Kostenlos

Le corricolo

Text
0
Kritiken
iOSAndroidWindows Phone
Wohin soll der Link zur App geschickt werden?
Schließen Sie dieses Fenster erst, wenn Sie den Code auf Ihrem Mobilgerät eingegeben haben
Erneut versuchenLink gesendet

Auf Wunsch des Urheberrechtsinhabers steht dieses Buch nicht als Datei zum Download zur Verfügung.

Sie können es jedoch in unseren mobilen Anwendungen (auch ohne Verbindung zum Internet) und online auf der LitRes-Website lesen.

Als gelesen kennzeichnen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

Haletant, trempé de sueur, je m'avouai vaincu, et je priai Francesco de venir à mon aide. Il le fit avec une modestie parfaite, c'est une justice à lui rendre.

– Rien n'est plus facile, excellence, me dit-il: règle générale, les ânes font toujours le contraire de ce qu'on leur dit. Or, vous voulez que votre âne marche en avant, il suffit de le tirer par derrière; et, joignant la pratique à la théorie, il se mit à le tirer doucement par la queue. L'âne partit comme un trait.

– Il paraît que l'animal te connaît, mon cher Francesco.

– Je m'en flatte, excellence. Avant d'être cocher, j'ai travaillé dans les ânes: aussi leur dois-je ma fortune.

– Comment cela, mon garçon?

– Oh! mon Dieu! dit Francesco avec un soupir, ce n'est pas moi qui l'ai cherchée! Et encore si j'avais pu prévoir une telle horreur, jamais au grand jamais je n'aurais voulu accepter.

– Mais enfin explique-toi; que t'est-il donc arrivé?

– Nous nous tenions, mon âne et moi, au bas de la montagne où nous avons laissé la voiture. Un jour se présentent deux Anglais qui me demandent à louer ma bête pour monter au Vésuve. – Mais vous êtes deux, milords, que je leur dis, et je n'ai qu'un seul âne. – Cela ne fait rien, qu'ils me répondent. – Au moins, vous allez monter chacun votre tour! Je tiens à ma bête, et pour rien au monde je ne voudrais l'éreinter. – Soyez tranquille, mon brave, nous ne le monterons pas du tout.

En effet, ils se mettent à marcher l'un à droite, l'autre à gauche, respectant mon âne comme s'il eût porté des reliques. Cela ne m'étonnait pas de leur part! j'avais entendu dire que les Anglais avaient un faible pour les bêtes, et il y a dans leur pays des lois très dures contre ceux qui les maltraitent… A preuve qu'un Anglais peut traîner sa femme au marché, la corde au cou, tant qu'il lui fait plaisir; mais il n'oserait pas se permettre la plus petite avanie contre le dernier de ses chats. C'est très bien vu, n'est-ce pas, excellence? Or, comme nous montions toujours, l'âne, les voyageurs et moi, voilà que les deux Anglais, après avoir causé un peu dans leur langue, un drôle de baragouin, ma foi! – Mon brave, qu'ils me disent, veux-tu nous vendre ton âne?

– C'est trop d'honneur, milords, répondis-je; je vous ai dit que je l'aimais, cet animal, comme un ami, comme un camarade, comme un frère; mais, si j'en trouvais le prix, et si j'étais sûr qu'il dût tomber entre les mains d'honnêtes gens comme vous (je les flattais les Anglais), je ne voudrais pas empêcher son sort.

– Et quel prix en demandes-tu, mon garçon?

– Cinquante ducats! leur dis-je d'un seul coup. C'était énorme! Mais je l'aimais beaucoup, mon pauvre âne, et il me fallait de grands sacrifices pour me décider à m'en séparer.

