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Le Speronare

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– Ah! c'est l'habitude? non, je ne le savais pas. Mais qu'importe, allez toujours.

– Eh bien! je demanderai au juge, dont, comme je l'ai déjà dit, je crois, j'ai l'honneur d'être compère, une place près de lui pour Votre Excellence.

– A merveille! maître Gaëtano; et moi je vous promets, si vous me l'obtenez, de ne pas vérifier l'addition de votre carte, et de m'en rapporter au total.

– Allons, allons, dit maître Gaëtano, je vois que tout cela peut s'arranger, et Votre Excellence, je l'espère, quittera ma maison satisfaite de l'hôte et de l'hôtel.

– J'en ai l'espoir, mon cher monsieur Pacca; mais, en attendant le dîner, qui, j'en ai peur, se fera attendre, n'avez-vous rien à me donner à lire pour me distraire?

– Si fait, Excellence, si fait, reprit maître Gaëtano en ouvrant une armoire où moisissaient quelques mauvais bouquins dépareillés. Voici le Guide du voyageur en Sicile, par l'illustre docteur Francesco Ferrara; voici deux volumes des Poésies légères, de l'abbé Meli; voici le Traité de la Jettature, par maître Nicolao Valetta; voici l'Histoire du terrible bandit Luigi Lana, ornée de son portrait dessiné d'après nature…

– Ah! diable! mon cher hôte, donnez-moi ce livre; donnez vite, je vous prie, je suis curieux de voir quelle figure on lui a faite.

– Voilà, Excellence, voilà.

– Peste… mais savez-vous que c'est un fort vilain monsieur, que votre ami Luigi Lana, avec ses grosses moustaches, ses yeux à fleur de tête, ses cheveux mal peignés, son chapeau en pain de sucre et ses pistolets à la ceinture?

– Eh bien! cette copie, si terrible qu'elle soit, n'est encore rien auprès de l'original.

– Vraiment?

– Je puis l'affirmer à Votre Excellence.

– Vous l'avez donc vu, mon cher monsieur Pacca? demanda le jeune colonel en se balançant sur sa chaise, et en regardant l'aubergiste de son air le plus goguenard.

– Non, Excellence, non pas moi; mais j'ai logé de pauvres diables de voyageurs qui l'avaient rencontré pour leur malheur, eux, et qui m'en ont fait le portrait depuis les pieds jusqu'à la tête.

– Bah! la peur leur aura troublé la vue, et ils auront exagéré. En tout cas, mon cher hôte, maintenant que j'ai ce que je désirais, occupez-vous de mon dîner, je vous prie, tandis que je verrai si les actions de ce terrible personnage correspondent à sa figure.

– A l'instant, Excellence, à l'instant.

Le voyageur fit un signe de la tête indiquant qu'il savait parfaitement ce qu'il devait penser du subito italien, et s'allongeant sur deux chaises, il s'apprêta avec une nonchalance toute méridionale à commencer sa lecture.

Sans doute, malgré l'espèce de mépris avec lequel il avait ouvert le livre, les aventures qu'il contenait présentèrent quelque intérêt à l'esprit du colonel, car, lorsque maître Gaëtano rentra au bout d'une demi-heure, il le retrouva dans la même posture, et livré à la même occupation.

Si le colonel avait bien employé son temps, maître Gaëtano n'avait pas perdu le sien. Après avoir causé avec le maître, il avait fait causer les domestiques, et il avait appris d'eux que le voyageur qu'il avait l'honneur d'héberger en ce moment était un jeune Maltais qui, jouissant d'une fortune de cent mille livres de rentes, avait acheté un régiment en Angleterre. Restait à savoir le nom de cet étranger. Mais le propriétaire de l'hôtel du Cyclope avait trouvé un moyen tout simple de le connaître; il apportait, selon l'habitude italienne, son registre à signer au jeune voyageur.

Le colonel, entendant quelqu'un qui s'arrêtait près de lui, leva les yeux et aperçut son hôte; en voyant le registre, il devina l'intention, tendit la main, prit une plume, et, à l'endroit que lui indiquait le doigt de maître Gaëtano, il écrivit ces trois mots: Colonel Santa-Croce.

