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XVII
Visite au Musée de Naples

J'en demande bien pardon à mes lecteurs, mais je suis placé, comme narrateur, entre l'omission et l'ennui. Si j'omets, ce sera justement de la chose omise qu'on me demandera compte; si je passe tous les objets en revue, je risque de tomber dans la monotonie. Au surplus, nous en avons fini ou à peu près avec Naples antique et Naples moderne, et nous touchons à la catastrophe. Un peu de patience donc pour le Musée. Que dirait-on, je vous le demande, si je ne parlais pas un peu du musée de Naples?

Le palais des Studi, dont le duc d'Ossuna, vice-roi de Naples, avait jeté les fondemens dans le but d'en faire une vaste école de cavalerie, vit sa destination changée par Ruis de Castro, comte de Lemos, qui décida qu'il servirait de logement à l'Université, laquelle y fut effectivement instituée sous son fils, en 1616. Mais, en 1770, les palais de Portici, de Caserte, de Naples et de Capo di Monte s'étant successivement encombrés des précieux résultats que produisaient les fouilles de Pompeïa, le roi Ferdinand résolut de réunir toutes les antiquités provenant de la découverte de ces deux villes dans un seul local, où elles seraient exposées à la curiosité du public et aux investigations des savans. A cet effet, il choisit le palais de l'Université, laquelle Université fut transportée au palais de San-Salvandor.

Le roi Ferdinand fut si content de la résolution qu'il venait de prendre et la trouva si docte et si sage, qu'il résolut d'en perpétuer le souvenir en se faisant représenter en Minerve à l'entrée du nouveau Musée.

Ce fut Canova qu'on chargea de l'exécution de ce chef-d'oeuvre.

C'est quelque chose de bien grotesque, je vous jure, que la statue du roi Ferdinand en Minerve; et quand il n'y aurait que cela à voir au Musée, on n'aurait, sur ma parole, aucunement perdu son temps à y faire une promenade.

Mais heureusement il y a encore autre chose, de sorte que l'on peut faire d'une pierre deux coups. Notre première visite, après notre retour à Naples, fut pour les objets provenant d'Herculanum et de Pompeïa; c'était continuer tout bonnement notre course de la veille: après avoir vu l'écrin, c'était regarder les bijoux; bijoux merveilleux, d'art souvent, de forme toujours.

Nous commençâmes par les statues; elles se présentent d'elles-mêmes sur le passage des visiteurs. D'abord ce sont les neuf effigies de la famille Balbus; puis celles de Nonius père et fils, les plus fines, les plus légères, les plus aristocratiques, si on peut le dire, de toute l'antiquité. Ces dernières étaient à Portici. En 1799, un boulet emporta la tête de Nonius fils, mais on en retrouva les débris et on la restaura. Il y a encore là d'autres statues splendides: un Faune ivre, par exemple; la Vénus Callipyge que je trouve pour mon compte moins belle que celle de Syracuse; l'Hercule au repos, colosse du statuaire Glycon, retrouvé sans jambes dans les Thermes de Caracalla, et que Michel-Ange entreprit de compléter; mais, les jambes achevées, et lorsque l'auteur de Moïse eut pu comparer son oeuvre à celle de l'antiquité, il les brisa, en disant que ce n'était pas à un homme d'achever l'oeuvre des dieux. Guillaume de la Porta fut moins sévère pour lui-même, il refit les jambes; mais, les jambes faites, on apprit que le prince Borghèse venait de retrouver les véritables dans un puits, à trois lieues de l'endroit où l'on avait retrouvé le corps. Comment étaient-elles allées là? Personne ne le sut jamais. Or, il était encore plus difficile de faire un corps aux jambes du prince Borghèse que de faire des jambes au corps du roi de Naples. Le prince, qui était généreux comme un Borghèse, fit cadeau de ces jambes au roi. Tant il y a qu'aujourd'hui l'Hercule est au grand complet, chose rare parmi les statues antiques.