– C'est convenu, qu'ils me répondent en me comptant mon argent à l'instant même. Il n'y avait plus à s'en dédire. Je fis comprendre à mon âne que son devoir était de suivre ses nouveaux maîtres. La pauvre bête ne se le fit pas répéter deux fois, et à peine l'eus-je tirée un peu par la queue, qu'elle se mit à grimper bravement après les Anglais. Ils étaient arrivés au bord du cratère et s'amusaient à jeter des pierres au fond du volcan; l'âne baissait son museau vers le gouffre, alléché par un peu d'écume verdâtre qu'il avait prise pour de la mousse; moi, j'étais tout occupé à compter mon argent, lorsque tout à coup j'entends un bruit sourd et prolongé… Les deux mécréans avaient jeté la pauvre bête au fond du Vésuve, et ils riaient comme deux sauvages qu'ils étaient. Je vous l'avoue, dans ce premier moment, il me prit une furieuse envie de les envoyer rejoindre ma bête. Mais ça aurait pu me faire du tort, attendu que ces Anglais sont toujours soutenus par la police; et d'ailleurs, comme ils m'avaient payé le prix convenu, ils étaient dans leur droit. En descendant, j'eus la douleur de reconnaître au bas du cône, à côté d'un trou qui venait de s'ouvrir pas plus tard que la veille, mon malheureux animal, noir et brûlé comme un charbon. C'était pour voir s'il y avait une communication intérieure entre les deux ouvertures, que les brigands avaient sacrifié mon âne. Je le pleurai long-temps, excellence; mais comme, en définitive, toutes les larmes du monde n'auraient pu le faire revenir, je me mariai pour me consoler, et j'achetai avec l'argent des Anglais deux chevaux et un corricolo.

Tout en écoutant ce larmoyant récit, j'étais arrivé à l'Ermitage. Pour distraire Francesco de sa douleur, je lui demandai s'il n'y avait pas moyen de boire un verre de vin à la mémoire du noble animal, et s'il n'y aurait pas d'indiscrétion à réclamer quelques instans d'hospitalité dans la cellule de l'ermite.

A ce nom d'ermite, toute la mélancolie de Francesco se dissipa comme par enchantement, il fronça de nouveau ses lèvres par un sourire sardonique, et frappa lui-même à la porte à coups redoublés.

L'ermite parut sur le seuil, et nous reçut avec un empressement digne des premiers temps de l'Eglise. Il nous servit des oeufs durs, du saucisson, une salade et des figues excellentes; le tout arrosé de deux bouteilles de lacryma christi de première qualité. Comme je me récriais sur la générosité de notre hôte:

– Attendez la carte, me dit Francesco avec malice.

En effet, le total de cette réfection chrétienne se montait, je crois, à trois piastres; c'était quatre fois le prix des auberges ordinaires.

Après avoir remercié notre excellent ermite, je montai jusqu'à la bouche du volcan, et je descendis jusqu'au fond du cratère. Le lecteur trouvera mes expressions exactes magnifiquement rendues dans trois admirables pages de Châteaubriand, qui avait accompli avant moi la même ascension et la même descente.

Pendant tout le temps que dura notre voyage, Francesco, remis en train par la petite supercherie de notre hôte, ne cessa pas d'exercer sa bonne humeur sur les moines, sur les quêteurs, sur les ermites de toute espèce, répétant avec une nouvelle énergie qu'il se laisserait écorcher vif plutôt que de jeter une obole dans la bourse d'un de ces intrigans.

De retour à Resina, nous remontâmes dans notre corricolo, et ses déclamations reprirent de plus belle à la vue d'un sacristain qui nous souhaita le bon voyage. Je commençais à désespérer réellement de pouvoir lui imposer silence, lorsqu'au moment où nous passions devant la petite chapelle des âmes du purgatoire, je le vis s'interrompre brusquement au milieu de sa phrase; ses joues pâlirent, ses lèvres tremblèrent et il laissa tomber le fouet de sa main.

Je regardai devant moi pour tâcher de comprendre quelle pouvait être l'apparition qui causait à mon vaillant conducteur un effroi si terrible, et je vis un petit vieillard, à la barbe blanche et soyeuse, aux yeux baissés et modestes, à la physionomie douce et souriante, paraissant se traîner avec peine, et portant le costume des capucins dans toute sa rigoureuse pauvreté.

Le saint personnage s'avançait vers nous la main gauche sur la poitrine, la droite élevée pour nous présenter une bourse en ferblanc, sur laquelle étaient reproduites en miniature les mêmes âmes et les mêmes flammes qui éclataient dans les fresques. Au reste, le pauvre capucin ne prononçait pas une parole, se bornant à solliciter la charité des fidèles par son humble démarche et par son éloquente pantomime.

Francesco descendit en tremblant, vida sa poche dans la bourse du quêteur et se signa dévotement en baisant les âmes du purgatoire; puis, remontant promptement derrière la voiture, il fouetta les deux chevaux à tour de bras, comme s'il se fût agi de fuir devant tous les démons de l'enfer.

Je tenais mon incrédule.

