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Les compagnons de Jéhu

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Ces pas étaient ceux d'un homme élégamment chaussé, et chaussé en cavalier.

Ses éperons avaient laissé trace sur la neige.

Jacques n'avait pas hésité, il avait suivi les pas.

On voyait la trace de son gros soulier près de celle de la fine botte, du large pied du paysan près du pied élégant du citadin.

Il était cinq heures du matin, le jour allait venir; Michel résolut de ne pas aller plus loin.

Du moment où Jacques était sur la piste, le jeune braconnier valait le vieux. Michel fit un grand tour par la plaine, comme s'il revenait de Ceyzeriat, et résolut d'entrer dans l'auberge et d'y attendre Jacques.

Jacques comprendrait que son père avait dû le suivre et qu'il s'était arrêté à la maison isolée.

Michel frappa au contrevent, se fit ouvrir; il connaissait l'hôte, habitué à le voir dans ses exercices nocturnes, lui demanda une bouteille de vin, se plaignit d'avoir fait buisson creux, et demanda, tout en buvant, la permission d'attendre son fils, qui était à laffût de son côté, et qui peut-être aurait été plus heureux que lui.

Il va sans dire que la permission fut facile à obtenir.

Michel avait eu soin de faire ouvrir les volets pour voir sur la route.

Au bout d'un instant, on frappa aux carreaux.

C'était Jacques.

Son père lappela.

Jacques avait été aussi malheureux que son père: il n'avait rien tué.

Jacques était gelé.

Une brassée de bois fut jetée sur le feu, un second verre apporté.

Jacques se réchauffa et but.

Puis, comme il fallait rentrer au château des Noires-Fontaines avec le jour, pour qu'on ne s'aperçût point de l'absence des deux braconniers, Michel paya la bouteille de vin et la flambée, et tous deux partirent.

Ni l'un ni l'autre n'avaient dit devant l'hôte un mot de ce qui les préoccupait; il ne fallait point que l'on soupçonnât qu'ils fussent en quête d'autre chose que du gibier.

Mais, une fois de l'autre côté du seuil, Michel se rapprocha vivement de son fils.

Alors, Jacques lui raconta qu'il avait suivi les traces assez avant dans la forêt, mais qu'arrivé à un carrefour, il avait vu tout à coup se lever devant lui un homme armé d'un fusil; et que cet homme lui avait demandé ce qu'il venait faire à cette heure dans le bois.

Jacques avait répondu qu'il cherchait un affût.

– Alors, allez plus loin, avait répondu l'homme; car, vous le voyez, cette place est prise. Jacques avait reconnu la justesse de la réclamation et avait, en effet, été cent pas plus loin.

Mais, au moment où il obliquait à gauche pour rentrer dans l'enceinte dont il avait été écarté, un autre homme, armé comme le premier, s'était tout aussi inopinément levé devant lui, lui adressant la même question.

Jacques n'avait pas d'autre réponse à faire que la réponse déjà faite:

– Je cherche un affût.

L'homme alors lui avait montré du doigt la lisière de la forêt, et, d'un ton presque menaçant, lui avait dit:

– Si j'ai un conseil à vous donner, mon jeune ami, c'est d'aller là-bas; je crois qu'il fait meilleur là-bas qu'ici.

Jacques avait suivi le conseil, ou du moins avait fait semblant de le suivre; car, arrivé à l'endroit indiqué, il s'était glissé le long du fossé, et, convaincu de l'impossibilité de retrouver, en ce moment du moins, la piste de M. de Valensolle, il avait gagné au large, avait rejoint la grande route à travers champs et était revenu vers le cabaret, où il espérait retrouver son père et où il l'avait retrouvé en effet.

Ils étaient arrivés tous deux au château des Noires-Fontaines, on le sait déjà, au moment où les premiers rayons du jour pénétraient à travers les volets.

Tout ce que nous venons de dire fut raconté à Roland avec une foule de détails que nous omettons, et qui n'eurent pour résultat que de convaincre le jeune officier que les deux hommes armés de fusils qui s'étaient levés à l'approche de Jacques, n'étaient autres, tout braconniers qu'ils semblaient être, que des compagnons de Jéhu.

