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Jim Harrison, boxeur

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Il était impossible à quiconque eut contemplé cette foule bigarrée de ne pas reconnaître que la passion du ring, bonne ou mauvaise peu importe, n'était point le trait distinctif d'une certaine classe, mais qu'elle était une marque du caractère national, profondément enracinée dans la nature de l'Anglais, qu'elle avait été transmise de génération en génération, aussi bien au jeune aristocrate qui conduisait sa fine voiture, qu'aux grossiers revendeurs assis sur six rangs de profondeur dans leur carriole que traînait un bidet.

Là, je vis des hommes d'État et des soldats, des gentilshommes et des gens de lois, des fermiers et des hobereaux, des vagabonds d'East End et des lourdauds de province. Tout ce monde se démenait avec la perspective de passer une nuit pénible, rien que pour avoir la chance d'assister à une lutte qui pouvait se terminer en un seul round, chose impossible à prévoir.

On ne saurait imaginer une foule plus joyeuse, plus cordiale.

Les plaisanteries se croisaient, aussi dru que les nuages de poussière, et devant chaque auberge du bord de la route, le patron et les garçons se tenaient prêts avec leurs plateaux chargés de pots débordants de mousse pour désaltérer ces bouches pressées.

Ces haltes pour boire la bière, cette rude camaraderie, la cordialité, les incommodités accueillies par des éclats de rire, cette impatience de voir la lutte, étaient autant de traits, qui pouvaient être qualifiés de vulgaires, de populaires, par les gens au goût difficile, mais quant à moi, maintenant que je prête l'oreille aux lointains et vagues échos de notre temps passé, tout cela me paraît constituer l'ossature qui formait la charpente si solide et si virile dont cette race antique était constituée.

Mais hélas! quelle chance avions-nous de gagner du terrain?

Mon oncle, avec toute son habileté, n'arrivait pas à apercevoir un passage dans cette masse en mouvement.

Il fallut garder notre rang dans la file et ramper comme des escargots de Reigate à Horley, puis à la Croix de Povey, puis à la bruyère de Lowfield, pendant que le jour faisait place au crépuscule et qu'à celui-ci succédait la nuit.

Au pont de Kimberham, toutes les lanternes furent allumées.

C'était un merveilleux spectacle que cette courbe de la route qui s'étendait devant nous, que les replis de ce serpent aux écailles dorées qui se déroulait dans l'obscurité.

Enfin! Enfin, nous aperçûmes l'immense et l'informe masse de l'orme de Crawley qui nous dominait dans les ténèbres, et nous arrivâmes à l'entrée de la rue du village où toutes les fenêtres des cottages étaient éclairées, puis devant la haute façade du vieil hôtel Georges, où l'on voyait de la lumière à toutes les portes, à toutes les vitres, à toutes les fentes en l'honneur de la noble compagnie qui devait y passer la nuit.

XV – JEU DÉLOYAL

L'impatience de mon oncle ne lui permit pas d'attendre son tour dans le défilé qui devait nous amener devant la porte.

Il jeta les rênes et une pièce d'une couronne à un des individus mal vêtus qui encombraient l'allée des piétons, et se frayant vivement passage à travers la foule, il poussa vers l'entrée.

Lorsqu'il parut dans la zone de lumière que projetaient les fenêtres, on se demanda à voix basse quel pouvait être cet impérieux gentleman, à la figure pâle, sous son manteau de cheval, et un vide se forma pour nous laisser passer.

Jusqu'alors je ne m'étais pas douté combien mon oncle était populaire dans le monde sportif, car sur notre passage, les gens se mirent à crier à tue-tête:

– Hurrah! pour le beau Tregellis! Bonne chance pour vous et pour votre champion, Sir Charles! Place au fameux, au noble Corinthien!

Cependant le maître d'hôtel attiré par les acclamations accourait à notre rencontre.

– Bonsoir, Sir Charles, s'écria-t-il. Vous allez bien, j'espère? Et vous reconnaîtrez, j'en suis sûr, que votre champion fait honneur au Georges.

– Comment va-t-il? demanda vivement mon oncle.

