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Les mille et un fantômes

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A minuit moins un quart, il lui sembla que quelqu'un lui touchait sur l'épaule. Il se réveilla, et vit devant lui une forme blanche ayant l'aspect d'une femme, et qui lui faisait signe de le suivre.

Il crut que c'était une de ces malheureuses qui ont toujours un gîte et du plaisir à offrir à qui peut payer le gîte et le plaisir; et, comme il avait de l'argent, comme il préférait passer la nuit à couvert et couché dans un lit, à la passer dans un hangar et couché sur la paille, il se leva et suivit la femme.

La femme longea un instant les maisons du côté gauche de la Grande-Rue, puis elle traversa la rue, prit une ruelle à droite, faisant toujours signe à l'ouvrier de la suivre.

Celui-ci, habitué à ce manège nocturne, connaissant par expérience les ruelles où se logent ordinairement les femmes du genre de celle qu'il suivait, ne fit aucune difficulté et s'engagea dans la ruelle.

La ruelle aboutissait aux champs; il crut que cette femme habitait une maison isolée, et la suivit encore.

Au bout de cent pas, ils traversèrent une brèche; mais, tout à coup, ayant levé les yeux, il aperçut devant lui la vieille abbaye de Saint Denis, avec son clocher gigantesque et ses fenêtres légèrement teintées par le feu intérieur, près duquel veillait le gardien.

Il chercha des yeux la femme; elle avait disparu.

Il était dans le cimetière.

Il voulut repasser par la brèche. Mais sur cette brèche, sombre, menaçant, le bras tendu vers lai, il lui sembla voir le spectre de Henri IV.

Le spectre fit un pas en avant, et l'ouvrier un pas en arrière.

Au quatrième ou cinquième pas, la terre manqua sous ses pieds, et il tomba à la renverse dans la fosse.

Alors, il lui sembla voir se dresser autour de lui tous ces rois, prédécesseurs et descendants de Henri IV; alors, il lui sembla qu'ils levaient sur lui les uns leurs sceptres, les autres leurs mains de justice, en criant malheur au sacrilège. Alors, il lui sembla qu'au contact de ces mains de justice et de ces sceptres pesants comme du plomb, brûlants comme du feu, il sentait l'un après l'autre ses membres brisés.

C'est en ce moment que minuit sonnait et que la gardien entendait les plaintes.

Je fis ce que je pus pour rassurer ce malheureux; mais sa raison était égarée, et, après un délire de trois jours, il mourut en criant: Grâce!

– Pardon, dit le docteur, mais je ne comprends point parfaitement la conséquence de votre récit. L'accident de votre ouvrier prouve que, la tête préoccupée de ce qui lui était arrivé dans la journée, soit en état de veille, soit en état de somnambulisme, il s'est mis à errer la nuit; qu'en errant, il est entré dans le cimetière, et que, tandis qu'il regardait en l'air, au lieu de regarder à ses pieds, il est tombé dans la fosse où naturellement il s'est, dans sa chute, cassé un bras et une jambe. Or, vous avez parlé d'une prédiction qui s'est réalisée, et je ne vois pas dans tout ceci la plus petite prédiction.

– Attendez, docteur, dit le chevalier, l'histoire que je viens de raconter, et qui, vous avez raison, n'est qu'un fait, mène tout droit à cette prédiction que je vais vous dire, et qui est un mystère.

Cette prédiction, la voici:

Vers le 20 janvier 1794, après la démolition du tombeau de François Ier, on ouvrit le sépulcre de la comtesse de Flandre, fille de Philippe le Long.

Ces deux tombeaux étaient les derniers qui restaient à fouiller; tous les caveaux étaient effondrés, tous les sépulcres étaient vides, tous les ossements étaient au charnier.

Une dernière sépulture était restée inconnue: c'était celle du cardinal de Metz, qui, disait-on, avait été enterré à Saint-Denis.

Tous les caveaux avaient été refermés ou à peu près, caveau des Valois, et caveau des Charles. Il ne restait que le caveau des Bourbons, que l'on devait fermer le lendemain.

Le gardien passait sa dernière nuit dans cette, église où il n'y avait plus rien à garder; permission lui avait donc été donnée de dormir, et il profitait de la permission.

A minuit, il fut réveillé par le bruit de l'orgue et des chants religieux. Il se réveilla, se frotta les yeux et tourna la tête vers le choeur, c'est-à-dire du côté ou venaient les chants.