Mais quel pouvait être ce repaire? Il n'y avait de ce côté-là ni couvent abandonné, ni ruines.

Tout à coup, Roland se frappa la tête.

– Oh! bélître que je suis! comment n'avais-je point songé à cela?

Un sourire de triomphe passa sur ses lèvres, et, s'adressant aux deux hommes, désespérés de ne point lui apporter de nouvelles plus précises:

– Mes enfants, dit-il, je sais tout ce que je voulais savoir. Couchez-vous et dormez tranquilles; vous l'avez, pardieu, bien mérité.

Et, de son côté, donnant l'exemple, Roland dormit en homme qui vient de résoudre un problème de la plus haute importance, qu'il a longtemps creusé inutilement.

L'idée lui était venue que les compagnons de Jéhu avaient abandonné la chartreuse de Seillon pour les grottes de Ceyzeriat et en même temps il s'était rappelé la communication souterraine qui existait entre cette grotte et l'église de Brou.

XLVII – UNE RECONNAISSANCE

Le même jour, usant de la permission qui lui avait été accordée la veille, sir John se présenta entre midi et une heure chez mademoiselle de Montrevel.

Tout se passa, comme l'avait désiré Morgan. Sir John fut reçu comme un ami de la famille, lord Tanlay fut reçu comme un prétendant dont la recherche honorait.

Amélie n'opposa aux désirs de son frère et de sa mère, aux ordres du premier consul, que létat de sa santé; c'était demander du temps. Lord Tanlay s'inclina; il obtenait autant qu'il avait espéré obtenir, il était agréé.

Cependant il comprit que sa présence trop prolongée à Bourg serait inconvenante, Amélie se trouvant éloignée, toujours par ce prétexte de santé, de sa mère et de son frère.

En conséquence, il annonça à Amélie une seconde visite pour le lendemain et son départ pour la même soirée.

Il attendrait, pour la revoir, ou qu'Amélie vînt à Paris, ou que madame de Montrevel revînt à Bourg. Cette seconde circonstance était la plus probable, Amélie disant qu'elle avait besoin du printemps et de l'air natal pour aider au retour de sa santé.

Grâce à la délicatesse parfaite de sir John, les désirs d'Amélie et de Morgan étaient accomplis, les deux amants avaient devant eux du temps et de la solitude.

Michel sut ces détails de Charlotte, et Roland les sut de Michel.

Roland résolut de laisser partir sir John avant de rien tenter.

Mais cela ne lempêcha point de lever un dernier doute.

La nuit venue, il prit un costume de chasseur, jeta sur ce costume la blouse de Michel, abrita son visage sous un large chapeau, passa une paire de pistolets dans le ceinturon de son couteau de chasse, caché comme ses pistolets sous sa blouse, et se hasarda sur la route des Noires-Fontaines à Bourg.

Il s'arrêta à la caserne de gendarmerie et demanda à parler au capitaine.

Le capitaine était dans sa chambre; Roland monta et se fit reconnaître; puis, comme il n'était que huit heures du soir et qu'il pouvait être reconnu par quelque passant, il éteignit la lampe.

Les deux hommes restèrent dans l'obscurité.

Le capitaine savait déjà ce qui s'était passé, trois jours auparavant, sur la route de Lyon, et, certain que Roland n'avait pas été tué, il s'attendait à sa visite.

À son grand étonnement, Roland ne venait lui demander qu'une seule chose, ou plutôt que deux choses: la clef de l'église de Bourg et une pince.

Le capitaine lui remit les deux objets demandés et offrit à Roland de laccompagner dans son excursion; mais Roland refusa: il était évident qu'il avait été trahi par quelqu'un lors de son expédition de la Maison-Blanche; il ne voulait pas s'exposer à un second échec.

Aussi recommanda-t-il au capitaine de ne parler à personne de sa présence et d'attendre son retour, quand même ce retour tarderait d'une heure ou deux.

Le capitaine s'y engagea.

Roland, sa clef à la main droite, sa pince à la main gauche, gagna sans bruit la porte latérale de l'église, l'ouvrit, la referma et se trouva en face de la muraille de fourrage.

