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Le corricolo

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XI
Un courant d'air à Naples. – Les Églises de Naples

Malgré la fatigue de la journée, notre excursion sur la terre classique de Virgile, d'Horace et de Tacite avait eu pour nous un tel attrait que nous proposâmes, Jadin et moi, pareille excursion à Pompeïa pour le lendemain; mais à cette proposition Barbaja jeta les hauts cris. Le lendemain, Duprez et la Malibran chantaient, et l'impresario ne se souciait pas de perdre six mille francs de recette pour l'amour de l'antiquité. Il fut donc convenu que la partie serait remise au surlendemain.

Bien nous en prit, comme on va le voir, de n'avoir fait aucune opposition contre le pouvoir aristocratique du czar de Saint-Charles.

Nous étions rentrés à minuit dans Naples par le plus beau temps du monde: pas un nuage au ciel, pas une ride à la mer.

A trois heures du matin, je fus réveillé par le bruit de mes trois fenêtres qui s'ouvraient en même temps et par leurs dix-huit carreaux qui passaient de leurs châssis sur le parquet.

Je sautai à bas de mon lit et je crus que j'étais ivre. La maison chancelait. Je pensai à Pline l'Ancien, et ne me souciant pas d'être étouffé comme lui, je m'habillai à la hâte, je pris un bougeoir et je m'élançai sur le palier!

Tous les hôtes de M. Martin Zir en firent autant que moi; chacun était sur le seuil de son appartement, plus ou moins vêtu. Je vis Jadin qui entrebâillait sa porte, une allumette chimique à la main et Milord entre ses jambes.

– Je crois qu'il y a un courant d'air, me dit-il.

Ce courant d'air venait d'enlever le toit du palais du prince de San-Teodore, avec tous les domestiques qui étaient dans les mansardes.

Tout s'expliqua: nous n'avions pas la joie d'être menacés d'une éruption: c'était tout bonnement un coup de vent, mais un coup de vent comme il en fait à Naples, ce qui n'a aucun rapport avec les coups de vent des autres pays.

Sur soixante-dix fenêtres, il en était resté trois intactes. Sept ou huit plafonds étaient fendus. Une gerçure s'étendait du haut en bas de la maison. Huit jalousies avaient été emportées; les domestiques couraient après dans les rues, comme on court après son chapeau.

On se contenta de balayer les chambres qui étaient pleines de vitres brisées; car d'envoyer chercher les vitriers, il n'y fallait pas songer. A Naples, on ne se dérange pas à trois heures du matin. D'ailleurs, c'eût été de la besogne à recommencer dix minutes après. Il était donc infiniment plus économique de se borner pour le moment aux jalousies.

J'étais un des moins malheureux: le vent ne m'en avait arraché qu'une. Il est vrai qu'en échange il ne me restait pas un carreau. Je me barricadai du mieux que je pus et j'essayai de me coucher; mais les éclairs et le tonnerre se mirent de la partie. Je me réfugiai au rez-de-chaussée, où le vent, ayant eu moins de prise, avait causé moins de dégât. Alors commença un de ces orages dont nous n'avons aucune idée, nous autres gens du nord; il était accompagné d'une de ces pluies comme j'en avais reçu en Calabre seulement; je la reconnus pour être du même royaume.

En un instant, la villa Réale ne parut plus faire qu'un avec la mer; l'eau monta à la hauteur des fenêtres du rez-de-chaussée et entra dans le salon. Aussitôt après on vint prévenir M. Martin que ses caves étaient pleines et que ses tonneaux dansaient une contredanse dans les avant-deux de laquelle il y en avait déjà cinq ou six de défoncés.

Au bout d'un instant, un âne chargé de légumes passa, emporté par le torrent; il s'en allait droit à un égout, suivi de son propriétaire, emporté comme lui. L'âne s'engouffra dans le cloaque et disparut; l'homme, plus heureux, s'accrocha à un pied de réverbère et tint bon: il fut sauvé.

L'eau qui tombe en une heure à Naples mettrait deux mois à tomber à Paris; encore faudrait-il que l'hiver fût bien pluvieux.