Alors, il vit avec étonnement les stalles du choeur garnies par les religieux de Saint-Denis; il vit un archevêque officiant à l'autel; il vit la chapelle ardente allumée; et, sous la chapelle ardente allumée, le grand drap d'or mortuaire qui, d'habitude, ne recouvre que le corps des rois.

Au moment où il se réveillait, la messe était finie et le cérémonial de l'enterrement commençait.

Le sceptre, la couronne et la main de justice, posés sur un coussin de velours rouge, étaient remis aux hérauts, qui les présentèrent à trois princes, lesquels les prirent.

Aussitôt s'avancèrent, plutôt glissant que marchant, et sans que le bruit de leurs pas éveillât le moindre écho dans la salle, les gentilshommes de la chambre qui prirent le corps et qui le portèrent dans le caveau des Bourbons, resté seul ouvert, tandis que tous les autres étaient refermés.

Alors, le roi d'armes y descendit, et, lorsqu'il y fut descendu, il cria aux autres hérauts d'avoir à y venir faire leur office.

Le roi d'armes et les hérauts étaient au nombre de cinq.

Du fond du caveau, le roi d'armes appela le premier héraut, qui descendit, portant les éperons; puis le second, qui descendit, portant les gantelets; puis le troisième, qui descendit, portant l'écu; puis le quatrième, qui descendit, portant l'armet timbré; puis le cinquième, qui descendit, portant la cotte d'armes.

Ensuite, il appela le premier valet tranchant, qui apporta la bannière; les capitaines des Suisses, des archers de la garde et des deux cents gentilshommes de la maison; le grand écuyer, qui apporta l'épée royale; le premier chambellan, qui apporta la bannière de France; le grand maître, devant lequel tous les maîtres d'hôtel passèrent, jetant leurs bâtons blancs dans le caveau et saluant les trois princes porteurs de la couronne, du sceptre et de la main de justice, au fur et à mesure qu'ils défilaient; les trois princes, qui apportèrent à leur tour sceptre, main de justice et couronne.

Alors, le roi d'armes cria à voix haute et par trois fois:

«Le roi est mort; vive le roi! – Le roi est mort; vive le roi! – Le roi est mort; vive le roi!»

Un héraut, qui était resté dans le choeur, répéta le triple cri.

Enfin, le grand maître brisa sa baguette en signe que la maison royale était rompue, et que les officiers du roi pouvaient se pourvoir.

Aussitôt les trompettes retentirent et l'orgue s'éveilla.

Puis, tandis que les trompettes sonnaient toujours plus faiblement, tandis que l'orgue gémissait de plus en plus bas, les lumières des cierges pâlirent, les corps des assistants s'effacèrent, et, au dernier gémissement de l'orgue, au dernier son de la trompette, tout disparut.

Le lendemain, le gardien, tout en larmes, raconta l'enterrement royal qu'il avait vu, et auquel, lui, pauvre homme, assistait seul, prédisant que ces tombeaux mutilés seraient remis en place, et que, malgré les décrets de la Convention et l'oeuvre de la guillotine, la France reverrait une nouvelle monarchie et Saint-Denis de nouveaux rois.

Cette prédiction valut la prison et presque l'échafaud au pauvre diable, qui, trente ans plus tard, c'est-à-dire le 20 septembre 1824, derrière la même colonne où il avait eu sa vision, me disait, en me tirant par la basque de mon habit:

– Eh bien! monsieur Lenoir, quand je vous disais que nos pauvres rois reviendraient un jour à Saint-Denis, m'étais-je trompé?

En effet, ce jour-là on enterrait Louis XVIII avec le même cérémonial que le gardien des tombeaux avait vu pratiquer trente ans auparavant.

– Expliquez celle-là, docteur.

X
L'ARTIFAILLE

Soit qu'il fût convaincu, soit, ce qui est plus probable, que la négation lui parût difficile vis-à-vis d'un homme comme le chevalier Lenoir, le docteur se tut.

Le silence du docteur laissait le champ libre aux commentateurs; l'abbé Moulle s'élança dans l'arène.