Il écouta: le plus profond silence régnait dans léglise solitaire.

Il rappela ses souvenirs de jeunesse, s'orienta, mit la clef dans sa poche, et escalada la muraille de foin, qui avait une quinzaine de pieds de haut, et formait une espèce de plate-forme; puis, comme on descend d'un rempart au moyen d'un talus, par une espèce de talus il se laissa glisser jusqu'au sol, tout pavé de dalles mortuaires.

Le choeur était vide, grâce au jubé qui le protégeait d'un côté, et grâce aux murailles qui l'enceignaient à droite et à gauche.

La porte du jubé était ouverte: Roland pénétra donc sans difficulté dans le choeur.

Il se trouva en face du monument de Philibert le Beau.

À la tête du prince se trouvait une grande dalle carrée: c'était celle par laquelle on descendait dans les caveaux souterrains.

Roland connaissait ce passage; car, arrivé près de la dalle, il s'agenouilla, cherchant avec sa main la jointure de la pierre.

Il la trouva, se releva, introduisit la pince dans la rainure et souleva la dalle.

D'une main, il la soutint au-dessus de sa tête, tandis qu'il descendait dans le caveau.

Puis lentement il la laissa retomber.

On eût dit que, volontairement, le visiteur nocturne se séparait du monde des vivants et descendait dans le monde des morts.

Et ce qui devait paraître étrange à celui qui voit dans le jour et dans les ténèbres, sur la terre comme dessous, c'était limpassibilité de cet homme qui côtoyait les morts pour découvrir les vivants, et qui, malgré lobscurité, la solitude, le silence, ne frissonnait même pas au contact des marbres funèbres.

Il alla, tâtonnant au milieu des tombes, jusqu'à ce qu'il eût reconnu la grille qui donnait dans le souterrain.

Il explora la serrure; elle était fermée au pêne seulement. Il introduisit lextrémité de sa pince entre le pêne et la gâche, et poussa légèrement.

 

La grille s'ouvrit.

Il tira la porte, mais sans la fermer, afin de pouvoir revenir sur ses pas, et dressa la pince dans son angle.

Puis, loreille tendue, la pupille dilatée, tous les sens surexcités par le désir d'entendre, le besoin de respirer, l'impossibilité de voir, il s'avança lentement, un pistolet tout armé d'une main, et s'appuyant, de lautre, à la paroi de la muraille.

Il marcha ainsi un quart d'heure.

Quelques gouttes d'eau glacée, en filtrant à travers la voûte du souterrain et en tombant sur ses mains et sur ses épaules, lui avaient appris qu'il passait au-dessous de la Reyssouse.

Au bout de ce quart d'heure de marche, il trouva la porte qui communiquait du souterrain dans la carrière. Il fit halte un instant; il respirait plus librement, en outre, il lui semblait entendre des bruits lointains, et voir voltiger sur les piliers de pierre qui soutenaient la voûte comme des lueurs de feux follets.

On eût pu croire, en ne distinguant que la forme de ce sombre écouteur, que c'était de lhésitation, mais, si l'on eût pu voir sa physionomie, on eût compris que c'était de l'espérance.

Il se remit en chemin, se dirigeant vers les lueurs qu'il avait cru apercevoir, vers ce bruit qu'il avait cru entendre.

À mesure qu'il approchait, le bruit arrivait à lui plus distinct, la lumière lui apparaissait plus vive.

Il était évident que la carrière était habitée; par qui? Il n'en savait rien encore; mais il allait le savoir.

Il n'était plus qu'à dix pas du carrefour de granit que nous avons signalé à notre première descente dans la grotte de Ceyzeriat. Il se colla contre la muraille, s'avançant imperceptiblement; on eût dit, au milieu de lobscurité, un bas-relief mobile.

Enfin, sa tête arriva à dépasser un angle, et son regard plongea sur ce que l'on pouvait appeler le camp des compagnons de Jéhu.

Ils étaient douze ou quinze occupés à souper.