Il y a encore le taureau Farnèse, magnifique groupe de cinq à six personnages taillés dans un bloc de marbre de seize pieds sur quatorze; l'Agrippine au moment où elle vient d'apprendre que Néron menace sa vie; et enfin l'Aristide, que Canova regardait comme le chef-d'oeuvre de la statuaire antique.

De là on passa dans la salle des petits bronzes. Malgré cette dénomination infime, la salle des petits bronzes n'est pas la moins curieuse. En effet, dans cette salle sont rassemblés tous les ustensiles familiers retrouvés à Pompeïa. La vie antique, la vie positive est là; pour la première fois, on y voit boire et manger les anciens qui, dans notre théâtre, ne boivent et ne mangent que pour s'empoisonner.

Ce sont des vases pour porter l'eau chaude, des marabouts, des bouilloires, des poêles à frire, des moules à petits pâtés, des passoires si fines que le fond en semble un voile brodé à jour, des candélabres, des lanternes, des lampes de toutes formes et de toutes façons; un escargot qui éclaire avec ses deux cornes; un petit Bacchus qui fuit emporté par une panthère, une souris qui ronge un lumignon; des lampes consacrées à Isis et au Silence, d'autres consacrées à l'Amour, et que le dieu éteignait en abaissant la main; des lampes à plusieurs lumières accrochées à un petit pilastre orné de têtes de taureaux et de festons de fleurs, ou accrochées par des chaînes aux branches d'un arbre effeuillé.

A côté de la salle des petits bronzes est le cabinet des comestibles: ce sont des oeufs, des petits pâtés, des pains, des dattes, des raisins secs, des amandes, des figues, des noix, des pommes de pin, du millet, des noyaux de pêches, de l'huile d'Aix, des burettes, du vin dans des bouteilles, une serviette avec un morceau de levain, un oeuf d'autruche, des coquilles de limaçons. On y voit aussi des draps, du linge qui était dans un cuvier à lessive, des filets, du fil, enfin toutes ces choses qu'on rencontre à chaque pas dans la vie réelle, et dont il n'est jamais question dans les livres: ce qui fait que les anciens, toujours vus au sénat, au forum ou sur le champ de bataille, ne sont pas pour nous des hommes, mais des demi-dieux. Fausse éducation qu'il faut refaire, fausses idées qu'il faut redresser une fois qu'on est sorti du collége, et qui prolongent les études bien au delà du temps qui devrait leur être consacré.

Puis, de là on passe dans la chambre des bijoux. Voulez-vous des formes pures, suaves, sans reproches? Voyez ces anneaux, ces colliers, ces bracelets. C'est comme cela qu'en portaient Aspasie, Cléopâtre, Messaline. Voilà des mains qui se serrent en signe de bonne foi; voilà un serpent qui se mord la queue, symbole de l'infini; voici des mosaïques, des antiques, des bas-reliefs. Voulez-vous écrire? voici un encrier avec son encre coagulée au fond. Voulez-vous peindre? voici une palette avec sa couleur toute préparée. Voulez-vous faire votre toilette? voici des peignes, des épingles d'or, des miroirs, du fard, tout ce monde de la femme, mundus muliebris, comme l'appelaient les anciens.

Passons à la peinture: c'est la grande question artistique de l'antiquité; c'était la mystérieuse Isis, dont on n'avait pas encore, avant la découverte de Pompeïa, pu soulever le voile. On avait retrouvé des statues, on connaissait des chefs-d'oeuvre de la sculpture, on possédait l'Apollon, la Vénus de Médicis, le Laocoon, le Torse; on avait des frises du Parthénon et les métopes de Sélinunte; mais ces merveilles du pinceau tant vantées par Pline, ces portraits que les princes couvraient d'or, ces tableaux pour lesquels les rois donnaient leurs maîtresses, ces peintures que les artistes offraient aux dieux, jugeant eux-mêmes que les hommes n'étaient pas assez riches pour les payer: tout cela était inconnu. Il y avait un piédestal pour les statuaires, il n'y en avait pas pour les peintres.