– Tout ceci me confirme dans mon système, dit-il. – Et quel est votre système? demanda le docteur, enchanté de reprendre la polémique avec de moins rudes jouteurs que M. Ledru et le chevalier Lenoir. – Que nous vivons entre deux mondes invisibles, peuplés, l'un d'esprits infernaux, l'autre d'esprits célestes; qu'à l'heure de notre naissance deux génies, l'un bon, l'autre mauvais, viennent prendre place à nos côtés, nous accompagnent toute notre vie, l'un nous soufflant le bien, l'autre le mal, et qu'à l'heure de notre mort celui qui triomphe s'empare de nous: ainsi, notre corps devient ou la proie d'un démon ou la demeure d'un ange; chez la pauvre Solange, le bon génie avait triomphé, et c'était lui qui vous disait adieu, Ledru, par les lèvres muettes de la jeune martyre, chez le brigand condamné par le juge écossais, c'était le démon qui était resté maître de la place, et c'est lui qui venait successivement au juge sous la forme d'un chat, dans l'habit d'un huissier, avec l'apparence d'un squelette; enfin, dans le dernier cas, c'est l'ange de la monarchie qui a vengé sur le sacrilège la terrible profanation des tombeaux, et qui, comme le Christ se manifestant aux humbles, a montré la restauration future de la royauté à un pauvre gardien de tombeaux, et cela avec autant de pompe que si la cérémonie fantastique avait eu pour témoins tous les futurs dignitaires de la cour de Louis XVIII. – Mais enfin, monsieur l'abbé, dit le docteur, tout système est fondé sur une conviction. – Sans doute. – Mais cette conviction, pour qu'elle soit réelle, il faut qu'elle repose sur un fait. – C'est aussi sur un fait que la mienne repose. – Sur un fait qui vous a été raconté par quelqu'un en qui vous avez toute confiance. – Sur un fait qui m'est arrivé à moi-même. – Ah! l'abbé; voyons le fait.

 

– Volontiers. Je suis né sur cette partie de l'héritage des anciens rois qu'on appelle aujourd'hui le département de l'Aisne, et qu'on appelait autrefois l'Ile-de-France; mon père et ma mère habitaient un petit village situé au milieu de la forêt de Villers-Cotterets, et qu'on appelle Fleury. Avant ma naissance, mes parents avaient déjà eu cinq enfants, trois garçons et deux filles, qui, tous, étaient morts. Il en résulta que, lorsque ma mère se vit enceinte de moi, elle me voua au blanc jusqu'à l'âge de sept ans, et mon père promit un pèlerinage à Notre-Dame-de-Liesse.

Ces deux voeux ne sont point rares en province, et ils avaient entre eux une relation directe, puisque le blanc est la couleur de la Vierge, et que Notre-Dame-de-Liesse n'est autre que la vierge Marie.

Malheureusement, mon père mourut pendant la grossesse de ma mère; mais ma mère, qui était une femme pieuse, ne résolut pas moins d'accomplir le double voeu dans toute sa rigueur: aussitôt ma naissance, je fus habillé de blanc des pieds à la tête, et, aussitôt qu'elle put marcher, ma mère entreprit à pied, comme il avait été voté, le pèlerinage sacré.

Notre-Dame-de-Liesse, heureusement, n'était située qu'à quinze ou seize lieues du village de Fleury; en trois étapes, ma mère fut rendue à destination.

Là, elle fit ses dévotions, et reçut des mains du curé une médaille d'argent, qu'elle m'attacha au cou.

Grâce à ce double voeu, je fus exempt de tous les accidents de la jeunesse, et, lorsque j'eus atteint l'âge de raison, soit résultat de l'éducation religieuse que j'avais reçue, soit influence de la médaille, je me sentis entraîné vers l'état ecclésiastique; ayant fait mes études au séminaire de Soissons, j'en sortis prêtre en 1780, et fus envoyé vicaire à Étampes.

Le hasard fit que je fus attaché à celle des quatre églises d'Étampes qui est sous l'invocation de Notre-Dame.

Cette église est un des merveilleux monuments que l'époque romane a légués au moyen âge. Fondée par Robert le Fort, elle fut achevée au douzième siècle seulement; elle a encore aujourd'hui des vitraux admirables qui, lors de son édification récente, devaient admirablement s'harmonier avec la peinture et la dorure qui couvraient ses colonnes et en enrichissaient les chapiteaux.

