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Micah Clarke – Tome I. Les recrues de Monmouth

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– Comment en êtes-vous venu à faire leur connaissance? demandai-je.

– J'ai dormi quelques heures à peine, mais j'ai appris dans les camps à me contenter d'un court sommeil. Vous voyant profondément endormi, et entendant là-bas le bruit du cornet à dés, je suis descendu tout doucement, et j'ai trouvé le moyen de prendre part à leur jeu, ce qui m'a enrichi de trente guinées et aurait pu m'enrichir encore davantage, si ce jeune imbécile n'avait pas sauté sur moi, ou si la conversation n'avait pas dévié ensuite du côté de sujets indécents, comme les lois de la chimie et le reste.

«Je vous le demande quel rapport y a-t-il entre la cavalerie bleue de la garde et les lois de la chimie!

«Wessemburg, des Pandours, admettait le franc-parler à sa propre table du mess. Il en tolérait peut-être même plus qu'il ne convient à un chef qui se respecte.

«Mais si ses officiers s'étaient risqués sur des sujets pareils, il eût tôt fait de les traduire en conseil de guerre, ou tout au moins de les casser de leur grade.

Sans m'arrêter à discuter les appréciations de Maître Saxon, non plus que celles de Wessenburg, des Pandours, je proposai de commander le souper, et de passer une heure ou deux du grand jour à faire un tour dans la ville.

La chose la plus intéressante à voir était évidemment la majestueuse cathédrale, construite sur des proportions si justes qu'à moins d'y entrer et d'en parcourir les sombres ailes dans toute leur longueur, il était impossible d'en comprendre les vastes dimensions.

Il y avait tant de grandeur dans ces larges arcades, dans ces longues bandes de lumière colorée qui passaient par les vitraux et qui jetaient des ombres étranges parmi les colonnes, que mon compagnon, pourtant difficile à émouvoir, restait silencieux, subjugué.

C'était une grande prière en pierre.

En retournant à l'hôtellerie, nous passâmes devant la prison de la ville.

La façade en était formée par une grille, et trois gros mâtins aux museaux noirs s'y promenaient les yeux féroces, injectés de sang, et leurs langues rouges pendant hors de la bouche.

Quelqu'un qui se trouvait là nous apprit qu'ils étaient employés à la chasse des coupables dans la Plaine de Salisbury, qui était devenue un refuge de coquins et de voleurs, jusqu'au jour où l'on avait recouru à ce moyen pour les atteindre jusque dans leurs cachettes.

Il était presque nuit lorsque nous revînmes à l'hôtellerie, et tout à fait nuit quand nous eûmes soupé, payé notre dépense, et que nous nous remîmes en route.

Avant de partir, je me rappelai le papier que ma mère m'avait glissé dans la main au moment de la séparation.

Je le tirai de ma sacoche et je le lus à la lueur de la mèche de jonc.

On y voyait encore les taches laissées par les larmes qu'y avait laissé tomber la bonne créature.

Il était ainsi conçu:

«Instructions données par Mistress Marie Clarke à son fils Micah, le douzième de Juin, l'an du Seigneur mil huit cent quatre-vingt-cinq.

«À l'occasion de ce qu'il partit, comme David le fit jadis, pour livrer bataille au Goliath du Papisme, qui avait couvert de son ombre et mis en mauvaise renommée ce sincère et respectable attachement au rituel qui devrait exister dans la véritable Église d'Angleterre, telle qu'elle est constituée par la loi.

«Qu'il se conforme aux avis ci-dessous, savoir:

«1 °Changez de caleçons quand l'occasion le rendra nécessaire; vous en avez deux paires dans la sacoche de votre selle, et vous pourrez en acheter d'autres, vu que les lainages sont de bonne qualité dans l'Ouest.

«2° Une patte de lièvre pendue au cou préserve de la colique.

«3° Dites l'oraison dominicale le soir et le matin. Lisez aussi les Écritures, et spécialement Job, les Psaumes et l'Évangile selon Saint-Mathieu.