Il est vrai que les fouilles de Pompeïa et d'Herculanum n'ont éclairé la question qu'à demi. Jusqu'à présent, on n'a retrouvé aucun original que l'on puisse attribuer à quelqu'un de ces grands maîtres qui avaient nom Timanthe, Zeuxis ou Apelles. Il y a plus: la majeure partie des peintures d'Herculanum et de Pompeïa ne sont rien autre chose que des fresques pareilles à celles de nos théâtres et de nos cafés. Mais n'importe! par cette oeuvre des ouvriers on peut apprécier l'oeuvre des artistes, et parmi ces peintures secondaires il y a même deux ou trois tableaux tout à fait dignes d'être remarqués. Mais il ne faut pas courir à ces deux ou trois tableaux, il faut les voir tous, les examiner tous, les étudier tous, car même dans les plus médiocres il y a quelque chose à apprendre.

Les peintures de Pompeïa sont à la détrempe, c'est-à-dire exécutées par le même procédé dont se servaient Giotto, Giovanni du Fiesole et Masaccio. Le style, à part deux ou trois oeuvres de la décadence exécutées par les Bouchers de l'époque, est purement grec. Le dessin en est fin, correct, étudié; le clair-obscur, quoique compris autrement que par nos artistes, est tout à fait à la manière des graveurs, c'est-à-dire à l'aide de hachures, et bien entendu. La composition est en général douce et harmonieuse. L'expression en est toujours juste et très souvent remarquable. Enfin les vêtemens et les plis sont touchés avec cette supériorité qu'on avait déjà reconnue dans la statuaire antique, et qui fait le désespoir des artistes modernes.

Nous ne pouvons pas passer en revue les 1,700 peintures qui composent la collection du Musée antique; nous pouvons seulement indiquer les plus originales ou les meilleures.

D'abord, dans les arabesques et dans les natures mortes, on trouvera des choses charmantes: des animaux auxquels il ne manque que la vie, des fruits auxquels il ne manque que le goût; un perroquet traînant un char conduit par une cigale, tableau que l'on croit une caricature de Néron et de son pédagogue Sénèque; une charge représentant Énée sauvant son père et son fils, tous trois avec des têtes de chiens. Les trois parties du monde, l'Afrique avec son visage noir, l'Asie avec un bonnet représentant une tête d'éléphant, et au milieu d'elles l'Europe, leur maitresse et leur reine; puis au fond la mer, et sur cette mer un vaisseau cinglant à pleines voiles à la recherche de cette quatrième partie du monde promise par Sénèque. Il n'y pas à s'y tromper, car au dessous on lit ces vers de Médée:

 
 
Venient annis
Secula seris quibus Oceanus
Vincula rerum laxet, et ingens
Pateat tellus, Typhisque novos
Deteget orbes: nec sit terris ultima Thule.
 
Médée, acte II.

Maintenant, voici un tableau d'histoire: il est précieux, car c'est le seul qu'on ait retrouvé à Pompeïa: c'est Sophonisbe buvant le poison. Devant elle est Scipion l'Africain, qu'on peut reconnaître en le comparant à son buste, auquel il ressemble; puis, derrière Sophonisbe, Massinissa qui la soutient dans ses bras. Le tableau est sans signature. Est-ce une copie? est-ce l'original? Nul ne le sait.

Mais en voici un autre sur lequel le même doute n'existe point. Il représente Phoebé essayant de raccommoder Niobé avec Latone. Aux pieds de leur mère, Aglaé et Héléna, pauvres enfans qui seront enveloppés dans la vengeance divine, jouent aux osselets avec toute l'insouciance de leur âge. C'est un original: il est signé Alexandre l'Athénien.

Puis viennent les fameuses danseuses tant de fois reproduites par la peinture moderne; des funambules vêtus comme nos arlequins; les sept grands dieux qui présidaient aux sept jours de la semaine: Diane pour le lundi, Mars pour le mardi, et ainsi de suite Mercure, Jupiter, Vénus, Apollon et Saturne.

Au milieu de tout cela, le morceau de cendre coagulée qui conserve la forme du sein de cette femme retrouvée dans le souterrain d'Arrius Diomède, comme nous l'avons raconté.

Puis les trois Grâces, que l'on croit copiées de Phidias, et qui furent recopiées par Canova.

