Kostenlos

Deux et deux font cinq

Text
0
Kritiken
Als gelesen kennzeichnen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

LA VENGEANCE DE MAGNUM

(PANTOMIMETTE POUR LE NOUVEAU CIRQUE)

PERSONNAGES

MAGNUM, jeune chien tout petit, tout petit, mais excessivement roublard et teigne
BLACK, gros terre-neuve entre deux âges, pas très malin, mais excellent bougre
ROSE SWEET, acariâtre et sèche vieille lady, propriétaire d'un petit cottage à louer (to let)

I.—Dans un moment d'oubli, le jeune chien Magnum souille la porte du cottage de Rose Sweet.

II.—Cette dernière, qui précisément revient du marché, châtie le petit coupable d'une main osseuse et excessive.

III.—Magnum s'éloigne la chair meurtrie et l'amour-propre en feu. Son état d'âme consiste à se dire: «Quelle mauvaise blague pourrais-je bien faire à ce vieux chameau-là?»

IV.—Soudain, il frappe son petit crâne de sa petite patte et pousse un joyeux petit aboi qui correspond assez exactement à l'euréka des anciens Grecs.

V.—Et puis, le voilà parti à toute volée dans une direction qu'il sait!

VI.—Bientôt, il revient accompagné de Black, un gros terre-neuve blanc de ses amis.

VII—En route, Magnum explique, non sans peine, à Black, son rôle dans cette entreprise.

VIII.—Docilement, Black se place près de la porte du cottage, tenant haut sa bonne tête de bon chien-chien.

IX.—Le petit Magnum, la joie préventive aux prunelles, saute sur le corps de Black, puis, de là, sur sa tête.

X.—Ainsi parvenu à la hauteur convenable, il appuie le bout de sa mignonne patte sur le bouton électrique de la porte du cottage.

XI.—Driling, driling, driling, driling, driling, driling…

XII.—Les derniers driling vibrent encore qu'un changement à vue s'est opéré avec la rapidité de l'éclair lancé d'une main sûre.

XIII.—Magnum saute à terre et va se coucher sur le trottoir, à trois ou quatre brasses en amont du cottage.

XIV.—Même jeu pour Black. Seulement, lui, c'est en aval.

XV.—Cependant, Rose Sweet, en espoir de possibles locataires, accourt vite, essuyant à son tablier ses mains souillées de pelures de pommes de terre, et toute à l'infructueuse tentative d'arborer sur sa morose et naturellement agressive face l'exquis sourire du bon wellcome.

XVI.—Personne à la porte du cottage! Personne dans l'avenue! À l'horizon, pas l'ombre d'un naughty little boy! Alors quoi?

XVII.—D'êtres vivants, seulement ces deux chiens qui se chauffent au soleil. Pas eux qui ont sonné, bien sûr! Pas ce gros terre-neuve, pas ce minuscule roquet, non plus! Alors quoi?

XVIII.—Rose Sweet referme la porte de son cottage et rentre chez elle, attribuant son dérangement à quelque phénomène de berlue auditive.

XIX.—Pas plutôt Rose Sweet rentrée, les deux chiens recommencent le petit stratagème indiqué dans les numéros VIII, IX, X, XI, XII, XIII et XIV.

XX.—Rose Sweet renouvelle le manège soigneusement décrit dans les numéros XV, XVI et XVII.

XXI.—Mais l'hypothèse du phénomène berlue auditive ne lui suffit plus.

XXII.—Des phantasms, peut-être! Effroi indescriptible de l'haïssable mégère!

XXIII.—Oui, c'est bien cela, des phantasms! Des âmes d'anciens locataires tourmentés par elle, la viennent tourmenter à son tour.

XXIV, XXV, etc., etc., N.—Ce petit jeu continue, jusqu'à ce que le spectateur donne des marques évidentes de lassitude.

N + 1.—Complètement affolée, Rose Sweet se pend, dans son jardin, à la branche d'un poirier de Bon-Chrétien.

N + 2.—Et cette Rose Sweet était une si hargneuse vieille lady, et si désobligeante qu'il n'y a personne à son enterrement…

N + 3.—… Sauf Magnum et Black, qui rigolent comme des baleines de pépin, par une pluie d'orage.

LE PETIT LOUP ET LE GROS CANARD

IDYLLE

Voilà environ quinze jours—comme le temps passe, tout de même! qui est-ce qui dirait qu'il y a déjà quinze jours?—j'eus l'occasion de passer une nuit à l'hôtel Terminus de Marseille.