– Il ne saurait aller mieux, Monsieur. Il est aussi beau qu'une peinture. Oui, il est en état de gagner un royaume à la lutte. Mon oncle eut un soupir de soulagement.

– Où est-il? demanda-t-il.

– Il est rentré de bonne heure dans sa chambre, monsieur, car il avait une affaire toute particulière pour demain, dit le maître d'hôtel avec un gros rire.

– Où est Belcher?

– Le voici dans le salon du bar.

En disant ces mots, il ouvrit la porte.

Nous y jetâmes un coup d'oeil et nous vîmes une vingtaine d'hommes bien mis, parmi lesquels je reconnus plusieurs figures qui m'étaient devenues familières pendant ma courte carrière au West- End.

Ils étaient assis autour d'une table sur laquelle fumait une soupière pleine de punch.

À l'autre bout, installé très à son aise, parmi les aristocrates et les dandys qui l'entouraient, était assis le champion de l'Angleterre, le magnifique athlète, renversé sur sa chaise, un foulard rouge négligemment noué autour du cou, de la façon pittoresque à laquelle son nom fut longtemps attaché.

Plus d'un demi-siècle s'est écoulé et j'ai vu ma part de beaux hommes.

Peut-être cela tient-il à ce que je suis moi-même d'assez petite taille, mais c'est un des traits de mon caractère de trouver plus de plaisir à la vue d'un bel homme qu'à celle de tout autre chef- d'oeuvre de la nature.

Néanmoins, pendant toute cette période, je n'ai jamais vu un homme plus beau que Jim Belcher et si je cherche à lui trouver un pendant en mes souvenirs, je ne puis en trouver d'autre que le second, Jim, dont je cherche à vous raconter le destin et les aventures.

Il y eut de joyeuses exclamations de bienvenue, quand la figure de mon oncle apparut sur le seuil.

– Entrez, Tregellis, nous vous attendions… Nous avons commandé une fameuse épaule de mouton… Quelles nouvelles fraîches nous apportez-vous de Londres?.. Qu'est-ce que cela signifie, cette hausse de la cote contre votre champion?.. Est-ce que les gens sont devenus fous?.. Que diable se passe-t-il?..

Tout le monde parlait à la fois.

– Excusez-moi, gentlemen, répondit mon oncle, je me ferai un devoir de vous donner plus tard toutes les nouvelles que je pourrai. J'ai une affaire de quelque importance à régler. Belcher, je voudrais vous dire quelques mots.

Le champion vint nous rejoindre dans le corridor.

– Où est votre homme, Belcher?

– Il est rentré dans sa chambre, monsieur. Je crois que douze heures de bon sommeil lui feront grand bien avant la lutte.

– Comment a-t-il passé la journée?

– Je lui ai fait faire de légers exercices, du bâton, des altères, de la marche et une demi-heure avec les gants de boxe. Il nous fera grand honneur, monsieur, ou je ne suis qu'un Hollandais. Mais que diable se passe-t-il au sujet des paris? Si je ne le savais pas aussi droit qu'une ligne à pêche, j'aurais cru qu'il jouait double jeu et pariait contre lui-même.

– C'est pour cela que je suis accouru, Belcher. J'ai été informé de source sûre qu'il y a un complot organisé pour l'estropier et que les gredins sont tellement certains de réussir qu'ils sont prêts à parier n'importe quelle somme qu'il ne se présentera pas.

Belcher siffla entre ses dents.

– Je n'ai aperçu aucun indice en ce sens, monsieur. Personne n'a été auprès de lui, personne ne lui a adressé la parole, si ce n'est votre neveu et moi.

– Quatre bandits, et de ce nombre Berks qui les dirige, nous ont devancés de plusieurs heures. C'est War qui me l'a appris.

– Ce que dit War est droit et ce que fait Joe Berks est tordu.

Quels étaient les autres?

– Ike le rouge, Yussef le batailleur, et Chris Mac Carthy.