«4° L'élixir de Daffy possède des vertus extraordinaires pour purifier le sang, et chasser au dehors tous les flegmes, humeurs, vapeurs ou flux. La dose est de cinq gouttes. Il s'en trouve un petit flacon dans le canon de votre pistolet de gauche, avec de l'étoffe autour pour qu'il ne soit pas endommagé.

«5° Dix pièces d'or sont cousues dans le bord de votre doublet de dessous. N'y touchez que comme à une dernière ressource.

«6° Battez-vous vaillamment pour le Seigneur! Et cependant, Micah, je vous prie de ne pas vous exposer trop dans le combat, et de laisser les autres faire leur part de besogne. Ne vous lancez pas en pleine mêlée, et toutefois n'abandonnez point l'étendard protestant.

«Ô Micah! mon brave fils, revenez sain et sauf auprès de votre mère, ou bien je mourrai certainement de chagrin.

«Et la soussignée ne cessera de prier».

La soudaine effusion de tendresse qui débordait dans les dernières lignes fit monter des larmes à mes yeux; et cependant je ne pouvais m'empêcher de sourire en lisant l'ensemble de cette composition.

Ma mère avait eu bien peu de temps pour cultiver les grâces du style.

Elle avait certainement eu l'idée de rendre ses instructions plus impératives en les exprimant sous une forme qui avait quelque chose de légal.

Mais je n'eus guère le loisir d'y réfléchir, car j'avais à peine terminé la lecture, que j'entendis la voix de Decimus Saxon.

Le bruit sonore des fers des chevaux sur les galets, dont la cour était pavée, m'apprit que tout était prêt pour notre départ.

X-Notre périlleuse aventure dans la Plaine

Nous nous étions à peine éloignés d'un demi-mille de la ville quand le roulement des timbales, et la fanfare des trompettes, dont les sons musicaux se faisaient entendre de plus en plus clairement à travers l'obscurité, annoncèrent l'arrivée du régiment de cavalerie attendu par nos amis de l'hôtellerie.

– Nous avons très bien fait de les planter là, dit Saxon, car ce jeune étourneau aurait pu éventer le gibier et nous jouer quelque mauvais tour. Est-ce que par hasard, vous auriez vu mon mouchoir de soie?

– Non, répondis-je.

– Non? Alors il a dû tomber de ma boutonnière pendant la querelle. J'aurai de la peine à m'en passer, car je ne me charge guère de bagages en route… Huit cents hommes d'abord, a dit le major, et bientôt après, trois mille. S'il m'arrive de rencontrer ce même Oglethorpe, ou Ogilvy, quand la petite affaire sera finie, je lui donnerai une leçon pour lui apprendre à s'occuper moins de chimie et un peu plus de la nécessité de se conformer aux règles de la prudence militaire… C'est bien d'être toujours poli avec les inconnus et de donner des renseignements, pourvu que ces renseignements soient faux.

– Comme le sont peut-être les siens, suggérai-je.

– Oh! non, ils sont sortis de sa bouche avec trop de volubilité… Tout doux! Chloé, tout doux. Elle est bourrée d'avoine et ne demande qu'à prendre le galop, mais il fait diablement noir. C'est à peine si nous voyons notre chemin.

Nous avions suivi au trot la grande route indiquée par une vague blancheur dans les ténèbres, pendant que le feuillage épais des arbres s'agitait des deux côtés, à peine entrevu sur le fond noir des nuages.

Nous arrivions alors au bord oriental de la grande plaine qui s'étend à quarante milles dans un sens et à vingt milles dans l'autre, sur une grande partie du comté de Wilts, et plus loin que la limite du comté de Somerset.

La grande route de l'Ouest longe ce désert, mais nous avions décidé de suivre un chemin moins battu qui nous conduirait à notre but, mais d'une façon plus ennuyeuse.

Son peu d'importance, ainsi que nous l'espérions, ferait oublier à la cavalerie royale de le surveiller.

Nous étions parvenu à l'endroit où ce chemin de traverse se détache de la route principale, quand nous entendîmes derrière nous le bruit des pas d'un cheval.

– En voici un qui ne craint pas de galoper, remarquai-je.

– Faisons halte ici dans l'ombre! cria Saxon.

