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Le corricolo

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Outre les quatre tombeaux que nous venons de décrire, il y en a une soixantaine d'autres devant lesquels nous nous contentons de faire passer le lecteur, comme Ruy Gomez de Sylva fait passer Charles-Quint devant une partie de ses aïeux. Seulement, nous le prévenons, comme le fait le respectable tuteur de dona Sol, que nous en passons, et des meilleurs, afin d'arriver plus vite à la porte de Pompeïa.

XIV
Petites Affiches

Nous suivîmes la voie consulaire et nous arrivâmes à la porte d'Herculanum. Disons un mot de la voie consulaire et de la porte d'Herculanum; puis nous ferons un tour dans la ville même de Pompeïa.

La voie consulaire était un rameau de cette fameuse voie Appienne qui allait de Rome à Naples; elle la joignait au nord à Capoue, et s'étendait au midi jusqu'à Reggio: c'était la troisième voie romaine décrite par Strabon, qui passait par le pays des Brutiens, la Lucanie, le Samnium, la Campanie, où elle rejoignait la voie Appienne.

Ces grands chemins étaient sous l'inspection des censeurs, qui devaient les tenir en bon état. Tite-Live trace à ces estimables magistrats les devoirs qu'ils avaient à remplir à cet égard. «Les censeurs, dit-il, doivent, dans l'intérieur des villes, faire construire les chemins avec de la pierre de silex; mais, dans la campagne et hors les murs, c'est avec des cailloux que les routes et les trottoirs doivent être fabriqués.» Or, qu'étaient-ce que ces chemins en cailloutis, si ce n'est nos routes ferrées? M. Macadam est un grand plagiaire d'avoir donné la recette comme de lui, tandis qu'elle date, ainsi qu'on le voit, d'une vingtaine d'années avant le Christ.

La ville de Pompeïa est encore aujourd'hui pavée selon les réglemens de l'époque. Seulement, hors des murs, dans la campagne, les routes se sont un peu détériorées, et il n'y aurait pas de mal que les censeurs s'en occupassent.

Quant à la porte d'Herculanum, il n'y faut rien changer, elle est bien celle qui convient à la nécropole à laquelle elle donne entrée: ruine qui conduit à des ruines, poterne sans gardes qui mène à une ville sans habitans.

Sa voûte s'est écroulée, lassée qu'elle était de porter dix-sept siècles. La herse s'est faite poussière comme la poussière qui la couvrait; mais les ouvertures latérales, plus étroites et plus basses, ont conservé leurs voûtes; on voit encore la rainure où glissait la barrière disparue.

En arrivant sur le seuil de Pompeïa, on s'arrête un instant, on regarde autour de soi, on regarde devant soi, on plonge les yeux devant toutes les courbures des rues, dans tous les angles des ruines, dans tous les plis du terrain; on ne voit pas un être vivant; on écoute, on n'entend pas un seul bruit.

Alors se présente un escalier aux larges marches; cet escalier conduit aux murailles publiques, qui furent découvertes de 1811 à 1814, c'est-à-dire pendant le règne de Murat.

Ces murailles furent bâties, comme celles de Fiesole, de Roselle et de Volterra, avec de grandes pierres de travertin à leur base, et dans leur partie supérieure avec des pierres volcaniques posées les unes sur les autres, sans autre lien que leur propre aplomb, sans autre ciment que leur seul poids. Trois chars pouvaient y passer de front, et aujourd'hui l'on peut s'y promener comme aux jours de Sylla et de Cicéron.

Des lettres osques et étrusques sont gravées sur le revers de chaque pierre; on suppose que, ces pierres se taillant d'avance dans la carrière d'où on les tirait, les lettres étaient des signes tracés par les ouvriers pour reconnaître la position qu'était destinée à occuper chacune d'elles.

Du haut de cette muraille on plane, comme Asmodée, sur une ville sans toits.

En descendant de la muraille, on trouve à gauche la maison du triclinium; un banc recouvert d'une treille lui a fait donner ce nom gastronomique. Elle avait été mise par son maître sous la garde de la Fortune, dont on retrouva l'image dans une espèce de petite chapelle.