Comme cette histoire d'âne emporté m'ébouriffait singulièrement et que j'y revenais sans cesse, on me raconta deux aventures du même genre.

Au dernier coup de vent, qui avait eu lieu il y avait six ou huit mois, un officier, enlevé de la tête de sa compagnie, avait été emporté par un ruisseau gonflé dans l'égout d'un immense édifice appelé le Serraglio; on n'en avait jamais entendu reparler.

A l'avant-dernier, qui avait eu lieu deux ans auparavant, une chose plus terrible et plus incroyable encore était arrivée. Une Française, madame Conti, revenait de Capoue dans sa voiture. Surprise par un orage pareil à celui dont nous jouissions dans le moment même, elle avait voulu continuer son chemin, au lieu d'abriter sa voiture dans quelque endroit où elle eût pu rester en sûreté. A la descente de Capo di Chino, elle trouva son chemin coupé par une rue qui descend vers la mer. Cette rue était devenue, non pas un torrent, mais un fleuve. A cette vue, le cocher s'effraie et veut rétrograder. Madame Conti lui ordonne d'aller en avant, le cocher refuse, un débat s'engage, le cocher saute à bas de son siége et abandonne sa voiture. Pendant ce temps, le fleuve avait grossi toujours, il déborde a flots dans la rue transversale où est madame Conti; les chevaux s'effraient, font quatre pas en avant, sont enveloppés par les vagues qui se précipitent de Capo di Monte et de Capo di Chino; au bout d'un instant ils perdent pied et sont emportés, eux et la voiture; au bout de vingt pas la voiture est en morceaux. Le lendemain on retrouva le cadavre de madame Conti.

Au reste, à Naples il y a un avantage: c'est que deux heures après ces sortes de déluges il n'y paraît plus, si ce n'est aux rues qui sont devenues propres, ce qui ne leur arrive jamais qu'en pareille circonstance. Il y a cependant un officier chargé du nettoyage des places; mais cet officier est invisible: on sait qu'il s'appelle portulano, voilà tout.

J'oubliais de dire que, sans doute pour ne point s'exposer aux accidens que nous venons de raconter, dès qu'il tombe une goutte d'eau à Naples, tous les fiacres se sauvent, chacun tirant de son côté. Ni cris, ni prières, ni menaces ne les arrêtent; on dirait d'une volée d'oiseaux au milieu desquels on aurait jeté une pierre. Mais aussi, dès qu'il fait beau, c'est-à-dire quand on n'a plus besoin d'eux, ils reviennent s'épanouir à leur place ordinaire.

Une autre habitude des cochers napolitains est de dételer les chevaux pour les faire manger; ils leur mettent la botte de foin dans la voiture et ouvrent les deux portières; chaque cheval tire de son côté comme à un râtelier. S'il vient une pratique pendant ce temps-là, le cocher lui fait signe que ses chevaux sont à leur repas, et la renvoie à son confrère.

Le temps étant rafraîchi et les rues devenues propres, nous voulûmes profiter de ce double avantage, et nous décidâmes, Jadin et moi, que nous emploierions la matinée à des courses à pied. Nous avions fort négligé les églises, qui sont en général d'une fort médiocre architecture.

Nous commençâmes par la cathédrale: c'était justice. Au dessus de la grande porte intérieure, suspendu comme celui de Mahomet entre le ciel et la terre, est le tombeau de Charles d'Anjou. J'ai conté son histoire dans le Speronare. C'est ce prince qui voulut que sa femme eût un siége pareil à celui des trois reines ses soeurs, et qui, pour arriver à ce but, fit rouler du haut en bas de l'échafaud la tête de Conradin. En face de ce roi meurtrier est un roi meurtri, mais dans un modeste tombeau, comme il convient à un prince hongrois qui se mêle de venir régner sur les Napolitains. Ce tombeau est celui d'André. Le cadavre qui y dort était de son vivant un beau et insoucieux jeune homme qui, un matin, par caprice sans doute, eut la ridicule prétention de vouloir être roi parce qu'il était le mari de la reine. Le lendemain du jour où cette billevesée lui était passée par la tête, il trouva la reine si occupée d'un ouvrage qu'elle exécutait qu'il s'approcha jusqu'à son fauteuil sans être vu. Elle tressait des fils de soie de différentes couleurs, et comme André ne pouvait deviner le but de ce travail:

– Que faites-vous donc là, madame? demanda-t-il.