Je serais désolé que les excellents tenanciers de cette maison perçussent, à travers les paroles que je vais dire, la moindre attitude agressive ou simplement querelleuse; mais je dois déclarer qu'en ce Terminus les appartements sont séparés les uns des autres par une substance qui trouverait beaucoup mieux son emploi dans la confection d'un parfait téléphone que dans celle d'une raisonnable cloison. J'ai vu, dans ma longue carrière d'ingénieur acousticien, bien des matières excellentes conductrices du son, mais jamais je n'en rencontrerai une seule comparable, même de loin, à celle dont sont pétris les murs de l'hôtel Terminus à Marseille.

Des fois, c'est gênant.

Des fois, c'est rigolo.

Cette fois, ce fut rigolo.

Ce fut rigolo, parce que la chambre voisine de la nôtre était occupée par un loup et par un canard.

Ne frottez pas vos yeux, vous avez bien entendu: la chambre voisine de la nôtre était occupée par un loup et par un canard.

Un loup et un canard dans une chambre d'hôtel! Pourquoi pas? Tout arrive, même à Marseille.

En dépit des pronostics et des quasi-certitudes que n'eussent pas manqué de tirer les esprits clairvoyants, le loup ne dévora point le canard, si ce n'est de caresses.

–De caresses! vous récriez-vous. Des caresses entre canard et loup!

–Des caresses, parfaitement!

Le loup aimait le canard, et le canard aimait le loup.

Monstrueux! dites-vous. Pourquoi cela?

Avez-vous donc jamais vu, dans les foires, le produit incestueux de la carpe et du lapin?

Et puis, quelque chose contribuait à rendre moins anti-nature les tendresses entre le carnassier et le volatile: leur dimension réciproque.

Le loup était un loup de petite taille et le canard un canard de forte stature.

Ou du moins, je me plus à les considérer ainsi d'après leur conversation.

Le loup appelait le canard: Mon gros canard, cependant que le canard interpellait le loup: Mon petit loup.

Tout compte fait—et surtout pour faire cesser toute plaisanterie qui a trop longtemps duré—nos voisins n'étaient, zoologiquement parlant, ni un loup, ni un canard.

Ils étaient évidemment des amoureux et sans doute des néo-conjoints.

Bientôt, je m'endormis au roucoulement de cette pseudo-ménagerie disparate, et au petit jour, je fus éveillé par des mon petit loup et des mon gros canard sans fin.

–Ils doivent être gentils, ces petits-là! pensai-je.

Et des jours s'écoulèrent.

… Samedi dernier, nous nous trouvions à Nice, dans un restaurant:

À une table tout près de la nôtre vinrent s'asseoir un monsieur et une dame qui ne suscitèrent point, tout d'abord, notre intérêt.

Mais quand nous entendîmes:

–Encore un peu de langouste, mon petit loup?

–Volontiers, mon gros canard!

Vous concevez d'ici notre joie!

Avoir sous la main un petit loup et un gros canard qu'on avait considérés jusqu'alors comme l'apanage exclusif de la chimère! Pouvoir les contempler, les frôler peut-être!

Et nous contemplâmes!

Un penseur doublé d'un écrivain a exprimé un jour cette subtile idée que la réalité ne vaudra jamais le rêve.

Comme il avait raison, ce penseur doublé d'un écrivain!

Ah! il était chouette, le gros canard!

Ah! elle était chouette, le petit loup!

Son nez, au gros canard, était la proie d'un turbulent eczéma. Ses deux douzaines de cheveux demeurés fidèles se tournaient, se contournaient et se recontournaient sur son crâne pour donner, à une portée de fusil, l'illusion d'un système pileux follement développé.

Quant au petit loup, elle donnait plutôt l'illusion d'une femelle de kanguroo dont on aurait craint, tout le temps, que les gros yeux tombassent dans la mayonnaise de sa langouste.

Et ce qu'ils disaient!

Le gros canard parlait de l'année véritablement rigoureuse, et que ça ferait de la misère, et que la misère est mauvaise conseillère aux pauvres gens, et qu'on n'avait pourtant pas besoin de ça, en France!

Et le petit loup concluait:

–Il faudra, cette année, que les riches soient assez raisonnables pour faire un peu la charité!

Le gros canard sembla touché jusqu'aux larmes des sentiments si pitoyables de son petit loup chéri, dont les yeux persistèrent à me donner des inquiétudes par leur tendance à choir dans les assiettes.

UNE DES BEAUTÉS

DE L'ADMINISTRATION FRANÇAISE

Un de mes bons amis de Rouen, garçon d'infiniment de cœur et de beaucoup de talent, M. Raoul Oger, pour ne citer que ses initiales, a conçu depuis longtemps, à l'égard des ponts et chaussées, une haine que la cognée du pardon ne saura jamais abattre.