Maître Gaëtano était très satisfait, il savait tout ce qu'il désirait savoir.

– Maintenant, dit-il, quand Votre Excellence voudra se mettre à table, la soupe est servie.

– Ah! ah! dit le jeune colonel, que ne m'avez-vous dit cela plus tôt, mon cher monsieur Pacca! je vous aurais épargné la peine de déranger votre couvert.

– Comment, déranger mon couvert. Excellence! n'est-il point dressé à votre goût?

– Si fait, mon cher monsieur Pacca, si fait; mais j'ai l'habitude de m'essuyer les mains avec de la toile de Hollande, et de manger dans de l'argenterie; ce n'est point que vos torchons ne soient fort propres, et vos couverts d'étain parfaitement étamés; mais, avec votre permission, je ne m'en servirai pas. Appelez mon domestique.

Maître Gaëtano obéit à l'instant même, quoique un peu humilié de l'affront que lui faisait le colonel; mais comme il lui avait promis de ne pas vérifier l'addition, il se promit à part lui de porter l'affront sur sa carte.

Cinq minutes après, le valet de chambre entra avec un nécessaire grand comme une malle, et en tira de la vaisselle plate, deux ou trois couverts d'argent et un gobelet de vermeil, le tout aux armes du colonel.

Le colonel attaqua le dîner de maître Gaëtano avec l'air dédaigneux d'un prince, goûta à peine de chaque plat, puis, après le repas, voyant que le temps était beau et qu'il faisait un clair de lune superbe, il s'apprêta à aller faire un tour par la ville. Maître Gaëtano offrit de l'accompagner, mais le colonel lui répondit qu'il préférait être seul.

Néanmoins, comme maître Gaëtano était fort curieux de sa nature, il sortit dix minutes après le colonel, sous prétexte d'aller se promener lui-même, mais, dans le fait, pour voir s'il ne le rencontrerait pas. Cependant, quoiqu'il n'y eût que deux ou trois rues principales à Castro-Giovanni, l'attente du digne aubergiste fut trompée, et il ne vit rien qui ressemblât à l'allure décidée et hautaine du jeune voyageur. En passant devant la prison, il vit entrer un pauvre moine de l'ordre de saint François; l'homme de Dieu venait pour préparer le condamné à la mort.

Le colonel ne rentra qu'à minuit. Maître Gaëtano eût bien voulu lui demander ce qu'il avait trouvé d'assez curieux à Castro-Giovanni pour être resté dehors jusqu'à une pareille heure. Mais, comme il ouvrait la bouche pour faire cette question, le jeune homme laissa tomber sur lui, d'un air si dédaigneux, l'ordre de le faire éveiller à six heures du matin, que maître Gaëtano sentit la voix s'éteindre dans sa bouche, et s'inclina en signe d'obéissance, sans répondre une seule parole. Quant au colonel, il s'enferma avec son valet, qui ne sortit de sa chambre qu'à une heure du matin.

A sept heures du matin, le colonel, après avoir pris une tasse de café noir seulement, partait, disait-il, pour le château du prince de Paterno, n'emmenant avec lui que son valet de chambre, et laissant le second domestique pour garder les bagages et rappeler à maître Gaëtano la promesse qu'il lui avait faite de lui retenir une place près du juge pour voir l'exécution.

Ce n'était pas chose commune à Castro-Giovanni qu'une exécution; aussi la journée qui précéda la mort du pauvre condamné fut-elle fort agitée; chacun courait par les rues, tandis que les cloches sonnaient, et c'était à qui aurait quelque nouvelle par le juge ou par le geôlier. On pensait que le coupable, n'ayant plus d'espérance d'adoucir la rigueur de son supplice que par le repentir qu'il montrerait, ferait des révélations, et que l'on saurait ainsi quelque chose de positif, et sur lui, et sur ce terrible Luigi Lana, son capitaine. L'attente fut trompée; non seulement le condamné ne fit aucune révélation, mais, au contraire, il continuait à protester de son innocence, répétant sans cesse que, le jour même de l'assassinat, il était à Palerme, c'est-à-dire à près de cent cinquante milles du lieu où il avait été commis.