En face de cette maison est celle de Jules Polybe. Il n'y avait point à se tromper sur celle-là, le nom de JULIUS POLIBIUS étant écrit sur la porte en lettres noires.

Maintenant, quelle était sa destination? Les savans veulent, les uns que ce soit une auberge, les autres un relais de poste. Ils se fondent sur ce qu'on y a trouvé des ossemens de chevaux et des pièces de fer qui ne pouvaient être que des essieux.

Après cette maison s'élève un grand pilier dont la nature occupa fort l'académie d'Herculanum. Elle prétendit d'abord, entre autres choses, que cette image était un talisman contre la jettatura, et puis elle y reconnut une enseigne de bijoutier. Comme cette opinion était la moins plausible, tout le monde s'y rallia.

Il est vrai que les fouilles exécutées dans la maison attenante produisirent une quantité très grande d'objets pareils en corail, en or et en argent, lesquels se portaient autrefois, comme se portent encore aujourd'hui à Naples les mains et les cornes. Il faut dire le pour et le contre.

Mais ce qui nous frappa surtout, c'est la quantité, c'est la variété des inscriptions en lettres noires ou rouges, en caractères osques ou samnites, en latin ou en grec, qui couvrent les murailles. Londres, la ville des puffs par excellence, où chaque coin de muraille blanche est loué, où les affiches, après s'être hissées du premier au second étage, grimpent du second étage au troisième, enjambent le toit et vont se coller à la cheminée, Londres est, sous ce rapport, bien en arrière de Pompeïa: qu'est-ce qu'un malheureux lambeau de papier que le premier vent emporte, que la première pluie décolle, que le premier gamin arrache, près de cette encre indélébile qui dure depuis dix-huit cents ans!

Aussi, au lieu d'entrer tout d'abord dans les maisons, nous nous mîmes à courir les rues le nez en l'air comme de véritables badauds, lisant les enseignes des boutiques et les affiches des spectacles, exactement comme ces provinciaux qui se demandent: Achèterons-nous une canne ou un parapluie? Irons-nous aux Variétés ou à l'Opéra? N'est-ce pas une chose curieuse en effet, que de voir encore survivre aux habitans, aux maisons, à la ville, cet intérêt personnel qui, alors comme aujourd'hui, par les plus humbles prières et par les plus belles promesses, essayait d'attirer à lui l'attention du public, les faveurs des puissans, l'argent de tous.

Voulez-vous lire quelques unes de ces inscriptions? Voici les plus curieuses:

Marcellinum ædilem lignarii et plaustarii rogant ut faveat.

Ce qui veut dire:

«Les charpentiers et les charretiers se recommandent à l'édile Marcellinus.»

Voulez-vous savoir où vous pouviez loger? Tâchez de déchiffrer cet avis en langue étrusque:

EKSVC· AMVIANVR· EITVNS· ANTER· TIVRRI· XII· INI· HEIS· ARINV· PVPH· PHAAMAT· MR· AARIRIIS· V.

Ce qui signifie, au dire des gens qui parlent étrusque, et je prie le lecteur de ne pas me confondre avec ces messieurs:

«Voyageur, en traversant d'ici à la douzième tour, tu trouveras Sarinus, fils de Publius, qui tient auberge. Salut!»

Maintenant que vous savez où vous loger, voulez-vous aller au spectacle? Appelez le garçon et dites-lui d'aller vous louer une place. Il vous rapportera un billet ainsi conçu:

CAR. II CUN. III GRAD. VIII CASINA PLAUTI.

Vous voilà tranquille: vous avez la seconde travée, dans le troisième coin, sur le huitième gradin, et l'on joue la Casina de Plaute.

Au reste, si vous aimez mieux les spectacles du cirque que ceux du théâtre, si vous préférez la réalité à la fiction, faites mieux, allez jusqu'au carrefour de la fontaine; c'est là que sont les programmes des spectacles; il y en a pour tous les goûts. Voyez:

Glad. paria XXX matutini erunt.