Il prit à Roland une folle envie: c'était de se précipiter au milieu de tous ces hommes, de les attaquer seul, et de combattre jusqu'à la mort.

Mais il comprima ce désir insensé, releva sa tête avec la même lenteur qu'il lavait avancée, et, les yeux pleins de lumière, le coeur plein de joie, sans avoir été entendu, sans avoir été soupçonné, il revint sur ses pas, reprenant le chemin qu'il venait de faire.

Ainsi, tout lui était expliqué: l'abandon de la chartreuse de Seillon, la disparition de M. de Valensolle, les faux braconniers placés aux environs de louverture de la grotte de Ceyzeriat.

Cette fois, il allait donc prendre sa vengeance, et la prendre terrible, la prendre mortelle.

Mortelle, car, de même qu'il soupçonnait qu'on l'avait épargné, il allait ordonner d'épargner les autres; seulement, lui, on l'avait épargné pour la vie; les autres, on allait les épargner pour la mort.

À la moitié du retour à peu près, il lui sembla entendre du bruit derrière lui; il se retourna et crut voir le rayonnement d'une lumière.

Il doubla le pas; une fois la porte dépassée, il n'y avait plus à s'égarer: ce n'était plus une carrière aux mille détours, c'était une voûte étroite, rigide, aboutissant à une grille funéraire.

Au bout de dix minutes, il passait de nouveau sous la rivière; une ou deux minutes après, il touchait la grille du bout de sa main étendue.

Il prit sa pince où il lavait laissée, entra dans le caveau, tira la grille après lui, la referma doucement et sans bruit, guidé par les tombeaux retrouva lescalier, poussa la dalle avec sa tête et se retrouva sur le sol des vivants.

Là, relativement, il faisait jour.

Il sortit du choeur, repoussa la porte du jubé afin de la remettre dans le même état où il l'avait trouvée, escalada le talus, traversa la plate-forme et redescendit de lautre côté.

Il avait conservé la clef; il ouvrit la porte et se trouva dehors.

Le capitaine de gendarmerie lattendait; il conféra quelques instants avec lui, puis tous deux sortirent ensemble.

Tous deux rentrèrent à Bourg par le chemin de ronde pour ne pas être vus, prirent la porte des halles, la rue de la Révolution, la rue de la Liberté, la rue d'Espagne, devenue la rue Simonneau. Puis Roland s'enfonça dans un des angles de la rue du Greffe et attendit.

Le capitaine de gendarmerie continua seul son chemin.

Il allait rue des Ursules, devenue depuis sept ans la rue des Casernes; c'était là que le chef de brigade des dragons avait son logement, et il venait de se mettre au lit au moment où le capitaine entra dans sa chambre; celui-ci lui dit deux mots tout bas, et en hâte le chef de brigade s'habilla et sortit.

Au moment où le chef de brigade des dragons et le capitaine de gendarmerie apparaissaient sur la place, une ombre se détachait de la muraille et s'approchait d'eux.

Cette ombre, c'était Roland.

Les trois hommes restèrent en conférence dix minutes, Roland donnant des ordres, les deux autres lécoutant et lapprouvant.

Puis ils se séparèrent.

Le chef de brigade rentra chez lui; Roland et le capitaine de gendarmerie, par la rue de l'Étoile, les degrés des Jacobins et la rue du Bourgneuf, regagnèrent le chemin de ronde, puis, en diagonale, ils allèrent rejoindre la route de Pont-d'Ain.

Roland laissa, en passant, le capitaine de gendarmerie à la caserne et continua son chemin.

Vingt minutes après, pour ne pas réveiller Amélie, au lieu de sonner à la grille, il frappait au volet de Michel; Michel ouvrit le volet, et, d'un seul bond, Roland – dévoré de cette fièvre qui s'emparait de lui lorsqu'il courait ou même rêvait tout simplement quelque danger – sautait dans le pavillon.

Il n'eût point réveillé Amélie, eût-il sonné à la porte, car

Amélie ne dormait point.

Charlotte, qui, elle aussi, de son côté, arrivait de la ville sous prétexte d'aller voir son père, mais, en réalité pour faire parvenir une lettre à Morgan, avait trouvé Morgan et rapportait la réponse à sa maîtresse.

