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Vie de Christophe Colomb

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À Lisbonne, Colomb se maria avec une des deux filles d'un Italien nommé Palestrello, mort après avoir été l'un des marins les plus distingués du temps du prince Henri; il avait été le colonisateur et l'un des gouverneurs de l'île de Porto-Santo, qui, avec Madère, avait été découverte en 1418 et 1419, par Tristan Vaz et par Zarco. Toutefois, et malgré cette position avantageuse, il n'avait laissé qu'une modique fortune. L'autre fille de Palestrello avait épousé Correo, autre marin qui avait également été gouverneur de Porto-Santo. Après son mariage, Colomb fit plusieurs voyages en Guinée; il alla même à Porto-Santo pour des intérêts de famille. Ce fut pendant le séjour qu'il fit en cette île que naquit Diego, son fils ainé. Dans l'intervalle de ses campagnes, Colomb dressait des cartes marines dont la vente lui servait à soulager l'existence de son vieux père à qui il pensait toujours avec une tendre reconnaissance, et à aider ses frères lors de leur début dans le monde.

Les conversations que, dans cette période, il eut avec Correo, l'application qu'il portait à la construction de ses cartes qui était une de ses occupations favorites, l'étude qu'il fit des journaux, manuscrits et plans de son beau-père, furent pour lui des motifs incessants d'examen; ces motifs, joints à l'enthousiasme avec lequel les découvertes multipliées des Portugais le long du continent d'Afrique étaient accueillies, transportèrent son imagination et lui firent concevoir le dessein de tenter plus encore, et d'aller dans l'Inde en se dirigeant vers l'Occident.

Bientôt ses pensées ne purent plus se détacher de ce dessein, et plus il s'en préoccupait, plus il trouvait des raisons pour y persister.

On a dit que plusieurs entretiens, plusieurs fables, plusieurs redites ou rapports recueillis par Colomb, soit sur la côte de Guinée, soit surtout aux Açores et à Porto-Santo, sur l'existence d'une terre étendue située de l'autre côté de l'Atlantique, avaient été le point de départ de la grande idée de Colomb; mais si ces bruits, qu'on a cités depuis lors, avaient eu quelque consistance, le prince Henri les aurait connus, et il n'aurait certainement laissé à aucun autre la gloire de l'entreprise.

On ne peut donc attribuer ce point de départ à d'autres causes qu'à celles qui sont assignées par Fernand, et qui sont le fruit de la réflexion la plus persévérante et la mieux mûrie. Suivons, en effet, Colomb pas à pas; nous verrons ainsi se confirmer l'opinion de Fernand, et il sera impossible de ne pas reconnaître avec lui, que des rapports vagues, des bruits incohérents, des contes chimériques, des faits peu concluants, tels que ceux que l'envie a inventés ou amplifiés après l'événement, n'eurent aucune influence sur l'esprit vigoureux de Colomb, et que ses idées reposaient sur ses recherches mentales et sur les convictions les mieux fondées.

Toscanelli, Italien très-versé dans la cosmographie, habitait alors la ville de Florence; or, il existe une correspondance entre Colomb et Toscanelli qui remonte à l'année 1474; mais on doit penser que le sujet abordé par Colomb était mûri déjà depuis longtemps dans son jugement, lorsqu'il entra en communication épistolaire avec ce savant. Il y posa en principe que la terre est un corps sphérique dont on pouvait faire le tour dans le sens de l'équateur, et que les hommes placés aux antipodes les uns des autres, y marchaient et s'y tenaient debout pieds contre pieds, ce qui était une des assertions les plus téméraires qu'on pût alors avancer: il divisait l'équateur, comme toutes les circonférences de cercle, en 360 degrés, et, s'appuyant sur le globe de Ptolémée et sur la carte plus nouvelle de Marinus de Tyr, il accordait aux anciens la connaissance géographique de 225 de ces degrés, qui comprenaient tout l'espace renfermé de l'Est à l'Ouest, entre la ville de Thiné, extrémité orientale de l'Asie, et les îles Fortunées ou Canaries, extrémités occidentales du monde alors connu. Depuis ce temps-là, les Portugais avaient découvert les Açores; ainsi, il fallait ajouter environ 15 degrés aux 225 des anciens, ce qui donnait une somme de 240 degrés, équivalente aux deux tiers de l'étendue circulaire de la terre.