«Trente paires de gladiateurs combattront au lever du soleil.»

Car, vous le savez, les combats des gladiateurs étaient si appréciés des Romains, qu'il y avait ordinairement deux combats de ce genre par jour, l'un le matin, l'autre à midi: il fallait bien faire quelque chose pour les paresseux.

Aimez-vous mieux une chasse? Vous savez ce que les Romains appelaient une chasse? On plantait des arbres dans l'amphithéâtre pour simuler une forêt, puis dans cette forêt, on lâchait deux ou trois lions, quatre ou cinq tigres, cinq ou six panthères, un rhinocéros, un éléphant, un boa et un crocodile; puis une dizaine de bestiaires entraient, et la lutte de l'instinct et du jugement, de la force et de l'adresse commençait.

Aussi, c'est là que véritablement les Romains se récréaient. Avec les hommes, nature civilisée, combattans sortis de l'école, meurtriers qui se poignardaient avec art, tout était à peu près prévu d'avance. On aurait pu, pour peu qu'on fût un habitué, donner le programme de l'assaut, dire comment tel maître porterait tel coup, comment tel autre le parerait. Mais avec les lions, avec les tigres, avec les panthères, avec les rhinocéros, avec les boas et les crocodiles, c'était bien différent: là, tout était imprévu. Chaque animal déployait le courage, la force ou la ruse qui lui était propre. C'était véritablement un combat, c'était plus qu'un combat, c'était un carnage. Les duels entre gladiateurs finissaient tous de la même manière à peu près: le blessé tombait sur un genou, s'avouait vaincu, tendait la gorge et recevait le coup de la manière la plus gracieuse qu'il lui était possible. Mais on se lasse de tout, même de voir mourir avec grâce. Puis, d'ailleurs, ces diables de gladiateurs s'entendaient entre eux; ils ne se faisaient pas souffrir le moins du monde: ils coupaient la carodite, et tout était dit. Il y avait si peu d'agonie, que ce n'était pas la peine d'en parler; tandis que les animaux, peste! ils n'y mettaient pas de complaisance; ils frappaient où ils pouvaient et comme ils pouvaient, des dents, des griffes, de la corne; ils brisaient bras et jambes, faisaient voler des lambeaux de chair jusqu'au trône de l'empereur, jusqu'à la tribune des vestales et des chevaliers; ils s'acharnaient sur le moribond, lui fouillaient la poitrine, lui rongeaient la tête, lui buvaient le sang; il n'y avait pas moyen de prendre une pose théâtrale, de choisir une attitude académique: il fallait souffrir, il fallait se débattre, il fallait crier; cela du moins, c'était amusant à voir, c'était curieux à étudier! Aussi, l'empereur Claude, de grotesque mémoire, ne s'en rassasiait-il pas. Il y venait au point du jour, il y restait jusqu'à midi, et souvent encore, quand le peuple s'en allait pour dîner, il demeurait seul sur son trône, interrogeait l'inspecteur des jeux sur l'heure où ils allaient recommencer. Eh bien! je vous le disais, avez-vous les goûts de l'empereur Claude? Voici votre affaire:

 

N. Popidi

Rufi · fam. glad. IV · K · nov. Pompeis

Venatione et XII · K · mai.

Mala et vela erunt

O. Procurator, felicitas.

«La troupe des gladiateurs de Numerius Popidius Rufus donnera une chasse à Pompeïa, le quatrième jour des calendes de novembre et le douzième jour des calendes de mai. On y déploiera les voiles. Octavius, procurateur des jeux. Salut!»

Au reste, si vous ne vous sentez pas bien dans l'auberge de M. Varinus, vous savez que vous pouvez vous loger en ville. Cherchez, il y a des pancartes d'appartemens à louer de tous côtés. Un second étage vous va-t-il?

«Cneus Pompeius Diogenes louera aux calendes de juillet l'étage supérieur de sa maison.»