– Une jolie bande en effet. Eh bien! monsieur, le jeune homme est sain et sauf, mais il serait peut-être prudent que l'un ou l'autre de nous reste dans sa chambre avec lui. Pour ma part, tant qu'il est confié à mes soins, je ne m'éloigne jamais beaucoup de lui.

– C'est dommage de l'éveiller.

– Il aura quelque peine à s'endormir avec tout ce vacarme dans la maison. Par ici, monsieur, suivez le corridor.

Nous traversâmes les longs et bas et tortueux corridors de l'auberge, construction à l'ancienne mode, jusqu'à l'arrière de la maison.

– Voici ma chambre, monsieur, dit Belcher, en indiquant d'un signe de tête une porte à droite. Celle de gauche est la sienne.

En disant ces mots, il l'ouvrit.

– Jim, dit-il, voici Sir Charles Tregellis qui vient vous voir.

Et ensuite.

– Grands Dieux! Qu'est-ce que cela signifie?

La petite chambre nous apparut dans toute son étendue, fortement éclairée par une lampe de cuivre posée sur la table. Les draps n'avaient pas été tirés, mais des plis sur la courtepointe montraient qu'on s'était étendu dessus.

Une moitié du volet à claire-voie se balançait sur ses gonds, une casquette de drap jetée sur là table, voilà tout ce qui restait de celui qui occupait la chambre.

Mon oncle jeta les yeux autour de lui et hocha la tête.

– Nous sommes arrivés trop tard à ce qu'il paraît.

– Voici sa casquette, monsieur. Où diable peut-il être allé tête nue? Il y a une heure, je le croyais tranquille et au lit. Jim! Jim! appela-t-il.

– Il est certainement sorti par la fenêtre, s'écria mon oncle. Je suis persuadé que ces bandits l'ont attiré au-dehors par quelque artifice diabolique de leur invention. Prenez la lampe pour m'éclairer, mon neveu. Ha! je m'en doutais, voici la trace de ses pieds sur la plate-bande de fleurs.

Le maître de l'hôtel et deux ou trois des Corinthiens, qui se trouvaient dans le salon du bar, nous avaient suivis jusqu'au fond de la maison.

L'un d'eux ouvrit la porte de côté et nous nous trouvâmes dans le jardin potager et là, groupés sur l'allée sablée, nous pûmes abaisser la lampe jusqu'à la terre molle, fraîchement remuée, qui se trouvait entre nous et la fenêtre.

 

– Voici la marque de ses pieds, dit Belcher. Il portait ce soir ses bottes de marche et vous pouvez voir les clous. Mais qu'est ceci? Quelque autre est venu ici.

– Une femme! m'écriai-je.

– Par le ciel! vous avez raison, mon neveu.

Belcher lança un juron avec conviction.

– Il n'a jamais dit un mot à aucune jeune fille du village. J'y ai fait tout particulièrement attention! Et dire que les voilà qui arrivent ainsi à un tel moment!

– C'est aussi clair que possible, Tregellis, dit l'honorable Berkeley Craven, qui avait quitté la société réunie au salon du bar. Quelle que soit la personne qui est venue, elle est arrivée par le dehors et a frappé à la fenêtre. Vous voyez ici et ici encore les traces de petits souliers qui toutes ont la pointe dans la direction de la maison, tandis que les autres traces sont tournées en dehors. Elle est venue l'appeler et il l'a suivie.

– Voilà qui est parfaitement certain, dit mon oncle. Il faut nous séparer pour chercher dans des directions diverses, à moins que quelque indice nous révèle où ils sont allés.

– Il n'y a qu'une allée qui conduise hors du jardin, dit le maître de l'hôtel, en se mettant à notre tête. Il donne sur cette ruelle écartée qui conduit aux écuries. L'autre bout va rejoindre la petite route.

Soudain apparut la forte lumière jaune d'une lanterne d'écurie qui dessina un rond brillant dans l'obscurité, et un palefrenier sortit dans la cour en flânant.

– Qui va là? cria le maître de l'hôtel.

– C'est moi, patron, Bill Shields.

– Depuis quand êtes-vous ici, Bill?