– Qu'y a-t-il, mon cher Francesco? lui dis-je en raillant à mon tour; expliquez-moi par quel miracle ce bon capucin, sans même ouvrir la bouche, vous a si subitement converti, que dans votre ardeur de néophite vous lui avez versé dans les mains tout ce que vous aviez dans vos poches.

– Lui! un capucin! dit Francesco en se tournant en arrière avec un reste de frayeur: c'est le plus infâme bandit de Naples et de Sicile; c'est Pietro. Je croyais qu'il faisait sa sieste à cette heure; sans cela je ne me serais pas risqué à m'approcher de sa chapelle, où il dévalise les passans avec l'autorisation des supérieurs.

– Comment! ce vieillard si doux, si bienveillant, si vénérable?..

– C'est un affreux brigand.

– Prenez garde, Francesco, votre aversion pour les gens d'Église devient révoltante.

– Lui, un homme d'Église! Mais je vous jure, excellence, par tout ce qu'il y a de plus sacré au monde, qu'il n'est pas plus moine que vous et moi. Quand je lui dis brigand, je l'appelle par son nom; c'est la seule chose qu'il n'ait pas volée.

– Mais alors par quelle métamorphose se trouve-t-il transformé en capucin?

– Le diable s'est fait ermite, voilà tout…

– Et comment, dans un pays aussi catholique et aussi religieux que Naples, peut-on lui permettre cette indigne profanation?..

– Il s'agit bien pour lui de demander une permission! il la prend.

– Mais la police?

– Ni vu ni connu…

– Les carabiniers?

– Votre serviteur…

– Les gendarmes?

– Enfoncés.

– C'est donc un homme plus déterminé que Marco Brandi, plus rusé que Vardarelli, plus imprenable que Pascal Bruno?

– C'est à peu près la même force, mais ce n'est plus le même genre.

– Ah! et quelle est sa spécialité à ce brave capucin?

– Les autres se contentaient de voler les hommes; lui, il vole le bon Dieu.

– Comment! il vole le bon Dieu?

– Quand je dis le bon Dieu, c'est les prêtres que je veux dire, ça revient au même. Les autres bandits se donnent la peine de courir la campagne, d'arrêter les fourgons du roi, de se battre avec les gendarmes. Sa campagne, à lui, a toujours été la sacristie, ses fourgons l'autel, ses ennemis les évêques, les vicaires, les chanoines. Croix, chandeliers, missels, calices, ostensoirs, il n'a rien respecté. Il est né dans l'église, il a vécu aux dépens de l'église, et il veut mourir dans l'église.

 

– C'est donc par des vols sacriléges que cet homme a soutenu sa criminelle existence?

– Mon Dieu, oui; c'est plus qu'une habitude chez lui, c'est une vocation, c'est une second nature. Il est neveu d'un curé; sa mère l'avait naturellement placé à la paroisse en qualité de sacristain, d'enfant de choeur ou de bedeau, je ne sais pas bien ses fonctions exactes. Quoi qu'il en soit, le premier coup qu'a fait l'affreux garnement a été de voler la montre de son révérend oncle.

– Vraiment?

– C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire, excellence, et encore d'une drôle de manière, allez. Le curé disait la messe tous les matins au petit jour, et, pour que rien ne sortît de la famille, il se faisait servir par son neveu. Il faut vous dire que don Gregorio (c'était don Gregorio que s'appelait le curé) était un homme très exact, assez bon enfant au dehors, mais n'entendant plus la plaisanterie dès qu'il s'agissait de ses devoirs, tenant à gagner honnêtement sa vie, et incapable de faire tort à ses paroissiens d'un Ite missa est. Or, comme sa messe lui était payée trois carlins, et qu'elle devait durer trois quarts d'heure, don Gregorio posait sa montre sur l'autel, jetait un coup d'oeil sur l'Évangile, un autre sur le cadran, et à l'instant même où l'aiguille touchait à sa quarante-cinquième minute il faisait sa dernière génuflexion, et la messe était dite. Malheureusement don Gregorio avait la vue basse; aussi à côté de sa montre n'oubliait-il jamais de poser ses lunettes, d'abord pour regarder l'heure, ensuite pour surveiller ses fidèles; car je ne sais pas si je vous ai dit, excellence, que don Gregorio était curé de Portici, et que les habitans de Portici avaient une dévotion particulière pour le mauvais larron.