– Une corde pour vous pendre, mon cher seigneur, répondit Jeanne avec son plus charmant sourire.

De là vient sans doute le proverbe: «Dire la vérité en riant.»

Trois jours après, André était étranglé avec cette charmante petite cordelette de soie que sa femme, comme elle le lui avait dit, avait pris la peine de tresser elle-même à cette intention.

De la cathédrale nous passâmes à l'église Saint-Dominique. Là, du moins, c'est plaisir: on se retrouve en plein gothique, on sent que le monument est consacré au fondateur de l'inquisition: il est triste, solide et sombre.

C'est dans cette église qu'est le fameux crucifix qui parla à saint Thomas. L'image miraculeuse est de Masuccio Ier. Le saint craignait d'avoir fait quelque erreur dans sa Somme théologique, et il était venu au pied du crucifix, tourmenté de cette crainte, quand le Christ, voyant les inquiétudes de son serviteur, voulut le rassurer et lui dit: «Bene scripsisti de me, Thoma; quam ergo mercedem recipies. Tu as bien écrit sur moi, Thomas, et je te promets que tu en recevras la récompense.»

Quoique le cas fût nouveau et étrange, le saint ne se démonta point.

– Non aliam nisi te, répondit-il, «je n'en veux pas d'autre que toi-même, mon Seigneur.» Et le saint se sentit soulever de terre, en présage que bientôt il devait monter au ciel.

Ce qui m'attirait surtout dans l'église Saint-Dominique, c'est sa sacristie avec ses douze tombeaux renfermant les douze princes de la maison d'Aragon. Quand je dis ses douze tombeaux, je devrais dire ses douze cercueils: les cadavres sont couchés à visage découvert aussi bien embaumés que possible par les Gannals de l'époque. Le dernier roi de la dynastie manque à la collection: il est venu, comme on sait, mourir en France.

 

Au milieu de ces tombeaux, il s'en trouve deux autres qui, pour ne pas être des tombeaux de roi, n'en sont pas moins fort curieux. L'un est celui de Pescaire, qui assiégea Marseille de compte à demi avec le connétable de Bourbon, et qui, chassé par les Marseillais, prit une si sanglante revanche à Pavie. Au dessus de sa bière est son portrait ainsi que sa bannière déchirée, et une courte et simple épée de fer, qu'on dit être celle que François Ier lui rendit deux heures avant d'écrire à sa mère le fameux: Tout est perdu, fors l'honneur.

L'autre tombeau, qui est tout bonnement une énorme malle dont le sacristain a la clé dans sa poche, renferme, à ce qu'on assure, le corps d'Antonello Petrucci, pendu dans la conspiration des barons. Que ce soit véritablement Antonio Petrucci, c'est ce que le moindre petit savant, c'est ce que le plus infime topo litterato, comme on appelle généralement cette race à Naples, peut nier; mais, ce qui est incontestable, c'est que c'est un pendu, témoin son cou disloqué, sa bouche de travers et tous les muscles de sa figure encore crispés. Quoique mis avec une certaine recherche, le cadavre porte encore l'habit avec lequel il a été exécuté. Je suis forcé de dire que le seigneur Antonello Petrucci m'a paru fort laid. Il est vrai que de son vivant il était probablement mieux. La potence n'embellit pas.

De Saint-Dominique nous passâmes à Sainte-Claire. Sainte-Claire a aussi sa collection de morts illustres. L'église tout entière avait été peinte par Giotto Guitto, qui faisait avec le roi Robert de si bonnes plaisanteries et qui lui représentait son peuple, non pas comme le cheval sans frein qu'il a choisi pour emblème, mais sous la forme d'un âne qui cherche un bât. Eh bien! cette église peinte par Giotto, il s'est trouvé un autre âne bâté qui l'a fait badigeonner tout entière, afin de lui donner du jour; tout entière, je me trompe: une belle Vierge, une sainte madone, une de ces figures tristes et candides comme les faisait Giotto, a échappé au vandalisme.