– Patron, voici une heure que je suis dans les écuries à aller et venir. Il n'y a pas moyen de mettre un cheval de plus. Ce n'est pas la peine d'essayer et j'ose à peine leur donner à manger, car pour peu qu'ils tiennent plus de place…

– Venez par ici, Bill, et faites attention à vos réponses, car une erreur peut vous coûter votre place. Avez-vous vu quelqu'un passer dans le sentier? – Il s'y trouvait, il y a quelque temps, un individu avec une casquette en poil de lapin. Il était là, à flâner, aussi, je lui ai demandé qu'est-ce qu'il avait à faire, car sa figure ne m'allait pas, non plus que sa façon de reluquer aux fenêtres. J'ai tourné la lanterne de l'écurie sur lui, mais il a baissé la tête, et tout ce que je peux dire, c'est qu'il avait les cheveux rouges.

Je jetai un rapide coup d'oeil sur mon oncle, et je vis que sa figure s'était encore assombrie.

– Qu'est-il devenu? demanda-t-il.

– Il s'est esquivé et je ne l'ai plus vu, monsieur.

– Vous n'avez vu aucune autre personne? Vous n'avez pas vu, par exemple, une femme et un homme sortir ensemble par le sentier?

– Non, monsieur.

– Rien entendu d'extraordinaire?

– Ah! puisque vous en parlez, monsieur, oui, j'ai entendu quelque chose, mais, dans une nuit pareille, quand toutes les fripouilles de Londres sont dans le village…

– Eh bien! qu'était-ce?

– Eh bien! monsieur, c'était comme qui dirait un cri parti de là- bas. On aurait dit quelqu'un qui avait attrapé un mauvais coup. Je me suis dit: C'est sans doute deux lurons qui se battent et je n'ai pas fait grande attention.

– De quel coté partait ce cri?

– Du côté de la route, monsieur.

– Venait-il de loin?

– Non, monsieur, je suis sur que ça venait de deux cents yards au plus.

– Un seul cri?

– Oui, comme qui dirait un hurlement. Puis j'ai entendu une voiture passer à fond de train sur la route. Je me rappelle que j'ai trouvé singulier que lon quittât Crawley en voiture, dans une nuit comme celle-ci.

Mon oncle prit la lanterne des mains de l'homme, et nous, nous descendîmes le sentier, groupés derrière lui.

Le sentier aboutissait à angle droit sur la route.

Mon oncle y courut, mais il ne fut pas longtemps à chercher.

La forte lumière éclaira soudain quelque chose qui amena un gémissement sur mes lèvres et un âpre juron sur celle de Belcher.

À la surface blanchie de la poussière de la route s'allongeait une traînée écarlate et près de la tache de mauvais augure, gisait un petit et meurtrier instrument, un assommoir de poche, tel que War l'avait mentionné le matin.

XVI – LES DUNES DE CRAWLEY

Pendant cette nuit terrible, mon oncle et moi, Belcher, Berkeley Craven et une douzaine de Corinthiens nous fouillâmes toute la campagne pour trouver quelque trace de notre champion perdu, mais à part cette trace inquiétante sur la route, on ne découvrit pas le moindre indice de ce qui lui était arrivé.

Personne ne l'avait vu, personne n'avait rien appris sûr son compte.

Le cri isolé, jeté dans la nuit et dont le palefrenier avait parlé, était lunique preuve qu'une tragédie avait eu lieu.

Divisés en petits groupes, nous battîmes tout le pays jusqu'à East Grintead et même Bletchingley et le soleil était déjà assez élevé au-dessus de l'horizon lorsque nous fûmes de retour à Crawley, le coeur gros et accablés de fatigue.

Mon oncle, qui s'était rendu en voiture à Reigate, dans l'espoir d'en rapporter quelques renseignements, n'en revint qu'à sept heures passées et un coup d'oeil, jeté sur sa figure, nous apprit des nouvelles aussi sombres que celles qu'il lut sur nos figures à nous.

Nous tînmes conseil autour de la table où nous était servi un déjeuner qui ne nous tentait guère et auquel avait été invité Mr Berkeley Craven, en sa qualité d'homme de bon conseil et de grande expérience en matière de sport.