Puis le sacrifice d'Iphigénie, que l'on croit une copie de ce fameux tableau de Timanthe dont parle Pline. On se fonde sur ce que, dans l'un comme dans l'autre, Agamemnon a la tête voilée, et que, selon toute probabilité, un artiste n'aurait pas osé faire, à un maître aussi connu que Timanthe, un pareil vol.

Puis Thésée tuant le Minotaure. A ses pieds est le monstre abattu; autour de lui sont les jeunes garçons et les jeunes filles qu'il a sauvés et qui lui baisent la main.

Puis Médée méditant la mort de ses fils, composition magnifique d'une simplicité terrible. Les enfans jouent, la mère rêve. C'est beau et grand pour tout le monde. Un homme de nos jours qui aurait fait ce tableau serait le rival de nos plus grands peintres. Ne commencez pas par ce tableau, vous ne verriez plus rien. Quant à moi, il y a maintenant sept ans que je l'ai vu, et en fermant les yeux je le revois comme s'il était là.

Puis une foule d'autres peintures: – l'Éducation d'Achille par le centaure Chiron, tableau imité par un de nos peintres, et que la gravure a popularisé; – Ariane s'éveillant sur le rivage d'une île déserte, et tendant les bras au vaisseau de Thésée qui s'éloigne; – Phryxus traversant l'Hellespont, monté sur son bélier, et tendant la main à Hellé qui est tombée dans la mer; – la Vénus qui sourit, étendue dans une conque; – Achille rendant Briséis à Agamemnon; – enfin, Thétis allant demander vengeance à Jupiter.

Ces deux derniers sont deux pages de l'Iliade.

Puis, allez, cherchez encore, regardez dans tous les coins: vous croirez en avoir pour une heure, vous y resterez tout le jour; puis, vous y reviendrez le lendemain et le surlendemain; et au moment de votre départ vous ferez arrêter votre voiture pour rendre encore une dernière visite à cette salle, unique dans le monde.

Il ne faut pas s'en aller sans visiter le cabinet des papyrus; ce serait une grande injustice. Dans mon voyage de Sicile, après avoir visité Syracuse, j'ai conduit mes lecteurs aux sources de la Cyanée, à travers des îles charmantes dont les longs roseaux courbaient au dessus de nous, leurs têtes empanachées; ces roseaux, c'étaient des papyrus. On en faisait une espèce de parchemin étroit et long qu'on déroulait à mesure qu'on écrivait, et qu'on roulait à mesure qu'on avait écrit. Eh bien! on trouva cinq ou six mille de ces rouleaux, noircis, brûlés, friables; on les prit d'abord pour des morceaux de bois carbonisés et on n'y fit aucune attention; on les jeta ou plutôt on les laissa rouler où il leur plaisait d'aller; puis on reconnut que c'était le trésor le plus précieux de l'antiquité que l'on méprisait ainsi. On recueillit tout ce qu'on put en trouver, et, par un miracle de patience inouï, incroyable, fabuleux, on en a déroulé et lu à cette heure trois mille ou trois mille cinq cents, je crois. Le reste est dans ce cabinet, rangé sur les rayons de vastes armoires; ce sont deux mille cinq cents petits cylindres noirs que vous prendriez pour des échantillons de charbon de bois. Ce fut en 1753 seulement qu'on revint de l'erreur que nous avons dite: on trouva d'un seul coup, au dessous du jardin du couvent de Saint-Augustin, à Portici, dix-huit cents de ces petits rouleaux, rangés avec tant de symétrie que l'on commença à y voir quelque chose de mieux que du bois brûlé. D'ailleurs, en même temps et dans la même pièce on retrouva trois bustes, sept encriers, et des stylets à écrire. On reconnut alors qu'on était dans une bibliothèque, et l'on eut pour la première fois l'idée que les petits rouleaux noirs pouvaient être des papyrus; on les examina avec soin et on y reconnut, comme on la voit sur du papier brûlé, la trace des caractères qui y avaient été écrits. A partir de ce moment, la recommandation fut faite à tous les ouvriers travaillant aux fouilles de mettre précieusement de côté tout ce qui pourrait ressembler à du charbon.