Ce calcul de Colomb était rigoureux dans la supposition de l'exactitude du globe et de la carte dont il se servait comme base; mais il est évident pour nous aujourd'hui, que l'extrémité orientale de l'Asie y était portée beaucoup trop loin, et cette erreur, qu'on ne pouvait attribuer à Colomb, fut très-heureuse, car elle ne lui permettait de compter que sur un parcours de 120 degrés ou de 2,400 lieues marines entre les Açores et le point le plus rapproché de l'Asie. Il devait donc, après avoir franchi l'espace occupé par ces 120 degrés, ou arriver aux confins orientaux de l'Asie, ou découvrir les terres qui pouvaient s'interposer. Si même on s'en rapportait aux calculs de l'Arabe Alfragan, fondés sur l'opinion d'Aristote, de Sénèque, de Pline et de Strabon, ces 120 degrés auraient été loin de valoir 2,400 lieues, car ce mathématicien supposait la terre moins étendue qu'elle ne l'est réellement; selon lui, chaque degré de l'équateur était inférieur à 20 lieues marines d'une assez grande quantité.

La réponse de Toscanelli fut un vif encouragement pour Colomb; il y était même fait mention du fameux Marco Paolo, voyageur vénitien qui avait établi, dans une narration de ses voyages par terre et dans l'Orient pendant le quatorzième siècle, que les parties les plus éloignées du continent asiatique et dans lesquelles il avait pénétré, étaient bien au delà de l'espace assigné par Ptolémée. Toscanelli avait compris immédiatement la portée extraordinaire du projet de Colomb; il s'en montra émerveillé et il le conjura ardemment de le mettre à exécution, l'assurant qu'en partant de Lisbonne même, il aurait tout au plus 1,350 lieues marines à franchir pour arriver à la province de Mangi, près du Cathai par lequel on doit supposer qu'il désignait ce que nous appelons la Chine. Pour enflammer davantage son imagination, il lui retraça les détails prodigieux donnés par Marco Paolo sur le Cathai, sur la puissance et la grandeur du grand kan ou du souverain de ces contrées opulentes, sur la splendeur de Cambalu et de Quinsai, capitales de son empire, et sur les richesses incalculables de l'île de Cipango qui avoisinait le Cathai, et qui, probablement, était le Japon. Toscanelli joignit à ces renseignements une carte sur laquelle étaient portées, soit les côtes occidentales de l'Europe et de l'Afrique, soit les parties orientales de l'Asie séparées les unes des autres de la faible distance de 1,350 lieues marines (environ 7,500 kilomètres). On y voyait aussi, à diverses distances et convenablement placées, Cipango, Antilla, ainsi que d'autres îles de moindre importance.

Cette lettre fit sur l'esprit de Colomb une impression qui non-seulement fut vive, mais encore très-durable, car, dans ses préoccupations, ses voyages ou ses propositions, on voit souvent reparaître les territoires du grand kan, le Cathai et l'île de Cipango, qui lui avaient été offerts en perspective par son savant correspondant.

L'approbation qui fut donnée par Toscanelli aux plans de Colomb acheva de le confirmer dans leur excellence; il s'occupa dès lors à compléter sa théorie; lorsque les diverses parties en furent bien concertées, il s'y fixa avec une fermeté inébranlable; jamais il n'en parla avec l'accent du doute ni de l'hésitation, et ce fut pour lui chose aussi authentique que si de ses yeux il avait aperçu, que si de ses pieds il avait foulé la terre qu'il voyait par l'effet de son imagination. Un sentiment religieux, qui avait une teinte de sublimité, se mêla à ses pensées; on eût dit, en l'entendant parler, qu'on avait devant soi un homme inspiré par un effet de la puissance divine, qui entre tous l'avait choisi pour accomplir une œuvre excédant les facultés intellectuelles d'un simple mortel, et des volontés de laquelle il reconnaissait n'être que le docile agent!

