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Vie de Christophe Colomb

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Quant à Guacanagari, il devint en exécration à ses compatriotes: quelque respectables que puissent être les sentiments d'amitié qui l'attachaient à Colomb, si toutefois, ce qu'il croyait être son intérêt personnel ne l'excitait pas, on ne saurait disconvenir que cette exécration était méritée. Pendant une absence du vice-roi, ses voisins le soumirent, lui-même, à un tribut qui lui était fort onéreux. Alors, ne pouvant supporter les murmures de ses sujets, les hostilités des autres caciques, les extorsions de ses ennemis, et la vue des malheurs auxquels il sentait bien qu'il avait contribué, il se retira dans les montagnes, s'y cacha avec obscurité et y mourut dans la misère. Sa vie est restée une énigme; son admiration pour Colomb l'avait fasciné; il ne paraît pourtant pas exempt de reproches dans le massacre de la garnison de La Navidad, et son malheur paraît avoir consisté à n'avoir jamais su prendre un parti bien net, et à n'avoir pas pu adopter une ligne de conduite franche et invariable.

Si nous tournons nos yeux vers l'Espagne, nous y verrons que ce que Colomb avait prévu s'était réalisé de tous points, et qu'on y avait prêté l'oreille aux odieuses calomnies des infâmes déserteurs Pedro Marguerite et du moine bénédictin Boyle, qui, s'ils avaient été traités comme ils le méritaient, auraient dû être arrêtés dès leur arrivée et passer en conseil de guerre. Ils taxèrent le vice-roi d'exagérations coupables dans les descriptions qu'il avait données des contrées qu'il avait découvertes, de tyrannie et d'oppressions à l'égard des colons; ils le représentèrent comme ayant contraint les Espagnols à un travail excessif malgré l'état de faiblesse et de maladie où ils se trouvaient, comme ayant infligé des peines sévères pour les moindres offenses, et comme ayant traité avec indignité les gentilshommes du rang le plus élevé; mais ils eurent grand soin de taire les causes pour lesquelles un travail inusité avait été exigé, la paresse et l'indiscipline ou la sensualité des colons, les cabales enfin et l'insolence, ou au moins les singulières prétentions de ces gentilshommes, qui pensaient que leur rang devait les faire exempter de toute participation aux charges et aux labeurs que la situation imposait. Ces calomnies des deux déserteurs étaient d'ailleurs appuyées par des fainéants revenus du Nouveau Monde avec le mécontentement de ne pas y avoir amassé, en ne prenant aucune peine, des monceaux d'or sur lesquels ils avaient eu la simplicité de compter, sans même, ainsi que nous l'avons déjà fait observer, avoir voulu être éclairés sur ce point. De proche en proche, ces singulières et puériles accusations parvinrent jusqu'aux grands personnages du royaume; elles altérèrent la popularité de Christophe Colomb, et même l'ancienne faveur dont il jouissait auprès de Leurs Majestés.

La première mesure qui annonça le déclin de cette faveur fut une proclamation par laquelle tout Espagnol fut autorisé à se rendre à Hispaniola, à commercer avec le Nouveau Monde, et à y faire, à son compte, des découvertes. Une partie des bénéfices devait en revenir à la couronne, et Colomb conservait, il est vrai, ses droits au huitième de ces mêmes bénéfices en sa qualité de grand-amiral; mais il fut très-mécontent de n'avoir pas été consulté, et il comprit facilement qu'une pareille faculté accordée à tout le monde, dans un moment où rien n'était encore assis ni établi dans ces pays, apporterait une grande perturbation dans le cours régulier des découvertes, par la licence et par les entreprises déprédatrices d'obscurs et d'avides aventuriers.

L'arrivée des bâtiments commandés par Antonio de Torres contre-balança un peu le mauvais effet qui venait d'être produit; mais on n'en pensa pas moins qu'il fallait envoyer un commissaire à Isabella, pour s'y enquérir de l'état des choses en général, et de la conduite de Colomb en particulier: ce fut un nommé Jean Aguado qui fut chargé de cette mission. Il avait déjà été dans la colonie et il en était revenu avec des lettres de recommandation du vice-roi, de sorte qu'on pensa que si l'on commettait un acte désagréable à Colomb par l'envoi d'un commissaire, le choix que l'on faisait d'une personne qui devait lui être dévouée, tempérerait l'âpreté de cet acte.

