gloire de la reine autant que sa conscience à une entreprise qui transporterait des nations entières de l'idolâtrie à la foi, et il trouva de la persuasion et de la vivacité dans la passion de la grandeur de sa patrie et dans les sentiments de la plus vive amitié. Isabelle, qui, à ce qu'il paraît, n'avait jamais entendu parler de Colomb que d'une manière peu sérieuse, et dont le cœur était toujours ouvert à ce qui portait l'empreinte de la noblesse et de la grandeur, ne put que se rendre à l'éloquence honnête et zélée d'un tel avocat. Elle ordonna sans délai que Colomb fût mandé devant elle, et qu'une somme d'argent lui fût envoyée pour son voyage afin qu'il pût se présenter convenablement à la cour. Colomb apprit ce résultat des démarches de Perez de Marchena avec enthousiasme, et il se mit aussitôt en route pour le camp de Santa-Fé.