Rien ne m'ôtera de l'idée qu'il n'y ait sous cette implacabilité quelque inavouée histoire de femme. Mais n'insistons pas: nous pourrions désobliger du même coup mon ami Oger et un ingénieur peut-être honorable.

Bornons-nous à enregistrer, du haut de notre tribune, l'histoire que me confie le jeune littérateur rouennais.

J'aurais volontiers reproduit littéralement sa lettre (ce qui eût merveilleusement convenu à mon genre d'activité); mais, par malheur, Oger a cru devoir mêler à son récit le nom d'une des plus honorables familles d'Elbeuf. Et je n'étonnerai personne en proclamant mon culte pour les familles d'Elbeuf, même les plus dévoyées.

Or, donc, Raoul Oger se promenait récemment sur la route nationale no 25 (il précise), du Havre à Lille, quand il rencontra, un peu après Montivilliers, un bonhomme assis sur le bord de la route, devant un tas de cailloux.

Ce bonhomme était coiffé d'un chapeau cerclé d'une bande d'étoffe noire sur laquelle, en lettres d'or, se détachait ce mot: Cantonnier.

 

Et cette inscription n'était point mensongère: le bonhomme en question constituait, en effet, cet humble rouage de l'administration des ponts et chaussées qu'on appelle cantonnier.

Et ce cantonnier exécutait un travail bizarre.

Il faisait passer dans un anneau circulaire en fer chacun des cailloux qui composaient le tas devant lequel il était assis.

Selon: 1o que le caillou passait dans l'anneau trop facilement; 2o qu'il ne passait pas du tout; 3o qu'il passait à peu près juste, le cantonnier le mettait en un tas différent.

Et ces trois tas pouvaient se définir ainsi:

Le tas des petits cailloux,

Le tas des moyens cailloux,

Le tas des gros cailloux.

Fortement intrigué par cette sélection, Oger, qui aime bien à se rendre compte, engagea la conversation avec l'humble rouage administratif:

–Une belle journée aujourd'hui, hein, cantonnier?

–Oui… On en a vu de pires, mais on en a vu de plus belles.

Cette cordialité encouragea Oger.

–Quelle drôle de besogne vous faites là!… C'est bien utile?

–Oh! utile, ça, je m'en f…! Quand je fais ça, je ne fais pas autre chose… C'est le principal!

–Évidemment.

–Moi, je fais ce que ces messieurs me disent de faire, et je me f… du reste!

–Et vous avez bien raison! Mais qui ça… ces messieurs?

–Eh ben! ces messieurs des pontéchaussées, parbleu!

–Et pourquoi ce triage?

–Ah! voilà. Mon anneau—car c'est un anneau que vous voyez là—a six centimètres de diamètre. Il me sert à enlever de mon tas les trop petits cailloux et les trop gros… Les trop petits, c'est du déchet, on les f… de côté… Les trop gros, on les f… de côté aussi, pour les recasser. On ne garde que ceux qui ont de six à huit centimètres.

–Et ceux-là, qu'en fait-on?

–On les f… sur la route, ceux-là.

–Pour quoi faire?

–Pour la farcir, donc!

–Et quand ils sont sur la route?

–Quand ils sont sur la route, on amène un énorme rouleau qui pèse je ne sais combien de mille kilos, et on le fait passer dessus. Et ça écrase mes cailloux comme des miettes!

Devant cette déclaration inattendue, mon ami Oger demeura, paraît-il, sans voix.

Au bout de quelques minutes, il recouvrait l'usage de cet organe pour s'écrier:

–Mais alors, vos ingénieurs sont bêtes comme des bégonias!

–Oui, monsieur, comme des bégonias! Et aussi laids que des bégonias! Et aussi prétentieux!

Trier soigneusement des cailloux, les séparer des trop petits et des trop gros, pour, finalement, les réduire en miettes, non, tout ça n'était pas fait pour réconcilier Oger avec cette administration des ponts et chaussées que l'Europe ne nous envie que bien relativement.

Et pendant que mon ami Raoul Oger tenait dans ses mains son crâne prêt à éclater, le cantonnier, froidement et avec une conscience digne de l'antique, persistait à faire passer ses cailloux dans son anneau de six centimètres.