Ou bien aimez-vous mieux être principal locataire et gagner quelque chose en détaillant? Il y a une certaine Julia Felix, fille de Spurius, qui propose de louer, du premier au six des ides d'août, et pour cinq années consécutives, une partie de son patrimoine, se composant d'un appartement de bains, d'un venereum et de neuf cents boutiques et étaux. Seulement vous êtes prévenu que c'est une personne honnête et qui tient à ce qu'il ne se passe chez elle que des choses convenables. Autrement le bail sera résilié de plein droit. Voici les conditions; c'est à prendre ou à laisser:

In praediis Juliae S.P.F. Felicis locantur balneum,

Venereum et nongentum tabernae, pergulae.

Coenacula ex idibus Aug. primis, in id.

Aug. sextas, annos continuos quinque

S·Q·D·L·E·N·C.

Je vous avais bien dit qu'elle était fort sévère; sa dernière condition n'est indiquée que par des initiales.

Maintenant, si vous n'êtes venu ni pour louer ni pour sous-louer, si vous ne voulez pas dépenser votre argent au théâtre ou au cirque, si votre bourse est vide, ce qui peut arriver aux plus honnêtes gens de la terre, et ce qui arrive même plutôt à ceux-là qu'à d'autres, attendez jusqu'au jour des calendes de juin: l'édile donne spectacle gratis.

Vous savez ce que c'est qu'un édile, n'est-ce pas? C'est un homme qui a mangé le tiers de sa fortune pour arriver où il est, et qui mangera les deux autres tiers pour devenir préteur. Aussi, quant à la justice qu'il doit rendre, il ne s'en occupe pas le moins du monde. Jugeât-il comme l'empereur Claude depuis le matin jusqu'au soir, personne ne lui en aurait la moindre obligation. Non, son état est d'amuser le peuple; c'est pour cela que le peuple l'a nommé. Aussi donne-t-il une fête tous les huit jours, un combat de gladiateurs tous les mois et une chasse tous les semestres. C'est que les animaux coûtent cher; il faut les faire venir de l'Atlas, du Nil, de l'Inde. Avec le prix d'un lion à crinière, on achète huit gladiateurs. Les panthères coûtent six mille sesterces, et les tigres dix mille. On ne trouve plus de rhinocéros qu'au delà du lac Natron. Il faut remonter jusqu'à la troisième cataracte pour pêcher un crocodile de dix pieds, et le moindre boa est hors de prix.

Aulus Svezius Cerius, qui vous promet une chasse pour le mois de juin, sera ruiné au mois de septembre; mais qu'importe? Au mois d'octobre se font les élections, et si l'édile a bien amusé le peuple, il sera élu préteur, c'est-à-dire roi d'une province, non pas d'une province comme le Languedoc ou le Berri, la Bretagne ou l'Artois, l'Alsace ou la Franche-Comte: ce n'est pas de pareils lambeaux que Rome a pour provinces; les provinces de Rome, c'est l'Afrique, l'Espagne, la Syrie, l'Égypte, la Grèce, la Cappadoce ou le Pont; c'est mille lieues carrées de terrain, six cents villes, dix mille villages, vingt millions d'habitans, non pas à gouverner, non pas à régir, non pas à civiliser, mais à piller, à voler, à pressurer, car tout est au préteur; le préteur a pleins pouvoirs, le préteur a droit de vie et de mort; c'est au préteur les temples et leurs statues, les hommes et leurs trésors, les femmes et leur honneur. Tous les créanciers de l'édile ont suivi le préteur comme une meute: la province est leur curée; chacun en emporte une bribe, une parcelle, un lambeau; la province épure les comptes, paie les créanciers, enrichit le débiteur. On donnait à Tibère le conseil de changer les préteurs qu'il avait envoyés en Grèce, en Judée et en Égypte, attendu, disait-on, qu'ils dévoraient ces malheureuses provinces que tant d'autres avaient déjà dévorées avant eux. «Si vous chassez les mouches qui boivent le sang d'un blessé, répondait Tibère, il en reviendra d'autres à jeun, et, par conséquent plus affamées.»