Et quand il ajoutait, avec une conviction intime, que le moment était venu où les extrémités les plus distantes de la terre devaient entrer en communication les unes avec les autres, et où toutes les nations, toutes les îles, tous les langages allaient se réunir sous la bannière du divin rédempteur des hommes, on ne savait ce qu'on devait admirer le plus, ou de la science profonde de ses arguments, ou de l'éloquence avec laquelle il les prononçait, ou, enfin, de la foi vive et religieuse dont il était animé.

Il en résulta pour son esprit une élévation nouvelle; pour son regard, un plus grand air d'autorité; pour son maintien, une noblesse et une dignité qui frappaient tous ceux qui l'approchaient. L'envie et le dénigrement se tenaient même loin de lui, pour répandre les fables ou les calomnies par lesquelles on cherchait quelquefois à lui ravir l'honneur de l'idée première, ou à entraver ses projets; mais, dans le libre cours d'une discussion calme et sérieuse, il avait toujours la supériorité. On pouvait donc se refuser à l'aider dans ses projets; mais il était difficile de répondre à ses discours, de réfuter ses opinions, et surtout de ne pas estimer l'homme qui disait: «Voilà mon plan; s'il est dangereux à exécuter, je ne suis pas un simple théoricien qui laisse aux autres la chance de succomber sous les périls; mais je suis un homme d'action; je suis prêt à sacrifier ma vie pour servir d'exemple aux autres; et finalement, si je n'aborde pas aux rivages de l'Asie par mer, c'est que l'Atlantique a d'autres limites dans l'Occident, et ces limites je les découvrirai!»

Cependant, Colomb quitta le Portugal pour un nouveau voyage, qu'il entreprit vers la partie des régions septentrionales, où les pêcheurs anglais avaient coutume d'aller exercer leur industrie: il nous apprend lui-même que, dépassant ces latitudes d'une centaine de lieues, il franchit le cercle polaire, afin de s'assurer jusqu'à quel point ces parages étaient habitables; il mentionne l'île de Thulé, c'est-à-dire probablement l'Islande, et non point l'Ultima Thule des anciens qui, selon eux, était bien moins loin dans l'Ouest. Dans la relation de ce voyage, on trouve encore la preuve du violent désir qu'il avait de sortir des limites étroites de l'Ancien-Monde, pour se lancer vers les points occidentaux et extrêmes de l'Océan.

 

Quel navigateur, alors, pouvait être comparé à Colomb? Il avait fait de belles études préparatoires; il avait débuté jeune dans la marine, avait fait beaucoup de campagnes, et avait, pendant plus de vingt ans, parcouru toutes les mers fréquentées; il s'était trouvé dans un grand nombre de combats et il s'y était distingué; il n'avait négligé aucune occasion d'accroître son savoir; il parlait plusieurs langues; il avait construit des cartes marines qui lui faisaient prendre place parmi les premiers hydrographes; aussi pouvait-il se présenter avec assurance et dire que s'il proposait une expédition périlleuse et difficile, nul n'avait ni plus d'expérience, ni plus de courage, ni plus de talents pour la commander et pour la faire réussir.

Quelques années s'écoulèrent sans que cet homme si supérieur eût rien décidé sur les moyens de mettre ses projets à exécution; il lui fallait un grand protecteur pour lui en procurer les moyens, et il se rendait parfaitement compte de la difficulté de trouver, pour faire accueillir ses vues, un personnage haut placé: il ne croyait même pas que ce fût trop d'un souverain; tant il pensait qu'il fallait de puissance pour ranger sous sa domination les terres où il devait aborder, et pour lui décerner les dignités et les récompenses que ses découvertes futures lui semblaient devoir mériter!