– Oui, oui, continue…

– Or, comme c'est l'habitude à la campagne de s'agenouiller tout près de l'autel pour mieux entendre le Memento

– Ah! je ne savais pas cela…

– C'est tout simple, excellence; chacun donne quelque chose au prêtre pour qu'il recommande à Dieu son affaire: celui-ci sa récolte, celui-là ses troupeaux, un troisième ses vendanges; de sorte que l'on n'est pas fâché de savoir comment il s'acquitte de sa commission…

– Eh bien! que faisait don Gregorio?

– Don Gregorio, tout en lisant son missel et en regardant son heure, jetait de temps en temps un petit coup d'oeil à ses voisins pour voir s'ils ne s'approchaient pas trop de sa montre.

– Je comprends.

– Vous voyez donc, excellence, que ce n'était pas chose facile que de voler la montre de don Gregorio. Or, ce qui eût été un obstacle insurmontable pour tout le monde ne fut qu'un jeu pour le neveu du curé. Son oncle était myope; il s'agissait de le rendre aveugle, voilà tout. Que fait donc le petit brigand? Au moment où don Gregorio passait sa chasuble, il colle deux grands pains à cacheter sur les deux verres des lunettes; avec une telle rapidité et une telle adresse, que le digne curé, ne le croyant pas même dans la sacristie, l'appela deux ou trois fois pour lui demander sa barrette. On peut deviner le reste. Don Gregorio sort de la sacristie précédé de son neveu, il monte à l'autel, ouvre son Évangile, relève sa chasuble et sa soutane, tire la montre de son gousset et la pose devant lui, tout en priant ses ouailles de ne pas trop se presser; en même temps, il fouille dans l'autre poche, prend ses lunettes, et les enfourche majestueusement sur son nez.

– Jésus-Maria! s'écria le pauvre curé dans son latin, je n'y vois pas clair, je n'y vois plus du tout, je suis aveugle!

Le tour était fait: la montre était passée de l'oncle au neveu. Où chercher le voleur quand on a l'avantage d'être curé de Portici, et que soupçonner un seul c'est évidemment faire tort à tous les autres?

– En effet, la chose doit être embarrassante. Mais par quel enchaînement de circonstances le sacristain de Portici est-il devenu le capucin de Resina?

– Depuis son premier vol, sa vie entière n'a été qu'un pillage continuel de couvens, de monastères et d'églises. Le diable en personne n'aurait pu imaginer toutes les abominations qu'il a su mettre en oeuvre, et toujours avec un succès qui tenait du miracle. Croiriez-vous enfin, excellence, qu'il s'est servi des choses les plus saintes pour commettre ses crime les plus audacieux? Autant de cérémonies religieuses, autant de prétextes d'effraction et d'escalade; autant de baptêmes, d'enterremens, de mariages, autant de primes prélevées sur la bourse du prochain; autant de sacremens, autant de vols. Pour vous conter un seul de ses tours; il va se confesser un jour au trésorier de la chapelle de Saint-Janvier, qui a le privilége de donner l'absolution des péchés les plus énormes:

– Mon père, lui dit le brigand en se frappant la poitrine, j'ai commis un crime horrible.

– Mon fils, la miséricorde de Dieu est sans bornes, et je tiens de notre saint-père le pape des pouvoirs illimités pour vous absoudre; avouez-moi donc votre crime, et ayez toute confiance dans la bonté du Seigneur…

– J'ai volé un bon prêtre au moment même où j'étais agenouillé humblement à ses pieds pour me confesser.

– C'est très grave, mon fils, et vous avez encouru l'excommunication…

– Vous le voyez, mon père…

– Cependant Dieu est miséricordieux, et il veut la conversion, non pas la mort du pécheur.

– Vous croyez donc, mon père, qu'il me le pardonnera?

– Je l'espère; vous repentez-vous, mon fils?

– De tout mon coeur.

– Alors je vous absous, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

– Ainsi soit-il! – répondit le voleur en se relevant; et il s'éloigna d'un air humble et contrit.

Lorsque le brave trésorier voulut se lever à son tour pour monter dans sa chambre, il s'aperçut que les boucles d'argent qui retenaient ses souliers avaient disparu. Vous pensez si le bon prêtre en dut être furieux, et si l'archevêque de Naples a dû solliciter du roi l'arrestation du bandit.

– Et jamais on n'en est venu à bout?

– Jamais; le diable lui-même y eût perdu sa peine. Enfin le ministre de la police, désespérant de le faire arrêter, l'amnistia, à la condition qu'il eût à choisir un état, et à se conduire désormais en honnête homme. Ce fut alors qu'il demanda impudemment à se faire capucin. Mais ce n'était pas assez de la parole du ministre; il fallait l'autorisation de l'archevêque pour revêtir l'habit religieux, et l'archevêque était trop bien renseigné sur ses faits et gestes pour lui accorder une pareille autorisation.