Puis d'une voix basse et rapide.

– Assurez-vous que votre épée joue bien dans le fourreau. Il faut qu'il ait un ordre à transmettre pour aller de ce train en pleine nuit.

À force de sonder du regard l'obscurité de la route, nous finîmes par entrevoir une tache indécise qui bientôt prit la forme d'un homme à cheval.

Le cavalier était presque sur la même ligne que nous, avant qu'il se fût aperçu de notre présence.

Alors il poussa son cheval d'un geste singulier et maladroit et fit demi tour de notre côté.

– Micah Clarke est-il ici? dit-il d'une voix dont le timbre m'était étrangement familier.

– Je suis Micah Clarke, dis-je.

– Et moi, je suis Ruben Lockarby, s'écria celui qui nous poursuivait, en prenant une intonation héroï-comique. Ah! Micah, je vous embrasserais, si je n'étais pas sûr qu'en essayant de le faire je tomberai de cheval, et peut-être en vous entraînant avec moi. Cette brusque évolution a failli me jeter sur la grande route. Je n'ai fait que glisser et me cramponner tout le temps depuis que j'ai dit adieu à Havant. Sûrement jamais n'a été monté un cheval qui s'entende si bien à glisser sous vous.

– Grands Dieux! Ruben! m'écriai-je tout abasourdi, pourquoi tout ce trajet depuis la maison?

– C'est la même cause qui vous a fait partir, vous et Don Decimo Saxon, ci-devant du Solent, que je crois entrevoir dans l'ombre derrière vous. Comment cela va-t-il, illustre personnage?

– C'est donc vous, jeune coq des bois? grogna Saxon d'une voix qui n'exprimait pas un excès de joie.

– Ni plus, ni moins, dit Ruben. Et maintenant, mes gais cavaliers, faites faire demi-tour à vos chevaux, et au trot, en route. Il n'y a pas un moment à perdre. Il faut que nous soyons tous à Taunton demain.

– Mais, dis-je, mon cher Ruben, il n'est pas possible que vous veniez avec nous pour rejoindre Monmouth. Que dirait votre père? Il ne s'agit pas d'une promenade de vacances, mais d'une expédition qui peut finir d'une façon triste et cruelle. Mettons les choses au mieux. La victoire ne sera obtenue qu'au prix de beaucoup de sang et de dangers. Si cela tourne mal, il peut arriver que nous ayons à monter sur l'échafaud.

 

– En avant, les amis, en avant! s'écria-t-il, en donnant de l'éperon à son cheval, tout est arrangé, réglé. Je viens exprès offrir mon auguste personne, en même temps qu'une épée que j'ai empruntée, et un cheval que j'ai dérobé, à Son Altesse très Protestante, James, duc de Monmouth.

– Mais comment cela se fait-il? demandai-je, pendant que nous chevauchions côte à côte. Cela me réchauffe jusqu'au fond du cœur de vous voir, mais vous ne vous êtes jamais occupé de religion ni de politique; d'où vient donc cette soudaine résolution?

– Eh bien, à dire la vérité, répondit-il, je ne suis homme ni du Roi ni du duc, et je ne donnerais pas un bouton pour voir l'un ou l'autre sur le trône. Je ne suppose pas que l'un contribue plus que l'autre à augmenter la clientèle de la Gerbe de blé, ou qu'il ait besoin des conseils de Ruben Lockarby. Je suis l'homme de Micah Clarke, de la pointe des cheveux à la plante des pieds, et s'il part à cheval pour la guerre, que la peste m'emporte, si je ne suis pas à ses côtés.

Et en parlant, il leva la main d'un geste enthousiaste.

Cela lui fit perdre l'équilibre, et il tomba dans un épais fourré de broussailles sur le bord de la route, d'où ses jambes émergèrent, s'agitant désespérément dans les ténèbres.

– C'est la dixième fois, dit-il en se dégageant et grimpant de nouveau sur sa selle. Mon père me disait: «prends l'habitude de ne pas rester collé à ton cheval. Il faut se hausser et se laisser tomber doucement.» Cela ne fait rien, on se laisse tomber plus souvent qu'on ne se hausse. Et la chute n'est pas douce.