L'affaire des cinq cents Indiens prisonniers ramenés par Torres pour être vendus en Espagne comme esclaves, avait aussi causé quelque émotion: avec son grand sens, la reine Isabelle la soumit à une conférence de pieux théologiens qui débattirent longtemps la question, mais qui ne purent se mettre d'accord et ne formèrent aucune majorité tranchée. La clémente Isabelle, ne consultant alors que la magnanimité de son cœur vraiment religieux, ordonna que ces prisonniers fussent ramenés dans leur patrie, et qu'ils y fussent mis en liberté aussitôt que la tranquillité de la colonie le permettrait.

Le commissaire Aguado partit d'Espagne vers la fin du mois d'août 1495, avec quatre caravelles chargées de secours et d'approvisionnements: Don Diego revint aussi par la même occasion. Ce commissaire était un esprit faible à qui cette mission avait donné le vertige; il n'eut rien de plus pressé que d'oublier les obligations qu'il avait à Colomb, et d'excéder les limites de son mandat. Le vice-roi était en tournée quand ces caravelles arrivèrent; alors, sans aucun égard pour Barthélemy, frère du vice-roi et Adelantado ou lieutenant-gouverneur, il prit en mains le commandement suprême, il fit publier ses prétendus pouvoirs à son de trompe, il fit arrêter plusieurs officiers publics, exigea de quelques autres des comptes rigoureux, et invita tous les individus qui pouvaient avoir quelques plaintes à formuler contre Colomb à se présenter à lui pour les faire connaître; il poussa même l'audace jusqu'à insinuer que Colomb prolongeait son absence par crainte des recherches qu'il avait à faire sur sa conduite, et jusqu'à manifester l'intention de se mettre à la tête de quelques cavaliers pour aller à sa poursuite et pour l'arrêter. C'était en vérité d'une rare insolence de la part d'un simple commissaire qui ne venait, en quelque sorte, que pour dresser un procès-verbal de l'état des choses, et qui, au lieu d'y procéder avec justice, sens et ménagement, bouleversait tout, affichait des prétentions ridicules, et plongeait la colonie dans la plus horrible confusion.

Le vice-roi, informé de l'arrivée de cet étrange personnage et de ses inconcevables procédés, fit voir qu'il ne craignait ni recherches ni imputations quelconques, et il se hâta de retourner à Isabella. Il aborda cet Aguado avec un maintien grave et cérémonieux, prit connaissance de ses instructions; puis, voyant qu'il y avait beaucoup de vague, il lui dit que, dans la crainte de ne pas interpréter comme il convenait les ordres de Leurs Majestés pour lesquels son respect ne pouvait être égalé que par sa reconnaissance, il lui laissait, sous sa responsabilité, toute latitude d'en agir comme il l'entendait; qu'ensuite, lorsqu'il croirait avoir rempli sa mission et jugé convenable de retourner en Espagne, il s'y rendrait lui aussi pour se justifier d'accusations qui n'en étaient réellement pas, et pour expliquer les vraies causes du malaise de la colonie.

Lorsque l'ingrat et infatué Aguado eut achevé de remplir le pitoyable rôle qu'il s'était donné, de provocateur à la délation et à la calomnie, on songea au départ; mais pendant qu'on en faisait les préparatifs, il éclata sur l'île un de ces coups de vent dévastateurs que les Indiens appelaient uricans, nom que nous avons conservé en France sous celui d'ouragans. Trois des bâtiments qui étaient à l'ancre furent brisés et coulés avec leurs équipages; d'autres furent jetés les uns sur les autres et poussés à la côte où ils s'échouèrent comme des navires naufragés. Le bâtiment-amiral la Santa-Clara, celui auquel Colomb, par un souvenir de prédilection, avait donné le surnom de la Niña, fut le moins maltraité; mais il avait besoin de grandes réparations. On s'occupa donc de ces réparations; enfin le vice-roi eut l'idée de faire construire un nouveau navire avec les débris qu'il put sauver des autres.

On se livrait à ces travaux, lorsqu'on apprit la découverte de mines d'or très-riches dans l'intérieur de l'île. Un jeune Aragonais nommé Michel Diaz, au service de l'Adelantado, ayant blessé un de ses compatriotes dans une querelle, avait fui d'Isabella avec cinq ou six camarades. Après avoir longtemps erré dans l'île, ils arrivèrent à un village indien placé sur les bords de la rivière Ozema, là même où la ville de San-Domingo est en ce moment située; les habitants les y accueillirent avec bienveillance et ils y prirent leur résidence. Ce village était gouverné par une femme qui en était la cacique; elle conçut un vif attachement pour Diaz, et des relations intimes s'ensuivirent entre eux.