D'ailleurs, il devait aussi trouver des marins qui consentissent à le suivre; or, ceux du Portugal eux-mêmes, malgré l'usage plus général de la boussole améliorée par les soins du prince Henri, ne s'avançaient vers le midi de l'Afrique qu'avec crainte, circonspection, et ils osaient à peine perdre la terre de vue. Qu'eût-ce été si on leur avait proposé de s'embarquer pour un voyage dirigé vers l'Ouest jusqu'aux extrémités redoutées de l'Atlantique? Rien, sans doute, ne leur aurait semblé moins praticable ni plus dangereux.

Il paraît que ce fut alors que Colomb s'adressa au gouvernement de Gênes, sa patrie, pour lui faire part de ses plans et pour les placer sous sa protection. Il regardait cette démarche comme un devoir de cœur et comme la dette sacrée d'un citoyen dévoué avant tout à la gloire, à la prospérité de son pays; il s'y serait rendu immédiatement, si ces offres avaient été acceptées: il n'en fut pas ainsi.

En Portugal, Alphonse avait succédé au roi Jean Ier; mais ses guerres avec l'Espagne l'occupaient trop pour qu'on pût croire qu'il s'engagerait dans une expédition qu'il jugerait probablement devoir être aussi coûteuse qu'incertaine; aussi, dans la supposition d'un refus, rien ne fut tenté auprès de lui.

Ce fut en 1480 que Jean II succéda à son tour au roi Alphonse. La passion du prince Henri pour les découvertes remplissait son cœur; sous son règne, l'activité des navigateurs portugais, un moment assoupie, se réveilla; et ce nouvel essor fut secondé par l'imprimerie qui, récemment inventée, abrégeait les communications, propageait les connaissances scientifiques et favorisait les progrès; mais l'impatience de Jean II lui faisait trouver trop de lenteur dans les tentatives de ses navires pour parvenir à l'extrémité Sud de l'Afrique.

Il était difficile, pourtant, qu'il en fût autrement; car, pour s'avancer vers les parties méridionales de ce continent, il fallait lutter sans cesse, et avec des bâtiments fort imparfaitement installés, contre des calmes prolongés, des courants assez rapides et des vents presque toujours contraires ou même quelquefois violents tels que ceux qui règnent dans ces parages. Aujourd'hui que les navires sont éclairés par l'étude des localités, dès qu'ils ont traversé l'équateur, ils ne luttent pas, en louvoyant, contre les vents dits généraux qui soufflent du Sud-Est, pour se rendre au cap de Bonne-Espérance; mais ils se servent de ce vent pour courir une longue bordée qui les rapproche beaucoup de l'Amérique méridionale, et semble leur faire faire un grand détour, il est vrai, mais qui les porte au delà du tropique du Capricorne; ils trouvent, bientôt alors, des vents d'Ouest; et, en peu de jours, ils arrivent à ce cap renommé, l'ancien Cabo-Tormentoso (cap des Tempêtes) des Portugais, qu'il leur aurait fallu des mois entiers pour atteindre en côtoyant l'Afrique. Au surplus, le nom de cap de Bonne-Espérance, qui fut donné plus tard au Cabo-Tormentoso, pour indiquer l'espoir que l'on avait, et que Diaz et Vasco de Gama réalisèrent en 1486 et 1498, de trouver, en le doublant, une voie de mer pour aller dans l'Inde, n'en est pas moins encore celui d'un point du globe fréquemment battu par d'effroyables tempêtes et assailli par des flots courroucés.

Mécontent de la lenteur des découvertes de ses navires, Jean II voulut que la science lui vînt en aide, et il appela des hommes instruits auprès de lui pour aviser sur ce point. Ces savants, au nombre desquels se trouvait le célèbre Martin Behem, se joignirent à ses deux médecins, Rodrigue et le juif Joseph, qui étaient aussi des astronomes et des géographes renommés. Plusieurs décisions furent prises par eux: la plus importante fut celle de l'application de l'astrolabe à la navigation, afin de procurer aux marins les moyens de régler leur marche par l'observation de la hauteur des astres, et de leur donner un surcroît de confiance ou de hardiesse, qui leur manquait dans l'art de diriger leur route et de conduire leurs bâtiments.