Le confesseur lui-même n'avait pas pu en tirer autre chose; et le vénérable moine était sorti de la prison en disant qu'il avait bien peur que la justice des hommes, croyant punir un coupable, ne fît un martyr.

La journée s'écoula ainsi au milieu des discussions les plus animées sur la culpabilité ou l'innocence du condamné, puis le soir vit s'illuminer les fenêtres de la chapelle ardente dans laquelle il devait passer la nuit. A dix heures du soir, le même moine qui était déjà venu le consoler dans sa prison fut introduit dans la chapelle, et ne quitta le prisonnier qu'à onze heures et demie. Après son départ, le condamné, qui avait été fort agité toute la journée, parut tranquille.

A minuit, le colonel rentra avec son valet de chambre à l'hôtel du Cyclope, et, trouvant maître Gaëtano qui l'attendait, recommanda d'abord qu'on eût grand soin de ses chevaux, qui venaient de faire une longue course; puis il s'informa si la commission dont son hôte s'était chargé était faite à sa satisfaction. Maître Gaëtano répondit que son compère le juge avait été trop heureux de faire quelque chose qui fût agréable à Son Excellence, et qu'il aurait pour le lendemain, près de lui et sur l'estrade même, la place qu'il désirait.

Durant toute la nuit, les cloches sonnèrent pour rappeler aux bonnes âmes qu'elles devaient prier pour le patient.

Le lendemain, dès cinq heures, les rues qui conduisaient de la prison au lieu du supplice étaient encombrées de curieux; les fenêtres présentaient une muraille de têtes, et les toits mêmes craquaient sous les spectateurs.

A sept heures, le juge vint prendre place sur l'estrade avec les deux greffiers, le capitaine de nuit et le commissaire; comme le lui avait promis maître Gaëtano, un siège était réservé près du juge pour le colonel. A sept heures et demie, il arriva, remercia fort gracieusement, et d'un air qui sentait d'une lieue son grand seigneur, le juge de sa complaisance, et, ayant regardé, pour voir s'il n'aurait pas trop de temps à attendre, l'heure à une magnifique montre tout enrichie de diamants, il s'assit à la place d'honneur, au milieu des autorités de la ville de Castro-Giovanni.

 

A huit heures, les cloches sonnèrent avec un redoublement d'onction; elles indiquaient que le condamné sortait de la prison.

Au bout de quelques minutes, une rumeur croissante annonça l'approche du condamné. En effet, bientôt on vit paraître le bourreau qui le précédait à cheval, puis quatre gardes qui marchaient derrière le bourreau, puis le condamné lui-même, à cheval sur un âne, la tête tournée vers la queue, et marchant à reculons, afin qu'il ne perdît point de vue le cercueil que portaient derrière lui les frères de la Miséricorde, puis enfin toute la population de Castro-Giovanni qui fermait la marche.

Le condamné semblait écouter d'une façon fort distraite les exhortations du moine qui l'accompagnait. On disait généralement que cette distraction venait de ce que le moine n'était pas le même qui l'était venu visiter dans sa prison. En effet, au moment où l'on s'attendait à voir arriver ce moine, il n'avait point paru, et l'on avait été obligé d'en courir chercher un autre pour que le condamné ne mourût pas privé des secours de la religion.

Quoi qu'il en soit, comme nous l'avons dit, le pauvre diable paraissait fort inquiet, et jetait à droite et à gauche sur la foule des regards qui indiquaient la situation de son esprit. De temps en temps même, contre l'habitude des condamnés, qui s'épargnent ce spectacle le plus longtemps possible, il se retournait vers la potence, sans doute pour calculer le temps qui lui restait à vivre. Tout à coup, arrivé devant l'estrade du juge, et au moment où le confesseur l'aidait à descendre de son âne, le condamné jeta un grand cri, et, montrant d'un signe de tête, car ses mains étaient liées, le colonel assis près du juge:

– Mon père, s'écria-t-il en s'adressant au moine, mon père, voilà un seigneur qui, s'il le veut, peut me sauver.