L'Aragonais paraissait aussi heureux que son amante, mais au bout de quelques mois, il devint inquiet, mélancolique, et il était préoccupé du désir de revoir Isabella et les compagnons qu'il y avait laissés; toutefois, craignant la sévérité de l'Adelantado, il ne savait comment accomplir son dessein. La cacique se rendit parfaitement compte des tristesses de Diaz, elle craignit d'en être prochainement abandonnée; et comme elle avait entendu parler de l'attrait que l'or avait pour les Européens, elle imagina de révéler à son hôte qu'il y en avait de grandes quantités dans le voisinage, afin qu'il le fît connaître aux colons d'Isabella et qu'ils se transportassent tous sur les bords de l'Ozéma, où elle donnait l'assurance qu'ils seraient parfaitement reçus.

Diaz fut ravi d'entendre ces propositions qu'il voulut se hâter d'aller transmettre à ses compatriotes, se flattant que, porteur d'aussi bonnes nouvelles, il obtiendrait son pardon de l'Adelantado. Son espoir ne fut pas déçu, le vice-roi, lui-même, lui en sut le meilleur gré, car il pensa aussitôt quel excellent argument ce serait à opposer aux insinuations fâcheuses que ses ennemis répandaient dans la métropole sur son compte.

 

L'Adelantado, dont l'activité était incomparable, partit immédiatement avec l'Aragonais et ses guides qui les conduisirent sur les bords d'une rivière appelée Hayna, où ils trouvèrent beaucoup plus d'or et en morceaux beaucoup plus gros que n'en fournissait la province de Cibao; ils aperçurent aussi plusieurs excavations qui leur firent conjecturer que ces terrains étaient exploités depuis de longues années. L'Adelantado ne perdit pas une minute pour aller rapporter ces détails ainsi que plusieurs magnifiques échantillons au vice-roi, qui en témoigna la plus vive satisfaction, et qui ordonna qu'une forteresse fût aussitôt élevée dans le voisinage des mines. Alors, il prit encore moins de souci qu'il ne l'avait fait jusque-là des forfanteries d'Aguado, et il pressa le départ.

Pour l'honneur de Diaz, et pour montrer que la jeune et belle cacique de ces contrées avait fait sur le cœur de son amant une impression aussi profonde que passionnée, nous constaterons qu'il la fit baptiser sous le même nom de Catalina que les Espagnols avaient donné à l'intrépide Caraïbe délivrée par Guacanagari; que l'Aragonais se maria légitimement avec elle; qu'il resta constamment fidèle à ses engagements, et que l'Haïtienne lui donna, par la suite, deux enfants qui furent élevés dans la religion catholique.

Le navire nouvellement construit était une caravelle nommée la Sainte-Croix; Aguado y prit passage, et le grand-amiral, après avoir laissé le commandement de la colonie à son frère l'Adelantado, s'embarqua sur la Niña. Ces bâtiments portaient deux cent vingt-cinq hommes, soit malades ou débauchés et fainéants dont on débarrassait l'île d'Haïti, et qui formaient le plus triste aperçu qu'on puisse imaginer de cette colonie où ils étaient allés comme à une terre de promission; il y avait aussi trente Indiens à bord, parmi lesquels se trouvaient Caonabo, le chef naguère si redouté, un de ses frères et un de ses neveux. Colomb leur avait promis à tous de les ramener libres dans leur pays, espérant qu'après avoir été présentés à ses souverains, et qu'étant touchés des bons traitements qui leur seraient faits, ils garderaient le souvenir de la puissance, de la grandeur de l'Espagne, renonceraient à toute hostilité, et deviendraient de très-utiles auxiliaires pour amener une prompte soumission de l'île et le goût du travail parmi les indigènes.