C'est à Sainte-Claire que dorment les Angevins: ce bon vieux roi Robert, qui couronna Pétrarque, le pendant de notre roi René, dort là, une fois en chair et en os, deux fois en marbre: assis et avec son costume royal; couché et dans son habit de franciscain.

Jeanne est à quelques pas de lui: cette belle Jeanne qui fila la fameuse corde conjugale que vous savez. Elle est là avec une grande robe bien montante, toute parsemée des fleurs de lis de France. Au fait, n'était-elle pas du sang de cette chaste mère de saint Louis, que les indiscrétions poétiques de Thibaut ne purent parvenir à compromettre, tant sa vertu était une croyance publique, populaire et presque religieuse? Seulement le sang s'était tant soit peu corrompu en passant des veines de l'aïeule dans celles de la petite-fille.

Malheureusement pour la mémoire de Jeanne, de laquelle on n'est déjà que trop porté à médire, on a eu l'imprudence d'enterrer à quelques pas d'elle le fameux Raymond Cabane, le mari de sa nourrice, ce misérable esclave sarrasin devenu grand-sénéchal, et qui payait les honneurs dont l'accablait sa maîtresse en faisant des noeuds coulans aux cordes qu'elle tressait.

Maintenant, si l'on veut continuer de passer cette royale et funèbre revue, il faut aller de Sainte-Claire à Saint-Jean-Carbonara. C'est une jolie petite église de Masuccio II, qui, à part ses souvenirs historiques, mériterait encore d'être visitée. Là est le mausolée de Ladislas et de sa soeur Jeanne II. Vous savez comment l'un est mort et comment l'autre a vécu. Pourquoi diable aussi un conquérant, un ambitieux, un homme qui veut être roi d'Italie, s'avise-t-il de devenir amoureux de la fille d'un médecin de Pérouse!

Florence avait peur d'être conquise comme Rome venait de l'être; elle eut l'idée de s'entendre avec le médecin. Un jour la fille, tout éplorée, vint se plaindre à son père de ce que son royal amant commençait à l'aimer moins. C'était une singulière confidence entre un père et une fille. Mais il paraît que cela se passait ainsi en l'an de grâce 1314.

La fille suivit ponctuellement les instructions paternelles: huit jours après, l'amant et la maîtresse mouraient empoisonnés: c'était alors une belle chose que la médecine.

Près de lui, comme nous l'avons dit, est sa soeur Jeanne II. A Naples, selon toute apparence, ce nom portait malheur, aux maris d'abord, aux femmes ensuite, puis, par-ci par-là, aux amans. Demandez à Gianni Carracciolo, qui est enterré à dix pas de sa maîtresse.

Celui-là, il faut lui rendre justice, fit tout ce qu'il put pour ne pas s'apercevoir que sa souveraine l'aimait, et pour ne pas se trouver seul en présence de Jeanne, dans la crainte d'être amené à lui déclarer ses sentimens. La chose en était devenue impertinente pour la pauvre femme. Aussi n'en voulut-elle pas avoir le démenti. Ce que femme veut, Dieu le veut, dit le proverbe. Or, Jeanne voulait être aimée et voulait entendre l'aveu de cet amour. Seulement elle s'y prit singulièrement pour que le proverbe ne mentit pas.

Un soir qu'on parlait au cercle de la reine de ces antipathies instinctives que les hommes les plus braves ont pour certains animaux, et que chacun disait la sienne: celui-ci l'araignée, celui-là le lézard, un autre le chat, Carracciolo, interrogé, répondit que l'animal qui lui était le plus antipathique dans la création était le rat. Un rat, il l'avouait, l'eût fait sauver à l'autre bout du monde. Jeanne ne dit rien, mais elle tint compte de la chose.