L'astrolabe n'était cependant que l'anneau astronomique perfectionné, et, comme lui, qu'un instrument de suspension qui, à cause de la mobilité d'un navire, ne pouvait donner à bord que des résultats approximatifs; il était loin de l'arbalète qui vint ensuite, laquelle était également loin du quart de nonante, tout à fait mis de côté, cependant, depuis l'invention des instruments à réflexion, tels que l'octant, le sextant et le cercle de Borda, qui ne laissent rien à désirer.

Toutefois, cette mesure eut un grand effet moral; car les équipages, attribuant à l'astrolabe une perfection qu'il ne possédait pas, s'imaginèrent qu'ils navigueraient désormais avec plus de sécurité; sous un autre rapport, elle eut des conséquences du plus haut intérêt. En effet, Colomb, qui a toujours fait preuve d'une promptitude d'esprit incomparable pour saisir les différentes phases d'une question, et pour en tirer le parti le plus favorable à ses vues, ne manqua pas de préconiser l'astrolabe comme l'instrument destiné à ouvrir un champ libre à ses découvertes, et de le présenter comme devant calmer les craintes de tous ceux qui voudraient partager sa fortune.

Dès lors, et pendant qu'on était sous l'impression favorable de cette innovation, il ne balança plus un seul instant, et il demanda une audience au roi afin de lui communiquer son projet. L'audience ne se fit pas attendre: Colomb se présenta avec une noble assurance; il exposa sa théorie, montra la carte de Toscanelli, et il assura à Jean II que s'il voulait lui confier des navires et des hommes pour les armer, il les conduirait dans les riches contrées de l'Orient en cinglant directement à l'Ouest, et qu'il aborderait à l'île opulente de Cipango, d'où il établirait une communication directe avec le grand Kan, souverain d'un des États les plus riches et les plus splendides du monde.

Le roi l'écouta avec une attention soutenue, et lui promit d'en référer à une junte, qui fut en effet nommée et qui était composée de Rodrigue et de Joseph, dont nous venons de parler, et du confesseur du roi, Diego Ortiz, évêque de Ceuta, Castillan de naissance, ordinairement appelé du nom de Cazadilla qui était celui de sa ville natale, et fort estimé à cause de ses lumières et de son instruction.

La junte, qui n'eut qu'à délibérer sur les plans présentés par Colomb, sans s'entretenir avec lui-même, déclara qu'ils étaient extravagants, et que l'auteur de ces plans ne pouvait être qu'un visionnaire; mais le roi qui avait entendu Colomb, et qui savait, à n'en pas douter, que, loin d'être un visionnaire, il s'exprimait avec toute la lucidité d'un homme aussi instruit que sensé, le roi, disons-nous, n'admit pas cette décision de la junte, et il assembla son conseil privé, qui était composé des savants les plus éminents du Portugal, pour en délibérer.

Malheureusement, Cazadilla en faisait partie, et, plus malheureusement encore, il est dans la nature humaine que nul n'est plus obstiné ni de plus mauvaise foi qu'un savant qui se trompe; aussi, par son ardente influence, les théories de Colomb furent-elles qualifiées d'impraticables, et de chimères sans base et sans raison!

Cazadilla fit plus encore; car, voyant le mécontentement que le roi Jean II éprouvait de cette nouvelle décision et le penchant qu'il continuait à manifester pour tenter l'entreprise, il eut recours à une manœuvre indigne, qu'il présenta au roi sous le prétexte spécieux, si souvent invoqué en pareil cas, qu'il était de la dignité de la couronne de ne pas s'engager à cet égard par une détermination officielle, et qu'il fallait agir à l'insu de Colomb pour vérifier jusqu'à quel point ses propositions pouvaient être fondées.