– Diable! Et comment se tira-t-il de cette nouvelle difficulté?

– Oh! ce n'en fut pas une pour lui. – Ah! s'écria-t-il en souriant; monseigneur ne veut pas me donner la permission; eh bien! je la volerai. Comme il savait contrefaire différentes écritures, il se fabriqua d'abord un certificat en toute règle, et imita parfaitement la signature de l'archevêque. Restait le point le plus difficile: le certificat était nul sans le sceau pontifical, et ce sceau, monseigneur l'appliquait lui-même et le portait nuit et jour à son doigt, dans une bague enrichie de diamans magnifiques. Il s'agissait donc de voler cette bague. Le brigand ne fut pas long-temps à prendre son parti: il loua une petite chambre à deux pas de l'archevêché, s'étendit sur un grabat comme un homme prêt à rendre son âme, fit appeler un confesseur, et, après avoir reçu avec une humilité profonde et une dévotion exemplaire les sacremens de l'Église, il demanda en grâce que l'archevêque en personne vint lui administrer l'extrême-onction, ajoutant qu'il avait à lui confier un secret duquel dépendait le salut de son âme. Comme le cas était urgent et que le moribond paraissait n'avoir plus que quelques instans à vivre, l'archevêque s'empressa de se rendre à la prière du bandit; et, après avoir signé son front, sa bouche et sa poitrine de l'huile bénite, se baissa pour recueillir ses paroles faibles et entrecoupées déjà par le râle de l'agonie. Le mourant se leva sur ses coudes par un suprême effort, et, prenant la main de l'archevêque, murmura ces mots à l'oreille du prélat: – Courez chez vous, monseigneur; tandis que j'expire ici, mes complices mettent le feu à votre palais.

L'archevêque n'en voulut pas entendre davantage; il sauta l'escalier en trois bonds, traversa la rue d'un seul pas, et fit sonner la cloche d'alarme. Il n'y avait ni feu, ni complot, ni voleur; seulement, lorsque Son Éminence fut revenue de son effroi, elle s'aperçut que sa bague avait disparu.

Le lendemain, l'archevêque reçut une lettre conçue en ces termes:

«Monseigneur, j'ai mon certificat, et je vous rendrai votre bague à la condition que vous ne vous opposerez pas plus long-temps à ma vocation.

«Signé: Frère PIETRO le bandit.»

A dater de ce jour, personne ne songea plus à s'opposer à la vocation de Pietro: il peignit lui-même sa petite chapelle des âmes du purgatoire, et il demanda l'aumône aux voyageurs en leur mettant le couteau ou le pistolet sous la gorge.

– Mais la peur te fait divaguer, mon pauvre Francesco; cet homme me paraît vieux et infirme, et pour toute arme il ne nous a montré que sa bourse.

– Oh le scélérat! s'écria Francesco avec un nouveau frisson; mais c'est là son poignard, ce sont là ses pistolets, c'est là sa carabine. D'abord âge, infirmités, dévotion, tout cela n'est que comédie. Il vous avalerait en trois bouchées un régiment de dragons. Ensuite, rien qu'en vous montrant sa bourse, il vous dit: L'argent ou la vie; c'est sa manière. Il vous la présente d'abord du côté des âmes du purgatoire. Si vous lui faites l'aumône à cette première sommation, tout est dit, il vous remercie et vous laisse aller en paix; mais si vous le refusez, il tourne la bourse de l'autre côté: et savez-vous ce qu'il y a de l'autre côté? son propre portrait dans son ancien costume de brigand, armé d'un énorme couteau, et au bas du portrait on lit en lettres rouges: PIETRO LE BANDIT.

– Et si on ne tient pas compte des deux avis?

– Alors on peut faire son paquet et se préparer à partir pour l'autre monde. Mais cela n'est jamais arrivé. Il est trop connu dans le pays.

A ma grande satisfaction, Francesco, toujours sous l'impression de sa terreur, n'osa plus railler les moines que nous rencontrâmes sur notre route, se découvrit respectueusement devant la croix de Portici, et récita une double prière en repassant devant les statues de saint Janvier et de saint Antoine.

Honneur au capucin de Resina! Il venait de convertir le dernier voltairien de notre époque.