Le surlendemain, comme Carracciolo se rendait au conseil, et que, pour s'y rendre, il traversait un long corridor du palais habité par les dames de la reine, un domestique parut tout à coup à l'extrémité de ce corridor avec une cage pleine de rats. Carracciolo ne fit attention ni à la cage ni aux hôtes qu'elle contenait, et continua de s'avancer; mais lorsqu'il ne fut plus qu'à quelques pas du valet, celui-ci posa sa cage à terre, ouvrit la porte, et tous les rats en sortirent, courant à droite et à gauche, avec la vélocité que l'on connaît à ce charmant animal.

Carracciolo avait dit vrai: il avait une haine, ou plutôt une terreur profonde pour les rats. Aussi, à peine les vit-il faire irruption hors de leur domicile, qu'il perdit la tête et se sauva comme un fou, frappant à toutes les portes. Mais toutes les portes étaient fermées à l'exception d'une seule qui s'ouvrit. Carracciolo se précipita dans la chambre et s'y trouva en présence de sa souveraine. Le pauvre courtisan en fuyant un danger imaginaire était tombé dans un danger réel.

Il n'eut pas lieu de regretter sa fortune. La reine le fit tour à tour grand-sénéchal, duc d'Avellino et seigneur de Capoue. Il avait bien demandé a être prince de cette dernière ville; mais comme c'était le titre réservé aux héritiers présomptifs de la couronne, la reine avait refusé. Il s'était alors rabattu sur le duché d'Amalfi et la principauté de Salerne; mais cette dernière concession souffrait aussi, à ce qu'il paraît, quelque petite difficulté, car un jour que cette éternelle demande avait amené une discussion plus vive que d'habitude entre Jeanne et Carracciolo, l'amant oublia la distance que Jeanne avait franchie pour arriver jusqu'à lui, et appliqua sur la joue de sa royale maîtresse un soufflet de crocheteur.

Il en est des soufflets de crocheteur comme des baisers de nourrice: on les entend de loin. Une certaine duchesse de Suessa, ennemie jurée de Carracciolo, entendit le bruit de cet insolent soufflet; elle entra chez Jeanne comme Carracciolo en sortait, et trouva la reine pleurant de honte et de douleur.

Les deux femmes restèrent enfermées ensemble une partie de la journée. Quand les femmes veulent se mettre à la besogne, elles vont plus vite que nous autres; aussi en deux heures tout fut-il résolu, principal et accessoires, faits et détails.

Le lendemain matin, comme Carracciolo était encore au lit, il entendit frapper à sa porte. Carracciolo, comme on le comprend, n'était pas sans défiance: c'était la première fois qu'il levait la main sur la reine, et ce malheureux soufflet qui lui était échappé l'avait tracassé toute la nuit. Aussi, avant d'ouvrir commença-t-il par demander qui frappait.

– Hélas! répondit un page dont la voix était bien connue de Carracciolo, car c'était le page favori de Jeanne, c'est la reine qui vient d'être atteinte d'apoplexie, et Son Altesse ne veut pas mourir sans vous voir.

Carracciolo calcula à l'instant même qu'au moment de la mort de la reine il pouvait arracher d'elle ce qu'il n'avait jamais pu obtenir de son vivant, et il ouvrit la porte.

Au même instant, cinq ou six hommes armés se précipitèrent sur lui, et, sans qu'il eût le temps de se mettre en défense, le renversèrent sur son lit et le massacrèrent à coups de hache et d'épée; et après s'être assurés qu'il était bien mort, ils sortirent sans que personne fût venu les déranger dans leur sanglante exécution.

Trois heures après, quand on entra chez le grand-sénéchal, on le trouva couché à terre, à moitié vêtu, une seule jambe chaussée, les assassins l'ayant laissé juste dans l'état où la mort l'avait saisi.

Prenez l'un après l'autre tous ces rois, toutes ces reines et tous ces courtisans, et vous n'en trouverez pas un sur quatre qui soit mort de la façon dont Dieu a destiné l'homme à mourir.