Le roi eut la faiblesse d'adopter ce conseil, qui n'était qu'une ruse odieuse déguisée sous le semblant de la dignité royale; et, mettant à profit les cartes et les communications diverses de Colomb, des instructions furent tracées, et l'ordre fut donné d'expédier secrètement une caravelle du cap Vert, pour qu'elle fît route immédiatement, et d'après ces mêmes instructions.

Cependant, Colomb était tenu en suspens par plusieurs assurances qu'on lui donnait, que le conseil, ne pouvant agir avec trop de maturité, prenait du temps pour mieux asseoir son jugement. Quant à la caravelle, elle partit; mais elle éprouva des contrariétés; et, comme le capitaine et l'équipage ne rencontrèrent que des mers agitées par des vents impétueux, qu'ils ne virent devant eux que des horizons menaçants et que l'espace succédant à l'espace, sans l'aspect d'aucune terre pour les encourager ou les guider, ils faillirent à l'œuvre comme des hommes non stipulés par l'aiguillon de la gloire ou manquant de conviction, et ils retournèrent au cap Vert, d'où ils firent voile pour Lisbonne; là, ils s'excusèrent de leur manque de résolution, en ridiculisant le projet comme étant déraisonnable et même extravagant.

Cette insigne duplicité indigna Colomb au point qu'il ne voulut plus entendre à rien, même, dit-on, à une disposition que montra le roi à renouer la négociation. Sa femme était morte depuis quelque temps, il ne tenait donc plus au Portugal par aucun lien, et il en serait parti immédiatement, si ses affaires pécuniaires, dérangées par le peu de soins que ses préoccupations scientifiques lui avaient permis d'y donner, lui en avait laissé la faculté. Il fit alors tous ses efforts pour rétablir ses finances; et finalement, il quitta ce royaume en 1484, emmenant avec lui son jeune fils Diego.

Quelque fâcheux pour notre illustre navigateur qu'aient pu être les événements que nous venons de décrire, ils ont eu, toutefois, le résultat de démontrer invinciblement la fausseté des allégations par lesquelles on a cherché à insinuer que l'idée première de ses projets ne lui appartenait pas en propre, et qu'elle lui avait été suggérée par des révélations qui lui avaient été faites dans ses voyages à la côte de Guinée, ou par la connaissance de faits empreints de caractères tellement vraisemblables qu'ils avaient dû être acceptés par lui comme des preuves. Ainsi, cette prétendue statue qui, sur le cap le plus avancé de la plus occidentale des Açores, avait un doigt mystérieusement dirigé vers l'occident; ainsi, ces vues de terres que l'on croyait, en certains temps, apercevoir du sommet des montagnes des îles Canaries; ces pièces de bois grossièrement travaillées, apportées par des vents d'Ouest; ces arbres d'espèces étrangères à l'Europe ou à l'Afrique, dont les troncs avaient été roulés par les vagues jusques à notre continent; ces cadavres parvenus sur nos côtes, et dont les traits ou les formes n'appartenaient à aucune race alors connue dans nos pays!.. tout cela était évidemment des fables; car, s'il y avait eu la moindre certitude, s'il avait existé le moindre prétexte à en retirer des inductions favorables, il est certain que le roi Jean, que Cazadilla, que la junte, que le conseil privé, que les marins de la caravelle expédiée du cap Vert en auraient eu connaissance, qu'ils n'auraient pas traité Colomb de visionnaire, et qu'ils n'auraient point déclaré que ses projets étaient extravagants.

 

Il est donc bien démontré que, dans le Portugal, pays où l'art de la navigation était le plus avancé, et qui était le mieux situé pour connaître l'exactitude de ces bruits ou de tous ceux qui pouvaient alors circuler sur l'existence de contrées transatlantiques, rien qui eût un caractère authentique n'y existait; que les théories de Colomb, touchant ces mêmes contrées, y furent unanimement qualifiées d'impraticables ou d'insensées, et qu'à lui seul revient l'honneur tout entier non-seulement d'avoir conçu de si vastes projets, mais encore de les avoir exécutés!