Amélie lisait cette réponse; elle était conçue en ces termes:

«Amour à moi!

«Oui, tout va bien de ton côté, car tu es l'ange, mais j'ai bien peur que tout n'aille mal du mien, moi qui suis le démon.

«Il faut absolument que je te voie, que je te presse dans mes bras, que je te serre contre mon coeur; je ne sais quel pressentiment plane au-dessus de moi, je suis triste à mourir.

«Envoie demain Charlotte s'assurer que sir John est bien parti; puis, lorsque tu auras acquis la certitude de ce départ, fais le signal accoutumé.

«Ne t'effraye point, ne me parle point de la neige, ne me dis pas que l'on verra mes pas.

«Ce n'est pas moi, cette fois, qui irai à toi, c'est toi qui viendras à moi; comprends-tu bien? tu peux te promener dans le parc, personne n'ira suivre la trace de tes pas.

«Tu te couvriras de ton châle le plus chaud, de tes fourrures les plus épaisses; puis, dans la barque amarrée sous les saules, nous passerons une heure en changeant de rôle. D'habitude, je te dis mes espérances et tu me dis tes craintes; demain, mon adorée Amélie, c'est toi qui me diras tes espérances et moi qui te dirai mes craintes.

«Seulement, aussitôt le signal fait, descends; je t'attendrai à Montagnac, et, de Montagnac à la Reyssouse, il n'y a pas, pour moi qui t'aime, cinq minutes de chemin.

«Au revoir, ma pauvre Amélie! si tu ne m'eusses pas rencontré, tu eusses été heureuse entre les heureuses.

«La fatalité m'a mis sur ton chemin, et j'ai, j'en ai bien peur, fait de toi une martyre.

«Ton CHARLES.

«À demain, n'est-ce pas? à moins d'obstacle surhumain.»

XLVIII – OÙ LES PRESSENTIMENTS DE MORGAN SE RÉALISENT

Rien de plus calme et de plus serein souvent que les heures qui précèdent une grande tempête.

La journée fut belle et sereine, une de ces belles journées de février où, malgré le froid piquant de l'atmosphère, où, malgré le blanc linceul qui couvre la terre, le soleil sourit aux hommes et leur promet le printemps.

Sir John vint sur le midi faire à Amélie sa visite d'adieu. Sir John avait ou croyait avoir la parole d'Amélie; cette parole lui suffisait. Son impatience était personnelle; mais Amélie, en accueillant sa recherche, quoiqu'elle eût laissé l'époque de leur union dans le vague de l'avenir, avait comblé toutes ses espérances.

Il s'en rapportait pour le reste au désir du premier consul et à l'amitié de Roland.

Il retournait donc à Paris pour faire sa cour à madame de

Montrevel, ne pouvant rester pour la faire à Amélie.

Un quart d'heure après la sortie de sir John du château des

Noires-Fontaines, Charlotte à son tour prenait le chemin de Bourg.

Vers les quatre heures, elle venait rapporter à Amélie qu'elle avait vu de ses yeux sir John monter en voiture à la porte de l'hôtel de France et partir par la route de Mâcon.

Amélie pouvait donc être parfaitement tranquille de ce côté. Elle respira.

Amélie avait tenté d'inspirer à Morgan une tranquillité qu'elle n'avait point elle même; depuis le jour où Charlotte lui avait révélé la présence de Roland à Bourg, elle avait pressenti, comme Morgan, que l'on approchait d'un dénouement terrible. Elle connaissait tous les détails des événements arrivés à la chartreuse de Seillon; elle voyait la lutte engagée entre son frère et son amant, et, rassurée sur le sort de son frère, grâce à la recommandation faite par le chef des compagnons de Jéhu, elle tremblait pour la vie de son amant.

De plus, elle avait appris l'arrestation de la malle de Chambéry et la mort du chef de brigade des chasseurs de Mâcon; elle avait su que son frère était sauvé, mais qu'il avait disparu.

Elle n'avait reçu aucune lettre de lui.