– Pardieu, c'est vrai, s'écria Saxon, au nom de tous les saints du calendrier, comment espérez-vous de vous tenir en selle, en face de l'ennemi, si vous n'y arrivez pas sur une route tranquille?

– Tout ce que je peux faire, c'est d'essayer, illustre personnage, dit Ruben en réparant le désordre de ses vêtements. Peut-être que la vue soudaine et inattendue de mes mouvements déconcertera ledit ennemi.

– Bon, bon, il y a peut-être plus de vérité que vous n'en soupçonnez dans ce que vous dites, fit Saxon en chevauchant du côté où Lockarby tenait la bride, de façon qu'il n'y eut guère de place entre nous pour une nouvelle chute.

– J'aimerais mieux avoir à combattre contre un homme comme ce jeune fou de l'hôtellerie, que contre Micah que voici, ou contre vous, qui ne savez rien.

«On peut prévoir ce que le premier va faire, mais l'autre inventera un système qui lui servira pour la circonstance.

«Muller, le capitaine en premier, passait pour le plus fin joueur au fleuret qu'il y eût dans l'armée impériale, et il était capable, pour un peu de faire sauter n'importe quel bouton du gilet de son adversaire sans toucher l'étoffe.

«Et cependant il périt dans un duel avec le porte-drapeau Zollner, qui était cornette dans notre corps de Pandours, et qui se connaissait en escrime autant que vous en équitation.

«Car, sachez le bien, la rapière est faite pour les coups de pointe et non pour les coups de taille, en sorte que celui qui la manie ne se tient jamais en garde contre un coup de côté.

«Mais Zollner, qui avait les bras longs, frappa son adversaire au travers de la figure comme il l'aurait fait avec une canne, et alors avant que l'autre eût le temps de revenir de son étonnement, il l'embrocha.

«Évidemment, si c'était à recommencer, le capitaine en premier se serait arrangé pour donner le premier un coup de pointe, mais la chose était faite; aucune explication, aucune excuse ne pouvait rien changer à ce fait que mon homme était mort.

– Si le défaut de savoir rend dangereux un homme d'épée, dans ce cas, dit Ruben, je suis bien plus redoutable que le gentleman au nom barbare dont vous venez de parler.

«Pour revenir à mon histoire, que j'ai interrompue pour descendre de cheval, j'appris dès la première heure du matin que vous étiez parti, et Zacharie Palmer put me dire dans quel but.

«Ma résolution fut aussitôt prise. J'irais moi aussi faire mon tour du monde.

«Dans cette intention, j'empruntai une épée à Salomon Sprent, et comme mon père était allé à Gosport, je m'emparai du meilleur cheval qu'il eût dans son écurie, car je respecte trop le vieux pour admettre qu'un homme de sa chair et de son sang parte pour la guerre en piteux équipage.

«J'ai chevauché tout le jour, depuis la première heure du matin, j'ai été arrêté deux fois comme suspect de mauvaises intentions, mais j'ai eu la chance de m'en tirer deux fois. Je savais que je vous suivais de près, car j'ai vu qu'on vous cherchait à Salisbury.

Decimus Saxon siffla.

– On nous cherche?

– Oui, il paraît qu'on se figure là-bas que vous n'étiez pas ce que vous prétendiez être. En sorte que quand je suis passé, l'hôtellerie était cernée, mais personne ne savait quelle route vous aviez prise.

– Ne l'avais-je pas dit? s'écria Saxon. Cette petite vipère a remué tout le régiment contre nous. Il faut aller d'un bon train, car on peut envoyer un détachement sur nos traces.

– Nous voici maintenant hors de la grande route, remarquai-je, et lors même qu'on nous poursuivrait, il est peu probable qu'on prenne ce chemin de traverse.

– Néanmoins il serait sage de leur montrer une bonne paire de talons, dit saxon, lançant sa jument au galop.

Lockarby et moi, nous suivîmes son exemple, et nous allâmes à fond de train par ce sentier à travers la lande.