Belcher était à moitié fou de voir tourner ainsi brusquement toutes les peines qu'il s'était données pour cet entraînement.

Il était incapable d'autre chose que de lancer de délirantes menaces contre Berks et ses compagnons et de leur promettre de les arranger de belle façon dès qu'il les rencontrerait.

Mon oncle restait grave et pensif. Il ne mangeait pas et tambourinait avec ses doigts sur la table.

Moi, j'avais le coeur gros, j'étais sur le point de cacher ma figure dans mes mains et de fondre en larmes, à la pensée de l'impuissance où j'étais de secourir mon ami.

Mr Berkeley Craven, homme du monde à la figure florissante, était le seul dentre nous qui parût avoir gardé à la fois, son sang- froid et son appétit.

– Voyons, la lutte devait avoir lieu à dix heures, n'est-ce pas? demanda-t-il.

– C'était convenu ainsi.

– Je me permets de croire qu'elle aura lieu. Ne dites jamais: «c'est fini» Tregellis. Votre champion a trois heures pour revenir. Mon oncle hocha la tête.

– Les bandits auront trop bien accompli leur oeuvre pour que cela soit possible. Je le crains, dit-il.

– Voyons, raisonnons sur la chose, dit Berkeley Craven. Une jeune femme veut tirer le jeune homme de sa chambre par ses agaceries. Connaissez-vous une jeune femme qui ait de l'influence sur lui?

Mon oncle m'interrogea du regard.

– Non, je n'en connais aucune.

– Bon, nous savons qu'il en est venu une, dit Berkeley Craven. Il n'y a pas le moindre doute à ce sujet. Elle est venue conter quelque histoire touchante, quelque histoire qu'un galant jeune homme ne peut se refuser à écouter. Il est tombé dans le piège et s'est laissé attirer dans quelque endroit où les gredins l'attendaient. Nous pouvons regarder tout cela comme prouvé, je le suppose, Tregellis?

– Je ne vois pas d'explication plus plausible, dit mon oncle.

– Eh bien alors, il est évident que ces hommes n'ont aucun intérêt à le tuer. War le leur a entendu dire. Ils n'étaient pas certains peut-être de faire à un jeune homme aussi solide assez de mal pour le mettre absolument hors d'état de se battre. Même avec un bras cassé, il aurait pu risquer la lutte: d'autres l'ont déjà fait. Il y avait trop d'argent en jeu pour qu'ils se missent dans le moindre danger. Ils lui auront sans doute donné un coup sur la tête pour l'empêcher de faire trop de résistance, puis ils l'auront emmené dans une ferme ou une étable où ils le retiendront prisonnier jusqu'à ce que l'heure de la lutte soit passée. Je vous garantis que vous le reverrez avant la nuit aussi bien portant qu'avant.

Cette théorie avait des apparences si plausibles qu'il me semblait qu'elle m'ôtait un poids de dessus le coeur, mais je vis bien qu'au point de vue de mon oncle ce n'était guère consolant.

– Je crois pouvoir dire que vous avez raison, Craven, dit-il.

– J'en suis convaincu.

– Mais cela ne nous aidera guère à remporter la victoire.

– C'est là le point essentiel, monsieur, s'écria Belcher. Par le Seigneur, je voudrais qu'on me permît de prendre sa place, même avec mon bras gauche attaché sur mon dos.

– En tout cas, je vous conseillerais de vous rendre au ring, dit Craven. Il faut que vous teniez bon jusqu'au dernier moment, avec l'espoir que votre homme reviendra.

– C'est ce que je ferai certainement et je protesterai si l'on m'oblige à payer l'enjeu dans de pareilles circonstances.

Craven haussa les épaules.

– Vous vous rappelez les conditions du match, dit-il. Je crains qu'elles ne soient toujours: Jouez ou payez. Sans doute, le cas pourrait être soumis aux juges, mais ils se prononceront contre vous, cela ne fait aucun doute pour moi.

Nous étions retombés dans un silence mélancolique, quand tout à coup Belcher sauta sur la table.

– Écoutez, cria-t-il, écoutez cela.