LA VRAIE MAÎTRESSE LÉGITIME

Sur un éclat de rire approbateur de son mari (ou de son amant? j'ignorais encore), la jeune femme reprit, avec une assurance non dénuée de culot, le récit de leur aventure:

–D'abord, moi, quand j'étais jeune fille, il y a une phrase qui revenait souvent dans la conversation des personnes graves et qui m'intriguait beaucoup. Les personnes graves répétaient à mi-voix et avec des petits airs pudiques et idiots: «On ne doit jamais se conduire avec sa femme comme on se conduit avec sa maîtresse.» Dans mon vif désir de m'instruire, je m'informais: «Comment se conduit-on avec sa femme? Comment se conduit-on avec sa maîtresse?» Et il fallait voir la tête ahurie des bonnes femmes! Au fond, je crois qu'elles n'avaient, sur ce sujet, que des notions très superficielles. Alors, elles me faisaient des réponses flasques et mucilagineuses: «Eh bien! mon enfant, voici: les messieurs tiennent, devant leurs maîtresses, des propos qu'ils ne doivent pas tenir devant leur femme… Les messieurs vont avec leurs maîtresses dans des endroits où ils ne doivent pas amener leur femme», etc., etc… J'avais beaucoup de peine à me payer de ces raisons, et un jour je faillis flanquer une attaque d'apoplexie à une grosse dame pudibonde, en lui demandant froidement: «Est-ce que les messieurs embrassent leurs maîtresses d'une certaine façon qu'ils ne doivent pas employer avec leur femme?» À part moi, je me disais confidentiellement: «Toi, ma petite amie, quand tu seras mariée, tu prieras ton mari de te traiter en femme légitime d'abord, et puis ensuite en maîtresse», me réservant, bien entendu, de choisir le mode de traitement qui conviendrait le mieux à mon tempérament.

–Vous parliez, approuvai-je chaudement, en femme libre et débarrassée de tout préjugé mondain.

–Oh! vous savez, les préjugés mondains! étant toute petite, je m'asseyais déjà dessus.

–Mais continuez, je vous prie, madame, le récit de ce qui vous advint par la suite.

–Malgré ma détestable réputation dans le monde, je me mariai tout de même et j'épousai Fernand, ce mauvais sujet-là. N'est-ce pas, Fernand, que tu es un mauvais sujet?

–Détestable, mon petit rat, et combien répréhensible! Quand je rentre en moi-même, je prends des bottes d'égoutier.

–Et moi, trois épaisseurs de scaphandre.

Quelques baisers s'échangèrent alors, pour démontrer que ce dégoût (évidemment joué) de leur moi n'était pas mutuel. Et la jeune femme poursuivit:

–Vous vous imaginez peut-être qu'une fois mariée, le monde allait nous ficher la paix avec les différents procédés qu'on emploie à l'égard des maîtresses et des légitimes? Ah ben, ouiche! Au contraire, cela ne fit que redoubler. On aurait juré que mes parents et ceux de Fernand s'étaient donné le mot pour nous raser de leurs jérémiades bourgeoises. À les entendre, on ne pouvait s'embrasser un peu qu'après avoir poussé le verrou de sûreté. Heureusement que Fernand et moi, nous ne sommes pas des types à nous laisser racler les côtelettes longtemps et impunément.

–Racler les côtelettes?

–Oui, raser… quoi! Nous nous rebiffâmes avec une sombre énergie et une peu commune trivialité d'expressions. Un jour, dans un grand dîner, chez les parents de Fernand, je me lève au dessert et je vais embrasser mon petit mari. Tête de ma belle-mère! Alors, moi, devant tout le monde: «Vous avez donc peur que la police ne vienne fermer votre boîte!» Il faut vous dire que le père de Fernand est président du tribunal civil de B… Et tout le temps comme ça! Mais le pire, et ce qui nous a tout à fait fâchés avec nos familles respectives, c'est la blague que nous fîmes, l'été dernier, à nos deux vénérables familles… Quand j'y pense, j'en suis encore malade!

–Je ne demande qu'à gagner votre maladie?

–Oh! vous allez voir, ça n'est pas bien méchant… à raconter… Mais quand on a vu la tête des gens!… Nous avions loué à Hennequeville un délicieux petit pavillon normand, couvert de chaume.

Chaume, sweet, chaume!

–Très drôle, chaume, sweet, chaume! Un pavillon normand que Fernand eut l'idée baroque de baptiser Bombay Cottage.