Et, comme je vous le dis, il y a là trois mille manuscrits dans lesquels on retrouvera peut-être ces quatre volumes de Trogue Pompée qui font une lacune dans l'histoire, et ces trois ou quatre livres de Tacite qui font une lacune dans ses Annales.

J'avoue que j'avais grande envie de mettre dans ma poche un de ces petits rouleaux de charbon.

Comme nous allions descendre le grand escalier des Studi, le gardien, qui était sans doute satisfait de la rétribution que nous lui avions donnée, nous demanda à voix basse si nous ne voulions pas visiter la galerie de Murat. Nous acceptâmes, en lui demandant comment la galerie de Murat se trouvait aux Studi. Il nous répondit alors que, lorsque le roi Ferdinand avait repris son royaume, on avait partagé en famille tous les objets abandonnés par le roi déchu. Cette galerie était devenue la propriété du prince de Salerne qui, ayant eu besoin de quelque chose comme cent mille piastres, les emprunta sur gage à son auguste neveu actuellement régnant. Or, le gage fut cette galerie, laquelle, pour plus grande sûreté de la créance, fut transportée au musée Bourbon.

Il y a là, entre autres chefs-d'oeuvre, treize Salvator Rosa, deux ou trois Van-Dick, un Pérugin, un Annibal Carrache, deux Gérard des Nuits, un Guerchin, les Trois Âges de Gérard, puis dans un petit coin, derrière un rideau de fenêtre, un tableau de quatorze pouces de haut, et de huit pouces de large, une de ces miniatures grandioses comme en fait Ingres quand le peintre d'histoire descend au genre, une petite merveille enfin, comme l'Arètin, comme le Tintoret! c'est Francesca de Rimini et Paolo, au moment où les deux amans s'interrompent et «ce jour-là ne lisent pas plus avant.»

Demandez, je vous le répète, à visiter cette galerie, ne fût-ce que pour voir ce charmant petit tableau.

Nous sortîmes enfin, ou plutôt on nous mit à la porte. Il était quatre heures et demie, et nous avions outre-passé d'une demi-heure le temps fixé pour la visite du musée. Il est vrai qu'à Naples il n'y a rien de fixe, et qu'avec une colonate, c'est-à-dire avec cinq francs cinq sous, on fait et l'on fait faire bien des choses.

Nous n'avions pas marché cent pas qu'au coin de la rue de Tolède nous nous trouvâmes face à face avec un monsieur d'une cinquantaine d'années qu'il me sembla à la première vue avoir rencontré à Paris dans le monde diplomatique. Probablement je ne lui étais pas inconnu non plus, car il s'approcha de moi avec son plus charmant sourire.

– Eh! bonjour, mon cher Alexandre, me dit-il d'un ton protecteur; comment êtes-vous à Naples sans que j'en sois averti? Ne savez-vous donc pas que je suis le protecteur-né des artistes et des gens de lettres?

Le faquin! Il me prit une cruelle envie de lui briser quelque chose d'un peu dur sur le dos; mais je me retins, me doutant bien qu'il accepterait cette réponse et que tout serait fini là.

En effet, pour mon malheur, c'était…

A l'autre chapitre, je vous dirai qui c'était.

XVIII
La Bête noire du roi Ferdinand

C'était ce fameux marquis dont je vous ai parlé comme de la bête noire du roi Ferdinand, et qui, tout protégé qu'il avait été par la reine Caroline, n'avait jamais pu entrer au palais que par la porte de derrière.

En partant de France, j'avais pris quelques lettres de recommandation pour les plus grands seigneurs de Naples, les San-Teodore, les Noja et les San-Antimo. De plus, je connaissais de longue date le marquis de Gargallo et les princes de Coppola.

Parmi ces lettres, il s'en était, je ne sais comment, glissé une pour le marquis.