Allez donc à la chasse du futur préteur, car il le sera, puisqu'il est assez riche pour donner le spectacle gratis aux soixante-dix mille spectateurs que contient le cirque. Voici son affiche:

La famille de gladiateurs d'Aulus Svezius Cerius, édile, combattra dans Pompéia le dernier jour des calendes de juin. Il y aura chasse et velarium.

Le velarium, comme vous le savez, était une tente qui couvrait l'amphithéâtre. Il y en avait de toutes couleurs, de grises, de jaunes, de bleues. Néron en avait fait faire une en soie azurée avec des étoiles d'or, au milieu de laquelle il s'était fait représenter en Apollon, une lyre à la main et conduisant le char du soleil.

Maintenant, il y a peut-être quelque chose de plus curieux encore pour l'observateur que ces affiches pour ainsi dire officielles: ce sont ces lignes grossières, ces sentences de cabaret, ces refrains de taverne, tracés sur le mur avec la pointe d'un charbon ou l'extrémité d'un couteau. Allez dans la rue qui longe le petit théâtre, et vous y lirez les aventures amoureuses de deux soldats, arrivées sous le consulat de Marcus Messala et de Lucius Lentulus, c'est-à-dire trois ans avant la naissance du Christ. C'est une chose très plaisante.

Puis, pendant que vous y êtes, entrez dans le cabaret même: c'est une de ces riches thermopoles où les anciens passaient la nuit à jouer et à boire. Comme l'établissement de la célèbre commère de l'abbé Dubois, il avait deux faces: l'une visible, et qui s'ouvrait sur la rue; l'autre voilée, et qui se cachait sur la cour. On passait de la boutique dans l'appartement intérieur.

Il n'y a pas à s'y tromper. Par la seule inspection des murailles on sait où l'on est. Les peintures représentent des hommes qui boivent et qui jouent. L'un d'eux crie au garçon de lui apporter du vin à la glace: Da mihi frigidum pusillum. A une table voisine, des jeunes gens boivent avec des dames dont la tête est couverte d'un capuchon. Le capuchon indique que ce sont des femmes honnêtes. C'est le cucullus dont Juvénal couvre la tête de Messaline lorsqu'elle déserte le palais impérial du mont Palatin pour le corps-de-garde de la porte Flaminia. Aussi, comme vous le comprenez bien, ces dames ne sont point entrées par la boutique; il y a une petite porte qui donne dans une rue étroite, solitaire et sombre: c'est par là qu'elles sont venues, c'est par là qu'elles s'en iront. Allez voir cette porte.

Il y avait encore dans cette chambre d'autres peintures non moins curieuses que celles-ci et qu'on a enlevées. On les retrouve dans le Musée de Naples, où on les reconnaît à cette inscription: Lente impelle.

J'ai promis à mes lecteurs de ne pas leur faire faire une trop longue visite domiciliaire. Je vais donc les conduire maintenant à la maison du Faune, et tout sera dit sur Pompeïa.

XV
Maison du Faune

La maison du Faune est une des plus charmantes maisons de Pompeïa; elle est située dans le plus beau quartier de la ville, c'est-à-dire dans la rue qui s'étend de l'arc de Tibère à la porte d'Isis; elle fut découverte en 1830 par le savant directeur des fouilles, Charles Bonnucci, en présence du fils de Goethe, le même qui ne précéda que de quelques mois son illustre père dans la tombe. Elle reçut son nom de maison du Faune de la statue d'un de ces demi-dieux, qu'on y retrouva.

En franchissant le seuil de l'atrium, on découvre d'un coup d'oeil toute la maison. Cet atrium était peint de couleurs vives et variées et pavé de jaspe rouge, d'agates orientales et d'albâtre fleuri. Des chambres à coucher, des salles d'audience, des salles à manger enveloppent cet atrium.