XII
Une visite à Herculanum et à Pompeïa

Un des malheurs auxquels est exposée cette classe de voyageurs que Sterne désigne sous le nom de voyageurs curieux, c'est qu'en général on ne peut être transporté sans transition d'un lieu à un autre. Si l'on avait la faculté de bondir de Paris à Florence, de Florence à Venise, de Venise à Naples, ou de fermer au moins les yeux tout le long de la route, l'Italie présenterait des sensations tranchées, inouïes, ineffaçables; mais au lieu de cela, malgré la rapidité des malles-postes, malgré l'agilité des bateaux à vapeur, il faut bien traverser un paysage, il faut bien aborder dans un port; les préparations détruisent alors les sensations. Marseille révèle Naples; la Maison-Carrée et le pont du Gard dénoncent le Panthéon et le Colisée. Toute impression perd alors son inattendu, et par conséquent sa force.

Ainsi est-il de Pompeïa: on commence par visiter le musée de Naples, on s'appesantit sur toutes ces merveilles d'art ou de forme retrouvées depuis deux cents ans que durent les fouilles; bronzes et peintures, on se fait raconter l'histoire de chaque chose, comment et quand elle a été retrouvée, à quel usage elle servait, en quel lieu elle était placée; puis, lorsqu'on s'est bien blasé sur les bijoux, vient le tour de l'écrin.

Nous évitâmes ce premier piége, mais nous ne pûmes en faire autant d'un second: échappés aux Studi, nous retombâmes dans Herculanum.

Herculanum et Pompeïa périrent dans la même catastrophe, et cependant d'une façon toute différente. Herculanum fut enveloppée, étreinte, et enfin recouverte par la lave, sur la route de laquelle elle se trouva; Pompeïa, plus éloignée, fut ensevelie sous cette pluie de cendres et de pierres ponces que raconte Pline le jeune, et dont fut victime Pline l'ancien. Il en résulte qu'à Herculanum tout ce qui pouvait subir l'action du feu fut dévoré par le feu; que le fer, le bronze et l'argent résistèrent seuls; tandis qu'à Pompeïa, au contraire, tout fut garanti, conservé, entretenu, si on peut le dire, par cette molle couche de cendres dont le volcan avait recouvert la ville, on pourrait presque le croire, dans un simple but d'art et d'archéologie, afin de conserver aux siècles à venir un vivant échantillon de ce qu'était une ville romaine pendant la première année du règne de Titus.

Au moment où l'on retrouva Herculanum et Pompeïa, elles étaient à peu près aussi perdues que le sont aujourd'hui Stabie, Oplonte et Rétine. Pour Herculanum, la chose n'était pas étonnante: il fallait presque un miracle pour la retrouver; Herculanum dormait au fond d'une tombe de lave profonde de cinquante ou soixante pieds. La pauvre ville d'Hercule semblait bien morte et ensevelie à tout jamais. Mais il n'en était point ainsi de Pompeïa.

Pompeïa n'était point morte, Pompeïa n'était point ensevelie, Pompeia semblait dormir. Seulement ce qu'on prenait pour le drap de sa couche était le linceul de son tombeau. Pompeïa, couverte seulement à la hauteur de quinze ou vingt pieds, élançait hors de la cendre, qui n'avait pu la couvrir entièrement, les chapiteaux de ses colonnes, les extrémités de ses portiques, les toits de ses maisons; Pompeïa enfin demandait incessamment secours, et criait jour et nuit du fond de ton sépulcre, où elle n'était ensevelie qu'à moitié: «Fouillez! je suis là!» Il y a plus: quelques uns prétendent que cette éruption dont parle Pline ne fut pas celle qui détruisit Pompeïa. Selon Ignarra et Laporte-Dutheil, Pompeïa, à moitié ensevelie, aurait pour cette fois secoué sa couche de sable, et, l'écartant, comme la Ginevra de Florence, serait reparue à la lueur du jour, son voile mortuaire à la main et réclamant son nom trop tôt rayé de la liste des villes; si bien que, selon eux, la ville ressuscitée aurait encore vécu jusqu'en l'an 471, époque à laquelle le tremblement de terre décrit par Marcellin l'aurait définitivement engloutie. Ceux-ci se fondent sur ce que Pompeïa se trouve encore indiquée sur la carte de Peutinger, qui est postérieure au règne de Constantin, et ne disparaît entièrement de la surface du sol que dans l'itinéraire d'Antonin.