Étant à Rome, je n'avais pu obtenir de l'ambassade des Deux-Siciles l'autorisation d'aller à Naples. Afin d'éluder ce refus, j'avais, comme je l'ai raconté ailleurs, passé la frontière napolitaine grâce au passeport d'un de mes amis. Pour tout le monde je m'appelais donc du nom de cet ami, c'est-à-dire monsieur Guichard, et pour quelques personnes seulement j'étais Alexandre Dumas.

Mais comme, en arrivant à Naples, j'ignorais à qui je pouvais me fier, j'avais, avec un homme que j'appellerais mon ami, si ce n'était pas un très haut personnage, j'avais, dis-je, passé une revue des adresses de mes lettres, afin de savoir de lui quelles étaient les personnes à qui il n'y avait aucun inconvénient que monsieur Guichard remît les recommandations données à monsieur Dumas.

Or, à toutes les adresses, ce haut personnage, que je n'ose appeler mon ami, mais à qui j'espère prouver un jour que je suis le sien, avait fait un signe d'assentiment, lorsque, arrivé à la lettre destinée au marquis, il prit cette lettre par un coin de l'enveloppe, et la jetant, sans même regarder où elle allait tomber, de l'autre côté de la table sur laquelle nous faisions notre choix:

– Qui vous a donc donné une lettre pour cet homme? me demanda-t-il.

– Pourquoi cela? répondis-je, ripostant à sa question par une autre question.

– Mais, parce que … parce que … ce n'est pas un de ces hommes à qui on recommande un homme comme vous.

– Mais, n'est-il pas quelque peu homme de lettres lui-même? demandai-je.

– Oh! oui, me répondit mon interlocuteur; oui, il a une correspondance très active avec le ministre de la police. Cela s'appelle-t-il être un homme de lettres en France? En ce cas, c'est un homme de lettres.

– Diable! fis-je; mais il me semble que j'ai rencontré ce gaillard-là dans les meilleurs salons de Paris.

– Cela ne m'étonnerait pas: c'est un drôle qui se fourre partout. Et moi-même, tenez, je ne serais pas surpris en rentrant de le trouver dans mon antichambre. Mais vous voilà prévenu. Assez sur cette matière; parlons d'autre chose.

C'est un garçon fort aristocrate que cet ami que je n'ose pas appeler mon ami. Je ne m'en tins pas moins pour averti, et bien averti, car il était en position d'être parfaitement renseigné sur toutes ces petites choses-là, et, à partir de ce jour, je me donnai de garde d'aller en aucun endroit où je pusse rencontrer mon marquis.

Or, j'avais parfaitement réussi à l'éviter depuis trois semaines que j'étais à Naples, lorsque, pour mon malheur, comme je l'ai dit, je me trouvai face à face avec lui en sortant du musée Bourbon.

On devine donc quelle figure je fis lorsque, avec ce charmant sourire qui lui est habituel et avec ce ton protecteur qu'il affecte, il me dit:

– Eh! bonjour, mon cher Alexandre; comment êtes-vous à Naples sans que j'en sois averti? Ne savez-vous donc pas que je suis le protecteur-né des artistes et des gens de lettres? Puis, voyant que je ne répondais rien et que je le regardais des pieds à la tête, il ajouta: Comptez-vous rester encore long-temps avec nous?

– D'abord, monsieur, lui répondis-je, je ne suis pas le moins du monde votre cher Alexandre, attendu que c'est la troisième fois, je crois, que je vous parle, et que, les deux premières, je ne savais pas à qui je parlais. Ensuite, vous n'avez pas été averti de mon arrivée parce que mon véritable nom n'a pas été déposé à la police. Enfin, et pour répondre à votre dernière question, oui, je comptais rester huit jours encore, mais j'ai bien peur d'être forcé de partir demain.

 

Après quoi je pris le bras de Jadin et laissai le protecteur-né des artistes et des gens de lettres fort abasourdi du compliment qu'il venait de recevoir.

A Chiaja, je quittai Jadin; il s'achemina du côté de l'hôtel, et moi j'allai droit à l'ambassade française.