– Qu'est-ce que c'est? nous écriâmes-nous d'une seule voix.

– C'est la cote. Écoutez cela.

Par-dessus le brouhaha de voix et le grondement des roues qui venait du dehors, une seule phrase parvint à nos oreilles.

– Au pair sur le champion de Sir Charles.

– Au pair, s'écria mon oncle. Elle était à sept à un contre moi hier. Qu'est-ce que cela signifie?

– Au pair sur les deux champions, répéta la voix.

– Il y a quelqu'un qui sait certaine chose, dit Belcher, et il n'y a personne qui plus que nous ait le droit de le savoir. Venez, monsieur, et nous irons jusqu'au fond de l'affaire.

La rue du village était encombrée de monde, car les gens avaient couché par douze ou quinze dans une même chambre et des centaines de gentlemen avaient passé la nuit dans leurs voitures.

La foule était si dense qu'il ne fut pas facile de sortir de l'hôtel Georges. Un homme, qui ronflait d'une façon épouvantable, était vautré sur le seuil et n'avait pas l'air de s'apercevoir du flot de peuple qui passait autour de lui et quelquefois sur lui.

– Quelle est la cote, mes enfants? demanda Belcher du haut des marches.

– Au pair, Jim, crièrent plusieurs voix.

– Elle était bien plus élevée en faveur de Wilson, quand je l'ai entendue pour la dernière fois.

– Oui, mais il est arrivé un homme qui l'a fait baisser bientôt et après lui, on s'est mis à le suivre, si bien que maintenant vous trouvez à parier au pair.

– Qui a commencé?

– Eh le voici! C'est cet homme, qui est étendu ivre sur les marches. Il n'a cessé de boire, comme si c'était de l'eau, depuis qu'il est arrivé en voiture à six heures, et il n'est pas étonnant qu'il se trouve dans cet état.

Belcher se pencha et tourna la tête inerte de l'individu de façon à ce qu'on vit ses traits.

– Il m'est inconnu, monsieur.

– Et à moi aussi, ajouta mon oncle.

– Mais pas à moi, m'écriai-je. C'est John Cummings, le propriétaire de l'auberge de Friar's Oak, je le connais depuis que j'étais tout petit et je ne saurais m'y tromper.

– Et que diable celui-là peut-il savoir de l'affaire? dit Craven.

– Rien du tout, selon toute probabilité, répondit mon oncle. Je vous prie de m'apporter un peu d'eau de lavande, propriétaire, car l'odeur de cette cohue est épouvantable. Mon neveu, je crois que vous n'arriverez pas à tirer un mot raisonnable de cet ivrogne, ni à lui faire dire ce qu'il sait.

Ce fut en vain que je le secouai par les épaules, que je lui criai son nom aux oreilles. Rien n'était capable de le tirer de cette ivresse béate.

– Eh bien! voilà une situation unique, aussi loin, que remonte mon expérience, dit Berkeley Craven. Nous voici à deux heures de la lutte et cependant vous ne savez pas si vous aurez un homme pour vous représenter. J'espère que vous ne vous êtes pas engagé de façon à perdre beaucoup, Tregellis?

Mon oncle haussa les épaules et prit une pincée de son tabac de ce geste large, inimitable, que jamais personne ne s'était risqué à imiter.

– Très bien, mon garçon, dit-il, mais il est temps que nous pensions à nous mettre en route pour les Dunes. Ce voyage de nuit m'a laissé quelque peu effleuré et je ne serais pas fâché de rester seul une demi-heure pour m'occuper de ma toilette. Si ce doit être ma dernière ruade, au moins elle sera lancée par un sabot bien ciré.

 

J'ai entendu un homme qui avait voyagé dans les régions incultes, dire que, selon lui, le Peau Rouge et le gentleman anglais étaient proches parents, il en donnait comme preuve leur commune passion pour le sport et leur aptitude à ne point laisser percer l'émotion.

Je me rappelai ce langage, en voyant mon oncle, ce matin-là, car je ne crois pas que jamais victime liée au poteau ait eu sous les yeux une perspective aussi cruelle.