Cette disparition et ce silence, pour elle qui connaissait Roland, c'était quelque chose de pis qu'une guerre ouverte et déclarée.

Quant à Morgan, elle ne l'avait pas revu depuis la scène que nous avons racontée, et dans laquelle elle avait pris l'engagement de lui faire parvenir des armes partout où il serait, si jamais il était condamné à mort.

Cette entrevue demandée par Morgan, Amélie l'attendait donc avec autant d'impatience que celui qui la demandait.

Aussi, dès qu'elle put croire que Michel et son fils étaient couchés, alluma-t-elle aux quatre fenêtres les bougies qui devaient servir de signal à Morgan.

Puis, comme le lui avait recommandé son amant, elle s'enveloppa d'un cachemire rapporté par son frère du champ de bataille des Pyramides, et qu'il avait lui-même déroulé de la tête d'un bey tué par lui: elle jeta par-dessus son cachemire une mante de fourrures, laissa Charlotte pour lui donner avis de ce qui pouvait arriver, et espérant qu'il n'arriverait rien, elle ouvrit la porte du parc et s'achemina vers la rivière.

Dans la journée, elle avait été deux ou trois fois jusqu'à la Reyssouse, et en était revenue, afin de tracer un réseau de pas dans lesquels les pas nocturnes ne fussent point reconnus.

Elle descendit donc, sinon tranquillement, du moins hardiment, la pente qui conduisait jusqu'à la Reyssouse; arrivée au bord de la rivière, elle chercha des yeux la barque amarrée sous les saules.

Un homme l'y attendait. C'était Morgan.

En deux coups de rame, il arriva jusqu'à un endroit praticable à la descente; Amélie s'élança, il la reçut dans ses bras.

La première chose que vit la jeune fille, ce fut le rayonnement joyeux qui illuminait, pour ainsi dire, le visage de son amant.

– Oh! s'écria-t-elle, tu as quelque chose d'heureux à m'annoncer.

– Pourquoi cela, chère amie? demanda Morgan avec son plus doux sourire.

– Il y a sur ton visage, ô mon bien aimé Charles, quelque chose de plus que le bonheur de me revoir.

– Tu as raison, dit Morgan enroulant la chaîne de la barque au tronc d'un saule, et laissant les avirons battre les flancs du canot.

Puis, prenant Amélie dans ses bras:

– Tu as raison, mon Amélie, lui dit-il, et mes pressentiments me trompaient. Oh! faibles et aveugles que nous sommes, c'est au moment où il va toucher le bonheur de la main que l'homme désespère et doute.

– Oh! parle, parle! dit Amélie; qu'est-il donc arrivé?

– Te rappelles-tu, mon Amélie, ce que, dans notre dernière entrevue, tu me répondis quand je te parlais de fuir et que je craignais tes répugnances?

– Oh! oui, je m'en souviens: Charles, je te répondis que j'étais à toi, et que, si j'avais des répugnances, je les surmonterais.

– Et moi, je te répondis que j'avais des engagements qui m'empêchaient de fuir; que, de même qu'ils étaient liés à moi, j'étais lié à eux; qu'il y avait un homme dont nous relevions, et à qui nous devions obéissance absolue, et que cet homme, c'était le futur roi de France, Louis XVIII.

 

– Oui, tu m'as dit tout cela.

– Eh bien, nous sommes relevés de notre voeu d'obéissance, Amélie, non seulement par le roi Louis XVIII, mais encore par notre général Georges Cadoudal.

– Oh! mon ami, tu vas donc redevenir un homme comme tous les autres, au-dessus de tous les autres!

– Je vais redevenir un simple proscrit, Amélie. Il n'y a pas à espérer pour nous l'amnistie vendéenne ou bretonne.

– Et pourquoi cela?

– Nous ne sommes pas des soldats, nous, mon enfant bien-aimée;

nous ne sommes pas même des rebelles: nous sommes des compagnonsde Jéhu.

Amélie poussa un soupir.

– Nous sommes des bandits, des brigands, des dévaliseurs de malles-poste, appuya Morgan avec une intention visible.