A cette époque, nous avions pour chargé d'affaires à Naples un noble et excellent jeune homme ayant nom le comte de Béarn. En arrivant, il y avait quatre mois, j'avais été lui faire ma visite, et je lui avais tout raconté. Il m'avait écouté gravement et avec une légère teinte de mécontentement; mais presque aussitôt ce nuage passager s'était effacé, et me tendant la main:

– Vous avez eu tort, me dit-il, d'agir ainsi à votre façon, et vous pouvez cruellement nous compromettre. Si la chose était à faire, je vous dirais: Ne la faites point; mais elle est faite, soyez tranquille, nous ne vous laisserons pas dans l'embarras.

J'étais peu habitué à ces façons de faire de nos ambassadeurs; aussi j'avais gardé au comte de Béarn une grande reconnaissance de sa réception, tout en me promettant, le moment venu, d'avoir recours à lui.

Or, je pensai que le moment était venu, et j'allai le trouver.

– Eh bien! me demanda-t-il, avons-nous quelque chose de nouveau?

– Non, pas pour le moment, répondis-je, mais cela pourrait bien ne pas tarder.

– Qu'est-il donc arrivé?

Je lui dis la rencontre que je venais de faire, et je lui racontai le court dialogue qui en avait été la suite.

– Eh bien! me dit-il, vous avez eu tort cette fois-ci comme l'autre: il fallait faire semblant de ne pas le voir, et, si vous ne pouviez pas faire autrement que de le voir, il fallait au moins faire semblant de ne pas le reconnaître.

– Que voulez-vous, mon cher comte, lui répondis-je, je suis l'homme du premier mouvement.

– Vous savez cependant ce qu'a dit un de nos plus illustre diplomates?

– Celui dont vous parlez a dit tant de choses, que je ne puis savoir tout ce qu'il a dit.

– Il a dit qu'il fallait se défier du premier mouvement, attendu qu'il était toujours bon.

– C'est une maxime à l'usage des têtes couronnées, et il y aurait par conséquent de l'impertinence à moi de la suivre. Je ne suis heureusement ni roi ni empereur.

– Vous êtes mieux que cela, mon cher poète.

– Oui, mais en attendant nous ne sommes pas au temps du bon roi Robert; et je doute que, si son successeur Ferdinand daigne s'occuper de moi, ce soit pour me couronner comme Pétrarque avec le laurier de Virgile. D'ailleurs, vous le savez bien, Virgile n'a plus de laurier, et celui qu'a repiqué sur sa tombe mon illustre confrère et ami Casimir Delavigne lui a fait la mauvaise plaisanterie de ne pas reprendre de bouture.

– Bref, que désirez-vous?

– Je désire savoir si vous êtes toujours dans les mêmes dispositions à mon égard.

– Lesquelles?

– De venir à mon secours si je vous appelle.

– Je vous l'ai promis et je n'ai qu'une parole; mais savez-vous ce que je ferais si j'étais à votre place?

– Que feriez-vous?

– Vous allez bondir!

– Dites toujours.

– Eh bien! je ferais viser mon passeport ce soir, et je partirais cette nuit.

– Ah! pour cela, non, par exemple.

– Très bien; n'en parlons plus.

– Ainsi je compte sur vous?

– Comptez sur moi.

Le comte de Béarn me tendit la main, et nous nous séparâmes.

– Faites-moi un plaisir, dis-je à Jadin en rentrant à l'hôtel.

– Lequel?

– Dites au garçon de vous dresser pour cette nuit un lit de sangle dans ma chambre.

– Pour quoi faire?

– Vous le verrez probablement.

– Avez-vous besoin de Milord aussi?

– Eh! eh! il ne sera peut-être pas de trop.

– Vous croyez donc qu'ils vont venir vous arrêter?

– J'en ai peur.

– Sacré fat que vous faites, de vous figurer que les gouvernement s'occupent de vous!

– Celui-ci a daigné s'occuper de mon père au point de l'empoisonner, et je vous avoue que ce précédent ne me donne pas de confiance.

– Eh bien! on couchera dans votre chambre, puisqu'il faut vous garder.

Et Jadin donna ordre qu'on lui dressât son lit en face du mien.

Cette précaution prise, nous nous couchâmes et nous nous endormîmes comme si nous n'avions pas rencontré le moindre marquis dans notre journée.