– Lequel? demanda le moine avec étonnement.

– Celui qui est près du juge, mon père; celui qui a un uniforme rouge et des épaulettes de colonel. C'est le bon Dieu qui l'amène sur ma route, mon père. Miracle, miracle!

Et chacun se mit à répéter: Miracle! après le condamné sans savoir encore de quoi il s'agissait; ce qui n'empêcha pas le bourreau de s'approcher du patient, afin de commencer son office. Mais le confesseur se plaça entre eux deux.

– Arrêtez, dit-il; au nom de Dieu, arrêtez! – Juge, continua la moine, le patient dit qu'il reconnaît assis près de toi un témoin qui peut lui sauver la vie en attestant qu'il est innocent. Juge, je t'adjure d'entendre ce témoin.

– Et quel est ce témoin? demanda le juge en se levant sur l'estrade.

– Le colonel Santa-Croce! le colonel Santa-Croce! cria le patient.

– Moi? dit avec étonnement le colonel en se levant à son tour; moi, mon ami? Vous vous trompez assurément, et, quoique vous sachiez mon nom, moi je ne vous connais pas.

– Vous ne le connaissez pas, hein? demanda le juge.

– Aucunement, répondit le colonel après avoir regardé avec plus d'attention encore que la première fois le condamné.

– Je m'en doutais, reprit le juge en secouant la tête; c'est une des ruses habituelles de ces misérables.

Puis il se rassit, en faisant signe au bourreau de continuer son office.

– Colonel, s'écria le patient, colonel, vous ne me laisserez pas mourir ainsi, quand d'un mot vous pouvez me sauver! Colonel, laissez-moi seulement vous adresser une question.

– Oui, oui, cria la foule, c'est juste, laissez parler le condamné, laissez-le parler!

– Monsieur le juge, dit le colonel, je crois que l'humanité exige que nous nous rendions à la prière de ce malheureux. S'il veut nous tromper, au reste, nous nous en apercevrons bien, et alors il n'aura retardé sa mort que de quelques minutes.

– Je n'ai rien à refuser à Votre Excellence, dit le juge; mais, vraiment, ce n'est pas la peine, croyez-moi, colonel, de lui donner cette satisfaction.

– Je vous la demande pour ma propre conscience, monsieur, dit le colonel.

– J'ai déjà dit à Votre Excellence que j'étais à ses ordres, reprit le juge.

Puis se levant:

– Gardes, ajouta-t-il, amenez le condamné.

On amena ce malheureux. Il était pâle comme la mort, et tremblait de tous ses membres.

– Eh bien! coquin, dit le juge, te voilà en face de Son Excellence; parle donc.

– Excellence, dit le condamné, ne vous souvient-il pas que, le 18 mai dernier, vous avez débarqué à Palerme, venant de Naples?

– Je ne saurais préciser le jour aussi exactement que vous le faites, mon ami; mais la vérité est que c'est vers cette époque que j'abordai en Sicile.

– Ne vous souvient-il pas, Excellence, du facchino qui porta vos malles sur une petite charrette du port à l'Hôtel des Quatre-Cantons, où vous logeâtes?

– Je logeais effectivement Hôtel des Quatre-Cantons, répondit le colonel; mais j'ai, je l'avoue, entièrement oublié la figure de l'homme qui m'y a conduit.

– Mais ce que vous n'avez pu oublier, Excellence, c'est qu'en passant devant la porte d'un serrurier, un de ses apprentis qui sortait, tenant un barre de fer sur son épaule, m'en donna un coup contre la tête, et me fit cette blessure. Tenez.

Et le condamné, avançant la tête, montra effectivement une cicatrice à peine fermée encore, et qui lui marquait le front.

– Oui, vous avez raison, parfaitement raison, dit le colonel, et je me rappelle cette circonstance comme si elle venait d'arriver à l'instant même.