Tout enfant, j'avais fort aimé ces merveilleuses efflorescences de granit que la foi a fait sortir de terre du dixième au seizième siècle, pour couvrir le sol de la France, cette fille aînée de Rome, d'une forêt d'églises, et qui s'arrêta quand la foi mourut dans les coeurs, tuée par le poison de Luther et de Calvin.

J'avais joué, tout enfant, dans les ruines de Saint-Jean de Soissons; j'avais réjoui mes yeux aux fantaisies de toutes ces moulures, qui semblent des fleurs pétrifiées, de sorte que, lorsque je vis Notre-Dame d'Étampes, je fus heureux que le hasard, ou plutôt la providence, m'eût donné, hirondelle, un semblable nid; alcyon, un pareil vaisseau.

Aussi mes moments heureux étaient ceux que je passais dans l'église. Je ne veux pas dire que ce fût un sentiment purement religieux qui m'y retînt; non, c'était un sentiment de bien-être qui peut se comparer à celui de l'oiseau que l'on tire de la machine pneumatique, où l'on a commencé à faire le vide, pour le rendre à l'espace et à la liberté Mon espace à moi, c'était celui qui s'étendait du portail à l'abside; ma liberté, c'était de rêver, pendant deux heures, à genoux sur une tombe ou accoudé à une colonne. – A quoi rêvais-je? ce n'était certainement pas à quelque argutie théologique; non, c'était à cette lutte éternelle du bien et du mal, qui tiraille l'homme depuis le jour du péché; c'était à ces beaux anges aux ailes blanches, à ces hideux démons aux faces rouges, qui, à chaque rayon de soleil, étincelaient sur les vitraux, les uns resplendissants du feu céleste, les autres flamboyants aux flammes de l'enfer. Notre-Dame enfin, c'était ma demeure: là, je vivais, je pensais, je priais. La petite maison presbytérienne qu'on m'avait donnée n'était que mon pied-à-terre, j'y mangeais et j'y couchais, voilà tout.

Encore souvent ne quittais-je ma belle Notre-Dame qu'à minuit ou une heure du matin.

On savait cela. Quand je n'étais pas au presbytère, j'étais à Notre-Dame. On venait m'y chercher, et l'on m'y trouvait.

Des bruits du monde, bien peu parvenaient jusqu'à moi, renfermé comme je l'étais dans ce sanctuaire de religion, et surtout de poésie.

Cependant, parmi ces bruits, il y en avait un qui intéressait tout le monde, petits et grands, clercs et laïques. Les environs d'Étampes étaient désolés par les exploits d'un successeur, ou plutôt d'un rival de Cartouche et de Poulailler, qui, pour l'audace, paraissait devoir suivre les traces de ses prédécesseurs.

Ce bandit, qui s'attaquait à tout, mais particulièrement aux églises, avait nom l'Artifaille.

Une chose qui me fit donner une attention plus particulière aux exploits de ce brigand, c'est que sa femme, qui demeurait dans la ville basse d'Étampes, était une de mes pénitentes les plus assidues. Brave et digne femme, pour qui le crime dans lequel était tombé son mari était un remords, et qui, se croyant responsable devant Dieu, comme épouse, passait sa vie en prières et en confession, espérant, par ses oeuvres saintes, atténuer l'impiété de son mari.

Quant à lui, je viens de vous le dire, c'était un bandit ne craignant ni Dieu ni diable, prétendant que la société était mal faite, et qu'il était envoyé sur la terre pour la corriger; que, grâce à lui, l'équilibre se rétablirait dans les fortunes, et qu'il n'était que le précurseur d'une secte que l'on verrait apparaître un jour, et qui prêcherait ce que, lui, mettait en pratique, c'est-à-dire la communauté des biens.

Vingt fois il avait été pris et conduit en prison; mais, presque toujours, à la deuxième ou troisième nuit; on avait trouvé la prison vide; comme on ne savait de quelle façon se rendre compte de ces évasions, on disait qu'il avait trouvé l'herbe qui coupe le fer.

Il y avait donc un certain merveilleux qui s'attachait à cet homme.

Quant à moi, je n'y songeais, je l'avoue, que quand sa pauvre femme venait se confesser à moi, m'avouant ses terreurs et me demandant mes conseils.

Alors, vous le comprenez, je lui conseillais d'employer toute son influence sur son mari pour le ramener dans la bonne voie. Mais l'influence de la pauvre femme était bien faible. Il lui restait donc cet éternel recours en grâce que la prière ouvre devant le Seigneur.