Il règne quelque obscurité sur la vie de Colomb pendant l'année 1485; nous allons en rapporter ce qui paraît le moins vague dans le récit des historiens qui ont traité ce sujet.

De Lisbonne il se rendit à Gênes où il renouvela ses propositions de découvertes dans l'Occident; la république, alors occupée de guerres ruineuses qui minaient sa prospérité, ne crut pas pouvoir accepter des offres qui auraient ajouté beaucoup d'éclat à sa puissance, et dont les conséquences avantageuses pour son opulence auraient pendant longtemps établi sa suprématie commerciale. Il s'adressa ensuite à Venise qui, se trouvant en ce moment dans une période critique pour ses affaires, refusa également ses propositions. L'Angleterre, à cette même époque, était gouvernée par Henri VII, dont Colomb avait entendu vanter la sagesse et la magnificence; il crut donc devoir engager son frère Barthélemy à s'embarquer pour cette île, afin de faire connaître ses plans à ce souverain, et de chercher à les lui faire approuver. Quant à lui, après avoir embrassé son vieux père qui vivait encore, et après avoir satisfait, autant qu'il était en lui, à sa piété filiale, par les mesures qu'il prit pour subvenir aux besoins de sa vieillesse, il partit pour l'Espagne avec l'espoir d'y recevoir un accueil plus favorable que celui que lui avaient fait jusqu'alors les gouvernements auxquels il s'était adressé.

À une demi-lieue de Palos, sur une éminence solitaire qui avoisine la mer, se trouvait, et se trouve même encore aujourd'hui, un ancien couvent de Franciscains, entouré d'un bois de pins, et qui est dédié à Sainte-Marie de la Rabida. À la porte de ce couvent, en l'année 1486, s'arrêta, un jour, un étranger qui venait de débarquer sur les côtes de l'Espagne, et qui, exténué de fatigue, conduisant par la main un jeune enfant également épuisé, frappa et demanda un peu d'eau et de pain pour ranimer les forces défaillantes de cet enfant qui était son fils. Cet étranger, qui devait, plus tard, doter la couronne d'Espagne de possessions innombrables, et qui, en ce moment, faisait un humble appel à la charité du frère gardien d'un simple couvent de ce royaume, c'était Christophe Colomb, qui se rendait à Huelva dans l'espoir d'y trouver son beau-frère Correo!

Le supérieur du couvent entrait en ce même moment: c'était un homme instruit, intelligent, qui, après avoir accompli les premiers devoirs de l'hospitalité, fut tellement frappé de l'air de noblesse et de dignité de son hôte, qu'il lia conversation avec lui et qu'il l'engagea à faire quelque séjour au couvent.

Ce supérieur, qui se nommait Jean Perez de Marchena, ne put, sans un sentiment de sympathie extrême, entendre le récit de la vie de l'étranger qui lui en confia toutes les particularités et se garda bien d'omettre les pensées de découvertes dont il était le plus préoccupé; mais, se méfiant de son propre jugement, le supérieur en référa à Garcia Fernandez, médecin de Palos, qui était un de ses amis. Fernandez fut séduit, comme l'avait été Jean Perez; il en conversa avec des marins, avec des pilotes de l'endroit qui parurent frappés de la grandeur de l'idée; mais ce qui acheva de déterminer la conviction du supérieur du couvent, fut l'approbation décidée qui fut donnée aux théories de Colomb par Martin Alonzo Pinzon, de Palos, l'un des plus habiles capitaines de la marine marchande espagnole, et chef d'une famille de marins aussi riche que distinguée. Pinzon fit même plus qu'approuver; car il offrit, spontanément, une forte somme pour contribuer à un armement, et sa personne pour accompagner Colomb afin de le seconder dans le voyage.