Le grand-amiral, dans sa navigation, au lieu d'aller au Nord du tropique, chercher des vents variables, suivit la même route que lors de son premier retour, c'est-à-dire qu'il lutta avec persévérance contre les vents alizés et contre les courants que la continuité de ces vents détermine. Nous avons expliqué, en parlant du voyage précédent, par quels motifs Christophe Colomb avait pu se décider à prendre cette direction; mais, quoique la Niña actuelle eût beaucoup souffert de l'ouragan, et que la Sainte-Croix n'eût pas pu être construite avec le même soin qu'on l'aurait fait en Europe, cependant ces bâtiments étaient beaucoup plus navigables que l'ancienne Niña qui n'était même pas pontée, de sorte qu'ils auraient fort bien pu soutenir, surtout dans la belle saison où l'on se trouvait, les mers de la zone tempérée, bien qu'elles soient plus rudes que celles de la zone torride. Nous ne nous expliquons donc pas cet itinéraire, à moins qu'il n'ait été adopté par la crainte d'être obligé de passer dans le voisinage des orageuses Açores, et de s'y retrouver assailli par quelqu'une de ces vigoureuses tempêtes comme l'ancienne Niña en avait vu deux fondre sur elle et qui lui firent courir des dangers auxquels il ne fallait pas exposer deux navires meilleurs, il est vrai, mais loin d'offrir toutes les garanties de solidité désirables.

Les contrariétés que le grand-amiral éprouva furent si nombreuses, qu'étant parti d'Hispaniola le 10 mars, il ne se trouvait, le 10 avril, que dans le voisinage des îles Caraïbes, et qu'il crut devoir relâcher à la Guadeloupe pour y renouveler son eau douce, son bois de chauffage, et prendre quelques provisions en vivres frais. Il n'y fut reçu qu'avec hostilité: hommes et femmes se présentèrent bravement pour s'opposer au débarquement, et montrèrent autant de courage que de force et d'agilité. La résistance fut opiniâtre, mais il fallut céder: une des guerrières se fit remarquer par son intrépidité; obligée pourtant de fuir, elle se serait échappée tant sa course était prompte, si elle n'avait été poursuivie par un matelot espagnol des îles Canaries renommé pour sa légèreté et qui la serra de très-près. Cependant elle tourna la tête, vit que ce matelot était assez en avant de sa troupe; alors elle fit volte-face, s'élança sur lui, le saisit à la gorge, et l'aurait étranglé dans la lutte qui s'engagea entre eux, sans l'arrivée d'autres matelots qui la firent prisonnière; plusieurs de ses compatriotes furent également faits prisonniers.

Avant de quitter la Guadeloupe, le grand-amiral, non-seulement rendit la liberté aux Indiens qu'il avait pris, mais encore il leur fit à tous des présents. Toutefois, la guerrière dont nous venons de parler ne voulut pas retourner à terre; elle demanda avec instance qu'on la laissât à bord pour adoucir, par sa présence, la captivité du cacique Caonabo qu'elle avait appris être aussi un Caraïbe, et dont elle avait entendu raconter les exploits et le malheur. Hélas! son dévouement ne put sauver Caonabo de la mort qui l'attendait prochainement, et qui eut lieu pendant le cours du trajet qui restait à faire pour retourner en Europe; ce n'en fut pas moins un acte très-honorable pour la jeune Guadeloupienne; et quoiqu'on puisse l'attribuer à une passion tendre qui prit naissance en son cœur à la vue de l'infortune du cacique, cependant ce n'était pas une âme vulgaire qui pouvait avoir conçu l'idée d'un si grand sacrifice.

Si Colomb avait compté, en prenant la route qu'il suivit, sur un voyage exempt de mauvais temps, ses prévisions furent parfaitement justifiées; mais il lui fallut une période assez longue pour l'exécuter, et des inconvénients d'une nature très-grave en furent la conséquence. Il avait appareillé de la Guadeloupe le 20 avril; le 20 mai, c'est-à-dire un mois plus tard, il n'était encore que peu avancé dans l'Est; il fallut alors songer à réduire les rations à six onces de biscuit et à une bouteille et demie d'eau par homme et par jour. Au commencement de juin, il y avait à bord une sorte de famine; cependant on s'était rapproché un peu plus, proportionnellement, qu'auparavant; mais les esprits étaient exaspérés, et comme on ne voyait pas de terme à cette traversée, et que la disette pervertissait tous les sentiments d humanité, on en vint, au bout de quelques jours, à proposer de tuer quelques prisonniers indiens pour les manger, ou tout au moins de les jeter à la mer afin de diminuer, par là, les consommations. Il fallut toute l'autorité de Colomb, toute son énergie, tout l'ascendant qu'il avait sur les hommes de l'équipage, pour les forcer à se désister de ces projets homicides; afin, d'ailleurs, de les ramener à leur devoir par un argument qu'il crut être d'un très-grand poids, il les assura qu'il comptait, très-prochainement, avoir connaissance du cap Saint-Vincent.