Les fêtes de Pâques de l'année 1783 approchaient. C'était dans la nuit du jeudi au vendredi saint. J'avais, dans la journée du jeudi, entendu grand nombre de confessions, et, vers huit heures du soir, je m'étais trouvé tellement fatigué, que je m'étais endormi dans le confessionnal.

Le sacristain m'avait vu endormi; mais, connaissant mes habitudes, et sachant que j'avais sur moi une clef de la petite porte de l'église, il n'avait pas même songé à m'éveiller; ce qui m'arrivait ce soir-là m'était arrivé cent fois.

Je dormais donc, lorsqu'au milieu de mon sommeil je sentis résonner comme un double bruit. L'un était la vibration du marteau de bronze sonnant minuit; l'autre était le froissement d'un pas sur la dalle.

J'ouvris les yeux, et je m'apprêtais à sortir du confessionnal quand, dans le rayon de lumière jeté par la lune à travers les vitraux d'une des fenêtres, il me sembla voir passer un homme.

Comme cet homme marchait avec précaution, regardant autour de lui à chaque pas qu'il faisait, je compris que ce n'était ni un des assistants, ni le bedeau, ni le chantre, ni aucun des habitués de l'église, mais quelque intrus se trouvant là en mauvaise intention.

Le visiteur nocturne s'achemina vers le choeur. Arrivé là, il s'arrêta, et, au bout d'un instant, j'entendis le coup sec du fer sur une pierre à feu; je vis pétiller une étincelle, un morceau d'amadou s'enflamma, et une allumette alla fixer sa lumière errante à l'extrémité d'un cierge posé sur l'autel.

A la lueur de ce cierge, je pus voir alors un homme de taille médiocre, portant à la ceinture deux pistolets et un poignard, à la figure railleuse plutôt que terrible, et qui, jetant un regard investigateur dans toute l'étendue de la circonférence éclairée par le cierge, parut complètement rassuré par cet examen.

En conséquence, il tira de sa poche, non pas un trousseau de clefs, mais un trousseau de ces instruments destinés à les remplacer, et que l'on appelle rossignol, du nom sans doute de ce fameux Rossignol, qui se vantait d'avoir la clef de tous les chiffres, À l'aide d'un de ces instruments, il ouvrit le tabernacle, en tirant d'abord le saint-ciboire, magnifique coupe de vieil argent, ciselée sous Henri II, puis un ostensoir massif, qui avait été donné à la ville par la reine Marie-Antoinette, puis enfin deux burettes de vermeil.

Comme c'était tout ce que renfermait le tabernacle, il le referma avec soin, et se mit à genoux pour ouvrir le dessous de l'autel, qui faisait châsse.

Le dessous de l'autel renfermait une Notre-Dame en cire couronnée d'une couronne d'or et de diamants et couverte d'une robe toute brodée de pierreries.

Au bout de cinq minutes, la châsse, dont, au reste, le voleur eût pu briser les parois de glace, était ouverte, comme le tabernacle, à l'aide d'une fausse clef, et il s'apprêtait à joindre la robe et la couronne à l'ostensoir, aux burettes et au saint-ciboire, lorsque, ne voulant pas qu'un pareil vol s'accomplît, je sortis du confessionnal, et m'avançai vers l'autel.

Le bruit que je produisis en ouvrant la porte fit retourner le voleur. Il se pencha de mon côté, et essaya de plonger son regard dans les lointaines obscurités de l'église; mais le confessionnal était hors de la portée de la lumière, de sorte qu'il ne me vit réellement que lorsque j'entrai dans le cercle éclairé par la flamme tremblotante du cierge.

En apercevant un homme, le voleur s'appuya contre l'autel, tira un pistolet de sa ceinture et le dirigea vers moi.

Mais, à ma longue robe noire, il put bientôt voir que je n'étais qu'un simple prêtre inoffensif, et n'ayant pour toute sauvegarde que la foi, pour toute arme que la parole.

Malgré la menace du pistolet dirigé contre moi, j'avançai jusqu'aux marches de l'autel. Je sentais que, s'il tirait sur moi, ou le pistolet raterait, ou la balle dévierait; j'avais la main à ma médaille, et je me sentais tout entier couvert du saint amour de Notre-Dame.