Le lendemain, vers les quatre heures du matin, j'entendis qu'on ouvrait ma porte.

Si profondément que je dorme et si légèrement qu'on ouvre la porte de ma chambre quand je dors, je m'éveille à l'instant même. Cette fois, ma vigilance habituelle ne me fit pas défaut; j'ouvris les yeux tout grands, et j'aperçus le valet de chambre.

– Eh bien! Peppino, demandai-je, qu'y a-t-il, que vous me faites le plaisir d'entrer si matin chez moi?

– J'en demande un million de pardons à son excellence, répondit le pauvre garçon; ce sont deux messieurs qui veulent absolument vous parler.

– Deux messieurs de la police, n'est-ce pas?

– Ma foi! s'il faut vous le dire, j'en ai peur.

– Allons, allons, alerte, Jadin!

– Quoi? dit Jadin, en se frottant les yeux.

– Deux sbires qui nous font l'honneur de nous faire visite, mon garçon.

– C'est-à-dire qu'il faut que je me lève et que je coure chez M. de Béarn.

– Vous parlez comme saint Jean-Bouche-d'Or, cher ami; levez-vous et courez.

– Vous n'aimez pas mieux que je les fasse manger par Milord? Cela serait plus tôt fait, et cela ne nous dérangerait pas.

– Non, il en reviendrait d'autres, et ce serait à recommencer.

– Ces messieurs peuvent-ils entrer? demanda Peppino.

– Parfaitement, qu'ils entrent. Ces messieurs entrèrent.

Cela ressemblait beaucoup aux gardes du commerce que nous voyons au théâtre.

– Monsu Guissard? dit l'un d'eux.

– C'est moi, répondis-je.

– Eh bien! monsu Guissard, il faut nous suivre tout de suite.

– Où cela, s'il vous plaît?

– A la polize.

Je jetai un coup d'oeil triomphant à Jadin.

– Il faut, murmura-t-il, que le gouvernement ait bien du temps de reste pour se déranger ainsi!

– Que dit monsu? demanda le sbire.

– Moi! Rien, dit Jadin.

– Monsu a parlé du gouvernement!

– Ah! j'ai dit que le gouvernement était plein de tendresse pour les étrangers qui viennent ici; et je le répète! attendu que c'est mon opinion, monsieur. Est-il défendu d'avoir une opinion?

– Oui, dit le sbire.

– En ce cas, je n'en ai pas, monsieur, prenons que je n'ai rien dit. Je me hâtai de m'habiller; j'avais une peur de tous les diables que les sbires, peu habitués au dialogue de Jadin, ne l'emmenassent avec moi. Je passai donc lestement mon gilet et ma redingote, et leur déclarai que j'étais prêt à les suivre.

Cette promptitude à me rendre à l'invitation du gouvernement parut donner à nos deux sbires une excellente idée de moi; aussi, lorsque, arrivé à la porte de la rue, je leur demandai la permission de prendre un fiacre, ils ne firent aucune difficulté, et l'un d'eux poussa même la complaisance jusqu'à courir en chercher un qui stationnait devant la grille encore fermée de la villa Reale.

Comme je montais en voiture, je vis apparaître Jadin à la fenêtre; il était tiré à quatre épingles et tout prêt à se rendre à l'ambassade. Seulement, pour ne pas donner de soupçons sur sa connivence avec moi, il attendait pour sortir que nous eussions tourné le coin, et fumait innocemment la plus colossale de ses trois pipes.

Cinq minutes après j'étais à la police. Un monsieur, tout vêtu de noir et de fort mauvaise humeur d'avoir été réveillé si matin, m'y attendait.

– C'est à vous ce passeport? me demanda-t-il aussitôt qu'il m'aperçut et en me montrant mon passeport au nom de Guichard.

– Oui, monsieur.

– Et cependant Guichard n'est pas votre nom?

– Non, monsieur.

– Et pourquoi voyagez-vous sous un autre nom que le vôtre?

– Parce que votre ambassadeur n'a pas voulu me laisser voyager sous le mien.