Cette promesse fut considérée à bord comme n'ayant d'autre but que de calmer les mécontentements; mais bientôt, à la joie universelle, la prédiction s'accomplit; on vit effectivement le cap Saint-Vincent et, dans la soirée de ce même jour, 11 juin 1496, la Niña et la Sainte-Croix jetèrent l'ancre dans la rade de Cadix, après un voyage long, à la vérité, mais qui, en résumé, n'avait pas excédé cinquante-deux jours depuis le départ de la Guadeloupe.

La ville de Cadix montra le plus grand empressement à voir ces arrivants du Nouveau Monde; mais, cette fois, la vue fut peu réjouie à l'aspect de tant de malheureux, partis malades, pour la plupart, d'Isabella, et exténués par les privations de leur traversée; eux qui, avant de quitter l'Espagne, ne croyaient, dans les illusions qu'ils se faisaient, y revenir que le cœur satisfait, l'esprit joyeux, et surtout les mains remplies d'or!

Christophe Colomb même, qu'on n'avait vu qu'avec un maintien noble et digne, s'imagina, sans qu'on ait jamais pu en savoir la vraie cause qu'on a supposée être un vœu religieux qu'il accomplissait, s'imagina, disons-nous, de débarquer, lui vice-roi et grand-amiral, vêtu d'une robe de moine franciscain, serrée à la taille par une corde, et ayant laissé pousser toute sa barbe comme les ecclésiastiques de cet ordre. C'est ainsi qu'il fit sa route de Cadix à Burgos où était alors la cour; cependant, pour parler aux yeux d'une autre manière, il fit une grande exhibition de couronnes, de colliers, de bracelets et autres bijoux en or, dont il para les Indiens qu'il avait emmenés d'Hispaniola, et par qui il se faisait accompagner. Un frère de Caonabo, qui était l'un des caciques de l'île, portait sur sa personne un collier et une chaîne en or massif, du poids de six cents castillanos qui sont représentés par environ dix-sept mille francs de notre monnaie.

En pensant aux intrigues et aux calomnies de Marguerite et de Boyle, en se rappelant les inqualifiables procédés d'Aguado, Colomb s'attendait à être accueilli froidement par Ferdinand et par Isabelle; mais il n'en fut pas ainsi: les souverains espagnols, en le revoyant, revinrent des préventions qu'on avait cherché à leur inspirer, et ils le reçurent avec la faveur la plus marquée; ils eurent trop de pénétration pour ne pas apprécier les difficultés extraordinaires de sa situation; ils connaissaient trop son mérite pour ne pas lui rendre justice, ils ne firent même aucune allusion soit aux calomnies, soit aux procédés que nous venons de mentionner.

Encouragé par ces nouvelles marques de bonté, Colomb entretint longtemps Leurs Majestés des difficultés ainsi que des espérances de la colonisation de pays aussi riches et aussi fertiles: il développa les plans qu'il avait conçus; il parla des découvertes infinies qui restaient à faire dans cette partie du globe; il revint sur la probabilité d'atteindre ainsi les rivages de l'Inde, et il fit la demande de huit bâtiments dont deux porteraient des approvisionnements à Hispaniola, et dont les six autres seraient placés sous son commandement pour de nouvelles découvertes.

Les souverains, charmés de tant de belles perspectives, promirent d'accorder des bâtiments, et ils étaient sincères dans leurs promesses, mais l'époque n'en fut pas précisée; dans les circonstances politiques où l'on se trouvait, elle ne pouvait même pas l'être, de sorte qu'il y eut un retard considérable causé par l'état des finances de l'Espagne.

À cette époque, en effet, Ferdinand consacrait toutes ses ressources à des entreprises guerrières; il se tenait artificieusement dans un état de contestation et de politique tortueuse avec la France; en tendant obstinément à se saisir du sceptre de Naples, il posait les fondements d'une connexion imposante par le mariage de ses enfants, d'où résulta l'alliance de famille qui, par la suite, plaça et consolida un des plus immenses empires qui aient jamais existé, entre les mains de son petit-fils et successeur, le célèbre Charles-Quint. Hélas! que sont les projets des hommes, et qu'est devenue cette puissance colossale?