Cette tranquillité du pauvre vicaire parut émouvoir le bandit.

– Que voulez-vous? me dit-il d'une voix qu'il s'efforçait de rendre assurée. – Vous êtes l'Artifaille? lui dis-je. – Parbleu, répondit-il, qui donc oserait, si ce n'était moi, pénétrer seul dans une église, comme je le fais? – Pauvre pécheur endurci qui tires orgueil de ton crime, lui dis-je, ne comprends-tu pas qu'à ce jeu que tu joues tu perds non seulement ton corps, mais encore ton âme? – Bah! dit-il, quant à mon corps, je l'ai sauvé déjà tant de fois, que j'ai bonne espérance de le sauver encore, et, quant à mon âme… – Eh bien! quant à ton âme! – Cela regarde ma femme: elle est sainte pour deux, et elle sauvera mon âme en même temps que la sienne. – Vous avez raison, votre femme est une sainte femme, mon ami, et elle mourrait certainement de douleur si elle apprenait que vous eussiez accompli le crime que vous étiez en train d'exécuter. – Oh! oh! vous croyez qu'elle mourra de douleur, ma pauvre femme? – J'en suis sûr. – Tiens! je vais donc être veuf, continua le brigand en éclatant de rire et étendant les mains vers les vases sacrés.

Mais je montai les trois marches de l'autel et lui arrêtai le bras.

– Non, lui dis-je, car vous ne commettrez pas ce sacrilège. – Et qui m'en empêchera? – Moi. – Par la force? – Non, par la persuasion. Dieu n'a pas envoyé ses ministres sur la terre pour qu'ils usassent de la force, qui est une chose humaine, mais de la persuasion, qui est une vertu céleste. Mon ami, ce n'est pas pour l'église, qui peut se procurer d'autres vases, mais pour vous, qui ne pourrez pas racheter votre péché; mon ami, vous ne commettrez pas ce sacrilège. – Ah çà! mais vous croyez donc que c'est le premier, mon brave homme? – Non, je sais que c'est le dixième, le vingtième, le trentième peut-être, mais qu'importe? Jusqu'ici vos yeux étaient fermés, vos yeux s'ouvriront ce soir, voilà tout. N'avez-vous pas entendu dire qu'il y avait un homme nommé Saul qui gardait les manteaux de ceux qui lapidaient saint Etienne? Eh bien! cet homme, il avait les yeux couverts d'écailles, comme il le dit lui-même; un jour les écailles tombèrent de ses yeux; il vit, et ce fut saint Paul. – Dites-moi donc, monsieur l'abbé, saint Paul n'a-t-il pas été pendu? – Oui. – Eh bien! a quoi cela lui a-t-il servi de voir? – Cela lui a servi à être convaincu que, parfois, le salut est dans le supplice. Aujourd'hui, saint Paul a laissé un nom vénéré sur la terre, et jouit de la béatitude éternelle dans le ciel. – A quel âge est-il arrivé à saint Paul de voir? – À trente-cinq ans. – J'ai passé l'âge, j'en ai quarante. – Il est toujours temps de se repentir. Sur la croix, Jésus disait au mauvais larron: – Un mot de prière, et je te sauve. – Ah ça! tu tiens donc à ton argenterie? dit le bandit en me regardant. – Non. Je tiens à ton âme, que je veux sauver. – A mon âme! Tu me feras accroire cela; tu t'en moques pas mal! – Veux-tu que je te prouve que c'est à ton âme que je tiens? lui dis-je. – Oui, donne-moi cette preuve, tu me feras plaisir. – A combien estimes-tu le vol que tu vas commettre cette nuit? – Eh! eh! fit le brigand en regardant les burettes, le calice, l'ostensoir et la robe de la Vierge avec complaisance, à mille écus. – A mille écus? – Je sais bien que cela vaut le double; mais il faudra perdre au moins les deux tiers dessus; ces diables de juifs sont si voleurs! – Viens chez moi. – Chez toi? – Oui, chez moi, au presbytère. J'ai une somme de mille francs, je te la donnerai acompte. – Et les deux autres mille? – Les deux autres mille? eh bien! je te promets, foi de prêtre, que j'irai dans mon pays; ma mère a quelque bien, je vendrai trois ou quatre arpents de terre pour faire les deux autres mille francs, et je le les donnerai. – Oui, pour que tu me donnes un rendez-vous et que tu me fasses tomber dans quelque piège? – Tu ne crois pas ce que tu dis là, fis-je en étendant la main vers lui. – Eh bien! c'est vrai, je n'y crois pas, dit-il d'un air sombre. Mais ta mère, elle est donc riche? – Ma mère est pauvre. – Elle sera ruinée, alors? – Quand je lui aurai dit qu'au prix de sa ruine j'ai sauvé une âme, elle me bénira. D'ailleurs, si elle n'a plus rien, elle viendra demeurer avec moi, et j'aurai toujours pour deux. – J'accepte, dit-il; allons chez toi. – Soit, mais attends. – Quoi? – Renferme dans le tabernacle les objets que tu y as pris, referme-le à clef, cela te portera bonheur.