– Et à preuve, continua avec joie le condamné, qui, se voyant reconnu, commençait à reprendre espoir, à preuve que, comme un généreux seigneur que vous êtes, au lieu de me donner six carlins que je vous avais demandés, vous me donnâtes deux onces.

– Tout cela est l'exacte vérité, dit le colonel en se retournant vers le juge; mais nous allons être mieux renseignés encore. J'ai sur moi le portefeuille où j'inscris jour par jour ce que je fais; ainsi, il me sera facile de m'assurer si cet homme ne nous donne pas une fausse date.

– Cherchez, cherchez, colonel, dit le condamné; maintenant je suis sûr de mon affaire.

Le colonel ouvrit son portefeuille, puis, arrivé à la date indiquée, il lut tout haut:

«Aujourd'hui 18 mai, j'ai abordé à Palerme à onze heures du matin. – Pris sur le port un pauvre diable qui a été blessé en portant mes malles. – Logé à l'Hôtel des Quatre-Cantons.»

– Voyez-vous? voyez-vous? s'écria le condamné.

– Ma foi! monsieur le juge, dit le colonel en se retournant vers maître Bartolomeo, si c'est vraiment le 18 mai que l'assassinat dont ce pauvre homme est accusé a été commis, je dois affirmer sur mon honneur que le 18 mai il était à Palerme, où, comme le constate mon album, il a été blessé à mon service. Or, comme il ne pouvait être à la fois à Palerme et à Centorbi, il est nécessairement innocent.

– Innocent! innocent! cria la foule.

– Oui, innocent, mes amis, innocent! dit le condamné. Je savais bien que Dieu ferait un miracle en ma faveur.

– Miracle! miracle! cria la foule.

– Eh bien! dit le juge, nous allons le faire reconduire en prison, et nous procéderons à une autre enquête.

– Non, non, libre! libre à l'instant même! cria le peuple.

Et, à ces mots, une partie de la foule, se ruant vers l'estrade, enleva le condamné et lui délia les mains, tandis que l'autre renversait la potence et poursuivait le bourreau à coups de pierre.

Quant au colonel, il fut reporté en triomphe à l'Hôtel du Cyclope.

Toute la journée, Castro-Giovanni fut en fête; et lorsque le colonel quitta la ville vers midi, il lui fallut fendre à grand-peine avec son cheval les flots du peuple, qui lui baisait les mains en criant: Vive le colonel Santa-Croce! Vive le sauveur de l'innocent!

Quant au condamné, comme chacun voulait lui parler et entendre de sa propre bouche le récit de son aventure, ce ne fut que vers le soir qu'il se trouva avoir quelque peu de liberté. Il en profita aussitôt pour enfiler une ruelle que son peu de largeur rendait plus sombre encore; puis, par cette ruelle, il atteignit la porte de la ville; puis, une fois hors de la ville, il gagna a toutes jambes une gorge de la montagne, où il disparut.

Le lendemain, le juge reçut de Luigi Lana une lettre dans laquelle le chef de bandits le remerciait de la complaisance qu'il avait eue de lui offrir un siège sur sa propre estrade; il le priait en outre de présenter ses compliments à son compère, maître Gaëtano, propriétaire de l'hôtel du Cyclope.

Mais, tout libre qu'était redevenu le condamné, l'impression produite sur son esprit par l'aspect de la potence, à laquelle il avait pour ainsi dire touché du doigt, avait été si réelle, qu'il résolut, malgré les exhortations de ses camarades, d'abandonner la vie qu'il avait menée jusque-là et de se réconcilier avec la police.

Le religieux qui l'avait accompagné dans le trajet de la prison à l'échafaud fut l'intermédiaire entre lui et l'autorité. La prière fut transmise au vice-roi, et comme le bandit ne demandait que la vie sauve, promettant d'être à l'avenir un modèle de probité, après quelques pourparlers entre le moine et le vice-roi, sa demande lui fut accordée, à cette seule condition qu'il ferait amende honorable pieds nus et le corps ceint d'une corde.

Cette cérémonie eut lieu à Palerme, à la grande édification des fidèles.