Mes parents vinrent passer une quinzaine chez nous, et les parents de Fernand une autre quinzaine. Ils étaient enchantés de notre installation: Bombay Cottage par ci, Bombay Cottage par là! Or, ce ne fut qu'à la fin de la saison qu'ils s'aperçurent du déplorable et charmant calembour, appellation de notre home: Bombay Cottage… bon bécotage! Ces pauvres gens, du coup, se crurent déshonorés, rompirent définitivement, et nous coupèrent les vivres ou, tout au moins, ce qu'ils purent nous en couper. Alors, que fîmes-nous, Fernand et moi?… Ça, si vous le devinez, vous serez un rude malin!

–Je ne suis pas un rude malin.

–Eh bien, purement et simplement, Fernand et moi, nous demandâmes le divorce et nous l'obtînmes! De sorte que nous ne sommes plus mari et femme, mais amant et maîtresse… Alors, personne n'a plus rien à nous dire. Nous rigolons comme des vieilles baleines, et pas plus tard que la semaine dernière, nous nous sommes fait fiche à la porte de trois hôtels de Cannes. Ohé! ohé!

–Et comptez-vous quelquefois vous remarier?

–Oh! pas avant qu'on soit devenu des vieux types ridicules!… Pas, mon petit Fernand?

Et Fernand, secouant la cendre de sa pipe, acquiesça.

OHÉ! OHÉ!

Un de mes jeunes lecteurs du Tarn—très gentil garçon, si j'en crois la graphologie—me soumet une idée des plus ingénieuses, patriarcalement simple, mais encore fallait-il la trouver. L'éternelle histoire de Christophe Colomb!

Je vais résumer, avec ma maîtrise habituelle, la lettre de mon brave ami du Tarn:

Le flamboiement inaccoutumé de Mars—uniquement dû, d'ailleurs, à la générale adoption du bec Auer5 par les habitants de cette planète—a remis sur le tapis de l'actualité la toujours intéressante question des communications interastrales.

Si véritablement des mondes animés grouillent au sein des astres environnants, comment leur faire signe que la terre, notre petite terre chérie, est peuplée d'êtres intelligents (je parle de mes lecteurs), fort capables d'entrer en communication avec eux?

Mon pauvre ami Charles Cros avait été très préoccupé de cette question et il publia un petit mémoire fort curieux en lequel il proposait un système de signaux lumineux, commençant sur un rythme très simple pour arriver à des rythmes plus compliqués, mais très susceptibles d'être perçus et compris par des bonshommes cérébralement analogues à nous.

Tout cela est fort joli; mais pour faire d'utiles signaux à des gens, encore faut-il que ces gens vous contemplent.

Si M. Bill-Sharp ou le Captain Cap passent sur l'autre trottoir du boulevard et que vous désiriez échanger avec eux quelques propos piquants, vous attirerez leur attention; comment?

Avec un beau geste? Oui, s'ils vous regardent; mais, sinon?

En les appelant?

Voilà ce que je voulais vous faire dire!… En les appelant.

Si les Martiens ou les Sélénites nous tournent le dos en ce moment, il faut crier très fort pour qu'ils se retournent.

Vous voyez d'ici le projet.

Mobiliser, pendant une heure, toute l'espèce humaine, tous les animaux, toutes les cloches, tous les pistolets, fusils, canons, toutes les assemblées délibérantes, tous les orchestres, depuis celui de Lamoureux jusqu'à la Musique Municipale de Honfleur et la fanfare de la reine de Madagascar, etc., etc., etc., tous les pianos même!

À la même heure (au même instant plutôt, car l'heure est relative), tout ce monde, bêtes et gens, se mettrait à gueuler comme des sourds, les cloches du monde entier entreraient en branle, les pistolets, fusils, canons tonneraient, etc., etc.

Même les plus menus bruits (Vive Casimir-Perier! par exemple) ne seraient point négligés.

Ce joli petit chambard durerait une heure durant.

Après quoi, chacun n'aurait pas volé d'aller se coucher sur les deux oreilles, si par hasard elles se trouvaient encore à leur place.

On n'aurait plus qu'à attendre.

Mars étant séparé de la Terre par une distance de… lieues, le son parcourant… mètres à la seconde, les Martiens entendraient donc notre concert au au bout de… heures… minutes… secondes.

(Ombre de l'amiral Mouchez, si vous êtes contente de la statue que vous dresse au Havre mon ami Dubois, remplissez ces blancs!)

Si, au bout du double de ce temps, on n'entendait aucune clameur astrale, c'est que les Martiens sont sourds, tels des pots, ou qu'ils se fichent de nous comme de leur premier bock (de bière de Mars).

Et alors ce serait à vous décourager de l'astronomie.

Ohé! ohé!

5Cette dernière invention a singulièrement réhabilité M. Auer du consternant système de chopine qui porte son nom et qui vous procure une tant lugubre ivresse.