Nous traversâmes des bosquets épais de pins, où le chat sauvage hurlait, où la chouette huait, puis de larges étendues de fougères, de marécages, où le silence n'était interrompu que par le cri sourd du butor, ou par le bruit d'ailes du canard sauvage bien au-dessus de nos têtes.

Dans certains endroits, la route était entièrement envahie par les ronces et coupée d'ornières si profondes, avec des trous si nombreux, aux bords si abrupts, si dangereux, que nos chevaux tombèrent à genoux plus d'une fois.

Ailleurs, le pont de bois que franchissait un ruisseau était rompu. On n'avait rien fait pour le réparer.

Nous fûmes donc forcés de faire entrer nos chevaux dans l'eau, jusqu'aux sangles pour passer le torrent.

D'abord, quelques lumières éparses nous avaient indiqué le voisinage d'habitations humaines, mais elles se firent plus rares à mesure que nous avancions, et quand la dernière eut disparu, nous étions dans une lande désolée qui s'étendait de toutes parts, vaste solitude que limitait l'horizon noir.

La lune s'était montrée à travers les nuages. À ce moment, elle brillait sous une buée légère, parmi des bandes de brouillards.

Elle jetait une vague lueur sur ce paysage farouche, ce qui nous permettait de suivre le sentier, qui n'était indiqué par aucune barrière et se distinguait à grand-peine de la plaine environnante.

Nous avions ralenti notre allure, en nous disant que nous n'avions plus aucune poursuite à craindre, et Ruben nous divertissait en nous racontant l'agitation qu'avait produite à Havant notre disparition, quand il nous arriva à travers le silence de la nuit un bruit scandé, rat-tat-tat, mais étouffé.

Au même instant, Saxon sauta à bas de son cheval et se mit aux écoutes, attentif, la tête penchée de côté.

– Botte et selle! s'écria-t-il en remontant d'un bond à cheval. Ils sont après nous, aussi certainement que le destin. D'après le bruit, il y a une douzaine de soldats. Il faut nous en débarrasser, ou sinon, bonjour à Monmouth.

– Laissons leur la bride sur le cou, répondis-je.

Nous donnâmes de l'éperon à nos coursiers, et avançâmes avec un bruit de tonnerre à travers l'obscurité.

Covenant et Chloé étaient aussi frais qu'on pouvait le souhaiter, et ils ne tardèrent pas à prendre un galop bondissant, allongé.

Mais le cheval de mon ami avait voyagé toute la journée. Son souffle pénible, laborieux indiquait qu'il ne pourrait tenir bien longtemps encore.

À travers le bruit sonore des fers de nos chevaux, je distinguais de temps à autre l'inquiétant murmure qui venait de derrière nous.

– Cela ne va pas, Ruben, dis-je d'un ton anxieux, au moment où sa bête épuisée butait, et où son cavalier fut bien près de faire le saut par-dessus la tête.

– Le vieux cheval est presque fourbu, répondit-il piteusement. Nous voilà hors de la grande route maintenant, et ce terrain inégal le fatigue trop.

– Oui, nous sommes au dehors de la piste, s'écria Saxon, par-dessus son épaule, car il nous précédait de quelques pas. Souvenez-vous que les habits bleus ont été en marche tout le jour, et que leurs chevaux sont peut-être fourbus aussi. Comment par le ciel, ont-ils pu découvrir la route que nous avons prise?

Et comme pour répondre à son interrogation, il s'éleva derrière nous dans la nuit un son isolé, clair, vibrant comme un son de cloche, dont le volume s'accrut, s'enfla, si bien que sa mélodie semblait remplir tout l'espace.

– Un mâtin, s'écria Saxon.

Un autre son plus aigu, plus perçant, finissant par un hurlement sur lequel il était impossible de se méprendre, succéda au premier.

«Et un autre! dit-il. Ils ont lâché leurs animaux, ceux que nous avons vus près de la cathédrale. Pardieu, quand nous les regardions à travers les barreaux, il y a quelques heures à peine, nous ne nous doutions guère que nous les aurions si tôt sur nos traces. Genoux fermes, et tenez-vous bien en selle, car une glissade serait la dernière.