Voilà ce qui arriva à Castro-Giovanni, le 20 juillet de l'an de grâce 1826.

– Et depuis lors, demandai-je à monsieur Politi, qu'est devenu, s'il vous plaît, cet honnête homme?

– Il a pris le nom de Salvadore, sans doute en mémoire de la façon miraculeuse dont il a été sauvé, s'est fait muletier, afin, comme il s'y était engagé, de gagner sa vie d'une façon honorable; et, si ce que je vous ai raconté ne vous donne pas une trop grande défiance, il aura l'honneur d'être demain matin votre guide de Girgenti à Palerme.

L'INTÉRIEUR DE LA SICILE

Le lendemain, quelque diligence que nous fîmes, nous ne parvînmes à nous mettre en route que vers les neuf heures du matin. Nous avions demandé d'abord une mule de renfort pour Cama; mais, lorsqu'il se vit pour la première fois de sa vie juché au haut d'une selle sans autre support que deux étriers d'inégale longueur, il déclara que la bride lui paraissait un point d'appui trop insuffisant pour qu'il lui confiât la conservation de sa personne. En conséquence, avec l'aide de Salvadore, il mit pied à terre, et la mule fut renvoyée.

Pendant ce temps, on chargeait toute notre roba sur la mule de transport. Comme ce bagage était assez considérable, Cama remarqua qu'il formait sur le dos de l'animal une surface plane de trois ou quatre pieds de diamètre. Cette terrasse parut à Cama un véritable lieu de sûreté, comparée à l'extrémité aiguë de la selle, et il demanda à s'établir, comme il l'entendrait, sur cette petite plate-forme. Salvadore, consulté pour savoir si sa mule pouvait porter ce surcroît de charge, répondit qu'il n'y voyait pas d'inconvénient; au bout d'un instant, Cama se trouva donc placé au centre de notre roba, assis à la manière des tailleurs, et s'élevant pyramidalement au milieu de son domaine.

On nous avait recommandé de visiter les Maccaloubi. Nous priâmes donc Salvadore de prendre le chemin qui y conduisait; mais, habitué à de pareilles demandes, il avait de lui-même prévenu notre désir, et nous n'en étions déjà plus qu'à un demi-mille lorsque nous lui dîmes de nous y conduire.

Les Maccaloubi sont tout bonnement de petits volcans de vase, au nombre de trente ou quarante, qui s'élèvent sur une plaine boueuse. Chacun de ces volcans en miniature a un pied ou dix-huit pouces de haut; la matière qui s'échappe de ces taupinières est une espèce d'eau pâteuse, couleur de rouille, très froide, et, à ce que l'on assure, très salée. Lorsque nous les visitâmes, les volcaneaux se reposaient, c'est-à-dire qu'à grand-peine, et avec des efforts qui devaient singulièrement les fatiguer, ils poussaient leur lave humide hors de leur cratère. Salvadore nous assura qu'il y avait des époques où ils jetaient de la boue à cent ou cent cinquante pieds de hauteur, et où toute cette plaine de vase tremblait comme une mer. Nous ne vîmes rien de pareil. Elle était au contraire fort tranquille, comme nous l'avons dit, et assez sèche pour qu'en marchant dans les intervalles des volcans, on n'enfonçât que deux ou trois pouces. Comme la chose, malgré la recommandation, nous parut médiocrement curieuse, et que nous n'étions pas assez forts en géologie pour étudier la cause de ce phénomène, nous ne fîmes aux Maccaloubi qu'une assez courte station, et nous continuâmes notre chemin.

Vers les onze heures, nous nous trouvâmes sur le bord d'un petit fleuve. Comme nous suivions un chemin à peine tracé, et praticable seulement pour les litières, les mulets et les piétons, il n'y avait pas, on le pense bien, d'autre moyen de traverser le fleuve que d'y pousser bravement nos mulets. Ils y entrèrent jusqu'au ventre, et nous conduisirent sans accident à l'autre bord. J'avais invité Salvadore à monter en croupe derrière moi; mais, comme il faisait très chaud, il n'y fit point tant de façon, et passa tranquillement à la manière de ses mulets, c'est-à-dire en se mettant dans l'eau jusqu'à la ceinture.