Non seulement une bonne partie de sa fortune était en jeu, mais encore, il s'agissait de la situation terrible où il allait se trouver devant cette foule immense, parmi laquelle étaient bien des gens qui avaient risqué leur argent d'après son jugement, et il se verrait peut-être au dernier moment réduit à faire des excuses sans valeur, au lieu d'avoir un champion à présenter.

Quelle situation pour un homme qui s'était toujours fait gloire de son aplomb, se donnait comme capable de mener toutes les entreprises avec un grand succès.

Moi qui le connaissais bien, je voyais à la couleur livide de ses joues et à l'agitation nerveuse de ses doigts, qu'il ne savait réellement plus où donner de la tête. Mais un étranger qui eût vu son attitude dégagée, la façon dont il faisait voltiger son mouchoir brodé, dont il maniait son bizarre lorgnon, dont il agitait ses manchettes, n'eût jamais cru que cette sorte de papillon pût avoir le moindre souci terrestre.

Il était bien près de neuf heures lorsque nous fûmes prêts à partir pour les dunes de Crawley.

À ce moment-là, la voiture de mon oncle était presque la seule qui restât dans la rue du village. Les autres voitures étaient restées la nuit, avec leurs roues entrecroisées, les brancards de l'une posés sur la caisse de l'autre en rangs aussi serrés qu'on avait pu les mettre, depuis la vieille église jusqu'à l'orme de Crawley et qui couvraient la route sur cinq de front et un bon demi-mille de longueur.

À ce moment, la rue grise du village s'allongeait devant nous, presque déserte.

On n'y voyait plus que quelques femmes et enfants.

Hommes, chevaux, voitures, tout était parti.

Mon oncle tira ses gants de cheval et arrangea son habillement avec un soin méticuleux, mais je remarquai qu'il jeta sur la route et dans les deux sens un coup doeil où se voyait cependant encore quelque espoir avant de monter en voiture.

J'étais assis en arrière avec Belcher. L'honorable Berkeley Craven prit place à côté de mon oncle.

La route de Crawley gagne, par une belle courbe, le plateau couvert de bruyères qui s'étend à bien des milles dans tous les sens.

Des files de piétons, pour la plupart si fatigués, si couverts de poussière qu'ils avaient évidemment fait à pied et pendant la nuit les trente milles qui les séparaient de Londres, marchaient d'un pas lourd sur les bords de la route ou coupaient au plus court en grimpant la longue pente bigarrée qui grimpait au plateau.

Un cavalier, en costume fantaisiste vert et superbement monté, attendait à la croisée des routes, et quand il eut lancé son cheval d'un coup d'éperon jusqu'à nous, je reconnus la belle figure brune et les yeux noirs et hardis de Mendoza.

– J'attends ici pour donner les renseignements officiels, Sir Charles, dit-il. C'est au bas de la route de Grinstead, à un demi- mille sur la gauche.

– Très bien, dit mon oncle, en tirant sur les rênes des juments pour prendre la route qui débouchait à cet endroit.

– Vous n'avez pas amené votre homme là-bas, remarqua Mendoza d'un air un peu soupçonneux.

– Que diable cela peut-il vous faire? cria Belcher d'un ton furieux.

– Cela nous fait beaucoup à nous tous, car on raconte d'étranges histoires.

– Alors vous ferez bien de les garder pour vous ou vous pourriez bien vous repentir de les avoir écoutées.

– All right, Jim! À ce que je vois, votre déjeuner de ce matin n'est pas bien passé.

– Les autres sont-ils arrivés? dit mon oncle, d'un air insouciant.

– Pas encore, Sir Charles, mais Tom Oliver est là-bas avec les cordages et les piquets. Jackson vient d'arriver en voiture et la plupart des gardiens du ring sont à leur poste.

– Nous avons encore une heure, fit remarquer mon oncle, en se remettant en marche. Il est possible que les autres soient en retard, puisqu'ils doivent venir de Reigate.

– Vous prenez la chose en homme, Tregellis, dit Craven.

– Nous devons faire bonne contenance et avoir un front d'airain jusqu'au dernier moment.