 

Rien de plus possible, au bout du compte; et nous ne sommes pas disposé à chicaner Pompeïa sur quatre siècles de plus ou de moins. Mais cependant il y a un fait incontestable qui s'oppose à la reconnaissance pleine et entière de cette résurrection: c'est qu'aucune monnaie de cuivre, d'argent ou d'or n'a été retrouvée, à Pompeïa, postérieure à l'an 79, quoique incontestablement encore les empereurs aient continué à faire frapper monnaie, cette haute prérogative du rang suprême à laquelle les souverains tiennent tant. Or, supposez Saint-Cloud enseveli à notre époque et exhumé dans deux mille ans: je suis convaincu qu'on retrouverait dans les fouilles de Saint-Cloud infiniment plus de pièces de cinq, de vingt et de quarante francs à l'effigie de Napoléon, de Louis XVIII, de Charles X et de Louis-Philippe, que de sous parisis et de deniers d'or et d'argent au millésime du quatorzième siècle.

Ce qui est probable, c'est que la cendre, en engloutissant la ville tout entière, avait laissé échapper les trois quarts de la population; que cette population, soit dans l'espoir de mettre à découvert un jour ses anciennes demeures, soit par cet amour du sol si fortement enraciné dans le coeur les habitans de là Campanie, n'aura pas voulu s'éloigner de l'emplacement qu'elle avait déjà habité; qu'elle aura élevé un village près de la ville; que le nouveau bourg aura pris le nom de l'ancienne cité, et que les géographes, en retrouvant ce nom sur la carte de Peutinger, auront pris la fille pour la mère, et auront confondu la tombe avec le berceau.

Cela est si vrai que l'on retrouva entre Bosco-Real et Bosco-Trecase cette nouvelle Pompeïa, laquelle gardait aussi des bronzes magnifiques et des statues du meilleur temps, vieux débris arrachés sans doute à son ancienne splendeur. Mais les maisons qui renfermaient ces bronzes et ces statues étaient, comme architecture et comme peinture, d'une époque de décadence tellement en désaccord avec les chefs-d'oeuvre de l'art, qu'on peut croire qu'il y avait plusieurs siècles de différence entre les uns et les autres. Cependant, il faut le dire, la distribution intérieure des appartemens était absolument la même, quoique, selon toute probabilité, cette seconde Pompeïa eût été engloutie quatre siècles après l'ancienne.

Ainsi, comme nous le disions, la renommée de la ville grecque a long-temps survécu à elle-même pour s'éteindre juste au moment où elle allait reparaître plus brillante que jamais.

D'abord un grand nombre des habitans de Pompeïa retournèrent, la hache et la pioche à la main, fouiller plus d'une fois cette vaste tombe où était restée enfouie la plus grande partie de leurs richesses. Les antiquaires appellent cela une profanation; il est évident qu'ils ne se seraient pas entendus sur le mot avec les anciens habitans de Pompeïa.

Alexandre Sévère fit fouiller Pompeïa; il en tira une grande quantité de marbres, de colonnes et de statues d'un très beau travail, qu'il employa dans les constructions nouvelles qu'il faisait faire à Rome, et parmi lesquelles on les reconnaît comme on reconnaîtrait un fragment de la renaissance au milieu de l'architecture napoléonienne.

Puis vint le flot de la barbarie, qui, comme une nouvelle lave, couvrit non seulement les villes mortes, mais encore les villes vivantes. Que devinrent alors Pompeïa et le village qu'elle tenait par la main comme une mère tient son enfant? Il n'en est plus question, nul ne sait plus rien. Sans doute tout ce qui dépassait cette couche de cendres qui montait, comme nous l'avons dit, plus haut que le premier étage fut abattu. Chapiteaux, frontons, terrasses se nivelèrent. Quelque temps encore les ruines indiquèrent la place des tombeaux, puis les ruines elles-mêmes devinrent de la poudre; la poussière se mêla à la poussière; quelques maigres gazons, quelques arbres rares poussèrent sur cette terre stérile, et tout fut dit: Pompeïa avait disparu; on chercha vainement où avait été Pompeïa. Pompeïa avait été oubliée!