Derrière est un jardin qui devait être tout parsemé de fleurs; au milieu de ces fleurs et de ce jardin jaillissait une fontaine qui retombait dans un bassin de marbre. Tout autour s'étendait un portique soutenu par vingt-quatre colonnes d'ordre ionique, au delà desquelles on apercevait encore d'autres colonnes et un second jardin, celui-là planté de platanes et de lauriers, à l'ombre desquels s'élevaient deux petits temples consacrés aux dieux lares.

Au delà la vue s'étendait jusqu'à la cime du Vésuve, dont on voit monter au ciel l'éternelle fumée.

Malgré cette vue, les propriétaires de cette belle demeure ne furent pas prévenus à temps du danger. On retrouva toute chose à sa place: choses communes comme objets précieux, urnes d'or, coupes d'argent, vases de terre; les uns dans les armoires, les autres sur les tables servies. La maîtresse de la maison seule essaya en fuyant d'emporter quelques bijoux. Peut-être même, pour les aller prendre, perdit-elle un temps précieux. On reconnut son squelette dans la salle de réception, et à quelques pas d'elle, dans le gynécée, on trouva deux bracelets d'or très pesans, deux boucles d'oreilles, sept anneaux d'or enchâssant de belles pierres gravées, et enfin un monceau de monnaies d'or, d'argent et de bronze.

Entre le jardin et le bosquet était situé le salon.

Arrêtons-nous au seuil de ce salon, et recueillons-nous. Nous touchons à un chef-d'oeuvre antique, dont l'exhumation a failli produire une trente-troisième révolte dans la très fidèle ville de Naples.

Nous voulons parler de la grande mosaïque.

La grande mosaïque a été découverte en 1830, c'était l'année des révolutions.

Mais notre lutte, à nous, s'est calmée. De loin en loin, quand on entend dans l'enceinte de la ville quelque coup de fusil qui résonne en contravention avec les ordres de la police, on tressaille bien encore, et l'on écoute, inquiet, si l'on n'entendra pas au bout de la rue battre la générale; mais la générale est muette. Le roulement des voitures qui passent atteste que pour le moment il n'y a pas de barricades dans les environs. Tout s'apaise sous la lente et sourde pression du temps.

Mais il n'en a pas été ainsi à Naples. Les savans forment une race à part, bien autrement entêtée, bien autrement rancunière, bien autrement ergoteuse que les autres races. Les haines politiques ne sont rien auprès des haines archéologiques, et c'est tout simple: les haines politiques tuent, les haines archéologiques ne font que blesser.

C'est une terrible chose que la grande mosaïque! La grande mosaïque sera à l'avenir ce que le Masque de Fer a été au passé. Il y a neuf systèmes sur le Masque de Fer, et il y en a déjà dix sur la grande mosaïque, et notez que le Masque de Fer date de 1680, tandis que la grande mosaïque ne date que de 1830.

Il va sans dire qu'aucun des systèmes inventés sur la grande mosaïque n'est encore reconnu pour le véritable. On sait ce qu'elle n'est pas, mais on ne sait pas ce qu'elle est.

Je voudrais bien avoir un pinceau au lieu d'une plume, je vous ferais un croquis de la grande mosaïque, et de ce croquis il résulterait peut-être un onzième système qui serait le bon. Numero deus impare gaudet.

A défaut d'un dessin, il faut donc que le lecteur se contente d'une description.

La grande mosaïque, qui peut avoir seize pieds de large sur huit pieds de haut, représente une bataille. L'artiste a choisi ce moment suprême et décisif où la victoire se déclare pour une des deux armées: cette victoire est amenée par la chute d'un des principaux personnages.

Les deux chefs des deux armées sont en présence; l'un, qui paraît avoir trente ans à peu près, est monté sur un de ces beaux chevaux héroïques comme en sculptait Phidias sur la frise du Parthénon; il est nu-tête, porte les cheveux courts et des favoris qui se joignent sous le cou, et a pour armes défensives une cuirasse très richement ornée, avec des manches d'étoffe, et une chlamyde qui, passant par dessus l'épaule gauche, retombe flottante derrière lui. Ses armes offensives sont l'épée qu'il porte à son côté et la lance qu'il tient à la main, et de laquelle il traverse le flanc d'un des généraux ennemis, lequel, embarrassé par son cheval abattu sous lui, n'a pu éviter le coup, et se cramponne, en se tordant de douleur, au bois de la lance de son adversaire. C'est la chute, et surtout la blessure terrible de ce cavalier, qui paraissent décider de la victoire.