– Sainte Vierge! s'écria Ruben, je me suis couvert d'acier pour mourir dans la bataille; mais devenir de la viande à chiens! Voilà qui n'est pas dans le contrat!

– Ils les tiennent en laisse, dit Saxon entre ses dents. Sans quoi ils dépasseraient les chevaux et on les perdrait de vue dans les ténèbres. Si nous pouvions seulement trouver de l'eau courante, nous leur ferions peut-être perdre la piste.

– Mon cheval ne pourra plus faire que quelques pas encore, à cette allure, s'écria Ruben. Si je tombe, allez toujours de l'avant, car souvenez-vous qu'ils sont sur votre piste, et non sur la mienne. Ils ont trouvé des motifs de soupçon contre les deux inconnus de l'hôtellerie, mais ils n'en ont point sur moi.

– Non, Ruben, on se sauvera ou on mourra ensemble, dis-je avec tristesse, car à chaque pas son cheval faiblissait davantage. Dans cette obscurité, ils ne feront pas grande différence entre les personnes.

– Ayez le cœur ferme, cria le vieux soldat, qui alors nous précédait de vingt yards au plus. Nous pouvons les entendre parce que le vent souffle de ce côté, mais ce serait bien singulier qu'ils nous entendent. Il me semble qu'ils ralentissent leur poursuite.

– En effet, le bruit de leurs chevaux est devenu moins distinct, dis-je avec joie.

– Si peu distinct, que je ne l'entends plus du tout, s'écria mon camarade.

Nous arrêtâmes nos coursiers haletants, et tendîmes l'oreille.

Mais on n'entendait aucun bruit si ce n'est le doux murmure de la brise à travers les genêts et le cri mélancolique de l'engoulevent.

Derrière nous s'étendait la vaste plaine ondulée, à moitié éclairée, à moitié dans l'ombre, et fuyant vers l'horizon sombre, sans qu'il s'y remarquât un indice de vie ou de mouvement.

– Nous les avons entièrement dépassés, ou bien ils ont renoncé à nous faire la chasse, dis-je. Mais qu'ont donc les chevaux pour trembler et renâcler ainsi?

– Ma pauvre bête est presque morte, remarqua Ruben, en se penchant en avant, et frappant la main sur la crinière fumante de son cheval.

– Malgré tout cela, impossible de prendre du repos, dit Saxon, il peut se faire que nous ne soyons pas encore hors de danger. Un ou deux milles de plus nous tireront d'affaire. Mais voici quelque chose qui ne me plaît pas.

– Qu'est-ce qui ne vous plaît pas.

– Ces chevaux, et leur frayeur. À certains moments les animaux peuvent voir et entendre mieux que nous, ainsi que je serais en état de le prouver par divers exemples tirés de ma propre expérience sur le Danube ou dans le Palatinat, si le moment et l'endroit s'y prêtaient. Encore un effort, avant de nous reposer!

Les chevaux fatigués répondirent bravement à l'appel, et parcoururent ainsi à grand-peine un assez long trajet sur ce sol inégal.

Nous songions à nous arrêter pour tout de bon et nous allions nous féliciter d'avoir vaincu nos poursuivants par la fatigue, lorsque tout à coup retentit le coup de voix semblable à un son de cloche, et cette fois bien plus sonore qu'il n'avait été jusqu'alors, si sonore même qu'il était évident que nous avions les chiens presque sur les talons.

– Maudits mâtins! cria Saxon, en éperonnant son cheval, et s'élançant en avant de nous, voilà ce que je craignais. Ils leur ont ôté leur laisse. Impossible d'échapper à ces démons, mais nous pouvons choisir un endroit pour leur faire tête.

 

– En avant, Ruben, m'écriai-je, nous n'avons plus affaire qu'aux chiens maintenant. Leurs maîtres les ont lâchés pour retourner à Salisbury.

– Fasse le ciel qu'ils se cassent le cou avant d'y arriver, s'écria-t-il. Ils lancent des chiens après nous comme si nous étions des rats enfermés dans une arène de coqs. Et dire qu'on appelle l'Angleterre un pays chrétien? C'est peine perdue, Micah! la pauvre Didon ne peut faire un pas de plus.