Ce ne fut qu'au printemps de 1497, que la reine Isabelle put revenir avec sa sympathie naturelle, à s'occuper des affaires du Nouveau Monde, et elle le fit avec un zèle qui montrait une volonté bien arrêtée de les placer sur une base durable. Elle s'apercevait parfaitement que le roi n'était plus préoccupé que de ses projets ambitieux dans le midi de l'Europe; elle ne pouvait pas ignorer que le jaloux et haineux Fonseca, chargé de diriger les opérations d'outre-mer, ne négligeait aucune occasion d'attaquer la réputation, les actes de l'illustre navigateur; et elle commença par faire définir clairement et d'une manière stable, quels seraient ses pouvoirs, et comment il serait récompensé des services éminents qu'il avait rendus; car il n'était pas de chicane, de ruse, d'odieuse machination que Fonseca ne mît en usage pour que Colomb fût dépossédé et de ces pouvoirs et de ces récompenses.

Il est aisé de se rendre compte comment les dépenses des expéditions entreprises jusque-là, avaient considérablement excédé la valeur des retours; aussi, conformément aux conventions conclues entre la couronne et Colomb, Fonseca maintenait rigoureusement que l'éminent marin était le débiteur du trésor public pour des sommes qu'il n'était pas difficile à un administrateur de grossir démesurément. La généreuse Isabelle commença par couper court à cette absurde prétention, en se déclarant financièrement satisfaite, et en ordonnant que ce sujet fût à jamais écarté. Elle prescrivit en outre que, pendant les trois années subséquentes, le dixième de tous les profits nets fût alloué à Colomb.

 

La question de la permission accordée à tous les Espagnols de naviguer librement dans les ports des colonies naissantes, et de pouvoir se livrer à des voyages de découvertes sans aucun contrôle, avait, comme nous l'avons fait connaître, vivement affligé Colomb par la crainte du tort que causeraient à ces pays ou à ces établissements à peine formés, des aventuriers, qui n'étant retenus par aucun frein, y commettraient toutes sortes d'excès. Cette question fut mise sur le tapis: Fonseca apporta dans la discussion, l'opposition qui lui était habituelle quand il s'agissait de Colomb; mais l'acte fut révoqué en tout ce qui pouvait être préjudiciable à ses intérêts. C'était un moyen adroit d'annuler ce même acte sans paraître se contredire, et sans détruire trop ouvertement une mesure qui avait le privilége d'être revêtue des signatures royales.

La reine permit ensuite à Christophe Colomb d'établir ou de former un majorat dans sa famille, réversible, dans sa descendance, de mâle en mâle, et par rang de primogéniture, mais sous la condition expresse que les titres de vice-roi et de grand-amiral qui lui avaient été conférés s'éteindraient avec lui, et que les possesseurs du majorat n'en prendraient aucun autre que simplement celui d'Amiral. Christophe Colomb, le cœur rempli de reconnaissance pour l'appui que la reine Isabelle lui avait donné avec tant de bienveillance sur les points précédents, n'insista nullement sur celui-ci, et il accepta cette condition.

Une affaire très-délicate restait à traiter: c'était celle du titre d'Adelantado ou de lieutenant-gouverneur, dont le vice-roi avait investi son frère Barthélemy contre qui Fonseca était parvenu à vivement indisposer le roi Ferdinand, en lui représentant que toute autorité émanait de sa personne, et qu'il n'appartenait qu'au souverain seul de donner, à qui que ce fût, le droit de commander les sujets de la couronne.

Certainement, et en droit absolu, ce raisonnement est incontestable; mais lorsqu'à une distance extrême de la métropole, un vice-roi malade et presque sur le bord de la tombe, se trouve revenu dans une colonie où il n'y avait plus que désordre et confusion, il y a bien nécessité à ce qu'il attribue, à la personne qui lui inspire le plus de confiance, un rang et un pouvoir qui mettent cette personne à même de se faire obéir. Il avait, ensuite, fallu marcher contre l'ennemi que les mémoires du temps affirment avoir formé une armée de cent mille combattants réunis dans la Vega Real. Nous admettrons qu'il n'y avait que moitié de ce nombre; mais n'était-ce donc rien que ces cinquante mille hommes armés de massues, d'arcs et de flèches, et animés par les excitations de leurs caciques? Une telle multitude aurait pu effrayer, par sa masse seule, un corps de troupes beaucoup plus considérable que celui du vice-roi qui s'élevait à peine à deux cent vingt hommes; et, sans aucun doute, si Colomb avait montré la moindre indécision, c'en était fait de lui, de ses soldats, et tous auraient subi le sort de leurs compatriotes égorgés à La Navidad. Mais il jugea parfaitement la situation: il eut foi dans son habileté, dans l'intrépidité de celui qu'il avait nommé Adelantado, dans le courage indomptable du vaillant Ojeda; et, à eux trois, ils eurent indubitablement la plus belle part au gain de la grande bataille de la Vega Real, laquelle eut le résultat immédiat de livrer toute l'île si étendue d'Hispaniola à la domination de l'Espagne.