Jean Perez, qui avait été confesseur de la reine, donna alors un libre cours à ses bonnes intentions; il conseilla à Colomb de se rendre immédiatement à la cour; il lui remit une lettre pressante de recommandation pour Fernando de Talavera, prieur du couvent du Prado, confesseur actuel de la reine, homme ayant une grande influence politique et qu'il connaissait très-particulièrement; il lui promit aussi de garder au couvent son fils Diego, et de veiller paternellement en tout à sa personne ainsi qu'à son éducation. Pinzon offrit les moyens pécuniaires pour subvenir au voyage; enfin, au printemps de l'année 1486, Colomb, enthousiasmé, Colomb, le cœur ravi de ces encouragements et de ces secours inespérés, s'éloigna du couvent de la Rabida pour se rendre à la cour de Castille réunie en ce moment, à Cordoue où les souverains espagnols, Ferdinand et Isabelle, se trouvaient pour hâter la conquête de Grenade qui appartenait encore aux Maures.

La guerre opiniâtre que les Espagnols faisaient aux Maures et la situation politique du pays, se lient trop étroitement à l'exécution des projets de Christophe Colomb, pour que nous n'entrions pas, à cet égard, dans quelques détails qui expliquent les retards qu'il éprouva pour faire accueillir favorablement ces mêmes projets.

Ferdinand, roi d'Aragon, et Isabelle, reine de Castille, régnaient à cette époque en Espagne: ils avaient uni leurs destinées et leur politique par un mariage qui, en satisfaisant à leur bonheur personnel, leur permettait de combiner leurs efforts pour la gloire de l'Espagne et pour achever d'en expulser les Maures qui, depuis longtemps, y avaient établi leur domination. C'était, en ce moment, l'unique objet de leur ambition; et tous leurs vœux, toutes leurs ressources étaient concentrés et dirigés vers ce noble but.

Cependant, les deux royaumes d'Aragon et de Castille étaient, en particulier, dans une indépendance complète l'un vis-à-vis de l'autre. Grâce à l'accord aussi parfait que désintéressé de ces deux souverains en tout ce qui touchait aux intérêts de l'Espagne, jamais aucun empiétement ne se fit remarquer sur leurs droits respectifs: ainsi, dans chacun des deux royaumes, les impôts étaient levés selon les lois de chacun de ces pays; la justice était rendue au nom de chacun des souverains; mais, dans les actes généraux, leurs deux noms étaient joints pour la signature, leurs têtes figuraient ensemble sur la monnaie nationale, et le sceau royal portait déployées les armes confondues de la Castille et de l'Aragon.

On a dit, à l'étranger, que Ferdinand était fanatique, ambitieux, égoïste, perfide même; mais, en Espagne, il a toujours été cité comme possédant un esprit étendu, une intelligence pénétrante, un caractère égal, et comme un homme d'une politique consommée, doué d'un grand talent d'observation, et sans rival pour les travaux du cabinet.

Quant à Isabelle, les écrivains contemporains n'en ont jamais parlé qu'avec un enthousiasme extrême. Le temps a confirmé ce langage, et il a été ratifié par les écrivains de tous les autres pays. Lorsque Colomb arriva à Cordoue, il y avait dix-sept ans qu'Isabelle était mariée, et on la dépeint alors comme réunissant l'activité et la résolution d'un homme à la douceur féminine la plus accomplie, accompagnant son mari dans les camps, assistant à tous les conseils, animée par les idées les plus pures de la gloire, et adoucissant toujours, par les élans de son caractère généreux, les rigueurs parfois trop sévères de la politique calculatrice du roi. Dans la direction des affaires de son royaume, on nous la montre comme uniquement occupée à améliorer la législation, à guérir les plaies engendrées par de longues guerres intérieures, à encourager les arts, les sciences, la littérature, et ce fut par ses soins que l'université de Salamanque acquit l'illustration dont elle a joui pendant longtemps, parmi les nations. Enfin, sa prudence semblait, en tout, être inspirée par une sagesse infinie, elle veillait sans cesse aux intérêts de tous, et elle était la mère du peuple dans toute l'acception de ce mot.