 

Quant au vainqueur, il occupe le premier plan du côté gauche de la grande mosaïque. Il a derrière lui trois ou quatre cavaliers qui, armés comme lui, appartiennent évidemment à la même nation. D'ailleurs, ils viennent d'où il vient et vont où il va.

L'autre chef est monté sur un char traîné par quatre chevaux, et occupe le côté opposé du tableau. Il a la tête enveloppé d'une espèce de chaperon qui, après avoir fait le tour du front, passe sous le col. Il a une tunique à longues manches et un manteau agrafé sur sa poitrine et retombant sur ses épaules; il tient de la main gauche un arc et étend, dans l'attitude de l'intérêt et de la terreur, sa main droite vers le cavalier blessé. Pendant ce temps, son cocher, qui tient les rênes de l'attelage de la main gauche, force les chevaux à se retourner, et presse leur fuite en les fouettant de la main droite.

Un quatrième personnage, placé comme les trois autres sur le premier plan du tableau, tient en bride un cheval qu'il semble offrir au chef monté sur le char, car, comprenant sans doute la difficulté que ce char éprouvera à passer à travers les morts, les blessés et les armes dont le champ de bataille est jonché, il veut offrir à son chef un plus sûr moyen de salut.

Le fond du tableau est occupé par les soldats du second chef, dont l'un porte un étendard, et dont les autres, se sacrifiant pour leur général, s'élancent entre lui et le général ennemi.

Au dessus de la mêlée s'élève un arbre dépouillé de feuillage.

Il y a en tout vingt-huit combattans et seize chevaux, tous un tiers à peu près plus petit que nature.

Malheureusement cette belle mosaïque avait été endommagée par le tremblement de terre de l'an 63, et l'on s'occupait de la réparer lors de l'éruption de l'an 69.

Or, voyez ce que c'est que le hasard! le dégât a justement frappé les endroits qui pouvaient renseigner les antiquaires sur l'époque où avait lieu cette bataille et sur les nations qui se la livraient. Nous avons parlé d'un étendard. Cet étendard devait porter un lion, un aigle, un animal quelconque. Alors on eût su a qui l'on avait à faire: il n'y avait plus de discussion, tout le monde était d'accord, l'Académie d'Herculanum continuait de vivre dans la concorde. Mais bast! il ne reste de l'étendard que la pique et le bâton; de l'animal qu'il portait, pas le moindre vestige, un bout de crête seulement, à ce que prétendent ceux qui désirent y voir un coq. Quand à moi, je sais que je n'y ai rien vu.

Mais c'est justement parce qu'on n'y voit rien, que la chose est devenue si formidablement intéressante. Vous comprendrez, une énigme scientifique à expliquer, un problème archéologique à résoudre! Quelle bonne fortune pour les savans!

Aussi, chacun s'est précipité sur la grande mosaïque et y a vu une bataille différente.

L'opinion générale a prétendu que c'était la bataille d'Issus, entre Darius et Alexandre.

Il signor Francesco Avellino a prétendu que c'était la bataille du Granique.

Il signor Antonio Niccolini a prétendu que c'était la bataille d'Arbelles.

Il signor Carlo Bonnucci a prétendu que c'était la bataille de Platée.

M. Marchand a prétendu que c'était la bataille de Marathon.

Il signor Luigi Vescorali a prétendu que c'était la défaite des Gaulois à Delphes.

Il signor Filippo de Romanis a prétendu que c'était la rencontre des Druses et des Gaulois à Lyon.

Il signor Pascale Ponticelli a prétendu que c'était la défaite de Ptolémée par César.