– Silence! fit Amélie en appuyant sa main sur la bouche de son amant; silence! ne parlons point de cela, dis-moi comment votre roi vous relève de vos engagements, comment votre général vous donne congé.

– Le premier consul a voulu voir Cadoudal. D'abord, il lui a envoyé ton frère pour lui faire des propositions; Cadoudal a refusé d'entrer en arrangements; mais, comme nous, Cadoudal a reçu de Louis XVIII l'ordre de cesser les hostilités. Coïncidant avec cet ordre, est arrivé un nouveau message du premier consul; ce messager, c'était un sauf-conduit pour le général vendéen, une invitation de venir à Paris; un traité enfin de puissance à puissance. Cadoudal a accepté, et doit être à cette heure sur la route de Paris: Il y a donc sinon paix, du moins trêve.

– Oh! quelle joie, mon Charles!

– Ne te réjouis pas trop, mon amour.

– Et pourquoi cela?

– Parce que cet ordre de cesser les hostilités est venu, sais-tu pourquoi?

– Non.

– Eh bien, c'est un homme très fort que M. Fouché; il a compris que, ne pouvant nous vaincre, il fallait nous déshonorer. Il a organisé de faux compagnons de Jéhu qu'il a lâchés dans le Maine et dans lAnjou, et qui ne contentent pas, eux, de prendre l'argent du gouvernement, mais qui pillent et détroussent les voyageurs, qui entrent la nuit dans les châteaux et dans les fermes, qui mettent les propriétaires de ces fermes et de ces châteaux les pieds sur des charbons ardents, et qui leur arrachent par des tortures le secret de l'endroit où est caché leur argent. Eh bien, ces hommes, ces misérables, ces bandits, ces chauffeurs, ils prennent le même nom que nous, et sont censés combattre pour le même principe; si bien que la police de M. Fouché nous met non seulement hors la loi, mais aussi hors l'honneur.

– Oh!

– Voilà, ce que j'avais à te dire, mon Amélie, avant de te proposer une seconde fois de fuir ensemble. Aux yeux de la France, aux yeux de létranger, aux yeux du prince même que nous avons servi et pour qui nous avons risqué l'échafaud, nous serons dans l'avenir, nous sommes probablement déjà des misérables dignes de l'échafaud.

– Oui… mais, pour moi, mon bien-aimé Charles, tu es l'homme dévoué, l'homme de conviction, le royaliste obstiné qui a continué de combattre quand tout le monde avait mis bas les armes; pour moi, tu es le loyal baron de Sainte-Hermine; pour moi, si tu l'aimes mieux, tu es le noble, le courageux et l'invincible Morgan.

– Ah! voilà tout ce que je voulais savoir, ma bien-aimée; tu n'hésiteras donc pas un instant, malgré le nuage infâme que l'on essaye d'élever entre nous et l'honneur, tu n'hésiteras donc pas, je ne dirai point à te donner à moi, tu t'es déjà donnée, mais à être ma femme?

– Que dis-tu là? Pas un instant, pas une seconde; mais ce serait la joie de mon être, le bonheur de ma vie! Ta femme, je suis ta femme devant Dieu; Dieu comblera tous mes désirs les jours où il permettra que je sois ta femme devant les hommes.

Morgan tomba à genoux.

– Eh bien, dit-il, à tes pieds, Amélie, les mains jointes, avec la voix la plus suppliante de mon coeur, je viens te dire: «Amélie, veux-tu fuir? Amélie, veux-tu quitter la France? Amélie, veux-tu être ma femme?»

Amélie se dressa tout debout, prit son front entre ses deux mains, comme si la violence du sang qui affluait à son cerveau allait le faire éclater.

Morgan lui saisit les deux mains, et, la regardant avec inquiétude:

– Hésites-tu? lui demanda-t-il d'une voix sourde, tremblante, presque brisée.

– Non! oh! non! pas une seconde, s'écria résolument Amélie; je suis à toi, dans le passé et dans l'avenir, en tout et partout. Seulement, le coup est d'autant plus violent qu'il était inattendu.