 

Le sourcil du bandit se fronça comme celui d'un homme que la foi envahit malgré lui: il replaça les vases sacrés dans le tabernacle et le referma. – Viens, dit-il. – Fais d'abord le signe de la croix, lui dis-je.

Il essaya de jeter un rire moqueur, mais le rire commencé s'interrompit de lui-même.

Puis il fit le signe de la croix.

– Maintenant, suis-moi, lui dis-je.

Nous sortîmes par la petite porte; en moins de cinq minutes, nous fûmes chez moi.

Pendant le chemin, si court qu'il fût, le bandit avait paru fort inquiet, regardant autour de lui et craignant que je ne voulusse le faire tomber dans quelque embuscade.

Arrivé chez moi, il se tint près de la porte.

– Eh bien! ces mille francs? demanda-t-il. – Attends, répondis-je.

J'allumai une bougie à mon feu mourant; j'ouvris une armoire, j'en tirai un sac.

– Les voilà; lui dis-je.

Et je lui donnai le sac.

– Maintenant les deux autres mille, quand les aurai-je? – Je te demande six semaines. – C'est bien, je te donne six semaines. – A qui les remettrai-je?

Le bandit réfléchit un instant.

– A ma femme, dit-il. – C'est bien! – Mais elle ne saura pas d'où ils viennent ni comment je les ai gagnés? – Elle ne le saura pas, ni elle ni personne. Et jamais, à ton tour, tu ne tenteras rien ni contre Notre-Dame d'Étampes ni contre toute autre église sous l'invocation de la Vierge? – Jamais! – Sur ta parole? – Foi de l'Artifaille. – Va, mon frère, et ne pèche plus.

Je le saluai en lui faisant signe de la main qu'il était libre de se retirer.

Il parut hésiter un moment; puis, ouvrant la porte avec précaution, il disparut.

Je me mis à genoux… et je priai pour cet homme.

Je n'avais pas fini ma prière que j'entendis frapper à la porte.

– Entrez, dis-je sans me retourner.

Quelqu'un effectivement, me voyant en prière, s'arrêta en entrant et se tint debout derrière moi.

– Lorsque j'eus achevé mon oraison, je me retournai, et je vis l'Artifaille immobile et droit près de la porte, ayant son sac sous son bras.

– Tiens, me dit-il, je te rapporte tes mille francs. – Mes mille francs? – Oui, et je te tiens quitte des deux mille autres. – Et cependant la promesse que tu m'as faite subsiste? – Parbleu! – Tu te repens donc? – Je ne sais pas si je me repens, oui ou non, mais je ne veux pas de ton argent, voilà tout.

Et il posa le sac sur le rebord du buffet.

Puis, le sac déposé, il s'arrêta comme pour demander quelque chose; mais cette demande, on le sentait, avait peine à sortir de ses lèvres.

– Que désirez-vous? lui demandai-je. Parlez, mon ami. Ce que vous venez de faire est bien; n'ayez pas honte de faire mieux. – Tu as une grande dévotion à Notre-Dame? me demanda-t-il. – Une grande. – Et tu crois que, par son intercession, un homme, si coupable qu'il soit, peut être sauvé à l'heure de la mort? Eh bien! en échange de tes trois mille francs, dont je te tiens quitte, donne-moi quelque relique, quelque chapelet, quelque reliquaire que je puisse baiser à l'heure de ma mort.

Je détachai la médaille et la chaîne d'or que ma mère m'avait passées au cou le jour de ma naissance, qui ne m'avaient jamais quitté depuis, et je les donnai au brigand.