Pendant qu'il parlait, l'aboiement perçant, féroce des mâtins, se fit entendre de nouveau, clair, âpre, dans l'air de la nuit.

Il montait, passant du grondement sourd, bas, au coup de voix aigu et furieux.

On eut cru saisir une vibration, joyeuse au plus haut point, dans leur cri farouche, comme s'ils croyaient leur proie prête à être dépecée.

– Pas même un pas de plus, dit Ruben Lockarby, en arrêtant son cheval et tirant son épée. S'il faut combattre, je combattrai ici.

– Impossible de trouver un endroit plus favorable, répondis-je.

Deux grands rochers dentelés se dressaient devant nous, sortant brusquement du sol, et laissant entre eux un intervalle de douze à quinze pieds.

Nous nous plaçâmes à cheval dans cette ouverture et je criai de toute ma force à Saxon de venir se joindre à nous.

Mais son cheval n'avait cessé de prendre de l'avance sur les nôtres.

Ce redoublement d'alarme lui fit augmenter encore sa vitesse, de sorte qu'il était à quelques centaines de yards de distance.

Il était inutile de le rappeler, alors même qu'il aurait pu entendre nos voix, car les chiens arriveraient sur nous avant qu'il fût revenu à nos côtés.

– Ne vous inquiétez pas de lui, dis-je d'une voix précipitée. Attachez votre cheval par la bride derrière ce rocher-ci, j'en ferai autant derrière l'autre. Cela servira toujours à résister au premier choc. Ne mettez pas pied à terre. Frappez bas, mais frappez fort.

Nous attendîmes en silence, côte à côte, dans l'ombre des rochers, l'arrivée de nos terribles chasseurs.

Lorsque je regarde en arrière, mes chers enfants, je ne puis m'empêcher de trouver que c'était une rude épreuve à subir pour des soldats aussi jeunes que Ruben et moi, que de nous trouver dans une situation pareille, quand nous avions à tirer l'épée pour la première fois.

En effet, j'ai reconnu, et d'autres m'ont confirmé dans mon opinion, que de tous les dangers auxquels un homme se voit obligé de faire face, il n'en est pas de plus propre à vous faire perdre courage que l'attaque d'animaux sauvages et résolus.

Quand on a affaire à des hommes, il y a toujours une chance pour qu'un détail trahisse le côté faible ou le défaut de courage, qui vous assure la supériorité sur lui, mais on ne peut compter sur rien de semblable avec des bêtes.

Nous savions que les êtres, à l'attaque desquels nous étions en proie, ne cesseraient pas de nous sauter à la gorge tant qu'ils auraient un souffle de vie dans le corps.

Puis, on sent, au fond du cœur que la lutte est inégale, car votre vie est chose précieuse, au moins pour vos amis, tandis que leur vie… qu'est-elle?

Toutes ces pensées, et bien d'autres encore, se présentèrent rapidement à notre esprit pendant que l'épée à la main, nous attendions l'arrivée des mâtins, rassurant de notre mieux nos chevaux effrayés.

Et nous n'eûmes pas longtemps à attendre.

Un autre aboiement long, sonore, retentissant comme le tonnerre, fut suivi d'un profond silence, où l'on percevait à peine la respiration rapide et agitée des chevaux.

Puis, tout à coup, sans bruit, une énorme bête, couleur de tan, son noir museau contre terre, avec des lèvres pendantes de chaque côté de la mâchoire, passa au clair de lune entre les rocs, puis disparut dans les ténèbres, plus loin.

Elle ne s'arrêta pas, ne se détourna pas un instant.

Elle poursuivit sa course, tout droit devant elle, sans regarder à droite ni à gauche.

Presque aussitôt derrière elle, une autre se montra, puis une troisième, toutes les trois de taille énorme, et paraissant d'autant plus grosses et plus terribles, qu'elles se trouvaient dans une lumière indécise et mobile.

De même que la première, elles ne firent aucune attention à notre présence.

Elles partirent par grands bonds sur la piste de Decimus Saxon.