– Réfléchis bien, Amélie; ce que je te propose, c'est l'abandon de la patrie et de la famille, c'est-à-dire de tout ce qui est cher, de tout ce qui est sacré: en me suivant, tu quittes le château où tu es née, la mère qui t'y a enfantée et nourrie, le frère qui t'aime, et qui, lorsqu'il saura que tu es la femme d'un brigand, te haïra peut-être, te méprisera certainement.

Et, en parlant ainsi, Morgan interrogeait avec anxiété le visage d'Amélie.

Ce visage s'éclaira graduellement d'un doux sourire, et, comme il s'abaissait du ciel sur la terre, s'inclinant sur le jeune homme toujours à genoux.

– Oh! Charles! dit la jeune fille d'une voix douce comme le murmure de la rivière qui s'écoulait claire et limpide sous ses pieds, il faut que ce soit une chose bien puissante que l'amour qui émane directement de Dieu puisque, malgré les paroles terribles que tu viens de prononcer, sans crainte, sans hésitation, presque sans regrets, je te dis: Charles, me voilà; Charles, je suis à toi; Charles, quand partons-nous?

– Amélie, nos destinées ne sont point de celles avec lesquelles on transige et on discute; si nous partons, si tu me suis, c'est à l'instant même; demain, il faut que nous soyons de l'autre côté de la frontière.

– Et nos moyens de fuite?

– J'ai, à Montagnac, deux chevaux tout sellés: un pour toi, Amélie, un pour moi; j'ai pour deux cent mille francs de lettres de crédit sur Londres ou sur Vienne. Là où tu voudras aller, nous irons.

– Où tu seras, Charles, je serai; que m'importe le pays! que m'importe la ville!

– Alors, viens!

– Cinq minutes, Charles, est-ce trop?

– Où vas-tu?

– J'ai à dire adieu à bien des choses, j'ai à emporter tes lettres chéries, j'ai à prendre le chapelet d'ivoire de ma première communion, j'ai quelques souvenirs chéris, pieux, sacrés, des souvenirs d'enfance qui seront là-bas tout ce qui me restera de ma mère, de ma famille, de la France; je vais les prendre et je reviens.

– Amélie!

– Quoi?

– Je voudrais bien ne pas te quitter; il me semble qu'au moment d'être réunis, te quitter un instant, c'est te perdre pour toujours; Amélie, veux-tu que je te suive?

– Oh! viens; qu'importe qu'on voie tes pas maintenant! nous serons loin demain au jour; viens!

Le jeune homme sauta hors de la barque et donna la main à Amélie, puis il l'enveloppa de son bras, et tous deux prirent le chemin de la maison.

Sur le perron, Charles s'arrêta.

– Va, lui dit-il, la religion des souvenirs a sa pudeur; quoique je la comprenne, je te gênerais. Je t'attends ici, d'ici je te garde; du moment où je n'ai qu'à étendre la main pour te prendre, je suis bien sûr que tu ne m'échapperas point. Va, mon Amélie, mais reviens vite.

Amélie répondit en tendant ses lèvres au jeune homme; puis elle monta rapidement l'escalier, rentra dans sa chambre, prit un petit coffret de chêne sculpté, cerclé de fer, où était son trésor, les lettres de Charles, depuis la première jusqu'à la dernière, détacha de la glace de la cheminée le blanc et virginal chapelet d'ivoire qui y était suspendu, mit à sa ceinture une montre que son père lui avait donnée; puis elle passa dans la chambre de sa mère, s'inclina au chevet de son lit, baisa loreiller que la tête de madame de Montrevel avait touché, s'agenouilla devant le Christ veillant au pied de son lit, commença une action de grâces qu'elle n'osa continuer, linterrompit par un acte de foi, puis tout à coup s'arrêta. Il lui avait semblé que Charles l'appelait.

Elle prêta loreille, et entendit une seconde fois son nom prononcé avec un accent d'angoisse dont elle ne pouvait se rendre compte.

Elle tressaillit, se redressa et descendit rapidement lescalier.

Charles était toujours à la même place; mais, penché en avant, loreille tendue, il semblait écouter avec anxiété un bruit lointain.

– Qu'y a-t-il? demanda Amélie en saisissant la main du jeune homme.