Le marquis Arditi prétend que c'est la mort de Sarpédon.

Enfin, il signor Giuseppe Sanchez y voit un combat entre Achille et Hector.

Voilà de quoi choisir, n'est-ce pas? Eh bien! ce n'est rien de tout cela.

– Mais enfin pourquoi n'est-ce rien de tout cela?

– Je vais vous le dire. Commençons par l'opinion générale; c'est toujours, comme on le sait, la plus difficile à détrôner, quoiqu'elle soit souvent la plus absurde.

«L'opinion générale prétend que la bataille représentée dans la grande mosaïque est la bataille d'Issus, qui se livra entre Darius et Alexandre, et par conséquent entre les Perses et les Macédoniens.»

L'opinion générale est une ignorante.

Hérodote dit que les lances des Perses étaient courtes: or, selon l'opinion générale, les Perses sont les vaincus de la mosaïque, et les lances des vaincus de la mosaïque sont démesurément longues.

Arrien dit que, les soldats mercenaires tués, les Perses prirent la fuite, mais que, comme les chevaux se trouvaient alourdis par le poids de l'armure de leurs cavaliers, ces derniers étaient facilement rejoints et mis à mort par leurs ennemis. Or, pas un des vaincus de la mosaïque ne possède visiblement du moins, une cuirasse assez lourde pour ralentir la course d'un cheval.

Plutarque dit que les Perses traînaient dans leurs combats un grand nombre de chars ornés d'un grand nombre de faux. Or, il n'y a dans toute la bataille représentée par la mosaïque qu'un seul char et pas une seule faux.

Passons des soldats aux chefs.

L'opinion générale prétend que le chef vainqueur est Alexandre.

Dans tous les portraits, dans tous les bustes, dans toutes les médailles que nous possédons d'Alexandre, Alexandre est représenté sans barbe, et le chef vainqueur a des favoris.

Alexandre portait, au dire de tous les biographes, la tête inclinée vers l'épaule gauche, et le chef vainqueur a la tête inclinée sur l'épaule droite.

Enfin il est connu qu'excepté à la bataille du Granique, Alexandre combattait toujours sur Bucéphale, lequel était d'un tiers plus grand que les autres chevaux et avait la tête qui ressemblait à une tête de boeuf, ressemblance d'où lui venait son nom bous kephalé. Or, le cheval du chef vainqueur est de taille ordinaire et n'a d'aucune façon cette physionomie bovine que constatent les historiens.

L'opinion générale prétend que le chef vaincu est Darius.

Quinte-Curce dit que le char que montait Darius était tout resplendissant de pierreries, que sur ce char il y avait deux figures d'or massif hautes d'une coudée, lesquelles représentaient la Paix et la Guerre, et qu'au milieu de ces deux figures, un aigle, également d'or, ouvrait ses ailes et semblait prêt à s'envoler. Or, le char du chef vaincu est un char fort élégant, mais sur lequel on ne retrouve aucune trace ni de ces statues de la Paix et de la Guerre, ni de cet aigle aux ailes déployées.

Quinte-Curce dit que Darius portait une tunique de pourpre lisérée de blanc, et un manteau frangé d'or que réunissaient sur la poitrine du roi deux éperviers qui semblaient se becqueter. En outre, Darius avait une tiare bleue et blanche, son sceptre à la main et sa couronne sur la tête. Ce furent cette couronne, ce sceptre et cette tiare, symboles de sa dignité, que Darius jeta en fuyant, et qui tombèrent au pouvoir d'Alexandre, qui le poursuivait. Or, le manteau du chef vaincu est retenu par deux serpens et non par deux éperviers et sa tiare est jaune et non pas bleue; enfin, il ne tient pas un sceptre à la main, mais un arc.

Hérodote dit que les Perses étaient surtout gênés dans le combat par les longues robes qui tombaient jusque sur leurs talons; or, le chef vaincu, vêtu d'habits exactement taillés sur le même modèle que ceux de ses soldats, porte une tunique qui ne dépasse pas les genoux.