Colomb fit valoir ces arguments avec son éloquence naturelle, et il obtint que le titre d'Adelantado serait conservé à Barthélemy qui fut anobli d'ailleurs comme ses deux autres frères, et qui acquit ainsi le droit d'être appelé Don Barthélemy, comme ceux-ci étaient devenus Don Cristoval et Don Diego.

Après que la reine Isabelle eut donné à Colomb ces sujets de satisfaction, en faisant régler ces différends, elle s'occupa des intérêts matériels de la colonie. Le personnel en hommes et en femmes qui dut être envoyé à Hispaniola, fut fixé; des règlements furent établis pour la solde, ainsi que pour les secours ou les vivres qui leur seraient alloués; on fît la répartition des terres qui devaient être ouvertes à la culture; l'intelligente Isabella insista personnellement sur le système de bienveillance qu'il convenait d'adopter envers les naturels, et sur la nature ou l'étendue des tributs qu'il convenait de faire peser sur eux; enfin, cette souveraine si éclairée et dont la bonté du cœur était inépuisable, recommanda expressément que, dans l'exercice du gouvernement de la colonie, les mesures de rigueur ne fussent employées que dans les cas d'absolue nécessité, et que l'on cherchât toujours à éclairer l'esprit des insulaires par les principes de la religion, tout en les attirant par l'indulgence et la douceur.

Colomb ne fut étranger, par les opinions qu'il émit, à aucun de ces actes; ce sera un honneur qui rejaillira éternellement sur Isabelle et sur lui, que d'avoir tracé une ligne de conduite qui, si elle avait été fidèlement et constamment suivie, aurait épargné aux Européens bien des souillures, et à ces beaux pays de longues scènes de désolation dont ils se ressentent encore, et dont peut-être ils se ressentiront toujours.

Toutefois, ces scènes de désolation auraient été fort affaiblies, au moins pour l'époque dont nous parlons, si les intentions de la reine avaient pu être remplies dans toutes leurs parties. Il en fut une, entre autres, à l'exécution de laquelle des obstacles matériels s'opposèrent si complètement qu'il fut impossible de la réaliser: nous voulons parler de l'envoi des colons en ces pays. Il ne s'en présenta, en effet, aucun: le découragement avait remplacé le charme qui avait saisi les Espagnols lors du voyage précédent de Christophe Colomb; et, au lieu de milliers de personnes, même des rangs les plus élevés, qui alors se pressaient sur ses pas et briguaient l'honneur de l'accompagner, il ne s'en trouva plus une seule qui désirât s'expatrier, et qui voulût échanger l'existence la plus médiocre en Espagne, contre l'espoir, qu'on voyait si incertain, de revenir bientôt avec des richesses sur lesquelles on avait appris qu'il fallait peu compter pour le moment présent.

Pour obvier à cet inconvénient, on eut la funeste idée de transporter dans la colonie, pour un temps déterminé, des condamnés à l'exil ou aux galères, excepté pourtant ceux qui avaient commis des crimes atroces. Ce fut une source de malheurs; l'on doit être encore plus surpris, quand on pense qu'après le triste résultat qu'eut alors cette mesure, d'autres nations aient cru, depuis, devoir l'adopter.

Toutes ces causes, tous ces retards ne permirent d'envoyer à Hispaniola les deux bâtiments demandés pour cette île, qu'au commencement de 1498, époque où enfin ils partirent sous le commandement de Pedro-Fernandez Coronal. Quant aux six autres bâtiments destinés pour la nouvelle expédition de Colomb, Fonseca qui, tout en étant devenu évêque de Badajoz, avait conservé la direction des affaires d'outre-mer, en entrava l'armement par mille délais. Les officiers de cette flottille étaient les créatures de l'évêque; et tous, pour se rendre agréables à Fonseca, se faisaient remarquer par un mauvais vouloir, par une attitude dénigrante qui paralysaient tout.