Dix siècles se passèrent.

Un jour, c'était en 1592, l'architecte Dominique Fontana fut appelé par Mutius Cuttavilla, comte de Sarno. Il s'agissait de creuser un aqueduc pour porter de l'eau à la Torre. Fontana se mit à l'oeuvre; et comme la ligne qu'il avait tracée traversait tout le plan de Pompeïa, ses ouvriers allèrent bientôt se heurter contre des fondations de maisons, des bases de colonnes et des degrés de temples. On vint prévenir l'architecte de ce qui se passait ainsi sous terre; il descendit dans les fouilles, une torche à la main; reconnut des marbres, des bronzes, des peintures; traversa des rues, des théâtres, des portiques; puis, stupéfait de ce qu'il avait vu dans cette nécropole, remonta pour demander au duc de Sarno ce qu'il devait faire. Le comte lui répondit qu'il devait continuer son aqueduc.

Fontana n'était pas assez riche pour entretenir des fouilles à ses frais: il se contenta donc, en artiste pieux qu'il était, de continuer les excavations en réparant à mesure ce qu'il était forcé de détruire; il passa ainsi sous le temple d'Isis sans le renverser, et aujourd'hui encore on peut suivre sa marche par les soupiraux du canal qu'il traça.

Pendant ce temps Herculanum dormait, plus tranquille que sa soeur en infortune, car sa tombe à elle était plus sûre et plus profonde; mais, comme si une loi de ce monde était qu'il n'y aura pas de repos éternel, même pour les morts, l'heure de sa résurrection sonna avant même qu'eut sonné celle de Pompeïa.

Ce fut un prince d'Elbeuf, de la maison de Lorraine, qui comprit le premier quel était le trésor que seize siècles avaient dédaigneusement foulé aux pieds. Marié à une fille du prince de Salsa, et désirant embellir une maison de campagne qu'il avait achetée aux environs de Portici, il commença d'acheter aux paysans des environs tous les fragmens d'antiquités qu'ils lui apportèrent. D'abord il prit tout ce qu'on lui apporta; puis, comme avec l'abondance son goût devint plus difficile, il exigea que les choses eussent une certaine valeur pour en faire l'acquisition. Enfin, voyant qu'on lui apportait chaque jour de nouvelles richesses, il résolut de remonter lui-même à cette source et fit venir un architecte. L'architecte demanda des renseignemens aux paysans, reconnut des localités, et prit si bien ses mesures que dès sa première fouille, exécutée vers l'an 1720, on retrouva deux statues d'Hercule, on découvrit un temple circulaire, soutenu par quarante-huit colonnes d'albâtre, vingt-quatre extérieures, vingt-quatre intérieures; et enfin on mit au jour sept nouvelles statues grecques, que le libéral prince d'Elbeuf donna en pur don au prince Eugène de Savoie.

Mais, comme on le comprend, la chose fit grand bruit: on exagéra encore les merveilles de la ville souterraine; le gouvernement intervint et ordonna au prince d'Elbeuf d'interrompre ses excavations. Les fouilles restèrent quelque temps suspendues.

Enfin, le jeune prince des Asturies, don Carlos, monta sur le trône de Naples sous le nom de Charles III, fit bâtir le Palais de Portici, et, achetant la maison du prince d'Elbeuf avec tout ce qu'elle contenait, reprit les fouilles et les fit continuer jusqu'à quatre-vingts pieds de profondeur. Ce ne fut plus alors un monument solitaire ou un temple isolé que l'on rencontra: ce fut une ville tout entière disparue sous la lave, gisante entre Portici et Resina, et que sa position d'abord, puis des inscriptions, les unes grecques, les autres latines, firent reconnaître pour l'ancienne ville d'Herculanum.