– Naturellement, monsieur, s'écria Belcher, je n'aurais jamais cru que les paris montent comme cela. C'est qu'il y a quelqu'un qui sait… Nous devons y aller du bec et des ongles, Sir Charles, et voir comment cela tournera.

Il nous arriva un bruit pareil à celui que font les vagues sur la plage, bien avant que nous fussions en présence de cette immense multitude.

Enfin, à un plongeon brusque que fit la route, nous vîmes cette foule, ce tourbillon d'êtres humains se déployant devant nous, avec un vide tournoyant au centre.

Tout autour, les voitures et les chevaux étaient disséminés par milliers à travers la lande. Les pentes étaient animées par la présence de tentes et de boutiques improvisées.

On avait choisi pour emplacement du ring un endroit où l'on avait pratiqué dans le sol une grande cuvette, de façon que le contour formât un amphithéâtre naturel d'où tout le monde pût bien voir ce qui se passait au centre.

À notre approche, un murmure de bienvenue partit de la foule qui était placée sur les bords et par conséquent le plus proche de nous et ces acclamations se répétèrent dans toute la multitude.

Un instant après, on entendit de grands cris qui commençaient à l'autre bout de l'arène.

Toutes les figures, qui étaient tournées vers nous, se retournèrent, si bien qu'en un clin d'oeil, tout le premier plan passa du blanc au noir.

– Ce sont eux. Ils sont exacts, dirent ensemble mon oncle et

Craven.

En nous tenant debout sur notre voiture, nous pûmes apercevoir la cavalcade qui approchait des Dunes.

Elle commençait par la spacieuse barouche où étaient assis Sir Lothian Hume, Wilson le Crabe et le capitaine Barclay, son entraîneur.

Les postillons avaient à leur coiffure des flots de faveurs jaune serin. C'était la couleur sous laquelle devait lutter Wilson.

Derrière la voiture venaient à cheval une centaine au moins de gentlemen de l'Ouest, puis une file, à perte de vue, de gigs, de tilburys, de voitures.

Tout cela descendit par la route de Grinstead. La grosse barouche arrivait, en tanguant sur la prairie, dans notre direction.

Sir Lothian Hume nous aperçut et donna à ses postillons l'ordre d'arrêter.

– Bonjour, Sir Charles, dit-il en mettant pied à terre. J'ai cru reconnaître votre voiture rouge. Voilà une belle matinée pour la lutte.

Mon oncle s'inclina d'un air froid, sans répondre.

– Je suppose, puisque nous voilà tous présents, que nous pouvons commencer tout de suite, dit Sir Lothian, sans faire attention aux façons de son interlocuteur.

– Nous commencerons à dix heures. Pas une minute plus tôt.

– Très bien, puisque vous y tenez. À propos, Sir Charles, où est votre homme?

– C'est à vous que je devrais adresser cette question, Sir

Lothian. Où est mon homme?

Une expression d'étonnement se peignit sur les traits de Sir Lothian, expression admirablement feinte si elle n'était pas vraie.

– Qu'entendez-vous dire, en me faisant une pareille question?

– C'est que je tiens à le savoir.

– Mais comment puis-je répondre? Est-ce que c'est mon affaire?

– J'ai des motifs de croire que vous en avez fait votre affaire.

– Si vous aviez la bonté de vous expliquer un peu plus clairement, il me serait peut-être possible de vous comprendre.

Tous deux étaient très pâles, très froids, très raides et impassibles dans leur attitude, mais ils échangeaient des regards comme s'ils croisaient le fer.

Je me rappelai la réputation de terrible duelliste qu'avait Sir

Lothian et je tremblai pour mon oncle.

– Maintenant, monsieur, si vous vous imaginez avoir un grief contre moi vous m'obligeriez infiniment en me le faisant connaître clairement.

– C'est ce que je vais faire, dit mon oncle. Il a été organisé un complot pour estropier où enlever mon champion et j'ai toutes les raisons possibles de croire que vous y êtes mêlé.

Un vilain sourire narquois passa sur la figure bilieuse de Sir