Le brigand posa ses lèvres sur la médaille et s'enfuit.

Un an s'écoula sans que j'entendisse parler de l'Artifaille; sans doute il avait quitté Étampes pour aller exercer ailleurs.

Sur ces entrefaites, je reçus une lettre de mon confrère, le vicaire de Fleury. Ma bonne mère était bien malade et m'appelait près d'elle. J'obtins un congé et je partis.

Six semaines ou deux mois de bons soins et de prières rendirent la santé à ma mère. Nous nous quittâmes, moi joyeux, elle bien portante, et je revins à Étampes.

J'arrivai un vendredi soir, toute la ville était en émoi. Le fameux voleur l'Artifaille s'était fait prendre du côté d'Orléans, avait été jugé au présidial de cette ville, qui, après condamnation, l'avait envoyé à Étampes pour être pendu, le canton Étampes ayant été principalement le théâtre de ses méfaits.

L'exécution avait eu lieu le matin même.

Voilà ce que j'appris dans la rue; mais, en entrant au presbytère, j'appris autre chose encore: c'est qu'une femme de la ville basse était venue depuis la veille au matin, c'est-à-dire depuis le moment où l'Artifaille était arrivé à Étampes pour y subir son supplice, était venue s'informer plus de dix fois si j'étais de retour.

Cette insistance n'était pas étonnante. J'avais écrit pour annoncer ma prochaine arrivée, et j'étais attendu d'un moment à l'autre.

Je ne connaissais dans la ville basse que la pauvre femme qui allait devenir veuve. Je résolus d'aller chez elle avant d'avoir même secoué la poussière de mes pieds.

Du presbytère à la ville basse, il n'y avait qu'un pas. Dix heures du soir sonnaient, il est vrai; mais je pensais que, puisque le désir de me voir était si ardent, la pauvre femme ne serait pas dérangée par ma visite.

Je descendis donc au faubourg et me fis indiquer sa maison. Comme tout le monde la connaissait pour une sainte, nul ne lui faisait un crime du crime de son mari, nul ne lui faisait une honte de sa honte.

J'arrivai à la porte. Le volet était ouvert, et, par le carreau de vitre, je pus voir la pauvre femme, au pied du lit, agenouillée et priant.

Au mouvement de ses épaules, on pouvait deviner qu'elle sanglotait en priant.

Je frappai à la porte.

Elle se leva, et vint vivement ouvrir.

– Ah! monsieur l'abbé! s'écria-t-elle, je vous devinais. Quand on a frappé, j'ai compris que c'était vous. Hélas! hélas! vous arrivez trop tard: mon mari est mort sans confession. – Est-il donc mort dans de mauvais sentiments? – Non; bien au contraire, je suis sûre qu'il était chrétien au fond du coeur; mais il avait déclaré qu'il ne voulait pas d'autre prêtre que vous, qu'il ne se confesserait qu'à vous, et que, s'il ne se confessait pas à vous, il ne se confesserait à personne qu'à Notre-Dame. – Il vous a dit cela? – Oui, et, tout en le disant, il baisait une médaille de la Vierge pendue à son cou avec une chaîne d'or, recommandant par-dessus toute chose qu'on ne lui ôtât point cette médaille, et affirmant que, si on parvenait à l'ensevelir avec cette médaille, le mauvais esprit n'aurait aucune prise sur son corps. – Est-ce tout ce qu'il a dit? – Non. En me quittant pour marcher à l'échafaud, il m'a dit encore que vous arriveriez ce soir, que vous viendriez me voir sitôt votre arrivée; voilà pourquoi je vous attendais. – Il vous a dit cela? fis-je avec étonnement, – Oui; et puis encore il m'a chargée d'une dernière prière. – Pour moi? – Pour vous. Il a dit qu'à quelque heure que vous veniez, je vous priasse… Mon Dieu! je n'oserai jamais vous dire une pareille chose. – Dites, ma bonne femme, dites. – Eh bien! que je vous priasse d'aller à la Justice2, et là, sous son corps, de dire, au profit de son âme, cinq pater et cinq ave. Il a dit que vous ne me refuseriez pas, monsieur l'abbé. – Et il a eu raison, car je vais y aller. – Oh! que vous êtes bon!

2On appelait ainsi l'endroit où l'on pendait les voleurs et les assassins.