 

A quelques pas au-delà du fleuve, nous trouvâmes une espèce de petit bosquet de lauriers roses qui ombrageait une fontaine. C'était une halte tout indiquée pour notre déjeuner. Nous sautâmes, en conséquence, à bas de nos mules; Cama se laissa glisser du haut de son bagage, Salvadore battit les buissons pour en chasser deux ou trois couleuvres et une douzaine de lézards, et nous déjeunâmes.

Comme nous avions invité Salvadore à déjeuner avec nous, honneur qu'après quelques façons préliminaires il avait fini par accepter, il était devenu vers la fin du repas un peu plus communicatif qu'il ne l'avait été au moment de notre départ. Jadin profita de ce commencement de sociabilité pour lui demander la permission de faire son portrait. Salvodore y consentit en riant, drapa son manteau sur son épaule gauche, s'appuya sur le bâton pointu dont il se servait pour sauter par-dessus les ruisseaux et pour piquer les mules, croisa une de ses jambes sur l'autre, et se tint devant lui avec l'immobilité et l'aplomb d'un homme habitué à accéder à de pareilles demandes.

Pendant ce temps, je pris mon fusil et je battis les environs: un malheureux lapin qui s'était aventuré hors de son terrier, et qui eut l'imprudence de vouloir le regagner, au lieu de rester tranquillement à son gîte où je ne l'eusse pas découvert, fut le trophée de cette expédition.

Ce fut une occasion pour Salvadore de nous demander la permission d'examiner nos fusils, ce qu'il n'avait point encore osé faire, malgré l'envie qu'il en avait. Il les prit et les retourna en homme à qui les armes sont familières; mais, comme c'étaient des fusils du système Lefaucheux, le mécanisme lui en était parfaitement inconnu. Je n'étais pas fâché, tout en ayant l'air de satisfaire sa curiosité, de lui montrer qu'à une distance honnête je ne manquerais pas mon homme; je fis donc jouer la bascule, je changeai mes cartouches de plomb à lièvre pour des cartouches de plomb à perdrix, et, jetant deux piastres en l'air, je les touchai toutes les deux. Salvadore alla ramasser les piastres, reconnut sur elles la trace du plomb, et secoua la tête de haut en bas, en digne appréciateur du coup que je venais de faire. Je lui proposai de tenter le même essai; il me dit tout simplement qu'il n'avait jamais été grand tireur au vol, mais que, si mon camarade voulait lui prêter sa carabine, il nous montrerait ce qu'il savait faire à coup posé. Comme elle était toute chargée à balles, Jadin la lui mit aussitôt entre les mains. Salvadore prit pour but une petite pierre blanche de la grosseur d'un oeuf, qui se trouvait à cent pas de nous au milieu du chemin et, après l'avoir visée avec une attention qui indiquait l'importance qu'il attachait à réussir, il lâcha le coup et brisa la pierre en mille morceaux.

Cela nous fit faire, à Jadin et à moi, la réflexion médiocrement rassurante que, dans l'occasion, Salvadore non plus ne devait pas manquer son homme.

Quant à Cama, il ne pensait à rien autre chose qu'à envelopper son lapin dans des herbes qu'il avait cueillies au bord de la fontaine, afin de le maintenir frais jusqu'à l'heure du dîner.

Nous nous remîmes en route; le misérable fiumicello que nous venions de traverser faisait plus de tours et de détours que le fameux Méandre. Nous le rencontrâmes douze fois sur notre route en moins de trois lieues: chaque fois nous le passâmes à gué comme la première.

Pendant toute cette route, nous n'apercevions aucune terre cultivée, mais des plaines immenses couvertes de grandes herbes, brûlées par le soleil, au milieu desquelles s'élevait parfois, comme une île de verdure, une petite cabane entourée de cactus, de grenadiers et de lauriers roses. A cent pas, tout autour de la cabane, le sol était défriché, et l'on apercevait quelques légumes qui perçaient la terre et qui, selon toute probabilité, étaient la seule nourriture des malheureux perdus dans ces solitudes.