Je laissai passer le premier et le second des chiens, car j'avais à peine le temps de voir qu'ils ne s'occupaient pas du tout de nous.

Mais quand le troisième se trouva par un bond en pleine lumière, je tirai de la fonte de droite mon pistolet, je posai son long canon sur mon bras gauche et je fis feu sur lui au passage.

La balle alla au but, car l'animal jeta un farouche hurlement de rage et de douleur, mais resta collé à la piste, sans dévier, sans se retourner.

Lockarby fit feu de son côté au moment où l'animal disparaissait dans les broussailles, mais sans produire d'effet visible.

Les grands chiens avaient passé si vite et avec si peu de bruit, qu'on eût pu les prendre pour les redoutables et silencieux esprits de la nuit, les chiens fantômes du chasseur Herne, sans le lugubre aboiement qui avait succédé à mon coup de feu.

– Quelles brutes! s'écria mon camarade. Qu'allons-nous faire, Micah?

– Il est évident qu'ils ont été lancés sur la piste de Saxon, dis-je, et il faut les suivre jusqu'au bout, sans quoi ils seront trop pour lui. Entendez-vous quelque chose du côté de ceux qui nous poursuivent?

– Rien.

– Alors c'est qu'ils ont renoncé à la chasse, et qu'ils ont lâché les chiens, comme une dernière ressource. Sans doute ces animaux sont dressés à revenir au logis. Mais il faut nous hâter, Ruben, si nous voulons secourir notre compagnon.

– Encore un coup de collier, alors, petite Didon, s'écria Ruben. Pouvez-vous rassembler assez de forces pour cela? Non, je n'ai pas le courage d'employer l'éperon. Si vous pouvez le faire, je sais que vous le ferez.

La brave jument renâcla, comme si elle comprenait le langage de son cavalier, et joua des jambes pour se mettre au galop.

Elle répondit si énergiquement à l'appel que même en mettant Covenant à son allure la plus rapide, il ne put regagner les deux ou trois longueurs qu'elle avait sur lui.

– Il a pris cette direction, dis-je en sondant d'un regard anxieux l'obscurité. Il ne peut pas être allé bien loin, il a parlé de faire tête. Ou bien peut-être, ne nous voyant pas avec lui, il s'est fié à la vitesse de son cheval.

– Quelle chance a un cheval de gagner de vitesse des animaux pareils? répondit Ruben. Ils le forceront jusqu'à ce qu'il s'abatte et il sait cela. Hallo! Qu'est-ce que ceci?

Un corps sombre, aux contours vagues, gisait devant nous à la clarté de la lune. C'était le cadavre d'un chien, évidemment celui sur lequel j'avais fait feu.

– En voici un qui a son compte, m'écriai-je d'un ton joyeux. Nous n'avons plus affaire qu'à deux.

Pendant que je parlais, j'entendis deux détonations de pistolet à une petite distance sur la gauche.

Nous mîmes nos chevaux dans cette direction, en les poussant de toute la vitesse possible.

Bientôt nous entendîmes partir des ténèbres en face de nous un grondement, un aboiement si furieux que nous nous sentîmes presque défaillir.

Ce n'était point un cri isolé, comme les mâtins en lançaient quand ils étaient sur la piste.

C'était un grondement contenu, d'un timbre grave, si féroce, et prolongé, que nous n'eûmes pas un instant de doute.

Ils étaient arrivés au but de leur course.

– Dieu veuille qu'ils ne l'aient point fait tomber.

La même idée m'était venue à l'esprit, car j'avais entendu un vacarme du même genre, mais moins intense, se produire dans une meute qui chassait la loutre, au moment où les chiens avaient atteint la proie et la mettaient en pièces.

Le cœur défaillant, je tirai mon épée, bien résolu à venger la mort de mon compagnon sur ces démons à quatre pattes, si nous arrivions trop tard pour le sauver.

Nous franchîmes par bonds une épaisse lisière de genêts et d'ajoncs emmêlés et nous nous trouvâmes devant une scène si différente de celle que nous attendions que dans notre étonnement, nous arrêtâmes nos chevaux.