Nous marchâmes jusqu'à cinq heures du soir, apercevant de temps en temps une espèce de village juché à la cime de quelque rocher, sans qu'on pût distinguer le moins du monde par quel chemin on y arrivait. Enfin, du haut d'une petite colline, Salvadore nous montra une ferme placée sur notre chemin, et nous dit que c'était là que nous passerions la nuit. Une lieue à peu près au delà de cette ferme, et à droite de la route, s'élevait sur le penchant d'une montagne une ville de quelque importance, nommée Castro-Novo. Nous demandâmes à Salvadore pourquoi nous ne gagnions pas cette ville, au lieu de nous arrêter dans une misérable auberge où nous ne trouverions rien; Salvadore se contenta de nous répondre que cela nous écarterait trop de notre route. Comme une plus longue insistance de notre part eût pu faire croire à notre guide que nous nous défiions de lui, ce qui eût été fort ridicule après notre choix volontaire, nous n'ajoutâmes point d'autres observations, et nous résolûmes, puisque nous avions tant fait que de le prendre, de nous en remettre entièrement à lui: seulement nous lui demandâmes, pour savoir au moins où nous allions passer la nuit, quel était le nom de cette baraque. Il nous répondit qu'elle s'appelait Fontana-Fredda.

C'était bien, du reste, le plus magnifique coupe-gorge que j'aie vu de ma vie, isolé dans un petit défilé, sans aucune muraille de clôture, et n'ayant pas une seule porte ou une seule fenêtre qui fermât. Quant à ceux qui l'habitaient, notre présence ne leur parut probablement pas un événement assez digne de curiosité pour qu'ils se dérangeassent, car nous nous arrêtâmes à la porte, nous descendîmes de nos mules, et nous entrâmes dans la première pièce sans voir personne; ce ne fut qu'en ouvrant une porte latérale que j'aperçus une femme qui berçait son enfant sur ses genoux en chantonnant une chanson lente et monotone. Je lui adressai la parole; elle me répondit, sans se déranger, quelques mots d'un patois si étrange, que je renonçai à l'instant même à lier conversation avec elle, et que j'en revins à Salvadore, qui, faute de garçon d'écurie, déchargeait ses mules lui-même, le priant de s'occuper en personne de notre dîner et de notre coucher. Il me répondit, en secouant la tête, qu'il ne fallait pas trop compter ni sur l'un ni sur l'autre, mais qu'il ferait de son mieux.

En rentrant dans la première pièce, je trouvai Cama désespéré; il avait déjà fait sa visite, et n'avait trouvé ni casserole, ni gril, ni broche. Je l'invitai à se procurer d'abord de quoi griller, bouillir ou rôtir; nous verrions ensuite comment remplacer les ustensiles absents.

Après avoir attaché ses mules au râtelier, Salvadore apparut à son tour, et entra dans la chambre voisine; mais un instant après il en sortit en disant que, le maître de la maison se trouvant à Secocca, et sa femme étant à moitié idiote, nous n'avions qu'à agir comme nous ferions dans une maison abandonnée. Les provisions se bornaient, nous dit-il, à une cruche d'huile rance et à quelques châtaignes: pour du pain, il n'en avait pas.

Si ce langage n'était pas rassurant, il avait au moins le mérite d'être parfaitement clair. Chacun se mit donc en quête de son côté, et s'occupa de rassembler ce qu'il put: Jadin, après une demi-heure de course dans les rochers, rapporta une espèce de colombe; Salvadore avait tordu le cou à une vieille poule; j'avais, dans un hangar bâti en retour de la maison, trouvé trois oeufs; enfin, Cama avait dépouillé le jardin, et réuni deux grenades et une douzaines de figues d'Inde. Tout ceci, joint au lapin heureusement mis à mort pendant que Jadin faisait le portrait de Salvadore, présentait tant bien que mal l'apparence d'un dîner. Il ne restait plus qu'à l'apprêter.